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Jean-François Samlong

34. Hôtel du procureur général Henri Georgi (entre 1879 et 1891)

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Vous menez dans vos œuvres une réflexion sur nombreux éléments essentiels à la constitution d’une identité réunionnaise. Comment concevez-vous votre identité ?

Je l’ai toujours conçue, mon identité, comme une identité plurielle ouverte sur le monde pour un dialogue des cultures.

Quels auteurs, quels thèmes et quels genres pourriez-vous indiquer comme vos principales sources d’influence ?

Les auteurs, ils sont multiples : de Victor Hugo à Muriel Barbery en passant par Marguerite Duras. Les thèmes sont de mon propre choix, que je puise dans l’histoire ou dans la réalité contemporaine de mon île. Les genres : le roman, les essais qui me permettent de mieux cerner le thème choisi.

Dans le rapport de La Réunion avec la France métropolitaine, peut-on parler d’une instabilité des « piliers psychiques de l’identité du sujet »61 ?

Plus aujourd’hui. Les Réunionnais voyagent beaucoup, les avions sont pleins, ce qui explique le tarif élevé des billets. Ce flux constant entre la métropole et La Réunion, La Réunion et la métropole, rapproche l’île de l’hexagone ; et puis, ce qui a changé, c’est que des milliers de jeunes Réunionnais vont faire des études à Paris, à Lyon ou à Montpellier ; les déplacements se multiplient, s’accélèrent, et les jeunes retrouvent en métropole des parents proches. Tout cela, au contraire, consolide d’année en année la stabilité des « piliers psychiques de l’identité du sujet ». Je crois que, dans ce domaine, il faut adapter les concepts à la réalité du moment.

Et que le discours ne soit pas empreint d’une idéologie qui n’a plus de raison d’être !

Comment voyez-vous l’état actuel et le futur de la littérature réunionnaise ?

La littérature réunionnaise a-t-elle un futur ? J’ose encore le croire. Et dans cette perspective, j’ai mis en place deux ateliers d’écriture de perfectionnement en 2013 et en 2014, en partenariat avec les ateliers d’écriture Gallimard. En septembre 2014, en partenariat avec la DAC-OI (Ministère de la Culture) et le Conseil Régional, nous avons invité à La Réunion Jean-Noël Schifano (mon éditeur chez Gallimard et directeur de la collection « Continents noirs ») et Antoine Gallimard. Après avoir participé aux ateliers d’écriture, dix écrivains ont eu l’opportunité de présenter leurs manuscrits à Jean-Noël Schifano, puis de les envoyer à la maison Gallimard.

Malheureusement, aucun des manuscrits n’a été retenu par le comité de lecture. Et nous avons pris conscience du fossé qui existe entre une édition régionale et une édition nationale. C’est vrai que ces écrivains-là avaient frappé à la porte de l’une des maisons d’édition les plus prestigieuses de

61 Ghasarian 2008 : 15.

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Paris. Il n’empêche que nos écrivains doivent continuer à fournir un effort colossal pour hisser le niveau de leur écriture. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là. Je sui seul à être édité à Paris alors qu’il y a une dizaine de romanciers mauriciens qui publient chez Julliard, Laffont, de l’Ollivier, Gallimard. La littérature réunionnaise est à son niveau le plus bas sur le plan national où elle n’a aucune visibilité. Et donc, en 2015, je mettrai en place un nouvel atelier d’écriture avec le soutien des Collectivités locales, parce que nos écrivains ont la volonté de rattraper leur retard. C’est possible, mais cela sera long, très long. Pour le moment, le futur de la littérature réunionnaise est à peine visible dans un lointain brumeux. Il nous faut un bon cyclone !

Trouvez-vous que la littérature doit traiter des problématiques de la dynamique intersubjective, identitaire dans le contexte réunionnais ? Bien entendu. Elle ne doit pas traiter que cet aspect lié à la quête identitaire (ne rétrécissons pas l’espace de l’imaginaire et de la créativité), mais elle ne peut pas ne pas le faire en tenant compte du fait que, comme une langue, aucune identité n’est figée dans le temps, elle évolue, tend de plus en plus vers une identité plurielle non frileuse, mais ouverte sur le monde. J’insiste sur ce point, car la dynamique de l’intersubjectivité, de l’altérité, de la tolérance est fondamentale pour l’avenir de notre île.

