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Umar Timol

41. Parc national des gorges de Rivière Noire

© CEphoto, Uwe Aranas

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« Puisque la langue est aux confins, puisque la langue ne m’appartient pas, puisque la langue participe à la transcription de ma part d’indicible et de sacré […] elle sera langue-créole, langue-séga, langue-tam-tam, langue-islam, langue mystique, langue hybride, langue bâtarde, elle sera langue à l’entre-deux, langue charpentée par le ressac des impossibles rencontres, elle sera langue pour dire le silence, langue du jamais-dire […] éventrée et dépouillée, constamment réinventée et constamment changée. Ce sont les impasses de la langue qui rendent ma poésie possible. Je suis poète à défaut d’une langue. »66 Petite enfance en créole, études et formation universitaire en anglais, écriture en français. Quel est le rôle de la pluralité linguistique dans votre œuvre, de l’imaginaire multiple que vous transposez en texte ?

Je crois qu’elle a une place essentielle. On peut considérer que cette pluralité linguistique est un tourment perpétuel pour moi. Je suis artiste et j’ai besoin perpétuel de créer mais dans quelle langue créer ? J’ai le plus grand mal à écrire en créole, qui est ma langue maternelle, l’anglais reste pour moi une langue étrangère, j’écris essentiellement en français mais avec un sentiment de trahison, car je ne la possède pas entièrement. Mais peut-être que cette absence dans le rapport à la langue est ce qui génère justement la poésie, on crée parce qu’on éprouve un sentiment de manque.

« Il y a une autre thématique qui m’intéresse : la question identitaire à Maurice. On a la chance d’évoluer dans une société plurielle. Cela se passe plutôt bien, mais il y a des lieux de fracture... Ce n’est pas toujours évident. On passe à côté de l’Autre. Nous avons un rapport difficile à l’Autre. Il est essentiel de s’enrichir au contact de l’Autre.

L’identité, c’est un lieu d’ancrage et un lieu de dépassement. »67 D’après vous, quelle est l’importance de la littérature, de l’expression verbale dans la réhabilitation, réappropriation et redéfinition identitaires à l’époque postcoloniale ?

J’ai pas mal d’interrogations sur la place de la littérature dans le contexte insulaire. Je crois qu’il est tentant quand on parle de littérature de se gargariser de grands mots, révolte, altermondialiste etc. Mais quelle est la place réelle et effective de la littérature dans notre société ? N’est-elle finalement qu’un exercice qui s’adresse aux initiés ? Est-ce que les mauriciens s’y intéressent vraiment ? J’ai de sérieux doutes à ce propos. Je parlais de cela à mon fils récemment, je lui ai dit qu’on ne peut sous-estimer ni surestimer le rôle de la littérature. Elle est dans ce sens essentiel, comme une parole à la périphérie du monde mais sans laquelle le monde ne saurait

66 Timol 2008 : 16.

67 Timol 2009.

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être. Elle n’est qu’un filament dans le ‘tapestry of the world’ mais un filament essentiel.

« […] la pratique de la poésie à Maurice vous apprend la solitude pénible des incompris car vous vous heurtez constamment à un mur, indestructible et impassible, nommé indifférence […] Je ne vais pas vous parler de tout ça car c’est un combat inutile, c’est une cause perdue, on ne peut guérir un peuple de son inculture »abbysimale«

[…] I had a dream, i had a dream, pas demain, pas le lendemain de demain, pas le surlendemain de lendemain, un temps quand les Mauriciens s’intéresseront à la culture, aux petites choses de l’esprit, à ces petites choses qui bousillent, remuent et transforment la matière grise, à ces petites choses qui rendent la vie un peu moins dérisoire. »68 Comment voyez-vous la scène culturelle, littéraire à Maurice et le futur de la littérature mauricienne ?

