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Emese Egedi-Kovács

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 91-101)

Collège Eötvös József ELTE1

Dans ma thèse consacrée au motif de la « morte vivante » dans le récit mé-diéval2 j’avais déjà attiré l’attention sur le fait que le roman d’amour grec, bien que généralement censé, selon la critique littéraire, être trop éloigné du monde français médiéval, a probablement joué un rôle important dans la naissance du nouveau genre littéraire français, le roman courtois, par l’intermédiaire des romans byzantins du xiie siècle. Dans mes recherches doctorales, j’ai suivi le parcours d’un seul motif, celui de la « morte vivante », en partant des ro-mans hellénistiques jusqu’aux récits occidentaux. Il me semble pourtant que nous pouvons également retrouver les traces des romans grecs et byzantins dans d’autres œuvres françaises du xiie siècle. Dans la présente étude je me propose de revoir la question de la réception dans la littérature française au xiie siècle de l’un des quatre romans byzantins, celui de Makrembolitès, inti-tulé Hysminè et Hysminias, en examinant le rapport d’intertextualité intéres-sant que celui-ci entretient avant tout avec l’œuvre d’André le Chapelain.

En effet, la question de la réception du roman de Makrembolitès dans la littérature occidentale n’a été examinée jusqu’à présent qu’à propos d’une seule œuvre française, le Roman de la Rose. Pendant longtemps il a fait l’ob-jet de polémiques auprès des byzantinistes sur la question de savoir si cette

1 Étude rédigée avec le soutien de « Magyar Állami Eötvös Ösztöndíj » (Bourse d’études Eötvös de l’État hongrois) et du projet OTKA NN 104456 « Klasszikus ókor, Bizánc és humaniz-mus. Kritikai forráskiadás magyarázatokkal » (Antiquité classique, Byzance et Humanisme.

Édition critique avec commentaires).

2 Emese Egedi-Kovács, La « morte vivante » dans le récit français et occitan du Moyen Âge, Budapest, ELTE Eötvös kiadó, Tálentum sorozat, 2012.

œuvre française aurait pu indirectement servir de modèle – voire direc-tement – à l’œuvre de Makrembolitès. Tandis que F. M. Warren suppose avec prudence une source commune aujourd’hui perdue3, C. Cupane va jusqu’à affirmer que le Roman de la Rose a pu exercer une influence même directe sur l’œuvre de Makrembolitès4. R. Beaton dans la première édition de sa monographie sur le roman grec médiéval partage encore l’opinion de C. Cupane, cependant dans la deuxième édition revue, en se fondant sur les arguments séduisants de P. Magdalino5, rétracte ses affirmations précéden-tes surtout en ce qui concerne la datation extrêmement tardive (début du xiiie siècle) du roman byzantin6. La datation de l’œuvre de Makrembolitès reste toutefois toujours incertaine : le roman d’Hysminè et Hysminias est considéré « jusqu’à présent sans preuves irréfutables comme le plus ancien ou au contraire le plus tardif des romans byzantins de l’époque comnène »7. Cependant, même si l’on accepte des datations actuelles celle la plus hardie (1180), il y aurait au moins une demi-centaine d’année entre celle-ci et la première version du Roman de la Rose, celle de Guillaume de Lorris. Ici, je voudrais attirer l’attention sur le fait que le Roman de la Rose n’est pas en effet la seule œuvre française qui montre des parallèles frappants avec le roman byzantin dont on peut retrouver les traces même dans des œuvres du xiie siècle. Tout cela permettra d’une part de confirmer l’hypothèse de la datation précoce du roman de Makrembolitès qui aurait été composé plutôt entre 1140 et 1150, ainsi que d’apporter de nouveaux éléments concernant l’œuvre énigmatique d’André le Chapelain, le De amore.

