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Comment envisagez-vous la relation entre vocation d’écrivaine, de comédienne, de militante4 et de metteuse en scène ?

Je n’ai pas de vocations… Je me laisse vivre et réagir. J’essaie en tous cas et comme je suis de nature passionnée, ça donne sans doute le sentiment que c’est ma vocation, ma vocation ma très grande vocation, pour pasticher l’acte de contrition chrétien…

Par exemple, je ne cours pas après les éditeurs. Il y a longtemps que j’ai arrêté de faire cela, de jouer à ce jeu. J’ai essayé, comme tout le monde mais je n’ai pas une conscience assez forte de la nécessité de ma réussite en tant qu’auteure pour aller harceler des éditeurs.

Par exemple, j’ai monté des pièces, certaines ont beaucoup été jouées, d’autres à peine deux fois ou trois. Les investissements financiers ne sont pas démesurés, je n’ai jamais ruiné aucune compagnie, créé à grands frais, mais j’ai eu du bonheur à diriger des comédiens, à voir naître un personnage différent de celui qui est sur la page.

Être comédienne ? J’ai écrit dans ma dernière pièce que « je ne veux plus jouer, n’ai d’ailleurs jamais souhaité jouer ! Me suis toujours portée au secours d’une pièce par défaut… ». C’est à la fois vrai et faux. FAUX parce que depuis ma très tendre enfance, j’adorais réciter des poèmes devant un auditoire et ça m’a toujours fait quelque chose de voir les yeux de ceux qui écoutaient se charger d’émotions diverses : rire, incompréhension, surprise, colère, émotion… Ainsi je me disais « ah, je peux faire cela ? » « C’est grandiose ! ». C’est comme de caresser quelqu’un et de savoir que vous faites naître des frémissements divers dans ce corps-là en face de vous. Non, mais qui peut se passer de cela ? Et c’est VRAI parce qu’on m’a tellement dit que ce n’était pas un métier, certains m’ont dit que j’avais une drôle de voix, d’autres que ma voix les faisait (pardon) bander, que j’ai des sentiments mêlés vis-à-vis du métier de comédienne. Et puis, c’est un métier difficile parce qu’on peut « perdre » là, tout de suite ! On sent qu’on est en train de perdre la partie, qu’on parle trop haut, trop vite, trop faux mais quelquefois, il n’y a rien à faire, la machine part toute seule, on a toutes les ressources pour la maintenir, mais on n’y arrive pas. Simplement, on sait qu’on peut recommencer le lendemain et être au meilleur de son jeu. Moi, ça m’amuse, ça me plaît.

Et pour faire le rapprochement entre l’écriture et le jeu et la mise en scène, je dirais que dans mes écrits, je milite, et que puisque j’ai très envie que ça se sache, ben, je mets en scène et je joue. Sinon, ça se trouve, ça n’intéresserait personne…

4 Boiron 1993 : 17-19.

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« Regardez-nous. Écoutez-nous. La manière de s’habiller, la manière de parler, la langue utilisée, cette référence permanente à la métropole. Plus rien ne signifie plus rien. Le vide, le vide, le vide. »5 Comment voyez-vous le rôle et l’importance de l’histoire, de la/des langue(s) et de la culture créole dans ce que vous appelez « l’abandon de la parole contradictoire »6 ?

Pour répondre à cette question, et en relation avec la phrase de la pièce Des doutes et des errances que vous citez en exergue à votre question, il faut entrer au plus profond de l’histoire contemporaine de mon pays, mais aussi de ce qu’il est advenu de la prise de position politique aujourd’hui, en France, par exemple.

