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Chantal Spitz

97. Cheffesse marquisienne en tenue traditionnelle

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Par quelles méthodes et stratégies d’écriture comptez-vous défaire les réécritures réductrices de l’histoire européocentrée et du mythe de l’Éden Polynésien qui perpétue les incompréhensions culturelles ? Il me paraît inexact de parler d’incompréhensions culturelles. À mon sens, il s’agit plus d’une rencontre qui ne s’est pas faite entre Européens et Polynésiens du XVIIIe siècle et qui continue de ne pas se faire au XXIe siècle. La première non-rencontre se traduit par Cook ouvrant le feu sur les Tahitiens et en tuant quelques-uns lors du premier contact. La deuxième non-rencontre se traduit par le Voyage autour du monde de Bougainville écrit après une halte de quelques jours à Tahiti qui scelle définitivement le mythe de l’Éden et du bon sauvage qui le peuple. La troisième non-rencontre se traduit par la décision de la London Missionary Society d’envoyer des missionnaires afin d’évangéliser les païens de l’Éden pour qu’ils accèdent à l’humanité en devenant chrétiens. La quatrième non-rencontre se traduit par les guerres de colonisation menées par l’État français et l’invasion qui les ont suivies, guerres et invasion niées dans une réécriture parant la soumission des peuples polynésiens d’une généreuse bienveillance française et d’un heureux consentement autochtone. La cinquième rencontre se traduit par la décision unilatérale de l’État français de procéder à ses expérimentations nucléaires dans une de ses colonies du Pacifique, à savoir notre pays. La non-rencontre née de toutes ces non-rencontres est le manque d’intérêt général pour les autochtones polynésiens des expatriés-coopérants français qui viennent en durée déterminée ou les immigrés qui s’installent en durée indéterminée. Ces coopérants ou immigrés arrivent avec le mythe ancré dans leur esprit et font l’économie d’aller à la rencontre des Polynésiens, persuadés de les connaître grâce aux livres, peintures, photos, films, publicités qui les travestissent.

Connaître l’histoire de notre pays, l’écrire de l’encre des vaincus, l’enseigner la partager par tous les supports écrits et audio-visuels me semble indispensable pour défaire le discours dominant réducteur européocentré qui continue de nous figer plus de deux siècles après la première non-rencontre.

Comment peut la littérature assister, contribuer à l’émergence de valeurs nouvelles susceptibles d’unifier les différentes ethnies et cultures ?

Il est important de rappeler que la Polynésie française est une colonie fabriquée de toutes pièces par l’État français à la suite de nombreuses guerres de colonisation et de l’invasion de groupes d’îles indépendants les uns des autres dont certains n’ont pas de liens privilégiés entre eux, rassemblés arbitrairement sous le nom d’Établissements Français de l’Océanie. Ces groupes d’îles prennent le nom d’archipels de la colonie française du Pacifique désormais poliment nommée Polynésie française.

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Les habitants des îles autres que Tahiti, à quelques exceptions près, sont indigènes-sujets jusqu’en 1946, date à laquelle la République française leur accorde la citoyenneté et le droit de vote en même temps qu’à ses autres colonisés.

Tahiti a été et demeure le centre politique et économique de la Polynésie française puisque dès le XVIIIe siècle elle cristallise les visées hégémoniques européennes. C’est aussi l’île où s’installent les colons pour y faire commerce et souche et le siège des missionnaires-évangélisateurs anglais puis des administrateurs coloniaux français. Aujourd’hui c’est là que se concentrent tous les pouvoirs politique, économique, social, culturel tandis que les archipels souffrent du manque patent d’intérêt non seulement de la classe politique et économique mais aussi des Tahitiens ou ceux qui s’y sont assimilés.

La Polynésie française est un pays en construction alors que les notions même de pays, d’état de nation sont étrangères à l’organisation géographique, politique et historique de cet agglomérat d’îles qui n’ont un gouvernement local avec des représentants élus par les Polynésiens que depuis 1957. Prétendre qu’un drapeau et qu’un hymne auraient le pouvoir de rassembler tous les habitants autochtones dans une espèce « d’union sacrée » qui constituerait un pays unique est un leurre, chacun continuant de s’identifier du nom de son île ou son archipel. Quant à parler des autres groupes ethniques présents, particulièrement des Chinois ou des Français…

L’idée que vous assignez à la littérature de porter des valeurs nouvelles me gêne. En effet, il me semble que les peuples autochtones de la Polynésie française ont fait la preuve qu’ils sont porteurs des valeurs qui n’ont rien à envier à celle des autres peuples humains. Ces valeurs sur lesquelles se sont bâties et ont survécu des communautés pendant des siècles ont certes éclaté avec la colonisation et la mondialisation mais une volonté politique de développement respectueux de ces valeurs et un engagement de la société dans une culture commune alliant pratiques traditionnelles et nouvelles me semblent entièrement aptes à fonder les bases d’une société plus harmonieuse. En cela, la littérature a de façon évidente un rôle de premier plan à jouer.

Est-ce que le passage d’un régime de tutelle à un régime d’autonomie influence les revendications identitaires manifestes dans les œuvres littéraires ?

Le régime d’autonomie ne supprime pas la tutelle coloniale dont la présence reste pesante puisque les compétences régaliennes sont toujours détenues par l’État français, notamment la nationalité et les droits civiques, civils et le droit électoral, la garantie des libertés publiques et la justice, la politique étrangère, la défense, l’entrée et le séjour des étrangers, la sécurité, l’ordre public et le maintien de l’ordre, la monnaie.

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98. Proclamation du protectorat, le 10 septembre 1842

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