• Nem Talált Eredményt

Flora Devatine

73. Tahitiens présentant des fruits à Bougainville entouré de ses officiers (1768)

156

De fait, c’était Chantal Spitz qui avait amené cette question de l’autochtonie parce que pour elle le terme Polynésien ne traduit pas ma’ohi, ‒ ce que nous sommes ‒, puisque c’est une création moderne. Par ailleurs, nous ne sommes pas, en Polynésie française, les seuls Polynésiens dans le Pacifique, il y a aussi les Samoans, les Tongiens, les Rarotongiens ou Cookiens… Dès lors, comment nous différencier ? Nous n’allions pas par l’emploi du terme Polynésien en Polynésie française nous approprier l’identité polynésienne ! Alors quel mot (en français) utiliser ? C’est pour cette raison que nous avions recouru au mot autochtone (les gens du lieu). Mais encore faut-il s’entendre sur le sens que nous donnons à ce terme, car il y a eu diverses définitions et redéfinitions du terme. Il y a là beaucoup de situations et beaucoup de questions, et au centre, il y a que nous utilisons souvent des termes dont nous ne connaissons pas forcément le sens, ni la portée ni l’histoire. Cela est important aussi. Chacun de nous vient d’un milieu, avec ce qu’il a compris, ce qu’il sait ou ce qu’il croit savoir d’un mot, et les échanges ne sont pas facilités, cela crée parfois des malentendus quand on n’a pas les mêmes références.

Comment apparaît dans l’écriture polynésienne la période instable entre 2004-2011 ?8

C’est l’un des sujets de dossier de la revue, le taui, le changement. En Polynésie, nous avons du mal à marquer de façon claire et nette nos positions. Nous sommes dans le consensus, hérité en partie des Anglais, où il faut rechercher et trouver l’équilibre, éviter de faire de vagues. Parmi les auteurs, il y en a qui ont une parole forte, ferme, qui savent ce qu’ils veulent, et surtout ce qu’ils ne veulent pas et qui le disent haut et fort.

Mais d’une façon générale, nous avons du mal à nous définir. Quand on aborde des questions comme celle du taui, du changement, il y a eu des écrits, et les gens ont écrit sur cette question en français et en tahitien. Mais quand on a proposé l’autochtonie, très peu de personnes ont écrit sur le sujet, et quand on a traité du thème de la littérature et de la politique, il n’y a pas d’écrit tout simplement. Pour le vingtième numéro, nous avions proposé comme thème du dossier notre définition de la société polynésienne : Quelle société, quel avenir voulons-nous ? Il n’y a pas eu d’écrit non plus. Personne n’a écrit sur le thème. Maintenant, les gens n’auraient-ils pas écrit faute de temps, par manque de temps pour y réfléchir et pour écrire ? Ou parce qu’ils ne voulaient pas se prononcer ? C’est toute la question. En tout cas, il n’y a pas eu d’écrit sur ce thème, et on ne sait pas trop que dire, qu’en penser… Mais je crois que l’on n’ose pas se prononcer, et c’est au-delà du Wait and see.

8 13 gouvernements se succèdent. Cf. Alévêque 2011 : 199-204.

157

La colonisation, l’évangélisation représentaient une rupture d’envergure avec la tradition orale. Se crée alors la nécessité d’une (ré)invention, d’une recréaction à finalité identitaire. Où en est la Polynésie française dans cette reconstruction incessante ?

C’est la question fondamentale. Où en sommes-nous aujourd’hui ? En tant qu’auteure, et à partir de ce qui se passe autour de moi, j’observe que le réveil identitaire et les revendications culturelles ont été soutenus indirectement par les travaux de l’Académie tahitienne,9 en particulier avec la traduction et la publication en français du premier dictionnaire tahitien-anglais de John Davies.10 Ce dictionnaire a rendu accessible la langue des ancêtres aux Ma’ohi, et il a permis que les gens s’approprient / se réapproprient la culture des ancêtres à travers les structures et les mots de la langue jusque-là quelque peu oubliée de certains, abandonnée par d’autres. Mais en même temps, on se rend compte que l’emploi des mots anciens sans le vécu et sans la connaissance de la culture, est dangereux pour la langue, pour la société, et pour la culture, surtout quand les trous de mémoire et d’histoire sont remplacés par des fantasmes. Le risque d’invention pure et simple d’une culture devient alors réel et grand. C’est-à-dire celui de mythifier la culture et la langue, en faisant passer comme culturelles des fabrications, des reconstructions culturelles, linguistiques individuelles ou collectives. Cela fait partie de nos soucis en tant qu’auteurs, à savoir comment faire comprendre que nous devons veiller à ne pas tomber dans l’erreur des auteurs exotiques. En fait, les Polynésiens sont des créateurs, des imaginatifs, des rêveurs, des faiseurs de récits : il y a beaucoup de variantes ‒ il y en a toujours eu beaucoup ‒ dans les récits mythiques.

