• Nem Talált Eredményt

Blanche de France, passeuse d’histoire

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 149-157)

Ces éléments nous conduisent vers l’un des personnages-clé du « projet du cheval de fust » : Blanche de France. La sœur du Roi de France Philippe III joue en effet un rôle essentiel à la fois dans la transmission de l’histoire et dans l’orientation politique des deux romans français. Blanche épouse Ferdinand de la Cerda, fils d’Alphonse X et infant de Castille, en novembre 1268. Elle vit donc à la cour de Castille, principalement à Burgos, avec ses enfants, futurs

13 Il s’agit de la guerre contre les rois voisins (Cléomadès v. 326-1472 ; Méliacin v. 2247-3091) et du sauvetage des suivantes promises au bûcher (Cléomadès v. 11212-11680 ; Méliacin v. 5345- 7442).

14 Antoinette Saly montre ainsi la parenté de l’épisode du sauvetage des pucelles promises au bûcher avec Yvain de Chrétien de Troyes. Mais c’est bien le traitement du motif qui est proprement arthurien, le combat judiciaire et l’ordalie par le feu se rencontrant également dans les textes orientaux. Voir Antoinette Saly, « Sources d’un épisode de Cléomadès et de Méliacin », In : Travaux de linguistique et de littérature, VIII, Centre de philologie et de litté-rature romanes de l’Université de Strasbourg, Paris, Klincksieck, 1970, p. 7-22.

héritiers d’un puissant royaume. Mais à la mort de son époux, en août 1275, sa situation devient précaire en Espagne. Sanche, frère de Ferdinand, conteste à ses neveux leur héritage, au nom du droit coutumier espagnol. S’ensuit un double conflit entre Sanche et son père le roi Alphonse X, qui aboutit à une forme de scission du royaume, et entre l’Espagne et la France. Dès l’automne 1275, Blanche est en effet contrainte de fuir précipitamment l’Espagne. Elle regagne Paris où elle se place sous la protection du roi. Philippe III n’aura de cesse de réclamer le rétablissement de ses neveux, restés prisonniers en Espagne, sur le trône de Castille, tandis que la reine de France, Marie de Brabant, couronnée en juin 1275, accueille dans son cercle de familiers la princesse venue d’outre-Pyrénées. La mort d’Alphonse X, survenue en mai 1284, explique certainement la présence de la couronne sur la tête de Blanche, proclamée régente de Castille par ses partisans en France, dans le manuscrit de l’Arsenal. Le contexte politique se traduit donc dans l’enluminure. Il trans-paraît aussi dans l’écriture des romans, à des degrés divers suivant la position de chacun des deux poètes à la cour15. Adenet fait de Séville, selon un choix idéologique sans assise historique, le centre des royaumes d’Espagne, où se déroule son histoire ; Girart ménage une allusion aussi limpide que discrète au conflit castillan à travers son personnage du duc de Galice16.

Ces événements historiques nous éclairent sur le caractère politique des romans, mais ils confirment également l’hypothèse de l’origine espagnole

15 Adenet le Roi jouit d’une position privilégiée à la cour par rapport à son confrère. Ménestrel du comte de Flandre, il fut aussi celui du duc de Brabant, père de la reine Marie. C’est dans l’entourage de la reine, à la cour de France, qu’il a écrit toute son œuvre. Seul Adenet présente d’ailleurs la reine comme sa commanditaire directe pour son roman du cheval de fust. Girart d’Amiens séjourne probablement de façon plus discontinue à la cour de France. Son précédent roman, Escanor, est adressé à la cour d’Angleterre et le suivant, l’Histoire de Charlemagne, lui sera commandé par Charles de Valois. Si Girart évoque Blanche de France dans le prologue de Méliacin, il ne mentionne pas la reine, dont il ne peut prétendre au patronage. Ses manus-crits seront pourtant exécutés sur une commande royale, au même titre que ceux d’Adenet.

