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Vaimu’a Muliava

84. Une fête à Uvea (Wallis) – Gravure tirée de l’ouvrage d’Emile Deschamps

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C’est la raison pour laquelle, et je pense que sur le plan intellectuel, il s’agit d’une nécessité pour tout insulaire que la littérature doit être locale mais aussi globale parce qu’autrement on meurt de consanguinité mentale... Ils le savaient bien les anciens, c’est pour cela qu’ils n’ont eu de cesse d’écumer l’océan Pacifique, c’est pour ne pas mourir physiquement, pour ne pas mourir mentalement. C’était évidemment une question de survie physique et mental.

Et à l’heure de la globalisation, les Océaniens doivent s’unir pour faire face aux problèmes du changement climatique, de la montée des eaux, de l’exploitation et de la pollution de l’océan Pacifique (qui contient l’unique animal (les poissons) encore gratuit qu’ils peuvent s’offrir sans argent). Mais ils ne peuvent pas accomplir ce défi tout seul, ils n’en ont pas les moyens.

Par contre ils peuvent, à l’image des anciens, activer ce réseau de solidarité tissé bien avant eux pour porter une parole commune à l’ONU tout en s’appuyant sur leurs anciennes puissances coloniales, et peser sur l’échiquier mondiale. Alors oui, la littérature doit être locale, régionale et globale. Pour être régionale, elle doit s’inscrire dans l’héritage ancestral et pour être globale, elle doit s’inscrire dans l’héritage colonial qu’elle doit assumer et épouser pour s’en délivrer.

Si vous voulez, la littérature océanienne est, par essence, ouverte sur l’extérieure car nous sommes des insulaires. C’est la colonisation qui nous a physiquement enfermés sur des îles, et qui a circonscrit notre réflexion aux contours de ces misérables terres, et la religion qui a raccourci notre vision et dénigré le statut de nos femmes avec leur mythe de la « croqueuse de pommes » responsable de toutes les irresponsabilités des hommes. Nous sommes des peuples, plus que les autres et par necessité, ouverts vers l’extérieur, et la femme devait plus qu’ailleurs être respectée car sans elle on ne pouvait renforcer sa population... Je n’invente rien, la femme pouvait dans l’ancien temps et ce jusqu’aux années 1960 dans le cas d’Uvea être Roi pas Reine, j’insiste bien être Roi ! C’est à dire porter le titre de Lavelua, Hau ou Tu’i (la reine Pomaré à Tahiti). Je travaille actuellement sur un essai où je traite de ces questions qui s’intitulera « Océanitude : réflexions océaniques » en hommage à mes anciens et à Césaire et Senghor....

Quel rôle assignez-vous à la littérature en tant que lieu de débat et de réflexion dans les questions sociales, identitaires, culturelles à Wallis-et-Futuna et pour les communautés de la diaspora ?

Le problème à Wallis-et-Futuna est que la population pense que parce qu’elle vit la tradition au quotidien, qu’il n’y a pas de découpage administratif de l’archipel en communes comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française, que le roi et la chefferie sont là depuis des siècles et que rien n’a changé ou très peu changé, et que le statut de 1961 qui rend la terre inaliénable etc... les protège. Elle se pense en quelque sorte épargnée par les

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conséquences de la colonisation. Les Wallisiens et Futuniens se disent qu’ils n’ont pas les problèmes culturels et identitaires ou même d’immigration massive qui ont frappé ou qui frappent les Tahitiens ou les Kanak ou les Hawaiiens ou encore les Maori de Nouvelle-Zélande.

Par conséquent, ils sont très peu réactifs au monde qui les entoure mais ils ont oublié que si la modernité n’est pas aussi violente que la colonisation a été pour les autres archipels, elle rentre dans les esprits par la télé par internet etc... Et quelque part, peut-être qu’ils ne s’en rendent pas encore compte. Par exemple, Tahiti ou la Polynésie française on va dire, et la Nouvelle Calédonie dispose depuis quelques années maintenant d’académies des langues financées par l’État français parce qu’ils se sont rendus compte que de plus en plus de vieux mouraient avec la langue et les jeunes ne la pratiquent plus autant qu’autrefois. Aujourd’hui, il y a l’option tahitien ou langues kanak au baccalauréat, c’est enseigné aussi dans le primaire à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui Wallis-et-Futuna demande à l’État de financer la création d’une académie des langues wallisiennes et futuniennes car ils se rendent bien compte que la pratique de la langue commence à se perdre... Alors oui, là est la fragilité des éléments de la culture matérielle face à la modernisation, il faut s’adapter au siècle dans lequel nous vivons. Nos espaces d’échanges, d’éducation, j’allais dire « à la traditionnelle », s’ébranlent progressivement face à la révolution technologique et il faut nous armer pour ne pas la subir, repenser nos espaces, les adapter voire les reformuler.

