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Première piste de réflexion : la France et la Terre sainte dans La Chanson d’Antioche

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 124-128)

Reprenons la notion de remaniement comme manière de réécrire et consi-dérons maintenant les implications pour la représentation de l’espace dans

12 vols. to date, 1925-, t. VI, MI-O, p. 971-2.

14 A. Tobler – E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch, op. cit., t. VI, MI-O, p. 972 ; La Chanson de Roland, Göttingen, Th. Müller, 2e éd., 1878, v. 3246 et v. 3286.

15 P. Zumthor, La Mesure du monde…, op. cit., p. 54.

16 Walther von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, op. cit., t. VII, p. 298 et p. 413 ; La Chanson de Roland, éd. cit., v. 401.

17 A. Tobler – E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch, op. cit., Bd. VI, MI-O, p. 1270-1271 ; Brandans Seefahrt, anglonormannischer text, H. Suchier, Boehmers Romanischen Studien, I, 1875, 438 ff., p. 211 ; The Anglo-Norman metrical Chronicle of Geoffrey Gaimar, London, Th.

Wright, 1850, v. 3408 ; Der Löwenritter von Christian von Troyes, ed. W. M. Foerster, Halle, 1887, v. 429.

La Chanson d’Antioche. Selon Alexandre Winkler, la fiction spatiale « montre la France du nord et la Terre Sainte dans la continuité d’une même géogra-phie »18. Cette perception d’une géographie ininterrompue entre les deux est le résultat d’un remaniement par des poètes hautement fidèles aux codes de représentation d’un univers épique dont la « forte cohérence »19 exige une rela-tion de contiguïté entre deux espaces épiques, unis par une « vulnérabilité stra-tégique » entre l’espace français septentrional et la Terre Sainte. On pourrait bien lire des indices de cette liaison dans des citations où « sainte Crestïentés » et « France » apparaissent dans les vers avoisinants (v. 1221-2)20.

Comment se lie la Terre Sainte avec la France dans La Chanson d’Antioche ? Par les croisades, bien sûr, pourrions-nous répondre. Mais comment ce phé-nomène historique se traduisit-il sur le plan textuel ? N’oublions pas que les termes de croisade, crusade, kreuzzug, n’ont fixé leur sens qu’au xve siècle et que le plus ancien mot de croisée est le port de l’insigne cruciforme21. Le lieu de la crucifixion était la Terre Sainte et le lieu d’enterrement du Saint Sépulcre était Jérusalem. Donc une « rencontre » entre la signifiance de la crucifixion et la croisade d’un côté, et Jérusalem de l’autre côté transforme ce toponyme en cité d’Orient investie avec un sens religieux particulier pour l’Occident.

Or, à titre d’exemple, analysons le taux d’occurrences où on trouve une réfé-rence à la croix ou la crucifixion dans les laisses qui mentionnent Jérusalem et la France.

L’importance de la Terre Sainte est soulignée par le taux de références à Jérusalem. Ce lieu de rencontre de l’Occident et l’Orient est mentionné trente-trois fois en totalité22. Mais il faut préciser que de ce montant, seules

18 Alexandre Winkler, « La Terre Sainte : prolongement épique de la France du nord ? L’espace picard, flamand et lorrain dans le cycle de la croisade », In : Le Nord de la France entre épi-que et chroniépi-que, Actes du colloépi-que international de la Société Rencesvals (section française), Arras, Artois Presses Université, p. 180.

19 Voir Karl-Heinz Bender, « Les Épopées romanes », In : Grundriss des romanischen Literaturen des Mittelalters, vol. III, tome 1/2, fasc. 5, Heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, 1986, p. 72.

20 Voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 75. La référence à la « sainte Crestïentés » se trouve dans tous les manuscrits de La Chanson d’Antioche sauf C (version ancienne selon S. Duparc-Quioc).

21 Voir P. Zumthor, La Mesure du monde…, op. cit., p. 178.

22 Avec deux exceptions je suis en accord avec le taux de références cité par Suzanne Duparc-Quioc, voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 559. Il y a deux références à Jérusalem qui manquent dans l’index de Suzanne Duparc-Quioc, voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, v. 4175, p. 223, et v. 9474, p. 465 dans C (version ancienne selon S. Duparc-Quioc).

dix-neuf références ne varient pas ; quatorze n’apparaissent que dans quel-ques manuscrits23. Considérons ces deux groupes de références (premier groupe sans variantes ; deuxième avec variantes) et on y trouve quand même une corrélation. Dans le groupe sans variantes, il y a dix références à la cru-cifixion et cinq à la France, par rapport aux onze références à la crucru-cifixion et sept à la France dans le groupe avec variantes. Les variantes dans les ré-férences à la crucifixion24 et à la France25 se trouvent en bas de page, mais ne servent pas à réfuter la constatation de Zumthor citée ci-dessus. De là on pourrait bien dire que le toponyme « Jérusalem » fournit un moyen de fixer en langue « l’ensemble complexe de perceptions et de connaissances »26 de cette rencontre de l’Occident et l’Orient. Autrement dit, l’emploi de ce to-ponyme dans La Chanson d’Antioche est une stratégie textuelle permettant d’exprimer le désir d’en prendre possession. Ici il faut rappeler que les deux premières références à la France dans le texte se trouvent avec une référence à Jérusalem comme location du tombeau du Christ (le Saint Sépulcre)27.