Je vais utiliser une fois de plus le même mot : paradoxe. La vie de l’artiste mauricien est loin d’être simple, on a du mal à comprendre la vocation artistique, il est souvent isolé, il se sent seul, il doit pratiquer un travail alimentaire car ses revenus provenant de son travail artistique ne sont guère suffisants. Mais en même temps, la scène littéraire, par exemple, est relativement dynamique, on ne compte plus le nombre de livres publiés, les auteurs mauriciens accèdent aujourd’hui à une reconnaissance internationale, ils sont aussi très médiatisés dans la presse locale. Et si on compare notre sort à celui d’artistes de pays très pauvres, elle est enviable, dans une certaine mesure. Ainsi, la situation de l’artiste est semblable à celle de notre pays, à mi-chemin entre la médiocrité et l’excellence, on a toutes les raisons de se plaindre et toutes les raisons d’espérer.

L’écriture peut devenir un chantier de reconceptualisation, un laboratoire thématique de sujets tabous. Est-ce qu’il y a des sujets problématiques dont il faudrait traiter dans l’écriture contemporaine dans le contexte mauricien ? Quels sont les principaux enjeux de la contemporanéité ?

Je crois qu’il y a de nombreuses thématiques à explorer, des thématiques fortes comme le caractère paradoxal de l’île. Ainsi Maurice est un bel exemple d’une réussite (lire par exemple un article du prix Nobel Stiglitz à propos de Maurice) mais elle est en même temps une société aveuglée par la quête effrénée du pouvoir, de l’argent. J’ai le sentiment d’un profond dérèglement qui gangrène les racines de notre société alors même que nous pratiquons une hyper-religiosité. Il est nécessaire de s’interroger sur les raisons d’être à cet enlisement et quelles pourraient en être les

68 Idem.

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conséquences. Cette île qu’on dit être un paradis, qu’on ne cesse de citer comme exemple à travers le monde est paradoxalement un chaudron qui attend d’exploser.

Je suis frappé quand je lis des auteurs mauriciens par la part de violence dans leurs écrits, qui traduisent, me semble-t-il, la violence larvée de l’île. Ce thème de la violence s’impose aux auteurs car on ne peut y échapper.

« Écrire, c’est avant tout une quête existentielle. »69 Quels sont les enjeux et les défis les plus importants dans votre parcours d’écrivain du point de vue identitaire ?

L’écriture est, à mes yeux, un cheminement qui mène au sens. Je ne sais si je vais y parvenir un jour, ainsi ancré dans un espace de lumière, réconcilié avec moi-même. Peut-être que l’écriture ne sera alors plus nécessaire, puisqu’elle émane d’une absence en soi. Je suis convaincu, aujourd’hui, que la mystique, soufi notamment, est le lieu de la libération intérieure. Je pense que mes écrits sont, dans un certain sens, un pèlerinage vers ce lieu.

« L’Île Maurice est une île assez paradoxale. Je suis musulman. Les enfants sont encore innocents : mon fils est ami avec tout le monde.

Il n’y a pas encore de communautés pour lui. Après, il y a ces ghettos.

J’étais musulman dans une école catholique... Petit, on allait au-delà de ces cloisonnements. On a tendance à le perdre après. C’est une société où il y a pas mal de divisions. »70 Trouvez-vous que l’écriture est capable de sonder et cartographier les régions inconnues de l’identité et de l’altérité ? Pensez-vous que la littérature a une responsabilité dans le renouvellement de nos lectures du monde, de notre champ herméneutique pour défaire les cadres notionnels rigides, les catégorisations ethno-centristes, réductrices ?

Je crois effectivement que la littérature a ce pouvoir, qui est de cartographier, comme vous le dites, les régions inconnues, elle sert à dévoiler l’être dans toute son humanité et sa complexité. J’ai longtemps écrit avec un sentiment de désespoir, m’interrogeant sur la nécessité et le pouvoir des mots. N’est-ce pas ultimement un acte futile, qui ne sert à rien, qui ne mène à rien ? Mais j’ai compris que l’écriture s’inscrit dans une démarche mémorielle, c’est témoigner de ce qu’on est, c’est lever le voile, si on veut, sur l’être. L’écriture n’est ainsi jamais innocente. La poésie, par exemple, du moins dans le cadre insulaire, ne change pas le monde, mais elle participe à sa métamorphose. On peut considérer que le texte écrit est comme une bouteille à la mer, on ne sait jamais ce qu’il adviendra d’elle, son pouvoir ou son impuissance se déploie bien après.

69 Idem.

70 Idem.

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