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L ’ Académie Française dans le Mindenes Gy ű jtemény

Dans la seconde partie de notre communication, nous analyserons en détail sept articles parus dans le Mindenes Gyűjtemény sur l’Académie Française.

Dans la situation hongroise esquissée ci-dessus, où les sociétés savantes (et lit-téraires) existent, mais où les efforts pour fonder des institutions académiques échouent chacun à leur tour, nous devons accorder une attention particulière

27 «. . .az egész Ország légyen ítélőBíró » (« afin que tout le pays puisse juger »), MGy, 1790,

III, pp. 293295. Voir sur le sujet Mona Ozouf: Le concept dopinion publique au XVIIIesiècle.

In: Paul Beaud, Patrice Flichy, Dominique Pasquier, Louis Quéré (éd.): Sociologie de la com-munication. Paris 1997, pp. 349365.

28 « . . .még a köz-nép is világosabban lát Ángliában, mint másutt a nemesebb rendek,

mellyet tsinál asok jó könyvekneks Újságnak olvasása. » MGy, 1789, II, pp. 2330.

29 James E. McClellan: LEurope de lAcadémie. In: Dix-huitième siècle 25 (1993), pp. 153166.

au nombre élevé d’articles consacrés à ce sujet. Ces articles, tous traduits de la même source, leJournal de Trévoux, avaient été publiés par les jésuites entre 1701 et 1761. Ce périodique, spécialisé dans les comptes rendus et les réflexions sur les sujets figurants dans les livres publiés en français et parus dans différen-tes imprimeries européennes, rivalise avec leJournal des Savants, organe quasi officiel de l’Académie Française. En 1771, les articles les plus intéressants du journal des jésuites sont également publiés sous forme de livre, dont un exem-plaire entre dans la collection de Péczeli, et forme la source d’une centaine d’ ar-ticles de son périodique, parmi lesquels ceux écrits sur l’Académie Française.30

L’Académie Française sert de base au modèle européen dès la seconde moi-tié du XVIIesiècle. Fondée par Richelieu, sa première mission est de perfection-ner la langue française, d’étudier les variations de la langue, et d’éditer un dictionnaire et une grammaire qui imposent le standard de la langue et encou-rage les bonnes pratiques. Institution royale « littéraire » à ses débuts, son acti-vité s’élargit ensuite aux sciences et aux beaux-arts, et est considérée comme un forum central pour les débats scientifiques, la défense de la langue et les discussions esthétiques.31L’Académie Française se retrouve dans une situation paradoxale au XVIIIesiècle dans la mesure où faire partie de ses membres in-duit une certaine notoriété, alors que dans le même temps les philosophes criti-quent son conservatisme. La critique la plus connue paraît dans les Lettres philosophiquesde 1734 de Voltaire (qui devient académicien en 1746), qui les ridiculise tout en louant le modèle anglais dans laVingt-quatrième lettre, sous-titréeSur les académies. L’Esprit des Journalistes de Trévoux, extrait du périodi-que des jésuites, ne reflète pas cette appréciation négative, et considère l’utilité de l’activité académique française sans ambiguïté.

L’Académie Française et l’activité qui peut être liée à cette institution for-ment le sujet des articles du journal hongrois en 1791, année où il cesse de pa-raître sous forme de périodique et sa publication devient annuelle. C’est également à partir de cette année que les articles traduits de la source française deviennent fréquents. Les rédacteurs expliquent ainsi aux lecteurs les raisons de ce changement: ils veulent mettre au centre de leur intérêt des extraits des

30 Pons-Auguste Alletz: LEsprit des Journalistes de Trévoux. Vol. IIV. Paris 1771. (Désormais:

EJT) Les traductions hongroises proviennent des deux premiers volumes. Voir sur le sujet nos études: A Mindenes Gyűjtemény egyik forrása: az Esprit des Journalistes de Trévoux [Une source du journal Mélange Général: lEsprit des Journalistes de Trévoux]. In: Magyar Könyv-szemle (1988), pp. 248273; Limportance des « extraits » dans la diffusion des Lumières en Hongrie. In: Dix-huitième Siècle 26 (1994), pp. 379389.

