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Suzanne Dracius

15. Capture de Fort Louis par les Anglais, le 20 mars 1794 (William Anderson)

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Montagne Pelée, rue Monte au Ciel, Saint-Pierre, Fort-de-France 19 : les lieux et toponymes sont multiples et omniprésents dans vos textes. Quels sont les autres jalons dans votre écriture qui ancrent l’opération narrative/poétique et précisent, nuancent les représentations de l’identité, des éléments culturels ?

Dans Rue Monte au ciel et dans d’autres livres aussi, vous abordez la question de l’avortement. C’est une question taboue. 20 Trouvez-vous qu’ainsi la corporéité féminine devient une forme de résistance au canon et à la codification culturels et sociaux ?

Vous êtes professeure de lettres classiques, écrivaine, poétesse. D’après vous, quelle est l’importance de la littérature, de l’expression verbale dans la réhabilitation, réappropriation et redéfinition identitaires ?

Dans le titre de votre ouvrage Déictique féminitude insulaire, vous utilisez le terme féminitude pour souligner l’importance d’une lutte contre le sentiment d’infériorité.21 La poésie est-elle apte à reconquérir le pouvoir symbolique, à récupérer la maîtrise sur la narration de soi ?

Comment définiriez-vous la vocation de la littérature dans la peinture et dans l’interprétation/transformation de la réalité martiniquaise (et antillaise, caraïbéenne) contemporaine ?

D’après vous, est-ce que la pluralité identitaire et l’hybridité linguistique, culturelle sont aptes à lutter contre la violence géographique, symbolique, historique, psychologique de l’héritage colonial ? Quelles sont les autres stratégies et techniques qui pourront être effectives ?

Comment voyez-vous l’état actuel et le futur de la littérature martiniquaise ?

« Je vis l’insularité comme une ouverture et non pas comme un enfermement. »22 Quelles connotations topopsycholo-giques assignez-vous à l’île, à la condition insulaire, archipélique ?

Est-ce que l’écriture est pour vous une démarche constitutive ? S’agit-il d’une visée qui affirme une pluralité,

19 Dans le poème « De rue d’Enfer à rue Monte au Ciel ».

20 « […] chaque fois que j’aborde ce genre de thèmes […] je sens une rigueur. Les sujets en question sont tabous ». Journal de la culture : 2014.

21 Entretien réalisé par le ministère des Outre-mer au Salon du livre de Paris en 2014.

22 Télésud : 2014.

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des valeurs fondatrices, d’une dénonciation des inégalités et des injustices, d’une volonté contestatrice ou plutôt de la coexistence de ces approches au sein de votre écriture ?

À travers votre écriture, cherchez-vous à remettre en question l’autorité de la production littéraire et théorique euro- et américano-centrée, à créer un discours contre-hégémonique qui dénonce et défait la centralité monolythique du champ culturel hexagonal ?

L’écriture peut devenir un chantier de reconceptualisation, un laboratoire thématique de sujets tabous. Est-ce qu’il y a des sujets problématiques dont il faudrait traiter dans l’écriture contemporaine dans le contexte antillais ? Quels sont les principaux enjeux de la contemporanéité ?

Quels sont les enjeux et les défis les plus importants dans votre parcours d’écrivaine du point de vue identitaire ?

Trouvez-vous que l’écriture est capable de sonder et cartographier les régions inconnues de l’identité et de l’altérité ?

Quels sont (actuellement) les facteurs les plus importants du rapport (problématique) à la France ? Par quels moyens et procédés peut-on colorer, redéfinir, dévier ou apprivoiser la réalité de l’éloignement géographique, des fossées d’incompréhension, de la situation de dépendance, des inégalités socio-économiques ?

« Je partage mon côté martiniquais et mon côté latiniste et helléniste, pas seulement pour la langue mais pour les pensées, pour la philosophie […]. »23 Quel est le rôle des langues, des littératures et de la philosophie antiques dans votre trajectoire d’intellectuelle et d’écrivaine ?

Vous parlez du partage des cultures. Pensez-vous que la littérature est la plateforme par excellence de cet échange, de la prise de conscience et de la transformation des diverses appréhensions de l’identité, de la race, de l’histoire, de l’héritage et de l’appartenance culturelle ?

J’écris pour pouvoir marronner. Car j’écris à partir de chocs, de rébellions, de révoltes. Il m’est malaisé de définir moi-même mon propre art poétique.

Je me suis amusée à intituler « Laconique art poétique » une section de mon recueil de poèmes Exquise déréliction métisse – qui m’a valu le prix Fetkann dont le nom entier est « Mémoire du Sud - Mémoire de l’Humanité », ce qui

