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L’analyse des éléments lexicaux relatifs au Graal

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 171-174)

a) Termes désignant des objets réels

Une première série d’éléments fait référence à des récipients classiques com-me « plat » (tál), « plat d’or » (aranytál), « assiette » (tányér), « assiette d’or » (aranytányér), « coupe, calice » (kehely), « calice d’or » (aranykehely), « verre d’or » (aranypohár, aranyos pohár), « bassine » (medence ou melence, forme dialectale) et les composés de ce dernier comme « bassine en or » (aranyme-dence) ou « bassine en cuivre » (rézdöbönce). L’ensemble des appellations sem-ble limpide du point de vue du sens et les objets eux-mêmes s’inscrivent sans difficulté dans le contexte de l’histoire sainte. Notons la présence d’un terme comme « coupe, calice », relevant de l’eucharistie. Notons également la très forte présence de récipients en or, auxquels s’ajoutent encore « chapelle en or »,

« table en or », qui font tous ressortir le Graal comme symbole de la lumière et de la grâce divine12.

b) Termes opaques, présentant une sonorité particulière

Une autre série d’éléments résiste, en revanche, à toute tentative d’interpré-tation. Le passage suivant confrontera le lecteur (francophone ou hungaro-phone) à son désarroi par rapport au sens :

Le Seigneur Jésus est né,

Il a laissé tomber une goutte de sang, Les anges l’ont recueillie,

L’ont transportée en gárdilom, L’ont sortie de gárdilom,

L’ont portée auprès de notre Seigneur le Christ13.

11 Voir Mariann Slíz, Az Árpád-ház névadása Géza fejedelemtől III. Andrásig [Le choix du nom dans la dynastie des Árpád, du prince Géza à André III], Budapest, ELTE, 2000, p. 23. La re-marque sur l’origine du culte s’appuie sur les travaux de Gábor Klaniczay.

12 Voir l’analyse de László Mezey, In : Zs. Erdélyi – I. Várhelyi, « …Századokon át paptalanúl… », op. cit., p. 113-114.

13 Zs. Erdélyi, Hegyet hágék, lőtőt lépék, op. cit., No 265, en note : « Az Úrjézus megszületett, / Egy csepp vért elcseppentett. / Az angyalok fölszették, / Gárdilomba elvitték, / Gárdilombó’

elvitték, / Krisztus Urunkho’ vitték ».

Gárdilom, est-ce un objet, est-ce un lieu ? S’agit-il d’un mot ou plutôt d’un nom propre ? L’énigme reste entière. Et les termes qui nous confrontent à cette même énigme sont légion dans les prières populaires archaïques.

La liste suivante présente l’ensemble des éléments analogues, relevés lors d’un dépouillement exhaustif des prières déjà publiées, éléments auxquels s’ajoutent, entre parenthèses, les formes simplement mentionnées par l’auteur dans la préface de ses recueils14 : (áleliom), álelom, áliom, (árgyélom), (árgyium), árijom, áriom, bézárium, dárium, élium, (gádalom), (gália), (gárdalom), gár-dijom, gárdilom, (gárgyaom), (gárgyilom), (gárgyium), (gázium), (gézium), glólia, (glorittom), hórium, (kárdzsaom), káriom, (kárium), (nárion), órétom, (órion), (órium), (orittom).

Une question surgit aussitôt : les personnes qui récitent régulièrement ces prières proposent-elles une interprétation personnelle pour ces mots opa-ques ? Leur réponse se résume le plus souvent en ceci : « Ma grand-mère a tou-jours récité cette prière comme ça, moi-même je la récite comme ça ». Ce qui montre bien que la nourriture spirituelle reste intègre, même s’il y a des élé-ments obscurs dans le texte. D’un autre côté, la réponse met en lumière une caractéristique essentielle du genre : les prières se transmettent de grand-mère en petite-fille, dès l’âge de trois ou quatre ans. La transmission se fait par les femmes, d’autant que la référence à la Vierge, élément central, est une ressour-ce particulière pour elles. D’où l’évidenressour-ce du fait que la découverte elle-même soit liée à une chercheuse.

Si le sens reste opaque, la forme, elle, est parlante. Le terme gardilom, mis en avant plus haut à la tête d’une longue liste de variantes, ouvre des perspectives vers le domaine du graal, comme le souligne maintes fois, dans ses préfaces et ses notes, Zsuzsanna Erdélyi15.

Il sera utile de partir de l’étymologie. Selon Le Robert historique, le mot graal représente une forme occitane issue du latin médiéval gradalis « plat lar-ge et creux », attesté à partir de 1010, « mot d’origine incertaine, dont on sait qu’il est lié à une réalité rurale ». Par la suite, le dictionnaire précise : « Graal a repris le sens du latin médiéval, puis le mot s’est spécialisé au sens de "plat de la Cène" (v. 1200 ; nom propre)16 ».

