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La Société Savante de Komárom et la publication d ’ un journal savant

Le projet ambitieux de publication régulière d’un « journal savant »8 exige constamment la présence de toute une équipe, en plus du directeur et des deux co-rédacteurs. Le périodique donne volontiers la place aux ouvrages originaux:

nouvelles, poèmes, textes scientifiques. Mais il publie surtout beaucoup de traductions. Elles sont particulièrement fréquentes dans la rubrique « scientifi-que » récurrente [Tudományos dolgok] qui rend compte de la parution des livres spécialisés dans différentes sciences, comme la médecine, la géographie, la botanique, le droit, etc. Les objectifs visés sont soutenus par nombre de collabo-rateurs, ayant des professions et des convictions religieuses différentes: pasteurs protestants, luthériens, jésuites, jeunes séminaristes faisant leurs études, ingé-nieurs, avocats, poètes. Un noyau d’intellectuels coopère pour choisir des arti-cles à publier, pour trouver les collaborateurs et pour corriger les traductions.

Citoyens de Komárom ou de ses environs, ils se réunissent dans la ville, en prin-cipe deux fois par semaine, leurs contemporains appellant leur cercle « Komá-romi Tudós Társaság » [Société Savante de Komárom]. La fondation date de l’année 1789. La petite société se donnait pour objectif de « cultiver la langue et la littérature, »9et avait l’intention d’utiliser les revenus obtenus par les abonne-ments à leur périodique pour lancer des concours, pour attribuer des prix, et pour publier les livres hongrois récompensés. Péczeli rêve d’élargir ce projet grâce aux contributions financières de « patriotes généreux. »10 La société n’a pas de manifeste et nous ne connaissons pas exactement ses membres, mais elle a probablement existé jusqu’à la mort de Péczeli en 1792, date à laquelle la revue prend également fin. Selon les recherches, le nombre de participants de la société varie entre dix et trente.11Il nous reste peu de traces de la vie sociétaire,

8 Voir sur le sujet notre étude: «. . .aTudományos Újságok, mellyekben majd minden nap a sok új könyveknek nemeiket látjuk. . .» [Ces Journaux Savants qui présentent tous les jours des livres récemment parus]. In: Revue dÉtudes françaises. Mélanges littéraires offerts à Judit Karafiáth. Budapest 2016, pp. 107116.

9 Hadi és Más Nevezetes Történetek [Histoires militaires et autres], 8 décembre 1789, 19, p. 594; MGy, 1789, I, pp. 45. Voir sur le sujet: Vörös (note 3), pp. 109115.

10 «. . .a haszon [. . .a] fel-állítandó kis Társaságnak tőke-pénzül szolgálna amellyet reménylünk

hogy idővel sok Hazafijak gyarapítanának » (« le revenu pourrait servir du capital pour la petite Société, et il sera continuellement augmenté selon nos espérances »), MGy, 1789, I, pp. 45.

11 Éva Sáray-Szabó mentionne, outre Péczeli, István Csépán, Károly Döme, Julianna Fá-bián, János Illei, Sámuel Kováts, János Matovics, Sámuel Mindszenti, Sámuel Pathy Nagy, Dávid Perlaky, Sámuel Zay, Joachim Szekér. Voir: A Komáromi Tudós Társaság és a Wéber-nyomda (17891794) [La société savante de Komárom et limprimerie Wéber]. In: A

qui semble avoir fonctionné sans règlementation formelle. Les résultats de leur activité peuvent cependant être considérés comme fructueux: en témoignent la publication pendant quatre ans sans interruption de la revue encyclopédique, voulant vulgariser les connaissances de multiples domaines (littérature, esthé-tique, sciences naturelles, agriculture, minéralogie, géographie, etc.), et la par-ticipation de nombreux collaborateurs. La société a également dû stimuler le travail intense de l’imprimerie Wéber, qui a publié–en dehors du périodique– une centaine de livres, en majorité hongrois.12

Parmi les nombreux projets hongrois d’académies et de sociétés savantes, deux sont particulièrement intéressants pour notre sujet.13 La fondation d’une société savante paraît indispensable pour György Bessenyei dès 1779, date à la-quelle il cherche à établir des contacts avec une société savante étrangère,14 pro-jet qui n’aboutit finalement pas. Il imagine également que « les sciences et la langue hongroises » peuvent être promues par les « batailles de plume » se dé-roulant devant le public.15La même année, dans un libelle intituléMagyar néző [Spectateur hongrois], dont le titre hongrois évoque les périodiques moraux

Dunántúl településtörténete IX, Város, mezőváros, városiasodás [Ville, petite bourgade, urba-nisme]. Veszprém 1992, pp. 237245. László Hofbauer parle dun cercle plus large et ajoute aux membres énumérés Sámuel Balog, Ferenc Bertsits, János Bodola, Sándor Bocz, Gergely Édes, György Enessei, János Fábchich, György Fejér, István et János Gáti, Júlia Horváth, Sám-uel Hrabovszki, Mihály Javallai, László Juracsics, János Kis, István et János Komáromi, János Korbélyi, Zsigmond Koré, János et Mihály Kováts, István Mihályi, Mihály Nagy, Mihály Papp, József Szakonyi, János Szombati. Voir: Vidéki irodalmi társaságaink [Les sociétés littéraires de province]. Budapest 1930, p. 33. Cette dernière étude ne considère pas strictement la citoyen-neté comme un critère, et range parmi les membres les collaborateurs du journal associés lib-rement; Géza Bodolay: Irodalmi diáktársaságok [Sociétés estudiantines], 17851848. Budapest 1963; Katalin Fejér: 18. századi irodalmi diáktársaságaink és a sajtó [Les sociétés littéraires es-tudiantines et la presse]. In: Magyar Könyvszemle, 2000, pp. 378389.