Avant de passer à l’analyse concrète, je pense toutefois utile de résumer briè-vement l’histoire du roman de Makrembolitès, et avant tout l’épisode qui me

3 Frederick Morris Warren, « A Byzantine source for Guillaume de Lorris’s Roman de la Rose », Publications of the Modern Language Association of America, 31, 2, 1916, p. 241.

4 Cupane Carolina, « rwj-Basilej : la figura di Eros nel romanzo bizantino d’amore », Atti del Accademia di Arti di Palermo, serie 4, 1974, 33, 2, p. 245-281 et passim.

5 Paul Magdalino, « Eros the King and the king of Amours : some observations on Hysmine and Hysminias », In : Homo Byzantinus : Papers in Honor of Alexander Kazhdan (Dumbarton Oaks Papers, 46), A. Cutler and S. Franklin (eds), p. 197-204.

6 « My own (tentative) suggestion that Hysmine and Hysminias might, as a logical conse-quence of accepting Cupane’s studies on Western influences, have had to be seen as a work of the thirteenth century rather than of the twelfth is strongly and persuasively contested by both these scholars, and has been deleted from the present edition. » Roderick Beaton, The Medieval Greek Romance, London – New York, 19962,p. 211-212.

7 Florence Meunier, Le roman byzantin du xiie siècle. À la découverte d’un nouveau monde ?, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 37.

semble particulièrement intéressant du point de vue de notre sujet. L’histoire est racontée par le protagoniste lui-même, nommé Hysminias, qui – élu héraut (délégué) lors d’une fête – devra partir pour Aulykomis où il sera hébergé chez l’un des nobles les plus illustres de la ville, Sosthènes. Arrivé au palais de celui-ci, Hysminias admire son jardin magnifique qu’il décrit longuement. Et c’est précisément sur cette description que je voudrais attirer l’attention. Car ce n’est pas que ce jardin semble un vrai locus amoenus – avec toute sorte de fleur et d’herberie – mais qu’il est même entouré de murs décorés de belles fres-ques sur lesquelles le jeune homme aperçoit d’abord quatre femmes qui sont les figures allégoriques de Sagesse, Force, Chasteté et Justice. Puis Hyminias y décèle un autre tableau représentant Éros comme un jeune garçon, accom-pagné de toute une multitude de gens, notamment une grande armée, des villes entières, hommes et femmes, jeunes et vieux, rois et souverains, ainsi que des bêtes sauvages, tous esclaves et entièrement soumis au jeune garçon.

D’ailleurs, le goût pour l’allégorie caractérise tout le roman : les rêves allégori-ques dans lesquels le jeune homme s’initie peu à peu aux mystères de l’amour occupent une place importante dans l’intrigue. Toujours dans le jardin de Sosthenès, sur une autre fresque, Hysminias aperçoit d’autres images allégo-riques qui montrent l’alternance des saisons, en douze images. Pour ce qui est de l’intrigue proprement dite du roman, elle suit en effet le schéma typique des romans grecs : Sosthènes a une jolie fille, Hysminè, qui s’éprend d’Hys-minias au premier coup d’œil. Cependant, comme celle-ci a déjà été promise par son père à quelqu’un d’autre, les amoureux décident de s’enfuir en secret.

S’en suivent maintes vicissitudes et aventures, avec une longue séparation des jeunes amoureux, qui mettent en place presque tous les topoï des romans hel-lénistiques, tels que la tempête, les pirates, l’esclavage etc. Le roman se termine tout de même par une fin heureuse, ce sont leurs retrouvailles et les noces des jeunes gens qui closent l’histoire.

