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Khal Torabully

45. Port Louis (Simisa)

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De par son peuplement corallien, l’identité mauricienne, encore à accomplir, je le rappelle, se doit de se relier aux identités ancestrales des Indes, de Chine, des Afriques et de l’Europe. Elle doit tenir compte de ses vagues migratoires, de la nature de celles-ci, de l’Histoire non pas seulement enseignée par les anciens maîtres britanniques ou autres, mais commencer/commenter son récit différencié, et le réactualiser face aux défis actuels, qui sont le bien vivre-ensemble de ses différentes composantes, en arriver à un consensus transculturel sans renier à la nécessaire reconnaissance de sa diversité, et cela signifie un exercice délicat, continuel, souple. Cette matrice locale doit se féconder des apports de l’océan Indien, qui a abrité la route maritime des épices, en somme le rêve de l’Occident, celui qui a généré son siècle de découvertes. Les Indes ont longtemps aimanté l’imaginaire occidental, j’en donne pour preuve les textes et voyages de Vasco de Gama et de Colomb, qui ont été les avant-gardes de l’Europe du capitalisme transnational au XVe siècle et au début du XVIe siècle.

L’identité coolie, si je puis en parler d’une, c’est celle qui est résolument ancrée dans un statut juridique lié au contrat de travail, marqueur de l’engagisme. Le coolie est celui qui part ailleurs avec un contrat, et à la suite de l’abolition de l’esclavage, il a un habeas corpus, et dans sa migration, il va mettre les Indes, la Chine, notamment, au contact d’autres cultures dans les sociétés coloniales. Cette identité est donc définie par le départ, la traversée océanique et l’articulation de son identité de migrant à celle d’autres personnes venant de contrées différentes. L’identité du coolie ou de l’engagé marque pour moi la matrice des identités du monde contemporain, étant occasionné par un déplacement géographique, sur un motif économique, engageant un bouleversement de ses repères ataviques au vu de la mise en relation avec d’autres identités. En cela, elle est postmoderne, en ce sens qu’elle dépasse les définitions des identités liées à une ethnie ou à un essentialisme, en articulant l’identité dans le principe de la mobilité et du pluralisme. Cela, dans une certaine mesure, est à l’œuvre dans la mondialisation actuelle. De cette dynamique née sur les routes de la main-d’œuvre, un humanisme de la diversité est né, dont la poétique de la coolitude rappelle ce devoir de penser les identités comme un corail, avec ses concrétions, ses ancrages, mais en étant irrémédiablement ouvertes aux courants, aux mouvements, aux altérités. Cette réalité économique et migratoire imprègne le monde actuel, qui génère de plus en plus ce type de migrations humaines, et qui continue à façonner des modes de vie basés sur des contrats de travail, comme c’est le cas pour les cybercoolies, les ouvriers dans de nombreuses parties du monde, ou même, la problématique des étudiants américains qui empruntent pour leurs études et qui sont souvent mis en parallèle dans le fonctionnement de l’engagisme. Les engagés ou coolies furent les premiers à expérimenter le contrat de travail à un niveau

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transnational, dans le cadre de ce que les anglais appelaient the Great Experiment. Si cela avait échoué au XVIIIe siècle, nous n’aurions pas eu de grandes vagues migratoires des polonais, des italiens ou des irlandais, qui ont modifié la physionomie de tant de pays. Cette identité coolie nous rappelle que l’engagé, du fait de cette expérience contractuelle, est notre ancêtre commun.

Quels auteurs, quels thèmes et quels genres pourriez-vous indiquer comme vos principales sources d’influence ?

Les auteurs sont nombreux, car j’aime lire. J’en citerai quelques-uns : Tagore, Rumi, Khayyam, Shakespeare, Baudelaire, Rimbaud, Joyce, Lacan, Lorca, Eco, Derrida, Kristeva, Deleuze, Foucault, Fanon, Césaire, Neruda, Ghosh, Naipaul, Tharoor, Bhaba, Spivak, Chatterjee, Chaudari, Marquez, Cortazar, Borgès… De nombreux autres sont aussi là, comme Amal Sewtohul, Natacha Appanah, Barlen Pyamootoo, David Dabydeen, Mahadai Das, Kiran Desai, Deshpende, Glissant, Confiant, Seth… parmi d’autres… Les genres ? Ils sont divers, je mélange allègrement le récit historique, la poétique, la poésie, le roman, la critique, la prospective, les archives, les réflexions sur la forme des écrits… Je privilégie un axe de lectures, cependant, pour continuer ma traversée de signes de l’humanisme de la diversité, sans pour autant m’ôter le « plaisir du texte » barthien.

Quelles sont les stratégies mémorielles, les techniques textuelles qui sont aptes à transcrire les vécus fluides des migrants,76 leurs itinéraires géo-psychiques complexes ?

La poésie contemporaine est souvent plus construite sur le sens que dans le passé, elle ne se contente pas de jongler avec des sons pour valoriser l’aspect ludique à l’exclusion d’un jeu sur le sens des mots. S’y mêlent anthropologie, philosophie, Histoire, mémoire, il y a des étagements des sens, la construction de plusieurs niveaux de lecture. Elle intègre des éléments romanesques, comme le monologue intérieur, l’interlocution, les retours, les reprises, le surgissement de discours hybrides, la citation, et d’autres éléments de « bricolage mythique » empruntés à divers champs de langage et des sciences humaines et sociales. Cette « hybridité » discursive traverse tous les champs du savoir, depuis les structuralistes et poststructuralistes.

Claude Lévi-Strauss décryptait sa prose comme étant un ensemble de discours venant d’espaces divers, avec la poésie en filigrane. Le roman s’est étoffé aussi en ce sens, brisant les structures « lisses », s’adonnant à des

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