Pour parler de la Guadeloupe, ok, que s’est-il passé depuis les années 90 ? Il y a eu, dans les années 60 et 70 de très fortes mobilisations, en particulier dans les années 70 avec l’émergence de syndicats autonomes – syndicats clairement guadeloupéens et non plus de sections des syndicats français. Cette émergence a donné naissance à des mouvements sociaux de grande ampleur, mouvements qui ont été accompagnés par les intellectuels – historiens, sociologues, écrivains. Ce que l’on retrouvait dans les revendications des syndicats et partis divers, on le retrouvait dans la littérature, dans la poésie essentiellement – je citerais, pour aller vite le travail de Sonny Rupaire et peut-être aussi d’Hector Poullet sur la langue créole. D’autres créolistes (Alain Rutil, Wojé Valy par exemple) écrivaient en créole, de la poésie, quelques rares textes théoriques pendant que les partis et syndicats réclamaient une plus grande autonomie, menaient les batailles sur la question du 27 mai – jour consacré à la mémoire de l’esclavage et que l’État français ne reconnaissait pas. Parallèlement à cela, la réhabilitation des grandes figures révolutionnaires (Delgrès, La mulatresse Solitude, Ignace) était un combat mené par de tous petits groupes de gens – une fois mis en rapport avec la population bien sûr -, la bataille pour que les jeunes enseignants soient formés sur place etc… Tout cela a donné naissance à des choses qui paraissent tout à fait « normales » aujourd’hui. Il n’y a plus de bagarre dans les rues le 27 mai pour obliger les magasins à fermer leurs portes… C’est un jour chômé ou férié.

Et puis, quelque chose a changé dans la posture des politiciens. Cela date des années Mitterrand je pense. Et c’est également valable pour la France. L’ennemi n’était plus clairement identifié… Je ne sais pas si je peux me permettre de dire cela de cette manière, mais on dirait bien que les revendications ont été endormies et que finalement, petit à petit, une forme de résignation s’est développée avec la montée en puissance, parallèlement, de la société de consommation.

5 Dambury 2014.

6 Ibid.

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Je pense très sincèrement que le maintien de minimas sociaux, l’arrivée aux affaires de certaines personnes qui sont très clairement passés de l’autre côté de la barrière, qui n’ont plus lutté à l’intérieur des différentes institutions pour faire basculer certaines directives venues d’en haut mais qui les appliquent, qui sont devenues les serviteurs zélés de l’État français, tout cela, c’est ce que j’appelle l’abandon de la parole contradictoire.

Je prends l’exemple des chefs d’établissement. Bien des chefs d’établissement – pas tous mais pas mal d’entre eux –, sont d’anciens syndiqués, je ne dis pas syndicalistes car ils n’ont pas occupé les postes à la tête des syndicats dont je parle plus haut, mais d’anciens syndiqués des centrales locales, ils ont participé lorsqu’ils étaient enseignants, à des rencontres à propos d’une éducation spécifique en Guadeloupe, à la place de la langue créole dans l’enseignement, au développement d’une place pour une littérature caribéenne dans l’apprentissage mais aujourd’hui, ils appliquent des programmes qui ne tiennent plus du tout compte de toutes ces revendications. Les oppositions peuvent aller même très loin.

J’ai vécu par exemple, le fait de travailler à la direction des affaires culturelles de la Guadeloupe. Je voyais les directives arriver et je me disais que cela ne correspondait pas à notre réalité. J’ai tenté de m’opposer à certaines choses, sans succès, j’ai démissionné de ce poste, je suis repartie dans mon lycée et dieu sait que je détestais déjà les salles de profs…

Qu’avons-nous à proposer pour nous-mêmes, pour notre propre évolution, pour notre jeunesse ? Et comment le proposons-nous cela, toute la question est là.

Les véritables réflexions sur le développement, quel type de développement, quelle utilisation faire de nos ressources naturelles, comment sortir de l’import-export à outrance etc… Certains y travaillent mais ils ne sont pas nombreux. J’ai un peu de scrupule à dire tout cela car, comme on me le dirait : mais toi tu es partie… Ouais, j’aimerais bien revenir et apporter ma pierre à l’édifice mais j’ai tellement peur de glisser moi aussi sur ces voies-là que je me tiens à distance. Et en même temps, c’est quand même le pied d’avoir un 4x4 noir sur une route ensoleillée, de retrouver ses potes le soir pour un bon petit verre de champagne et de plonger dans la mer le dimanche ou quelquefois de rejoindre des copains sur leur bateau et si on s’en allait en excursion à Petite Terre ? Waouh ! Pourquoi se priver de cela pour habiter un petit immeuble de banlieue en région parisienne ? L’éthique, juste l’éthique…

Un dernier mot : pourquoi reprocherait-on aux gens d’aller faire leurs courses dans un supermarché à 5 heures du matin quand on est soi-même accro à la consommation des voitures, des bouteilles de champagne et des chaussures achetées par dizaines à Miami ou au Vénézuela ? Chacun son niveau de consommation, mais le résultat est le même : on est pieds et poings liés, sauf quelques rétifs…

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