31 Voir sur le sujet: Alain Viala: Académie Française. In: Dictionnaire européen des Lumières.

Dir. par Michel Delon. Paris 1997, pp. 47.

livres parus « sous Louis XIV et XV » afin de combler le retard intellectuel de leur pays par rapport à l’Europe. Permettre aux lecteurs qui ne peuvent ni ache-ter, ni lire les livres français de se former en accédant à l’essentiel des ouvrages littéraires et scientifiques, devient donc l’objectif principal déclaré. Les journa-listes hongrois se considèrent comme de véritables médiateurs, compilant, tra-duisant et « vulgarisant » pour les « amateurs ».32

Le premier article, intituléSur l’Académie des Sciences. Observations sur l’ His-toire de cette Académie pour l’année 1699, présente les domaines scientifiques re-flétant la division en vigueur à l’Académie: sous l’égide des mathématiques et de la physique, on distingue six classes: l’astronomie, l’anatomie, la chimie, la bota-nique, la mécanique et la géométrie. La majeure partie de l’article cite l’ouvrage de Fontenelle, secrétaire de l’Académie, qui se divise en deux parties: « les ex-traits de tout ce qui est remarquable » et « les mémoires. . .jugés d’être donnés au public dans toute l’étendue ».33L’article reflète la structuration des sciences et le rôle de l’Académie dans l’examen et le jugement des recherches récentes.34

Le second article complète le précédent, et met l’accent sur le rôle des Académies dans la « renaissance des Lettres », la conservation des livres et la tradition des études. L’auteur souligne l’intérêt de l’émulation des savants, inci-tés par les récompenses, les éloges, les titres d’honneur attribués par les Acadé-mies, et en particulier par les « mémoires » qui assurent la persistance des découvertes par la publication.35Remarquons que le périodique hongrois avait mis en relief dans un article original l’importance de l’émulation et de la publi-cation des livres décorés en 1789, bien avant cette traduction.36

Le troisième article porte sur la célèbre querelle à l’Académie, dans la-quelle les Anciens et les Modernes s’opposent sur la question de l’écriture en latin ou en français des inscriptions sur les monuments historiques, ces der-niers l’emportant sur les premiers. La question était de première importance, puisqu’il s’agissait de défendre la langue nationale et de prouver sa capacité à

32 Péczeli écrit une introduction très personnelle, dans laquelle il utilise la première personne et saccuse de ne pas être suffisamment sévère dans les numéros précédents dans ses correc-tions du travail de ses jeunes collaborateurs. MGy, 1791, V. Sans numérotation.

33 « APárisi Tudós Akadémiáról », MGy, 1791, V, pp. 176181; « Sur les Académies des Sci-ences », EJT, vol. II, pp. 102107.

34 Voir sur le sujet: Eric Brian, Académie Royale des Sciences = Dictionnaire européen (note 31), pp. 710.

35 « A tudós társaságnak ki-nyomtatott munkáiról », MGy, 1791, V, pp. 181183; « Sur les Mémoires Académiques », EJT, vol. II, pp. 108109.

36 « Hogykell az Írókban avetélkedést felgerjeszteni » [« Comment inciter lesprit de compé-tition entre les savants »], MGy, 1789, II, pp. 127128.

tout exprimer. A la fin du XVIIIe siècle, ce sujet est en Hongrie d’une acuité particulière.37

Dans le journal hongrois, cet ensemble de trois articles est suivi d’une quin-zaine de traductions de comptes rendus qui tendent à illustrer le fait que la langue française et les auteurs du XVIIIesiècle sont appelés à transmettre la cul-ture de l’Antiquité aux lecteurs contemporains européens. Nous y trouvons par exemple des comptes rendus sur la traduction moderne de Tacite, de Platon.38

Ces écrits sont suivis par deux études, qui ne font pas partie des comptes rendus mais sont plutôt des « réflexions », traduites de la même source. Elles développent l’idée selon laquelle la culture et les sciences sont prédestinées pour assurer le progrès des sociétés, idée chère aux philosophes des Lumières.

L’auteur mentionne le rôle des Académies dans ce processus. Une véritable rup-ture est constatée entre le passé et le présent, mettant en relief que les connais-sances en « captivité » dans le passé sont devenues à présent une richesse partagée par tous: « L’érudition renfermée dans quelques congrégations, appli-quée par l’état à l’étude [s’est étendue. . .et] le monde est devenu une école de politesse fondée sur toutes les connaissances propres à orner l’esprit ».39

La traduction de ces deux articles témoigne d’un grand soin. L’interprétation de quelques termes montre en particulier que le traducteur cherche à les rendre familiers pour le public hongrois. Le mot « talent » est traduit par l’équivalent hongrois tehetség, mais aussi par le terme latinisé talentum. La modification semble refléter une différence de conception dans la traduction du terme « Lett-res » par tudományok (sciences), mot englobant toutes les connaissances et l’ensemble des ouvrages imprimés. La composition de mots « République des Lettres » devient tisztességes tudományok, c’est-à-dire « sciences honnêtes ».