Les parallèles avec le Roman de la Rose sont évidents : les figures allégoriques, la rose comme symbole de l’objet de l’amour ne nécessitent pas trop d’expli-cation. En revanche, le motif du mur décoré de fresques symboliques mérite plus d’attention, car ceci semble « exclusivement caractéristique des deux ro-mans »8, comme le souligne F. Meunier. À cela, j’ajouterais encore deux

élé-8 « Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris (…) a peut-être emprunté à Hysminè et Hysminias la description du mur de clôture à l’intérieur du jardin de Sosthénès. Dans les deux cas en effet il est orné de peintures symboliques (…). Mais le choix même du thème de cette ekphrasis, mur d’enceinte peint de fresques symboliques, est exclusivement caractéris-tique des deux romans, ne se trouve auparavant dans nul autre texte ancaractéris-tique ou médiéval. »

ments : le rêve allégorique tel qu’on le trouve dans le Songe d’enfer de Raoul de Houdenc, et la figure du protagoniste-auteur-narrateur dans le Tournoiment Antéchrist de Huon de Méry, œuvres considérées comme modèles du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, sont tous deux présents dans le roman de Makrembolitès. Par ailleurs, l’originalité de Guillaume de Lorris de « greffer l’allégorie sur le genre romanesque »9 apparaît également chez l’auteur by-zantin. Même si l’« importance du songe » et le « choix de la narration à la première personne » se trouvent donc « non seulement chez Makrembolitès mais également dans d’autres textes antiques ou médiévaux »10, comme le re-marque F. Meunier avec réserve, le fait que ces éléments figurent tous réunis chez Makrembolitès permet de penser que c’est bien l’œuvre byzantine qui aurait dû servir de modèle aux récits français. En outre, les nombreuses rémi-niscences dans des œuvres françaises dès du xiie siècle permettent également de supposer l’antériorité du roman de Makrembolitès et sa datation précoce.

À titre d’exemple on peut tout d’abord citer Floire et Blanchefleur qui montre une parenté évidente avec le roman d’Hysminè et Hysminias. Outre les motifs que le romancier français emprunte aux romans hellénistiques, tel que celui du tombeau vide, la vente de la jeune fille par un marchand égyptien, qui sont tous apparus chez Xénophon, ou bien la description d’une coupe précieuse pour laquelle l’auteur a sans doute puisé dans l’œuvre de Prodrome, nous pouvons également déceler plusieurs éléments du roman de Makrembolitès : le jardin paradisiaque, l’épreuve de virginité auprès d’une rivière, l’homony-mie des protagonistes, la tricherie de ceux-ci se prétendant frère et sœur ainsi que le motif du mur décoré entourant un jardin11.

Il semble pourtant que l’influence du roman byzantin n’a pas uniquement affecté le genre romanesque. De manière tout à fait étonnante et inattendue, on peut également en relever les traces dans le De amore d’André le Chapelain.

Il s’agit de deux épisodes dont le premier se trouve dans le dialogue E du premier livre, dans lequel un gentilhomme raconte la visite curieuse qu’il a rendue à la cour du roi d’Amour. Le deuxième épisode auquel je me réfère

F. Meunier, Le roman byzantin du xiie siècle, op. cit., p. 261-262.

9 Dictionnaire des lettres françaises : le Moyen Âge, G. Hasenohr et M. Zink (éds), Paris, Fayard, 1992, p. 1308.

10 F. Meunier, Le roman byzantin du xiie siècle, op. cit., p. 262.

11 Meunier énumère également ces parallèles mais c’est afin d’examiner la question sous un angle totalement différent du nôtre : son point de départ est de savoir si Floire et Blanchefleur a pu exercer une influence sur les romans byzantins, hypothèse qu’elle rejette finalement.