12 Limprimerie avait deux filiales (dont lune à Komárom et lautre à Pozsony) qui ont publié 115 livres entre 1788 et 1794, selon les recherches de Éva Sáray-Szabó: Sáray-Szabó (note 11), pp. 238, 246.

13 Sur les projets académiques et des sociétés savantes en Hongrie entre 1713 et 1810 voir: Az akadémiai eszme a 18. században/Die akademische Idee im 18. Jahrhundert. In: Fénykeresők/

Lichtsucher (note 2), pp. 21153, 191; Réka Lengyel, Gábor Tüskés (éd.): Learned societies, free-masonry, Sciences and Literature in 18th-century Hungary. English translation Bernard Adams. Budapest 2017, pp. 21153.

14 Bessenyei envisage de réaliser à Vienne la filiale hongroise dune Société Patriotique Inter-nationale fondée en 1775 à Hesse-Hombourg. Cf. Denis Silagi: Zur Geschichte der ersten Madja-rischen Gelehrten Gesellschaft. In: Südost-Forschungen 20 (1961), pp. 204244.

15 György Bessenyei: Penna tsata, A Holmi (1779) [Bataille de plume, Mélanges]. In: György Bessenyei: Összes művei [Œuvres complètes]. Éd. par Ferenc Bíró. Budapest 1983. p. 352. Voir sur le sujet plus en détail notre étude: Le désir de former lopinion publique en Hongrie au

européens, il cherche à persuader ses lecteurs de l’importance de l’utilisation de la langue vernaculaire, indispensable pour le progrès des sciences.16 Dans son périodique allemand, publié deux ans plus tard, il se propose comme « média-teur » entre le souverain et le peuple.17Après ses tentatives de créer et de former l’opinion publique par le biais de périodiques, il revient à l’élaboration d’une so-ciété savante dans son Jámbor szándék [Intention de bonne volonté] qui constitue un projet national. Il y présente l’exemple français en détail, et réfute même les critiques adressées à Richelieu, selon lesquelles il aurait voulu éloigner les grands esprits de la politique en les incitant à poursuivre des activi-tés scientifiques.18Ces projets considèrent l’élite nobiliaire comme le fondement d’éventuelles sociétés.19La société savante de Kassa, fondée en 1787,20montre davantage de parallèles avec celle de Komárom. Elle est constituée d’ intellec-tuels issus de la classe moyenne, qui lancent la revueMagyar Museum[Musée hongrois], afin de contribuer au développement de la culture nationale. Les fon-dateurs des deux périodiques souhaitent que la société et le journal servent éga-lement le progrès national. Ils se réfèrent au modèle de l’Académie Française lorsqu’ils détaillent les projets de fonctionnement.21Pourtant, en dehors des res-semblances, les différences sont aussi fondamentales. La société de Komárom est la réunion d’une communauté plus large et variable avec son fondateur, Pé-czeli, à sa tête, alors que celle de Kassa est fondée par trois intellectuels qui, ayant des objectifs différents, se brouillent rapidement.22Les deux périodiques se différencient également par le contenu et les objectifs visés: le Magyar

XVIIIesiècle. In: Philosophes, écrivains et lecteurs en Europe au XVIIIesiècle. Éd. Didier Mas-seau. N. spéc. Les Valenciennes 18 (1995), pp. 6782.

16 A Magyar néző, Programírások, vitairatok, elmélkedések [Spectateur hongrois, Écrits de programme, libelles, réflexions]. In: György Bessenyei: Összes művei [Œuvres complètes]. Éd.

par Ferenc Bíró. Budapest 2007, pp. 433458.

17 « Der Mann ohne Vorurtheil », Idegen nyelvűmunkák és fordítások (17731781) [Œuvres en langue étrangère et traductions]. In: György Bessenyei: Összes művei [Œuvres complètes]. Éd.

par György Kókay. Budapest 1991, p. 278.

18 György Bessenyei: Egy magyar társaság iránt való jámbor szándék [Intention de bonne vo-lonté pour former une société savante] (Bécs, 1790). In: Összes művei. Programírások, vitaira-tok (note 16), p. 479.

19 Voir sur le sujet lintroduction de Ferenc Bíró: ibid., pp. 136149.

20 La fondation de la société date du 13 novembre 1787, les trois fondateurs sont János Ba-tsányi, Ferenc Kazinczy et Dávid Baróti Szabó. Voir les commentaires de Attila Debreczeni:

Első folyóirataink: Magyar Museum [Nos premiers périodiques: Musée Hongrois]. Éd. par A. Debreczeni. Debrecen 2004, p. 33.

