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Maison d’un garde forestier sous les filaos Centre des archives d’outre-mer (1880–1900)

Jean-François Samlong

32. Maison d’un garde forestier sous les filaos Centre des archives d’outre-mer (1880–1900)

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la graphie étymologique, de la graphie Lékritir 77, de la graphie KWZ, de la graphie 2000 dite « tangol » ; il y a aussi ceux qui écrivent le créole réunionnais comme ils l’entendent, sans se préoccuper de l’orthographe, de la grammaire, de l’étymologie, de la syntaxe, de la sémantique, etc. J’ai remarqué également qu’on tend de plus en plus vers une francisation à outrance de la langue créole réunionnaise, et cela est préjudiciable à la langue elle-même qui, à moyen terme, pourrait perdre ses spécificités et s’affaiblir et disparaître, comme bien d’autres langues, d’ailleurs.

Dans un entretien sur votre roman Une guillotine dans un train de nuit (2012), vous dites : « nous sommes passés, un peu plus d’un siècle après les faits, d’une société cloisonnée à une société métissée »38. Peut-on parler d’une réelle hybridité, d’un métissage et d’une pluralité valorisée au niveau psychique, identitaire, interculturel ?

Oui, nous sommes passés d’une société cloisonnée à une société métissée, mais avec des limites lorsqu’il s’agit de passer d’une communauté à l’autre, et donc on ne peut parler, à mon sens, d’une réelle hybridité. Je ne saurai dire si le métissage dont il est question est valorisé au niveau psychique (à ce jour, aucune étude scientifique n’a été faite sur le sujet), mais cette pluralité trouve effectivement un prolongement intéressant au niveau identitaire (la langue créole est partagée par plus de 85% de la population réunionnaise) et interculturel, notamment dans les grandes manifestations festives où le culturel rejoint le religieux, où les traditions rejoignent les croyances populaires. Exemples : la fête du Dipavali, la fête de Guang Di, le culte des morts chez les Réunionnais d’origine malgache, la fête du 20 décembre (date de l’abolition de l’esclavage dans l’île, le 20 décembre 1848)… Ces manifestations interculturelles peuvent jouer le rôle d’un ciment au sein des communautés, et donc renforcer la cohésion de la société réunionnaise qui, en dépit d’une hybridité moyenne, résiste aux nombreuses difficultés sur le plan social, politique, économique. La tolérance semble être le mot de cette incroyable réussite.

Vous dites dans l’entretien accordé au site « Île en île » que vous cherchez « à écrire cette île de la Réunion avec tout ce passé historique »39. Pourquoi écrivez-vous, quel est votre art poétique ? Le passé de l’île, notamment la période liée à l’esclavage/marronnage, est omniprésent dans la conscience réunionnaise. Après la reconnaissance de l’esclavage comme « crime contre l’humanité », la situation est moins tendue entre le passé et le présent, et on essaie de tourner la page. Encore faut-il,

38 Ranaivoson : 2012.

39 Samlong : 2009.

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aujourd’hui, enseigner l’histoire de La Réunion aux Réunionnais dont les ancêtres n’étaient pas… des Gaulois. Raison pour laquelle j’ai commencé par écrire des romans historiques afin de me réapproprier l’histoire de mon île, et ensuite la faire connaître aux autres à travers le discours romanesque.

Je suis donc, vu sous cet angle, un écrivain engagé, et je le reste quelque part. Mais entre-temps, j’ai remis en cause mon écriture et je ne peux plus me permettre de raconter seulement une histoire. Je donne une même importance à l’écriture d’une aventure qu’à l’aventure de l’écriture, ce qui m’amène à rechercher constamment un équilibre entre le fond et la forme.

Il y a quelques années, j’ai écrit ceci : « L’écriture n’est pas une suite d’arrêts sur image projetés dans l’angoisse de la page, mais un carrousel de mots et d’images, de voyages inédits au carrefour des langues, loin des sentiers battus par la fatigue des stéréotypes (le déjà-dit est ce qui tombe sous le sens), mais le tourbillon des signifiants qui, dans l’infini des redéploiements, des refus de transcription littérale, s’éloignent du texte Ancien, bousculent les clichés… » (Les mots à nu, essai, éd. Udir, 2000). Cette approche de la littérature est toujours mon obsession première, ce qui explique que chaque nouveau roman suppose une prise de risque dans la mesure où je ne suis pas dans la reproduction du sens, mais dans la quête d’un ailleurs du sens ou d’un sens de l’ailleurs. Littérature : lit des ratés, des ratures d’où enfin émergent les mots d’élite. Est-ce cela mon art poétique ? Probablement.

Mais cet art, si art il y a, n’est pas figé, car demeure l’éternelle question : comment ranger le désordre du monde dans l’ordre des mots ?

Vous mettez en relief l’importance de la démarche mnésique, mémorielle. Quelles sont les stratégies mémorielles, les techniques textuelles qui peuvent être aptes à transcrire les vécus psychiques, historiques40 complexes de la société réunionnaise ?

Pour mener à bien un tel projet, tout écrivain possède les mêmes outils, quelle que soit la société dont il est question. S’il s’agit d’un roman historique (voir Une guillotine dans un train de nuit, 2012) ou d’un roman contemporain (voir En eaux troubles, 2014), la première étape consiste à se documenter sérieusement sur le sujet, sans rien laisser dans l’ombre ; ensuite, il faut faire un choix judicieux parmi la masse d’informations, puis oublier l’aspect informatif pour se concentrer sur l’écriture de cette histoire singulière. C’est l’écriture qui porte l’histoire et non l’inverse, notamment si on choisit le genre fictionnel. La deuxième partie du travail consiste à lire des livres théoriques, allant de Freud à Cyrulnik, en passant par Lacan, Masud Khan, et bien d’autres théoriciens des vécus psychiques.

40 On retrouve ces démarches dans l’histoire littéraire particulièrement riche de La Réunion.

Cf. Reymond 1997 : 18-21.

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33. Une case entourée de palmiers à Terre Rouge

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