F. Meunier, Le roman byzantin du xiie siècle, op. cit., p. 250-251.

constitue une sorte de lai arthurien dans le deuxième livre. Outre le thème du locus amoenus qui semble plutôt un topos usé, j’insisterais sur la similitude entre les deux œuvres concernant l’aménagement et le confort du jardin : chez Makrembolitès il y a des lits disposés en cercle dans le jardin de Sosthenès, tout comme dans la partie centrale du jardin du roi d’Amour chez André le Chapelain, destinée à récompenser les femmes ayant convenablement aimé en leur vie. Puis, plusieurs éléments qui offrent chez Makrembolitès toute sor-te de commodité, apparaissent chez André le Chapelain comme un certain manque destiné à augmenter les désagréments dans la partie punitive, appelée l’Ariditas. Ainsi par exemple, tandis que chez Makrembolités les rayons du soleil n’atteignent nullement le jardin, chez André il est souligné que dans l’Ariditas ceux-ci brûlent extrêmement. Ensuite, dans les deux œuvres nous trouvons une séquence très semblable relatant les tortures fulgurantes et brû-lantes causées par le Dieu d’Amour. Dans le De amore, les femmes qui mé-ritent une punition doivent s’asseoir sur des bâtons épineux, alors que le sol ardent leur brûle les pieds :

Ibi autem cuilibet illarum super spinarum fuit sedes parata fasciculo, et per vi-ros ibi, ut supra dictum est, deputatos semper fasciculus movebatur, ut acrius spinarum dilacerarentur aculeis, et nudis plantis ignitum pertingebant solum.

(De amore, I, 6, E)12

[Là, sur les faisceaux de branches épineuses, un siège était préparé pour chacune d’elles et ces faisceaux étaient constamment secoués par les hommes qui, com-me nous l’avons dit, y étaient préposés ; ainsi, les épines pointues les déchiraient plus cruellement alors que leurs pieds nus touchaient le sol brûlant13.]

Chez Makrembolitès nous trouvons la même séquence, sauf qu’un peu plus tard, dans l’un des rêves du protagoniste dans lequel Éros lui apparaît :

… ἐδόκουν νὴ τοὺς θεοὺς ὅλας ὀρύττεσθαι τὰς πλευράς, καὶ νὴ τὸν Ἔρωτα τὴν στρωμνὴν ἀκάνθινον εἶχον, καὶ ὡς ἐπὶ πυρᾶς ὀπτούμενος πυκνὰ στρεφόμενος ἦν, ὥσπερ τι θῦμα καινὸν ἐξωπτημένον τῷ Ἔρωτι. (HH, III, 4, 1)14

12 Andreas aulae regiae capellanus, De amore libri tres, ed. Fritz Peter Knapp, Berlin, Walter de Gruyter GmbH & Co., 2006. Toutes les citations du texte original viendront de cette édition.

13 André le Chapelain, Traité de l’amour courtois, Traduction, introduction et notes par Claude Buridant, Paris, Librairie Klincksieck, 2002 (1re édition : 1974). Je cite toujours la traduction dans cette édition.

14 Eustathius Macrembolites, De Hysmines et Hysminiae amoribus libri XI, ed. Miroslav Marcovich, München / Leipzig, Bibliotheca Scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana, 2001. Toutes les citations du texte original viendront de cette édition.

[Je croyais, par les dieux, qu’on me transperçait les côtes, par l’Amour, j’étais sur un lit d’épines. Comme si je rôtissais sur un bûcher, je me tournais sans cesse, telle une victime d’un genre nouveau brûlée en l’honneur d’Éros15.]

Or, grâce à la mise en évidence des parallèles avec le roman byzantin, il semble que nous puissions également élucider quelques points obscurs ou moins évi-dents de l’œuvre d’André le Chapelain. Par exemple, à la fin de l’épisode cité du De amore, il est un peu étonnant que le roi d’Amour, afin d’alléger la peine d’une dame dans la partie pénitentielle, lui envoie une pierre froide sous les pieds :

Tuae tamen intercessionis gratia pinguem equum et suavem cum freno et sella concedimus, et ut nullos habeat ministros circa spinarum fasciculum frigidumque de nostra licentia teneat sub pedibus lapidem. (De amore, I, 6, E) [Pour répondre à ton intercession cependant, nous lui accordons un cheval bien nourri, à l’allure douce, portant bride et selle ; aucun serviteur ne secouera plus son faisceau d’épines et nous lui donnons le droit d’avoir sous les pieds une pierre froide.]

