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Les navires HMS Resolution et Discovery à Tahiti John Cleveley the Younger (1780–1890)

Flora Devatine

70. Les navires HMS Resolution et Discovery à Tahiti John Cleveley the Younger (1780–1890)

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J’imagine que je suis née ‒ avant-dernière d’une fratrie de neuf enfants ‒au moment où ils avaient de très grands soucis. Habituellement, à l’approche de la naissance de chaque enfant, ma mère faisait venir sa mère, ma grand-mère maternelle. Cette fois-là, elle ne l’avait pas fait. Elle s’était donc retrouvée seule avec mon père ‒ et trois autres enfants ‒et moi, née en pleine nuit. En pleine nuit, tout au bout de cet endroit sauvage en pleine nature où il n’y avait personne. Ma mère disait que c’était vers onze heures du soir. Après m’avoir mise au monde, elle avait appelé mon père, et la première réaction de mon père à la vue de la scène fut la contrariété et la colère. Il était furieux que ma mère n’aie pas fait venir sa mère, comme pour les autres naissances. J’étais donc née. Ma mère m’avait enveloppée dans un drap avec le placenta placé tout à côté car le cordon ombilical n’était pas encore coupé. Cela avait effrayé mon père qui, jusque-là ne s’en était jamais occupé ni préoccupé. Et à lui qui se plaignait, qui regrettait l’absence de ma grand-mère, ma mère avait répondu que le bébé que j’étais n’était pas leur premier enfant, qu’il ne pouvait partir dans la nuit à la recherche d’une aide pour couper le cordon, qu’il fallait qu’ils se débrouillent seuls, et que mon père se décide à couper le cordon. Il alla donc tailler une lame dans du bambou, parce que celle de bambou est tranchante, et surtout naturelle, moins dangereuse que celle d’un couteau ou qu’une paire de ciseaux.

Donc, parler de l’écriture, en termes de respiration, de souffle, c’est aussi quelque part et pour une part, en référence à cet événement premier de la vie d’un petit être qui est arrivé au monde, qui a été enveloppé dans un drap, qui a été confronté aux bruits de la vie et du monde, à la dispute des parents, j’imagine, et qui devait sans doute déjà chercher à comprendre le sens de tous ces sons nouveaux. J’ai un peu dérivé avant de dire que j’ai juste besoin d’être avec les autres, et pas forcément d’être à la tête, et le cerveau, d’une équipe, bien qu’il s’en trouve qui ne le ressent pas ainsi. En même temps, ce fut un long détour qui dit aussi ce qui nous marque et qui transparaît dans notre façon d’être au monde, et dans nos écrits.

Est-ce que « écrire » est une activité extérieure à soi, un acte qui sonde les profondeurs de l’instable, un tatouage gravé par des mots qui décrivent nos dimensions incompréhensibles, nos légendes oubliées, nos histoires refoulées ? Ou s’agit-il plutôt d’une synergie de différentes couches de la personnalité, d’une harmonie, d’une concordance de l’intra- et de l’extrapersonnel ?

Tout est mêlé. Au moment où j’écris, je pense que je le fais comme je l’entends et veux écrire. Mais ce qui est extraordinaire, c’est qu’il ressort des mots quelque chose qui va au-delà de ce que je pensais écrire. Les mots en disent plus que je ne veux dire. Ils transportent en eux quelque chose que je n’ai pas forcément ni clairement exprimé, quelque chose qui

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peut/pourrait être creusé, à l’instant présent ou dans l’avenir, afin qu’ils révèlent que ce qu’ils en disaient au-delà de leur structure. C’est cela, l’écriture, et c’est ce qui me tient à cœur, ce qui me prend au corps, et qui fait que je ne lâche pas. Même sachant ce à quoi je m’expose en écrivant, cela ne m’empêche pas, ne me retient pas d’écrire. Je suis poussée à écrire.

Tous les matins, la première chose que je fais en me levant avant de prendre mon café, c’est de me diriger vers la terrasse, puis de suite à mon bureau, de m’installer devant l’ordinateur et d’écrire. Ce ne sont pas mes pensées mais mes jambes qui m’y amènent directement, et mes doigts qui se mettent seuls à frapper sur les touches. Qu’est-ce qui me fait écrire et qu’est-ce qui fait que l’on continue d’écrire ? Qu’est-ce que l’on veut dire en écrivant ? Et qu’est-ce qui se révèle par ce que l’on écrit ? L’écriture mène toujours bien au-delà de son écrit, et cela est extraordinaire.

Bien entendu, cela varie, selon les moments aussi. On dépose des choses agréables et des choses moins agréables. Déposer ses mots par l’écrit pour régler ses comptes, ça soulage, ça fait du bien. Déposer ce qui tient à cœur par écrit, et parce qu’on en a envie, qu’on en a besoin, c’est important.