Nous remarquons également une hésitation dans la traduction du mot « Littéra-ture », qui devientLiteratúra, mais aussitudomány(« genres de la littérature » seratudománynak valamelly nemében), ce qui reflète probablement le retrécisse-ment de la signification des belles-lettres qui caractérise la fin du siècle.40

37« A fellyül-írásokról, vagy inscriptiókról », MGy, 1791, V, p. 183; « Sur les inscriptions. En quelle langue il convient quelles soient composées », EJT, vol. II, p. 110.

38Remarquons que György Bessenyei choisit la traduction française de Lucanus, faite par Marmontel, pour interpréter en hongrois cet auteur de lAntiquité.

39« A Frantzia literatúráról némelly Jegyzések », « A XVIII. századnak böltsességéről », MGy, 1791, V, pp. 355360; « Sur la littérature française », « Le XVIIIesiècle considéré du côté de la science », EJT, vol. II, pp. 229, 231234.

40Voir sur le sujet: Ferenc Bíró: A Mindenes Gyűjtemény szerkesztőjének nyelv- és iroda-lomszemléletéhez [La conception de la langue et de la littérature du rédacteur du MGy]. In:

Acta Historiae Litterarum Hungaricum (Acta Universitatis Szegediensis) 19611962, pp. 315;

József Szili: Irodalomképzetek és irodalomfogalmak: « Irodalom » szavunk és a modern

Deux traductions des comptes rendus complètent les articles sur l’Académie Française, présentant l’activité de Fontenelle, secrétaire à partir de 1699, en fonc-tion pendant quarante-deux ans.41Son nom figure dans les cinq articles consacrés à cette institution française, présentés précédemment, mais ce compte rendu lui est enfin entièrement consacré. Le journaliste y rend hommage au personnage emblématique, le célèbrant à sa mort, suivant le livre dont il fait le compte rendu.

L’activité très variée de cet homme presque centenaire est présentée en détail: chef de file du camp des Modernes, historien de l’Académie, rédacteur de mémoires et d’éloges académiques et auteur d’ouvrages littéraires et philosophiques. Fonte-nelle y est reconnu comme l’inventeur du genre de l’éloge. Son portrait est moral aussi bien qu’intellectuel, et fait connaître son cercle amical ainsi que sa philoso-phie. Il est caractérisé comme un « bel esprit », « membre exceptionnel de la Ré-publique des Lettres », « créateur des genres de littérature », « ornement de son siècle », « homme de génie ». Cette dernière qualification et sa traduction hongroise méritent notre attention, étant donné que l’auteur de l’article y précise la signification du terme de génie: « toute grande et importante qualité de l’esprit, possédée dans un degré éminent ».42 Le traducteur a visiblement des difficultés pour traduire et montrer la différence entre la signification des mots

« génie » et « esprit », deux termes dont la signification se transforme conti-nuellement au cours du siècle dans la langue française.43Les équivalents qu’il trouve démontrent la subtilité de son interprétation: elme, tehetség, lélek, elmésség.

L’article hongrois se termine par un long supplément qui présente les ouvra-ges importants de Fontenelle, et dans lequel le traducteur utilise une source diffé-rente. Son œuvre y est divisée en ouvrages dramatiques, avec Bellerophone et Psyché, moraux, avec leDialogues des Morts, et philosophiques avec lesEntretiens

magyar irodalmiság XVIII. századi kezdete [Images et concepts de la littérature: le mot « Litté-rature » et la littérarité moderne hongroise au XVIIIesiècle]. In: Irodalomtörténeti Közlemé-nyek (1986), pp. 345360.

41 « Fontenelléről », MGy, 1791, V, pp. 384393; « Mémoires pour servir à lHistoire de la vie de M. de Fontenelle, par M. labbé Troublet, Amst., 1761 », EJT, vol. II, pp. 258266.

42 « aLéleknek minden nagy és hasznos grádusban való bánása », ibid., p. 384.

43 Cest Voltaire qui rédige larticleEsprit, dont nous citons le début: «. . .ce mot, en tant quil signifieune qualité de lâme,est un de ces termes vagues, auxquels tous ceux qui les prononcent attachent presque toujours des sens différents. Il exprime autre chose que juge-ment, génie, goût, talent, pénétration, étendue, grâce, finesse et doit tenir de tous ces mérites:

on pourrait le définirraison ingénieuse. » Lauteur anonyme de larticle duGéniedéfinit ainsi le mot: « Létendue de lesprit, la force de limagination et lactivité de lâme, voilà le génie. » Encylopédie de Diderot et DAlembert, CD publié par Redon, qui reproduit lédition originale in-folio de Paris, 2000.