Il est vrai qu’une pierre froide pourra rendre un grand service là où le sol brûle extrêmement. Néanmoins, il est maintenant intéressant d’examiner la description des lits du jardin de Sosthènes, qui sont tous équipés d’un certain repose-pied. Or à propos de ceux-ci, l’auteur byzantin souligne qu’ils ne sont ni en bois ni en ivoire mais précisément en pierre :

Κλῖναι γύρωθεν στοιχηδόν, οὐκ ἀπὸ ξύλων, οὐκ ἐξ ἐλέφαντος, ἀλλ’ ἐκ λίθων τιμίων καὶ λαμπρῶν· Θετταλαὶ τὴν βάσιν, τὰς πλευρὰς Χαλκίτιδι λίθῳ περικοσμούμεναι.

Ἡμισφαίρια περὶ τὰς κλίνας ὑπέκειτο· ἃ πάνθ’ ὁ τεχνίτης ἐκ Πεντελῆς [ἐλάξευσεν] εἰς ποδὸς ἀνάπαυλαν ἐτεχνούργησε· (HH, I, 6, 1-2)

[…il y avait des lits rangés en cercles tout autour, pas en bois ni en ivoire mais en pierres éclatantes, la base en marbre thessalien, les côtés ornés de pyrite de cuivre. Des repose-pieds en demi-cercle se trouvaient au pied des lits…]

Cette pierre compléterait donc le siège de la dame en le munissant non seu-lement de plus de confort mais aussi de plus de prestige pour ainsi dire, tout comme complètent la bride et la selle le cheval sans lesquelles les dames pu-nies « neque frena neque sellas habentes » se voient contraintes de s’avancer

« graviter trottantes » (De amore, I, 6, E), de façon extrêmement difficile, mi-sérable et humiliante.

15 Eumathios (Eustathe Macrembolite), Les amours homonymes, trad. par Florence Meunier, Paris, Les Belles Lettres, 1991. Je cite toujours la traduction dans cette édition.

Quant au motif de la fontaine / source qui se trouve au milieu du jardin – dans le roman byzantin, dans le De amore ainsi que dans le Roman de la Rose – j’en laisserai de côté l’examen, car celui-ci me semble trop univer-sel. Cependant la deuxième occurrence de ce thème chez Makrembolitès mérite quelque attention. Il s’agit de l’épisode de l’épreuve de virginité auprès de la source d’Artémis. « Car il y a à Artykomis un célèbre temple d’Artémis, au milieu duquel une statue en or représente la déesse un arc à la main ; à ses pieds jaillissent des sources abondantes et bruyantes. (…) Arc et source attestent la virginité : si l’on doute de celle-ci et si l’on veut en avoir la preuve, on fait entrer la jeune fille couronnée de laurier dans la source. (…) Si elle n’a pas perdu sa virginité, Artémis ne tend pas son arc, l’eau reste calme et la vierge flotte légèrement sur les eaux (…). » Cependant si elle a menti, « Artémis tend son arc pour que la jeune fille (…) soit dé-noncée, et l’eau en bouillonnant lui enlève sa couronne » (HH, VIII, 7, 2-5).

Ici, à mon avis, la statue en or de la déesse Artémis tenant un arc à la main préfigure la reine d’Amour tenant une baguette en or (« auream manu vir-gam retinens », De amore, I, 6, E) chez André le Chapelain. Le rôle punitif de l’eau est également à souligner : chez André le Chapelain dans la partie centrale, il y a une source qui jaillit agréablement ; dans la deuxième, où se trouvent les femmes ayant abusé de l’amour, la source devient une vraie inondation noyant et envahissant tout ; alors que dans la troisième partie où se trouvent les femmes ayant entièrement refusé l’amour, c’est l’aridité totale qui règne. D’ailleurs, il serait également intéressant d’examiner la fi-gure du roi-chevalier de l’Amour tout en considérant le contexte byzantin dans lequel l’identification du roi d’amour, Éros, avec l’empereur byzantin, Manuel Comnène, était un usage poétique tout-à-fait habituel16. Cela pourra peut-être également apporter quelque explication à un certain trouble lexi-cal dans le De amore, concernant l’instrument curieux que tiennent le roi et la reine d’amour, appelé dans le texte latin soit « virga » soit « baculum » fonctionnant même comme instrument magique, qui semblerait moins un sceptre qu’une baguette (plus longue et plus fine que celui-ci), bien sem-blable à celle que tient Manuel Comnène et sa femme Marie sur la fameuse enluminure du manuscrit grec du xiie siècle17.