14 Ibid., p. 38.

15 Ibid., p. 38-40, 163-167, 193, 234, 241, 243, 246, 303, 305, 361, 387, 864, 876-879, 891, 918.

16 Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Ray, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1999.

En cherchant à construire un pont entre la forme d’origine et les diverses formes attestées dans les prières, on peut aisément supposer que gradalis a donné en hongrois ogradalium, d’où ogradalom, gardalom, gardilom, etc.

Les nombreuses variantes en g ou k s’inscrivent assez directement dans la sé-rie. Quant aux autres formes, souvent caractérisées par la chute de la conson-ne initiale, elles s’expliquent par le fait qu’un mot dont on conson-ne perçoit pas le sens est soumis à toutes sortes de variations lors de la transmission orale. Or, la transmission d’une prière favorise le respect des formes, même devenues incompréhensibles.

En parcourant encore la série des termes opaques, le lecteur peut être sur-pris par l’omniprésence des finales en -om ou -iom. Ce phénomène trouve certainement son origine dans un processus de relatinisation, parfaitement concevable dans le contexte de la Hongrie médiévale. De nombreux mots hongrois d’origine latine ou transmis par le latin (comme evangélium, kollé-gium, testamentum etc.) ont dû servir de modèle à ce mode d’adoption.

c) Termes insolites par rapport au contexte

Une troisième liste de termes réserve au lecteur des surprises d’une autre na-ture. Que penser de l’image d’un filet, alors que l’on s’attend à un récipient ? Or, nous avons des passages comme celui-ci :

Ils ont amené ton saint fils, Ils ont laissé tomber son sang, Les anges sont passés par là,

Ils l’ont recueilli, l’ont mis dans un filet, L’ont porté devant le Christ ;

Au-milieu de la mer, il y a une petite table en or, Dieu le Père se tient là-dessus à genoux17.

Si le filet (háló en hongrois) s’ouvre dans le texte sur l’image de la mer (image qui relève également du domaine du Graal, selon l’auteur), ce passage gar-de néanmoins son aspect troublant. De même que gar-deux autres passages où il est question soit de plomb (ólom)18, soit de lys (liliom)19, lorsqu’il s’agit de

17 Zs. Erdélyi, Hegyet hágék, lőtőt lépék, op. cit., No 75 : « Elvitték szent fiad, / A vérit elhullajtot-ták, / Az angyalok arra mentek / Felszedték, hálóba tették, / Krisztus elébe vitték ; / A tenger közepén van egy kis aranyasztal, / Azon térgyepel az Atyaisten ».

18 Ibid., No 109.

19 Ibid., No 94, 139.

recueillir les gouttes de sang. Face à ces mots, on a intérêt à oublier un instant le sens pour ouvrir les oreilles à la sonorité des formes : háló, ólom, liliom.

On n’est pas loin de la série b) vue plus haut, à cette différence près que cette fois-ci, nous avons affaire à des mots existants mais dont le sens fait diversion.

Je pense pour ma part que si la première série s’explique par un processus de désémentisation, la seconde est le fruit d’une resémentisation, sur la base de formes anciennes, issues de gradalium.

La liste des variantes citées par l’auteur est, une fois de plus, riche en en-seignements20. Elle contient plusieurs mots ou noms qui permettent des rap-prochements analogues ou témoignent directement du même phénomène, voir aristom (cf. áristom, « prison »), gvárgyián (cf. gvárdián, « responsable d’un couvent »), óliliom (« vieux lys »), Egyiptom (« Égypte »), Jeruzsálem (« Jérusalem »).

Une petite série d’éléments, signalés dans une note de l’édition de 1999, pré-sente le plus haut intérêt. On y trouve Grál-vár (« château du Graal » ou « château Graal »), Gárdijom-, Gárgyilom-, Gádalom-, Kárdzsalom, Dárium-, Árgyélom-vár (« château de Gárdijom » etc.)21. Comment ne pas penser au château du Roi Pêcheur où le jeune Perceval voit défiler un cortège mystérieux, avec une lance, un graal et un tailloir d’argent ? On aimerait bien connaître le contexte de ces mentions dans les prières populaires archaïques. Hélas, le recueil ne contient pas de textes permettant d’aborder cette question. Pourtant le lecteur qui a suivi de près les transformations les plus cocasses des formes et des sens, aurait enfin une chance d’entrevoir un élément qui s’ouvre sur les origines…

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 171-174)