23 Les références suivantes (v. 11, v. 16, v. 30, v. 54, v. 235) n’apparaissent pas dans FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, note en bas, p. 19 ; Interpolation I v. 28 n’apparaît que dans FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), bien que cette référence apparaisse dans les mss. ABCDE à la fin des Enfances Godefroi. Voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 507-8. Interpolation III bis v. 20, v. 29, v. 150 n’apparaît que dans D (version intermédiaire selon S. Duparc-Quioc) et FGL (ver-sion plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 515-20. Dans les « 12 couplets » (voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 472), la référence à Jérusalem (v. 19) n’apparaît que dans ABC (version ancienne selon S. Duparc-Quioc) et la référence à Jérusalem (v. 202) n’apparaît que dans AB (version ancienne selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 481. La référence dans v. 4621 n’apparaît pas dans B (version ancienne selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 241. Une autre référence se trouve dans l’Appendice au manuscrit de Turin, T, folio 68, anc. 9 (version ancienne selon S. Duparc-Quioc). Voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t.

I, p. 498.

24 À noter : la référence à la crucifixion / sépulcre dans v. 17 n’apparaît pas dans les manuscrits FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, note en bas, p. 19 ; la référence à la crucifixion / sépulcre dans v. 36 n’apparaît pas dans les manuscrits FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, note en bas, p. 19.

25 À noter : la référence à la France dans v. 19 n’apparaît pas dans les manuscrits FGL (ver-sion plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, op cit., t. I, note en bas, p. 19 ; la référence à la France dans v. 1985 n’apparaît que dans B (version ancienne se-lon S. Duparc-Quioc). Voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 112. Là on trouve le mot

« l’eure » au lieu du mot « France ».

26 Voir P. Zumthor, La Mesure du monde…, op. cit., p. 54.

27 Voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., v. 8-11, p. 19 – cette référence n’apparaît pas dans

Examinons maintenant ce phénomène en analysant toutes les références à la France qui apparaissent avec une référence ou à Jérusalem ou à la cru-cifixion. Au total, il y a quinze références28. Encore faut-il préciser parmi elles, seulement onze références ne varient pas ; quatre n’apparaissent que dans quelques manuscrits. Considérons ces deux groupes de références (premier groupe sans variantes ; deuxième avec variantes) : une fois de plus, on y trouve quand même une corrélation. Dans le groupe sans variantes, il y a huit références à la crucifixion et cinq à Jérusalem, par rapport à quatre références à la crucifixion et deux à Jérusalem dans le groupe avec variantes.

Les variantes dans les références à la crucifixion29 et à Jérusalem30 se trou-vent en bas de page.

Ainsi donc, du point de vue des références à Jérusalem, 25 sur 33, (soixan-te-seize pourcent), se trouvent ou avec une référence à la crucifixion ou avec une référence à la France. En outre, même si on exclut les références avec va-riantes, 11 sur 19 (cinquante-huit pourcent) se trouvent ou avec une référence à la crucifixion ou avec une référence à Jérusalem. Ainsi on voit qu’il y a un lien établi entre Jérusalem, la France et la crucifixion, même si on prend les variantes en compte.

Du point de vue des références à la France comme Terre Sainte (quinze par rapport à une totalité de 43 références à la France dans le texte et ses

manus-les manuscrits FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, note en bas, p. 19 ; voir aussi v. 116-117, p. 24.

28 Les références à la France sans variantes (voir l’édition S. Duparc-Quioc, op. cit., v. 106, p. 23 ; v. 138, p. 24 ; v. 292, p. 32 ; v. 306, p. 33 ; v. 341, p. 34 ; v. 367, p. 35 ; v. 858, p. 56 ; v. 885, p. 57 ; v. 2698, p. 154 ; v. 8401, p. 415 ; v. 9454, p. 464). Les références à la France avec variantes (voir l’édition S. Duparc-Quioc, op. cit., v. 19 n’apparaît pas dans les manuscrits FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., note en bas, p. 19 ; la référence à la France dans v. 1083 n’apparaît que dans C (version ancienne selon S. Duparc-Quioc). Voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 65. La référence à la France dans v. 1985 n’apparaît que dans B (version ancienne selon S. Duparc-Quioc). Voir La Chanson d’Antio-che, t. I, op. cit., p. 112. Là on trouve le mot « l’eure » au lieu du mot « France ». Dans les

« 12 couplets », v. 145 n’apparaît que dans AB (version ancienne selon S. Duparc-Quioc). Voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., p. 479.

29 À noter : la référence à la crucifixion / sépulcre dans v. 17 n’apparaît pas dans les manuscrits FGL (version plus récente selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., note en bas, p. 19 ; la référence à la crucifixion dans v. 2643 n’apparaît pas dans le manuscrit B (version ancienne selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., p. 151.

Dans les « 12 couplets » la référence à la crucifixion (la lance sainte) v. 142 n’apparaît que dans AB (version ancienne selon S. Duparc-Quioc), voir La Chanson d’Antioche, t. I, op. cit., p. 479.

30 À noter : la référence à Jérusalem v. 9474 dans C (version ancienne selon S. Duparc-Quioc) voir La Chanson d’Antioche, op. cit., t. I, p. 465.

crits ou trente-cinq pourcent)31, cinq références (un tiers environ) se trouvent et avec une référence à la crucifixion et avec une référence à Jérusalem. Même si l’on exclut les références à la France comme Terre Sainte avec des variantes, sept sur onze (soixante-quatre pourcent) se trouvent ou avec une référence à Jérusalem ou avec une référence à la crucifixion. On pourrait ainsi dire que ces données nous poussent à conclure que la représentation de la France comme Terre Sainte est un motif établi par le texte, mais que la question de sa dominance n’en est pas démontrée.

Deuxième piste de réflexion : La représentation égale de la Syrie

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 124-128)