Au final, cela fait beaucoup d’écrits, beaucoup de mots déposés dans l’ordinateur et qui pour le moment restent dans l’ordinateur…. pour le plaisir des mots, pour le plaisir des voyages intérieurs, et des découvertes à l’entour. Il faudrait que je me décide un jour à rester chez moi pour y faire le ménage. Je me demande ce que les enfants feront de tout cela après, et comment leur simplifier la tâche.

Pour parler du processus d’écriture… Peut-on plutôt parler d’une lutte constante ou s’agit-il de moments de synergie, d’harmonie ? C’est comme le temps, comme le climat. Ça dépend des jours, ça dépend des moments. C’est vrai que parfois ça vient spontanément et l’écrit se fait sur la lancée. D’autres fois, il y a un thème donné, mais je n’arrive pas à écrire. Alors, le seul moyen c’est de tout laisser tomber, et d’y revenir plus tard. Cela dépend donc des moments. Il y a des choses que l’on écrit simplement, d’autres qui sont davantage travaillées, et d’autres, qui restent bloquées. Il y a des moments de défi, des moments d’effort, d’accouchement, et des moments de plaisir, et des moments fugaces d’harmonie.

La loi du 5 janvier 2010 dite « loi Morin » sur la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français en Polynésie française et au Sahara algérien reconnaît de façon historique et officielle les dommages sanitaires causés par les expérimentations nucléaires (Moruroa, Fangataufa, Hao). Quel peut être le rôle de l’oralité et surtout de l’écriture dans le traitement mémoriel, psychologique des essais nucléaires et de leurs impacts, des dommages sanitaires, de

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leurs implications mentales ? Comment est-ce que c’est présent dans l’imaginaire, dans l’écriture en français ? Est-ce que cela apparaît dans les écrits en tahitien ?

À ma connaissance, cela n’est pas présent dans l’écriture en tahitien, sinon dans les paroles de chants lyriques. Les gens tiennent des discours en tahitien sur ces sujets mais je ne sais pas si cela est transcrit. Peut-être dans les écrits de l’association Moruroa e tatou. En français, c’est sûr que la question est abordée, que l’on a écrit là-dessus, comme on peut le lire dans les premiers romans. Mais il faut savoir que longtemps cela avait fait partie des questions taboues dans la société, et que le FIFO (Festival International du Film Documentaire Océanien) ‒ qui existe en Polynésie depuis 2003 ‒, y a ouvert une brèche en 2005 ou 2006, lorsque le comité de pré-sélection a présélectionné un film qui faisait allusion à la question nucléaire. Il y a eu une intervention pour faire comprendre qu’il n’y a pas d’intérêt particulier à faire passer un tel film. Mais le film a été présélectionné, il a été projeté et vu. Et cette année (en 2013), pour la première fois, un film sur ce thème a été primé. Il avait pour titre « Aux enfants de la bombe ». Le film avait été tourné par quelqu’un qui avait travaillé sur le site du CEP, donc de l’intérieur. Quelqu’un dont la passion de la photo et du film était plus grande que la réserve imposée et que l’interdiction posée de prendre des photos. Il avait fait ce film sans en parler à sa famille, et il l’avait laissé au milieu de ses autres films. Le film a été retrouvé, exhumé, par un membre de l’association qui a été créée pour défendre les intérêts des veuves et des gens exposés aux radiations. Cette personne, en recherchant ceux qui avaient travaillé sur les sites, a ainsi pu rencontrer une dame (le mari était décédé) qui l’a informé de l’existence de cantines contenant des films qui appartenaient à son mari.

Et en passant en revue les films, ils ont trouvé celui sur les essais nucléaires.

C’est ce film qui a été montré et qui a été primé.

Donc, on commence à sortir du tabou, on peut en parler. Tout comme on peut parler de l’autochtonie maintenant. C’était aussi une question très sensible. Lorsqu’en 2010, au niveau de la revue (Littérama’ohi), nous avions organisé pendant le salon du livre, la première conférence sur l’autochtonie, il y a eu des réserves. C’était alors une question très sensible, aussi bien du côté des Français que du nôtre, en Polynésie. Certains s’inquiétaient de ce que l’on y dirait, que cela ne provoquât une petite agitation, des conséquences sur le plan social, politique. Nous étions trois à intervenir sur Te Paepae a Hiro, où le public se tenait à distance. Il y avait un grand espace libre, désert, entre nous et les auditeurs, qui eux se tenaient debout, en demi-cercle, loin, autour du Paepae. Cela signifiait que malgré tout, il y en avait qui voulaient entendre ce qui allait se dire, mais sans en faire partie.

Finalement, après nos exposés, il n’y a pas eu de questions, et rien ne s’est passé. Mais ce jour-là, nous avions déposé nos mots, et depuis, le terme ne fait plus peur à personne, et les concernés peu à peu se disent autochtones.

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