23 Télésud : 2014.

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en dit déjà long sur mes caractéristiques –, mais, plus académiquement et de manière bien plus développée, bien des réponses à ces questions sont données dans Métissages & marronnages dans l’œuvre de Suzanne Dracius, ouvrage rédigé par une quinzaine d’universitaires de France, des États-Unis, de Grande-Bretagne etc., avec leurs différents regards, collectif coordonné par le Professeur Yolande A. Helm et publié par L’Harmattan. J’écris avant tout parce que j’aime lire. J’écris les choses que j’aimerais pouvoir lire. Je me suis adonnée à divers genres littéraires : romancière, nouvelliste, poétesse, auteur de théâtre et professeur de Lettres Classiques (français-latin-grec), oui, en un mot femme de lettres jusqu’au bout des ongles, après mon premier roman, L’autre qui danse, j’ai pris goût à l’écriture de nouvelles sur commande, au siècle dernier, – je plaisante ! – : au début des années 90, Pierre Astier, le directeur d’une maison d’édition parisienne, Le Serpent à plumes, m’a téléphoné, disant qu’il aimait beaucoup mon premier roman, L’AUTRE QUI DANSE, édité chez Robert Laffont sous le label Seghers, et m’a demandé si je voulais bien lui donner une nouvelle. J’ai dit d’accord, et le voilà qui me communique son numéro de fax ! « Minute, papillon ! ai-je répondu. Je veux bien vous donner une nouvelle, mais ai-je n’en ai pas dans mes tiroirs… ». Voilà comment, en un week-end, je me suis adonnée à la composition de ma première nouvelle, intitulée « De sueur, de sucre et de sang ». Ensuite, c’est l’éditeur américain Houghton-Mifflin qui m’a aussi demandé un texte, pour l’anthologie « Diversité, la nouvelle francophone », puis une deuxième nouvelle, pour le tome deux, et, comme par une initiation, le plaisir était en moi. Il était entré en moi dans l’enthousiasme, au sens propre du terme (du grec « ên », qui signifie « dans », et « théos »,

« dieu »), tel le « daïmôn » socratique, ce gentil « démon », ce petit « génie » intérieur qui vous inspire. Il ne m’a jamais lâchée. Il est aussi très impérieux et m’ordonne d’écrire.

Il faut avouer que la nouvelle a tout du sensationnel, parce qu’elle conte une histoire terrible sur un ton de folie, de cauchemar, de caprice ou de fantaisie, voire de fantasmagorie, produisant frissonnements, effets de saisissement, parfois même d’épouvante, de sorte qu’on a froid dans le dos en lisant les derniers mots, des picotements de rougissement, des décharges d’adrénaline. Or, de toutes les sensations humaines, l’émotion est celle qui a le moins besoin du temps. La perplexité, la frayeur créées par un suspense palpitant s’affadissent lors d’une longue attente. L’acuité de l’angoisse s’émousse, si elle subit du « bois de rallonge », longueurs et atermoiements, dispersions et digressions, lenteurs et prétéritions. Une nouvelle saisit, précisément parce qu’elle est courte.

Les influences ?… Un journaliste de Planète-Afrique a vu en moi « la Maupassant des Caraïbes ». Je ne renierais certes pas cette périphrase élogieuse ! Si l’on a pu me qualifier ainsi, c’est certainement en référence à l’art de la nouvelle, où Maupassant est passé maître. Ce qui me motive, dans

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l’écriture d’une nouvelle, qui n’est en fait que le récit d’un fait isolé, c’est qu’elle est d’une grande richesse inductive. Pourtant elle n’est pas obligée de raisonner ni de conclure, encore moins d’exposer une thèse. À partir d’un exemple ou d’une expérience unique, on ne saurait induire aucun principe général ! En revanche, l’unicité même de l’expérience relatée et son caractère intensif peuvent servir à poser, avec une pertinence intense, une importante question dont on n’a pas envie de souffler la réponse, – du moins, pas péremptoirement.

L’inspiration artistique ne comporte-t-elle pas une part irréductible d’instinct animal qu’une pensée trop sophistiquée risquerait de détruire ? À l’instar de Victor Hugo, qui déclarait s’épanouir dans la composition du sonnet – forme poétique figée –, je reconnais que j’apprécie le côté microscopique de la nouvelle. J’éprouve une volupté intense à m’ébattre dans ces microcosmes, libre, dans ces univers clos, de créer de minuscules mondes, en un « raccourci prodigieusement exigu d’espace et de matière », selon l’expression de Paul Bourget. C’est le paradoxe de la nouvelle : on y est moins prisonnier, bien que l’on soit enfermé dans un nombre réduit de pages. Idem, dans ma minuscule île natale, je ne me sens pas enfermée, car j’y vis, je la vis dans la singularité de sa diversité plurielle de creuset multiculturel. Et puis, quand j’y étouffe, je marronne. (Césaire – qui me fait l’honneur d’avoir tellement lu et relu mon recueil de nouvelles Rue Monte au ciel que la couverture, qui est blanche, était toute noircie par les vénérables mains du père de la Négritude – me confiait que, lorsqu’il quitta la Martinique pour aller étudier à Paris, il était heureux de sortir d’une certaine étroitesse.)

Par exemple, dans Les Trois Mousquetaires étaient quatre, je me libère et je marronne à l’occasion d’une singulière arrestation. Alors que mon personnage, menacé d’incarcération, harcelé par les policiers, refuse de

« parler » et d’avouer, je me laisse partiellement dévoiler, de manière implicite, dans ce huis clos policier, même si le narrateur y est sciemment occulté, et bien que l’énonciation utilise la deuxième personne, – ou peut-être précisément à cause de cette adresse à un(e) inconnu(e), interlocuteur-personnage et/ou lecteur. En effet, ce « tu » est acteur ; le héros, dans cette histoire, c’est « toi ». J’aime cette théâtralisation de l’éphémère, parfois de l’apparemment insignifiant. Pourtant il ne s’agit pas d’un texte dramaturgique à proprement parler, mais d’une nouvelle, d’inspiration actuelle. Or il se trouve que, dès l’incipit, à partir des toutes premières lignes, le texte se définit de lui-même ; instantanément la trame narrative se tisse, conférant aux événements une potentialité scénique en même temps qu’une possibilité d’identification avec le lecteur, dans l’actualisation immédiate du récit – utilisant le temps présent, grammaticalement parlant, le présent de l’indicatif, temps dont l’aspect produit cet effet stylistique.

39 16. Îlet Madame

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