Depuis quelle date peut-on parler d’une littérature écrite en Polynésie française ? Quelle était la première génération (années 1960, 1970) ? Je crois que les premiers écrits, en termes de poésie, étaient ceux d’Ernest Salmon, avec son manuscrit qui date de 1919. C’est donc au moins depuis cette date-là. Mais on sait aussi qu’à la fin du XIXe siècle, vers 1890, aux temps de sa grand-mère, la cheffesse Ari’i Taima’i de Papara, et de sa mère, la reine Marau Ta’aroa, il y avait déjà des mémoires, des poèmes, des récits.

C’était l’époque de l’oralité suivie de celle de la transcription. Aujourd’hui, une partie de la population est toujours dans la transcription de l’oralité.

Elle n’est pas encore passée à l’écriture, à la publication, à la littérature telle qu’elle est connue et définie en Occident ; ni à la littérature polynésienne

9 La mission principale de l’Académie tahitienne (fondée en 1972) est la conservation et la promotion de la langue tahitienne. Cf. le site de l’Académie (http://www.farevanaa.pf/)

10 Il s’agit de la traduction du dictionnaire de John Davies du XIXe siècle (Rev. Herbert John Davies, A Tahitian and English Dictionary, London Missionary Society, 1851) Dictionnaire français-tahitien Fa’atoro parau farāni-tahiti, Papeete, Académie Tahitienne – Fare Vāna’a, 2008.

158

contemporaine. Je précise que je parle uniquement ici de la littérature de langue française, et de leurs auteurs qui commencent à être connus des chercheurs, des universitaires, et bien entendu des simples lecteurs aussi.

Beaucoup d’auteurs sont publiés dans la revue Littérama’ohi, et certains par des maisons d’édition en Polynésie. Mais je n’oublie pas l’autre partie de la littérature en Polynésie, celle qui est de langues autochtones. Pour en revenir à la question, il y a eu plusieurs étapes et générations d’auteurs autochtones.

Mais en Polynésie, la littérature autochtone contemporaine est reconnue depuis 2002, c’est-à-dire depuis la publication de la revue littéraire Littérama’ohi, et après l’annonce publique faite par nous de l’existence d’une littérature polynésienne, et dont les premiers écrits datent des années 1970-1980.

Quelles étaient les premières grandes œuvres, les œuvres fondatrices à part les textes d’Ari’i Taima’i et d’Ernest Salmon ?

Je dirai que les fondateurs de ce qui va nourrir la culture, la pensée, cela sera effectivement une petite fille de missionnaire métissée Teuira Henry qui va publier les écrits de son grand-père (Tahiti aux temps anciens). Ce livre est un peu comme la Bible des Polynésiens d’aujourd’hui puisque tout le monde va puiser dedans, y lire pour s’en nourrir et se représenter, et pour étudier l’ancienne société polynésienne. Il y a aussi les écrits de la reine Marau, les mémoires d’Ari’ita’imai et de son fils, Ernest Salmon. C’est ce qui a existé du côté polynésien. Si on va essayer de contrebalancer en allant voir du côté de l’Autre, alors ce sont les écrits de navigateurs, d’explorateurs, et davantage que ceux des auteurs exotiques français. Donc on cherchera à lire les écrits des missionnaires, des premiers navigateurs et explorateurs.

Surtout les espagnols et les missionnaires anglais. Je suis allée deux fois à Londres pour consulter les archives des missionnaires. Maintenant, parmi les auteurs d’aujourd’hui, pouvoir dire qui serait les grands auteurs, et quelles seraient les grandes œuvres, je crois que c’est prématuré, c’est trop tôt. En fait, nous avons un complexe, et même des complexes. Le dernier complexe que j’ai vu que nous avons, c’est cette impossibilité (et j’en suis moi aussi) à dire les noms des auteurs, des peintres, des musiciens, des sculpteurs de chez nous. Je suis allée consulter sur Internet ce que les sites des autres pays d’Outre-mer (Océan Indien, les Caraïbes) citent comme auteurs et artistes chez eux. J’ai vu qu’il n’y a pas de problème pour eux, ils en présentent une longue liste. Mais quand j’arrive à la Polynésie française, il y a très peu de noms cités, pour ne pas dire aucun. Ces articles sont toujours écrits par quelqu’un du lieu ou par quelqu’un qui est assez proche du pays. Donc l’article sur la Polynésie a été écrit par quelqu’un de chez nous, quelqu’un qui se refusait à citer des noms, à faire des listes de noms.

Alors qu’ailleurs, je constate qu’il n’y a aucun complexe par rapport à cela.

159

74. Les navires Resolution et Adventure dans la baie de Matavaï

Outline

KAPCSOLÓDÓ DOKUMENTUMOK