Tout écrivain doit réfléchir à ces problématiques sociétales liées au devenir d’une littérature digne de ce nom. Je vous renvoie à l’étude pertinente que Masud Khan a consacrée à L’Idiot de Dostoïeski : « Il fut le premier romancier authentiquement russe, et véritablement épique. Son œuvre est universelle – bien que typiquement russe par essence, empreinte tout à la fois de la tradition européenne, de sa décadence et de ses maniérismes. On ne s’étonnera pas de ce que le héros qu’il a choisi pour incarner » l’homme parfait «, le prince Muichkine, ait été élevé en suisse, mais que ce ne soit qu’en Russie qu’il parvienne à découvrir son véritable soi ».62

On notera tout de même la formule « mais que ce ne soit qu’en Russie… », ce qui signifie que le prince n’aurait pas pu découvrir sa véritable identité ailleurs, nulle part au monde. Cela donne à réfléchir à tous ceux qui aiment la vraie littérature qui ne peut atteindre une dimension universelle que si elle traite (ne serait-ce qu’en partie) les problématiques de la dynamique intersubjective surchargées d’impulsions, de pulsions et de fantasmes à mettre en scène, dans une expérience de créativité qui revivifie la littérature elle-même, et peu importe si les forces en jeu et les préjugés moraux ne sont pas ressentis comme étant sa propre création. Tel est le fantasme textuel, qui permet à l’écrit d’exister à travers une création personnelle susceptible de pouvoir « atteindre une dimension universelle ».

62 Khan 1985.

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D’après vous, quelle est l’importance de la littérature, de l’expression verbale dans la réhabilitation, réappropriation et redéfinition identitaires aujourd’hui ?

La littérature et ce qu’on appelle « l’oraliture » jouent un rôle important dans ce travail de réappropriation et de redéfinition identitaire qui ne date pas d’aujourd’hui. Je crois que ce travail a débuté dans les années 1970 avec toute la réflexion d’un Boris Gamaleya sur la langue créole (son lexique, si capital pour nous, publié dans le journal communiste Témoignages), d’un Jean Albany qui a publié plusieurs glossaires de la langue créole, d’un Christian Barat et d’autres universitaires de La Réunion qui ont collecté des contes et légendes aux quatre coins de l’île, d’un Axel Gauvin… Mais il faut compter aussi avec le théâtre, la musique… Il faut noter que ce travail de réappropriation n’est plus d’actualité, et encore moins systématique. La question ne se pose même plus. La vraie question : comment vivre son identité dans la confrontation avec l’autre ? Comment la faire évoluer en tenant compte du principe de l’altérité et de la tolérance ?

Est-ce qu’il y a des sujets problématiques dont il faudrait traiter dans l’écriture contemporaine dans le contexte réunionnais ? Quels sont les principaux enjeux de la contemporanéité ?

Dans le contexte réunionnais actuel (un taux de chômage aussi exorbitant que le taux d’illettrisme), il n’est pas, à mon avis, de sujets plus problématiques ou plus urgents à traiter que d’autres, dans le seul but de répondre aux enjeux de la contemporanéité, car nul n’est en mesure de dire aujourd’hui quels sont ces enjeux, ni quels sont leurs impacts sur le devenir de la société réunionnaise. Nous vivons presque au jour le jour, sans se projeter dans le futur, comme a su le faire Paul Vergès quand il pesait de toute son influence sur la vie politique locale (une vision qui, hélas, par le jeu des idéologies contradictoires, n’a eu aucun impact sur les orientations politiques, économiques et culturelles spécifiques à l’île).

Aujourd’hui, personne n’a repris le flambeau. Nos hommes politiques, de droite comme de gauche, se contentent de gérer le quotidien et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de troubles sociaux graves. Ils y parviennent et c’est déjà un miracle. De la même façon, et je l’ai maintes fois dit, il nous a manqué un Frantz Fanon, c’est-à-dire que nous n’avons eu aucun scientifique pour réfléchir sérieusement sur le passé/présent de La Réunion.

Résumons : aucune réflexion sérieuse sur le passé. On subit le présent.

Aucune projection sur l’avenir. À partir d’un tel constat : la société réunionnaise va où elle veut, comme elle peut… et la littérature contemporaine suit le même chemin.

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