Cependant le parallèle le plus intéressant entre les deux œuvres réside sans doute dans le motif du « livre d’amour » et celui du « livre dans le livre » qui

16 À ce sujet voir P. Magdalino, « Eros the King and the king of Amours… », art. cit., passim.

17 Codex Vaticanus graecus 1176, fol. IIr.

apparaissent chez les deux auteurs de façon fort similaire et accentuée. Chez Makrembolitès, dans le livre V, Hysminias s’adresse ainsi à son amie :

« Ἐπὶ σοὶ βίβλῳ κατεμυήθην τὸν Ἔρωτα· » (HH, V, 18, 1) [« Tu es le livre sur lequel j’ai été initié à l’Amour… »]

Il évoque donc l’idée de l’existence d’un certain livre d’amour qui se maté-rialise sous la forme de sa maîtresse. Or, c’est bien vrai que c’est la jeune fille qui prend les initiatives et qui incite le jeune homme à céder à l’amour dont celui-ci était complètement ignorant. Elle est donc à la fois l’objet d’amour et l’institutrice qui par moments intervient même en faveur du jeune homme auprès d’Éros. Le roman de Makrembolitès semble d’ailleurs en somme une œuvre initiative, un vrai art d’aimer, le « livre d’Amour / Éros », implanté dans le genre romanesque. De ce point de vue il diffère d’ailleurs de tous les romans d’amour grecs / byzantins dans lesquels ce sont avant tout les aventures qui dominent. En effet, dans le roman de Makrembolitès, les rê-ves érotiques, au sens propre et étymologique, c’est-à-dire ce qui est rela-tif à Éros, dans lesquels le protagoniste s’initie peu à peu aux mystères de l’amour, ainsi que les longues descriptions allégoriques deviennent si nom-breux à partir d’un certain moment et occupent une place si importante au sein du récit qu’ils semblent même surpasser les événements réels, les aven-tures. Or, ces récits remplissent même des fonctions narratologiques dans le

Il évoque donc l’idée de l’existence d’un certain livre d’amour qui se maté-rialise sous la forme de sa maîtresse. Or, c’est bien vrai que c’est la jeune fille qui prend les initiatives et qui incite le jeune homme à céder à l’amour dont celui-ci était complètement ignorant. Elle est donc à la fois l’objet d’amour et l’institutrice qui par moments intervient même en faveur du jeune homme auprès d’Éros. Le roman de Makrembolitès semble d’ailleurs en somme une œuvre initiative, un vrai art d’aimer, le « livre d’Amour / Éros », implanté dans le genre romanesque. De ce point de vue il diffère d’ailleurs de tous les romans d’amour grecs / byzantins dans lesquels ce sont avant tout les aventures qui dominent. En effet, dans le roman de Makrembolitès, les rê-ves érotiques, au sens propre et étymologique, c’est-à-dire ce qui est rela-tif à Éros, dans lesquels le protagoniste s’initie peu à peu aux mystères de l’amour, ainsi que les longues descriptions allégoriques deviennent si nom-breux à partir d’un certain moment et occupent une place si importante au sein du récit qu’ils semblent même surpasser les événements réels, les aven-tures. Or, ces récits remplissent même des fonctions narratologiques dans le

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