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Flora Devatine

68. Les habitants de Tahiti assaillent le navire du capitaine Wallis

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Il y avait aussi des journalistes, des ethnologues américains. Donc, par nature, on avait envie de partir ailleurs, d’aller voir ailleurs. Nous étions au bout de l’île, isolés, un peu perdus et ces gens de passage nous amenaient l’air d’ailleurs. Ces effluves et brises de l’extérieur arrivaient jusqu’à nous, par le passage de ces voyageurs chez nous, et cela nous donnait encore plus envie d’aller voir ce qu’il y avait plus loin, loin de chez nous. J’étais ainsi portée à aller vers l’autre, à aller voir ailleurs, alors que de nature, j’étais assez timide, je ne parlais pas beaucoup, mais j’observais et j’ouvrais grands mes oreilles et mes yeux pour capter le plus de choses possibles. Et pour en revenir à mes écrits, je suis dans la transmission, dans la communication, et toujours en voyage, dans une navigation toute personnelle.

Si l’on regarde votre parcours d’écrivaine et de chercheuse, de poétesse, où vous situez-vous par rapport à votre écriture ?

D’abord, c’est une écriture très libre, très personnelle. Ce sont les lieux de ma vie qui m’ont façonnée ainsi, c’est-à-dire à jouer d’une autonomie, à développer certaine force, énergie ou volonté pour tenir, se maintenir face à l’environnement. L’environnement était sauvage quand même, c’est-à-dire que c’était la brousse, des bois, des vallées, des falaises et la mer. Il y a une partie de ces lieux où il n’y a pas de récifs. C’est la mer et directement le large avec de grosses vagues. Et à l’intérieur du lagon, il y a des passes à traverser. C’est une partie de l’île où il pleut beaucoup aussi, il y a donc des glissements de terrain en montagnes, et sur la côte, de l’érosion, par la mer.

Il y a des tempêtes. Cela vous forge quelque part le caractère. Cela donne une certaine autonomie, une certaine indépendance d’esprit que j’ai gardée.

Au niveau de l’écriture, j’écris comme je l’entends, comme je le sens, mais en même temps, j’écris à partir de ce que les Anciens m’ont appris en termes de littérature orale, et également, de ce que j’ai appris à l’université (des écrivains, des auteurs européens, des poètes espagnols et des poètes français). Ce qui est apparu, après que j’aie été éditée, que l’on m’ait lue, et tel que cela a été écrit, publié dans les journaux après la sortie du livre Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale, c’est que j’étais considérée comme une « pionnière dans ce domaine de l’écriture », avec mon écriture, ma

« façon d’écrire bien particulière ». À cela je répondrai que je ne suis pas aussi indépendante que cela. Il y a simplement que chacun fait les choses à partir des outils, des matériaux qu’il possède, qui lui ont été transmis. Donc ma façon de faire et de penser les choses est fondé sur les récits littéraires des ancêtres, traditionnels ou non. Il est vrai que cela peut donner quelque chose qui à d’aucuns pourrait apparaître particulier.

Maintenant, où est-ce que je me situe… Pas dans une lignée classique, mais dans une autre, dans quelque chose qui m’est particulier. D’où cette question que se posaient aussi les chercheurs : « Elle ouvre une voie, mais cette voie sera-t-elle suivie par d’autres ? Seul l’avenir le dira ». Quand nous

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nous lisons, nous nous influençons mutuellement. C’est pour cette raison, lorsque j’écris, ou avant de me mettre à écrire, que je ne vais pas lire les autres auteurs. J’agis de même en poésie. Je ne veux pas lire les poètes pour ne pas être influencée ou découragée par eux, par leurs écrits. Lorsque je nous lis, entre auteurs polynésiens, je me rends compte de l’influence dans l’écriture que les uns ont sur les autres. Cela est clair. Pour cette raison, je publie peu. C’est très paradoxal. Autour de moi, il y en a (comme Chantal Spitz) qui me sollicitent, qui voudraient que je parle. Mais je ne veux pas, je ne peux pas le faire, parce que j’aimerais que chacun trouve sa voix. Cela est important. Chacun doit trouver sa voix ‒voie ‒, chacun doit être soi-même.

En tout cas il faut essayer, et chacun peut être aidé, soutenu par les autres sur sa voie. Je ne voulais que les uns et les autres subissent l’influence d’autres auteurs, ou de ce que je pourrai leur dire. Je ne suis pas tête de file, et je n’ai pas envie d’être la tête d’un groupe. Je veux être simplement dans un groupe, où chacun partage ce qu’il est, ce qu’il a, et dans lequel on s’émerveille de ce que chacun est. C’est comme cela que je sens les choses.

Donc, mon écriture, au vu de tout cela… Elle est particulière, et mon parcours, il est en dehors d’une voie toute tracée, en dehors de ce qui existait jusque-là.

« L’écriture ? / D’heureuses formules / Sans teinture ni râpure / Idée juste / De hure en bure / Avec peinture de la ramure. »7 Est-ce que l’écrit nous définit en contournant les sphères, les univers de notre existence, en dessinant et gravant les frontières, les silhouettes de notre être ?

L’écriture est en fait un mouvement double. C’est un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, avec en même temps des moments de retour sur soi, vers soi, des moments de renfermement, d’enfermement. Ce sont les mouvements de la respiration même, du souffle. On inspire, et on expire.

C’est une évolution, involution, révolution. C’est constamment en mouvement. C’est le mouvement de la vie. C’est le souffle au sens le plus élémentaire quand on veut voir si quelqu’un respire encore. Par l’écriture, j’ai été ramenée sans doute aux traumatismes de l’enfance, à mon arrivée au monde, au moment de ma naissance.

En ce temps-là, mes parents avaient fini par accepter de devenir métayers d’une immense propriété située au bout de l’île. C’était la brousse, la forêt vierge, et je suis née l’année de leur arrivée dans cette forêt vierge.

Il leur fallait nettoyer, débroussailler, entretenir la propriété, réparer et agrandir les maisons. Ce furent des travaux qui s’étaient étendus sur plusieurs années. Il leur avait fallu embaucher des ouvriers, des

« travailleurs », comme on disait alors.

7 Devatine 1998 : 27.

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69. Vue de l’île d’Otaheite (Tahiti) et de l’île d’Eimeo (Moorea)

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