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Flora Devatine

66. Carte de Tahiti - Frederick William Christian (1910) Internet Archive Book Images

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La poésie, c’est de la musique avant toute chose. La poésie, l’oralité traditionnelles constituent ma formation, ma culture de base et c’est ce qui passe dans mes écrits, et c’est ce que je recherche dans mes écrits. Ainsi, dans Tergiversations, dont le sous-titre en tahitien est Te Pahu a Hono’ura (Les tambours de Hono’ura), j’essaie de retrouver ce rythme, de revenir à ce que me disait en 1970 cette formatrice parmi les personnes que j’avais rencontrées alors… Cette dame que j’appelle « ma grande poétesse », elle a composé pendant des années des textes poétiques qui ont été chantés sur des airs traditionnels. Elle me disait : « C’est sur ton corps que tu composes ! ». On compose avec son corps, en fait, on rythme sur son corps et de l’intérieur de soi. Donc le rythme ou la musique, la poésie, ils sont aussi dans son corps de telle sorte et jusqu’à ce que cette parole puisse s’envoler et s’envole. Il y a donc le rythme, la sonorité, et il y a aussi le balencement, les ondulations, comme en mer.

Vous écrivez que le souffle est « partagé entre les êtres »5, qu’il va « de l’un à l’autre » « balayant les hésitations… palliant les défaillances », que l’écrit nous mène de petits riens « vers des territoires nouveaux »6. Quels sont ces territoires de l’interpersonnel ou de l’intrapersonnel que vous vouliez conquérir ou plutôt apprivoiser par vos écrits, par vos créations ?

À la première lecture, à la première écriture, ces territoires nouveaux désignent ce qui est à ouvrir pour le futur, pour les nouvelles générations, c’est l’écriture, c’est la littérature, c’est la poésie. Ce sont là des pays à habiter par ceux qui viendront après nous, bien qu’en réalité, on écrive d’abord pour soi. Cela signifie que l’on est soi-même à la recherche de territoires nouveaux, ou à retrouver ; à la recherche de quelque chose qui viendrait remplacer ce que l’on a perdu, ou transcender le manque du fait du paradis perdu ; transcender la perte des territoires de son enfance, et en ce qui me concerne, des lieux de l’enfance qui m’ont formée. Je dois à mon enfance, et aux lieux de mon enfance, ce que je suis aujourd’hui. C’est à partir de ces lieux que je chante, que j’écris, que je crée. Te Pahu a Honoura, le titre en tahitien de mon livre, est un lieu mythique qui se trouve près de chez moi.

Quand nous publions la revue, nous pensons, nous voulons le faire pour les générations à venir, mais dans un premier temps, c’est aussi pour nous-mêmes et pour tous ceux d’aujourd’hui pour qu’ils y déposent ce qu’ils ont à déposer. Enfin, pour nous-mêmes, individuellement, parce que nous avons quelque chose à faire pour/par rapport à nous-mêmes, par rapport à nos manques, par rapport à ce que nous allons, ou voulons y mettre en remplacement, c’est-à-dire à tous les moyens, outils, matériaux, formes

5 Devatine 1998 : 23.

6 Ibid., 24.

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d’expression que nous utilisons pour remplir nos trous, nos béances. Donc, au-delà des territoires littéraires, culturels, esthétiques, il y a des maisons mentales, des pays intérieurs, des territoires sociaux, religieux, psychologiques.

Dans Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale – Te Pahu a Hono’ura, vous avez écrit, créé, transcrit un corps textuel qui se ressource dans les idées de l’autre données en citations comme un constant référencement extérieur. Où vous situez-vous dans le champ d’intercommunication des différents objectifs, enjeux, destinées de l’écriture (communiquer, transmettre, diffuser, rêver, voyager…) ? Où vous situez-vous par rapport à vos écrits ?

Pour répondre à cette question, je me situerai dans différents milieux, dans des lieux divers. La première réponse est que je suis entre l’oralité et l’écriture. Je ne peux pas vivre sans les autres, ceux du passé et ceux d’aujourd’hui, bien que j’aime vivre seule, bien que j’aime la solitude. J’ai besoin de la solitude, mais je n’arrive pas à me contenter de la solitude. J’ai aussi besoin des autres, j’ai besoin du contact avec les autres. C’est comme l’appel du large, et là, c’est encore quelque chose qui me vient de mon enfance passée au bord de la mer, et sur l’eau, avec le large, l’infini devant nous. L’appel du large est constamment présent. Il s’agit d’aller vers l’autre, d’aller au-delà de l’horizon. Nous vivions tout au bout de l’île, dans une partie sauvage de la presqu’île, où on ne se déplaçait qu’en bateau. Mais à l’époque, jusqu’à ce que je sois partie en France pour mes études, nous nous déplacions uniquement en pirogue. Il faudra attendre le développement économique – à la suite de l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) ‒ pour que les gens puissent passer au bateau à moteur.

Nous vivions donc au bout de l’île. Cependant, de temps en temps, il y avait des gens de passage dans ce bout de l’île. En fait, cette extrémité de l’île de Tahiti, de la presqu’île a toujours été un lieu de rencontre entre l’Occident et la Polynésie. C’est-à-dire que tous les bateaux des explorateurs, des navigateurs occidentaux, lorsqu’ils arrivaient à Tahiti, touchaient d’abord la presqu’île et ils entraient dans le lagon de Tautira tout proche de là où je suis née. C’était donc un lieu de rencontre. Nous restions, nous vivions sur place, et de temps en temps, nous voyions des gens de passage. Quand on se déplaçait, quand on allait aussi loin, ce n’était pas par ennui, mais parce que l’on avait envie de découvrir autre chose, parce que l’on avait envie de voir ce dont on avait entendu parler. Je veux dire par là que les gens qui y passaient n’étaient pas des personnes anodines, c’étaient des gens qui savaient ce qu’ils voulaient dans la vie. Là où nous vivions, mes parents accueillaient des gens de passage. Ils avaient eu l’occasion d’accueillir des voyageurs tel que l’écrivain belge T’Serstevens et sa jeune femme, Amandine Doré, une artiste illustratrice.

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67. La reine Oberea accueillant le capitaine Wallis

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