21 Magyar Hírmondó, 24 septembre 1788.

22 Cest ici que je remercie Ferenc Bíró pour la lecture de ma communication et pour ses re-marques et conseils que jai utilisés dans la version finale de mon texte.

Museum publie des textes, originaux et traduits, de nature strictement litté-raire,23alors que Péczeli, afin d’éviter toute rivalité avec les périodiques hongrois contemporains, choisit le caractère encyclopédique. Les fondateurs de la société de Kassa, conscients de leur acte pionnier, décident ensemble du lancement de la revue. Leurs programmes diffèrent, mais ils sont du même côté dans les dé-bats littéraires contemporains.24Les coopérateurs de la revue restent toujours moins nombreux que ceux du périodique publié à Komárom et sa parution est facilitée par les mécènes.

Dans les initiatives mentionnées ci-dessus, l’idée des sociétés scientifiques coïncide avec la publication des premiers journaux hongrois. György Kókay a pertinemment remarqué que le processus est inverse en Europe occidentale et dans notre pays puisque, dans le premier cas, ce sont les sociétés savantes et les académies qui publient les journaux savants, tandis qu’en Hongrie c’est par l’ in-termédiaire des journaux et d’autres publications que les efforts académiques s’expriment dans un premier temps.25 Une autre altérité peut également être observée: en France les sociétés savantes sont considérées comme rivales des académies, étant donné que les instigateurs des premières sont des « amateurs », tandis que les académiciens sont officiellement reconnus comme des érudits. Les origines de ces différences sont nombreuses. Outre l’opposition officielle du gou-vernement habsbourgeois aux projets académiques, l’isolation et la dispersion des intellectuels hongrois ainsi que l’absence d’un public intéressé par les livres scientifiques et littéraires en langue hongroise empêchent également le fonction-nement régulier des sociétés savantes. Les phénomènes culturels caractéristiques des pays occidentaux dès la deuxième moitié du XVIIesiècle et progressant en-suite sans interruption (comme le fonctionnement des Académies et des sociétés savantes, l’essor de la presse ou la publication des livres, liés à l’élargissement du public) ne se présentent en Hongrie qu’au cours des deux dernières décennies du XVIIIesiècle. C’est pour cette raison que la presse hongroise, apparue tardive-ment, ne reflète pas le combat entre l’érudition et la polémique qui contribue dans les pays occidentaux à la naissance du journalisme moderne qui veut susci-ter l’intérêt du public à l’égard du journalisme d’opinion.26 Les journaux hon-grois sont lancés au moment où les résultats de ces débats deviennent déjà

23« Poézis » [Poésie]. Voir sur le sujet: Attila Debreczeni: Tudós hazafiak és érzékeny embe-rek [Patriotes savants et hommes sensibles], Budapest 2009, pp. 252254.

24 Elsőfolyóirataink: Magyar Museum (note 20), pp. 78, 3340.

25György Kókay: Az elsőmagyar újságok és az akadémiai törekvések [Les premiers journaux hongrois et les efforts académiques]. In: Magyar Könyvszemle (1981), pp. 3540.

26Voir sur le sujet: Françoise Gevrey, Alexis Lévrier (éd.): Érudition et polémique dans les périodiques anciens (XVIIe-XVIIIesiècles), Paris 2007.

évidents. Les articles duMindenes Gyűjteményconsidèrent par exemple comme un fait accompli et comme un modèle la situation de la presse anglaise: celle-ci, reposant sur la « visibilité politique » et la « publicité » qu’elle introduit, présente les informations d’utilité publique aux lecteurs qui deviennent ainsi « un tribunal impersonnel et anonyme. »27Le journal de Péczeli se réfère à cet exemple ang-lais: « Même les citoyens simples voient plus clairement en Angleterre que chez nous les nobles, suite à la possibilité de la lecture de bons livres et journaux. » C’est également dans ce contexte que le périodique hongrois parle de la liberté d’imprimer et de l’entrée libre des journalistes anglais aux forums décidant de la vie publique tels que le parlement ou les tribunaux.28

Pour terminer nos réflexions sur la Société Savante de Komárom, soulignons un autre résultat de l’analyse critique des académies et des sociétés scientifiques européennes. Selon J. McClellan, on peut estimer parmi les « forces centrifuges » de ces institutions moins l’appartenance de leurs membres à une « République des Lettres » relevant de la géographie et de l’histoire, que des « forces contraires »:

raisons politiques, perspectives nationales, régionales, différences linguistiques ou religieuses. Il constate une différence fondamentale entre les pays catholiques, plutôt favorables aux Académies, et les pays protestants dans lesquels les sociétés scientifiques sont plus fréquentes. La pensée patriotique, le patriotisme régional, la défense de la langue nationale, considérés comme « force centri-fuge » des mouvements intellectuels, caractérisent non seulement la Hongrie, mais plusieurs pays européens de cette époque.29

L ’ Académie Française dans le Mindenes