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Les caractéristiques d’un genre

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 168-171)

Trois prières archaïques, traduites en français par Jean-Luc Moreau, ont paru en 1980 dans l’anthologie Le Pouvoir du chant6. La présentation de l’une d’en-tre elle, la prière éponyme du volume, permettra de situer le contexte dans lequel surgit, dans un grand nombre de textes, le motif du Graal.

J’ai parcouru la montagne…

J’ai parcouru la montagne, j’ai marché sur le versant,

j’ai vu une toute petite chapelle en pierre,

5 Un premier texte, consacré principalement à l’analyse lexicale des termes hongrois, a vu le jour dans un recueil offert à Imre Szabics : Klára Korompay, « "Hét csöpp vére elcsöppent, arany-tálba felvették". Grál-motívumok az archaikus népi imádságokban » [« Septs gouttes de sang sont tombées, recueillies ensuite dans un plat d’or ». Motifs du Graal dans les prières populaires archaïques], In : La joie des cours, Études médiévales et humanistes offertes à Imre Szabics, sous la direction de Krisztina Horváth, Budapest, ELTE Eötvös Kiadó, 2012, p. 176-185.

6 Le Pouvoir du chant. Anthologie de la poésie populaire ouralienne, publié par Péter Domokos, présentation : Georges-Emmanuel Clancier, traduction des textes originaux : Jean-Luc Moreau, Budapest, Corvina Kiadó, 1980.

en or au-dedans,

miséricordieuse au-dehors,

Notre Seigneur Jésus-Christ Sainte Lumière habitait là, ses cheveux d’or défaits,

ses larmes d’or répandues et sa barbe d’or arrachée.

Arriva le Seigneur Dieu Sainte-Lumière et demanda :

« Que fais-tu là assis, Seigneur Jésus-Christ Sainte Lumière, tes cheveux d’or défaits,

tes larmes d’or répandues et ta barbe d’or arrachée ? »

« Si je reste assis là, Seigneur Dieu Sainte-Lumière, c’est que j’attends que les cloches retentissent, que les pêcheurs accourent,

fassent pénitence,

se nourrissent à ma Sainte Table pour vivre la vie éternelle. »

Qui récite ceci le soir en se couchant, le matin quand il se lève,

son corps est malade, son âme s’apprête,

s’ouvre la porte du bienheureux paradis, amen7.

Ce texte présente la structure caractéristique de la plupart des prières, com-posées de trois parties : en préambule, une vision céleste ; celle-ci s’ouvre sur une scène où sont évoqués, dans une forme dialoguée, certains éléments de la Passion ; à la fin apparaît la petite clôture contenant la promesse d’un bénéfice.

Ce dernier est encore plus explicite dans un deuxième texte, paru également dans Le Pouvoir du chant (texte dont l’original a la particularité d’avoir été couché sur papier au début du xviiie siècle) :

quiconque peut chaque jour réciter ceci

je ne l’ai fait conduire ni en enfer ni au purgatoire je le fais conduire dans la joie éternelle8.

7 Le Pouvoir du chant, op. cit., p. 366-367. Pour l’original, voir Zs. Erdélyi, Hegyet hágék lőtőt lépék, op. cit., No 97.

8 « Mémorial », In : Le Pouvoir du chant, op. cit., p. 368. Pour l’original, voir Zs. Erdélyi, Hegyet hágék, lőtőt lépék, op. cit., No 112.

Citons à ce propos une variante inattendue, la clôture d’une prière populaire française provenant de la région d’Amiens, issue de la même tradition, com-me nous allons le voir par la suite :

Celui qui la dira, Cette raison-là

au soir, quand il se couchera, Au matin, quand il se lèvera, Jamais le Paradis ne perdra9.

Quant à la partie centrale des prières, elle met donc en scène un dialogue entre le Père et le Fils ou, plus souvent encore, entre la Vierge Marie et Jésus, ou bien entre celle-ci et Saint Luc l’évangéliste. Dans une prière sur trois (soit une centaine de fois dans le dernier recueil), on y rencontre un court passage, composé de trois ou quatre vers, qui mérite toute notre attention puisqu’il fait référence aux gouttes du sang du Christ, recueillis par les anges dans un réci-pient, motif qui nous mène au cœur même de la tradition du Graal. Un exem-ple, parmi tant d’autres, propose la leçon suivante :

Sept gouttes de sang sont tombées, Les anges les ont recueillies, Les ont placées sur une assiette d’or, Les ont portées devant le Christ10.

Les variantes de cette scène soulèvent avant tout la question de l’objet qui y ap-paraît et celle des appellations, souvent énigmatiques, qui le désignent.

Mais avant l’exploration de ce vaste sujet, arrêtons-nous un instant sur une figure humaine. Dans certaines prières (No 20, 265), le récipient contenant les gouttes de sang est porté par sainte Marguerite d’Antioche qui tient la « bassi-ne » sous le bras. Or, ubassi-ne figure féminibassi-ne portant le Graal n’est pas un élément anodin à la lumière du Conte du Graal de Chrétien de Troyes… D’un autre côté, Marguerite est une sainte de Byzance (iiie siècle), dont le culte en Hongrie

9 Zs. Erdélyi, Aki ezt az imádságot…, op. cit., p. 269, d’après une publication d’Henry Carnoy,

« Prières populaires », In : Mélusine. Revue de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, t. 1, 1878, p. 188-189. Derrière le mot raison peut se cacher, à mon sens, l’ancien terme oreisun, désignant ce type de prière dans les textes du xive siècle, voir Zs. Erdélyi, op. cit., p. 74. Pour une prière provençale analogue, voir op. cit., p. 269-270, d’après Damase Arbaud, Chants populaires de la Provence, Aix, 1862, p. 13-14.

10 Zs. Erdélyi, Hegyet hágék, lőtőt lépék, op. cit., No 45 : « Hét csöpp vére lecsöppent, / Az angya-lok fölszették, / Aranytányérra tették, / Krisztus elejbe vitték ».

fut fondé par une relique, rapportée de Terre sainte par le roi André II, revenu d’une croisade (1217-1218)11. Cela peut constituer un élément digne d’intérêt pour l’étude des diverses influences culturelles.

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 168-171)