Quelle est l’importance de la littérature dans la réhabilitation, réappropriation et redéfinition identitaires ?

Elle est essentielle, Césaire, Senghor, Luther King, pour ne citer qu’eux, l’ont démontré, ils ont montré la voie pour la communauté noire, ils ont également démontré le pouvoir de la littérature, de l’écriture. Ils ont réveillé les consciences, ils ont redonné de la fierté, la force de briser les chaînes mentales de l’esclavage à des hommes et des femmes qui étaient considérés comme des propriétés au même titre qu’un animal. Ils l’ont fait ! C’est possible, cela a pris du temps mais c’est possible.

Comment définiriez-vous la vocation de la littérature dans la réalité polynésienne (et océanienne) contemporaine ?

C’est mon sentiment, après chacun sa vision, mais écrire pour pleurer, pour espérer, pour constater, pour s’indigner, cela ne m’intéresse pas ! Pour réveiller, pour dénoncer, pour valoriser, parfois pour exiger, pour ordonner, pour s’unir, cela m’intéresse.

D’un point de vue général, je pense que la vocation première de la littérature océanienne francophone, anglophone et même hispanophone (je pense à nos frères de Rapa nui (l’île de Pâques), est de se décoloniser l’esprit,

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de s’affranchir des frontières établies selon des critères exogènes sans aucun sens pour les Océaniens. Écrire pour désaliéner, pour libérer, pour reconquérir notre espace océanien.

Par quelles méthodes et stratégies d’écriture comptez-vous défaire les réécritures réductrices de l’histoire européocentrée et les mythes qui perpétuent les incompréhensions culturelles ? Comment peut la littérature assister, contribuer à l’émergence de valeurs nouvelles susceptibles d’unifier les différentes ethnies et cultures ?

Je pense, humblement, que la stratégie pour y arriver est celle que j’emploie, celle que vous avez si bien analysée. Valoriser et réhabiliter l’héritage ancestral commun, valoriser les pratiques communes de la coutume, valoriser et travailler autour de ce qui nous rassemble : l’Océan.

À votre avis, est-ce que les acteurs de la culture sont responsables de désenclaver les archipels éloignés et de favoriser leur développement ?

Exactement, là où les acteurs politiques défaillent, les acteurs de la culture doivent agir. Le problème est que les acteurs de la culture des états et territoires du Pacifique sont, à l’image des colons d’hier, centrées sur eux-mêmes et s’organisent entre ethnies de même couleur (il existe désormais des festivals ethniques = Festival de la Polynésie à Tahiti, festivals organisés par les diasporas samoanes, tongiennes, takelauans etc. de la Nouvelle-Zélande. Le Festival des arts mélanésiens, le premier a eu lieu ici en Nouvelle-Calédonie en 2010 etc.…). Paradoxalement, on s’inscrit dans une démarche d’émancipation, d’indépendance et en même temps, on s’enferme de nouveau en utilisant les mêmes schèmes que nos ex-colons et désormais alliés. Mais peut-être que ce qui se passe actuellement et que je dénonce est un passage obligé avant de cheminer vers l’union.

Est-ce que le passage d’un régime de tutelle à un régime d’autonomie influence les revendications identitaires manifestes dans les œuvres littéraires ?

Je le formulerai autrement. Je dirais que les œuvres littéraires ou les discours portant des revendications identitaires influencent le passage d’un régime de tutelle à un régime d’autonomie. Mais il est vrai que le régime d’autonomie favorise les revendications identitaires dans les œuvres littéraires du moins elles explosent car les voix se libèrent mais cela est vrai pour la Nouvelle-Calédonie ou Tahiti.

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85. École de jeunes filles à Lano (île de Wallis) – 1874-1875

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