16 Séville est la ville où s’est retranché Alphonse X au moment du conflit de succession avec son fils Sanche, qui revendique les royaumes d’Espagne et tient sa cour à Burgos, comme tous les souverains castillans. C’est de Séville qu’Alphonse prononce son soutien aux hé-ritiers de Ferdinand et de Blanche, sous la double pression de la reine d’Espagne et du roi de France, et c’est à Séville qu’il meurt. Antoinette Saly a montré que Girart d’Amiens ren-voyait plus discrètement au conflit espagnol par une allusion à la famille d’Acre-Brienne, liée à la fois à la couronne d’Espagne et à la couronne de France, à travers le personnage du duc de Galice (Antoinette Saly, « Girart d’Amiens romancier : la composition du Méliacin », Cahiers de Recherches Médiévales, N° 14, 2007, p. 177-188). Par ailleurs, l’exil que subit ce seigneur espagnol suite à une querelle de succession n’est pas sans rappeler la situation de Blanche de France.

de l’histoire. Blanche de France est en effet présentée dans les prologues de Cléomadès et de Méliacin comme la légataire d’une matière « diverse et mer-veilleuse », venue d’ailleurs. Les questions qui se posent dès lors sont celle de la forme sous laquelle la princesse a connu et exporté l’histoire et celle du support sur lequel les deux poètes ont travaillé.

Chez les critiques qui se sont penchés sur la question, le postulat d’une sour-ce écrite domine. La longueur des romans, qui comportent près de 20 000 vers chacun, et le foisonnement des péripéties semblent en effet difficilement com-patibles avec l’idée d’une source orale. Blanche aurait donc fourni aux poètes un texte à partir duquel ils auraient élaboré deux nouvelles œuvres. Les débats ont très vite porté sur la forme de cet hypothétique écrit : Victor Chauvin la présente comme un « rifacimento » espagnol en vers du conte arabe, Gaston Paris comme un résumé français, probablement en prose17. Leurs successeurs entérinent cette hésitation mais supposent tous une source écrite de forme brève. Albert Henry propose même un « syllabus », forme reconstituée du récit tel qu’il aurait pu être lu par Adenet le Roi18. En l’absence de trace d’une quelconque source écrite, la position de Thomas Keightley et Leo Jordan, qui supposaient une transmission orale de l’histoire, mérite pourtant de ne pas être écartée d’emblée19. Un certain nombre d’éléments semblent même leur donner raison.

D’un point de vue historique, il n’est pas impossible d’envisager l’exis-tence d’un manuscrit espagnol connu de Blanche de France, voire même possédé par elle. Le manuscrit AKM00513, ou tout autre manuscrit arabe a pu en effet servir de support à une traduction espagnole destinée à la cour de Castille, le remaniement de l’histoire ayant pu s’effectuer aussi bien en amont de la traduction qu’à cette étape de transfert linguistique. Le trans-port d’un manuscrit castillan vers Paris, compte tenu des circonstances de la fuite de Blanche, semble en revanche plus difficile à envisager. La prin-cesse quitte en secret la cour, escortée par Jean de Brienne, dépêché par le roi de France, et échappe de peu à une séquestration en Castille puis à une

17 Victor Chauvin, « Pacolet et les Mille et une Nuits », art. cit. ; Gaston Paris, « Compte rendu de l’étude de Victor Chauvin », Romania, N° 27, 1898, p. 325.

18 Voir l’introduction d’Albert Henry, op. cit., p. 559-567.

19 Thomas Keightley, Tales and popular fictions, their resemblance and transmission from coun-try to councoun-try, London, Whittaker, 1834, p. 40-82 ; Leo Jordan, « Die Quelle des Aucassin und die Methode des Urteils in der Philologie », Zeitschrift für romanische Philologie, t. 44, 1924, p. 291-297.

embuscade dans les Pyrénées20. D’autre part, si la princesse a malgré tout emporté un manuscrit espagnol dans ses bagages, rien n’indique dans les romans français l’utilisation d’un tel texte par les auteurs. Aucune trace d’hispanisme dans leur langue, la consonance espagnolisante de certains noms dans Cléomadès relevant d’un travail littéraire d’Adenet, dans le but évident de plaire à ses commanditaires21.

En l’absence de donnée externe, il nous faut donc revenir vers les romans eux-mêmes. Adenet et Girart exposent en des termes assez précis le proces-sus de la commande dont leurs romans sont le fruit. Leur parole a cependant toujours suscité de la méfiance, en raison précisément du caractère fortement contraint de leur œuvre, mais aussi parce que les deux poètes brouillent les pistes concernant la nature de leur source22.

Dans une proportion à peu près équivalente, Adenet le Roi mentionne tantôt une source écrite, tantôt une source orale. Le mot « escrit » apparaît quatre fois23. S’ajoute à ces notations la mention d’un livre au vers 1802224. À l’opposé, cinq passages développent le champ lexical de l’oralité25. À partir de ce simple relevé lexical, on comprend la perplexité des commentateurs.

Albert Henry l’exprime ainsi : « S’il fallait prendre ces déclarations au pied

20 Sur les détails de ce conflit franco-espagnol, voir Charles-Victor Langlois, Le règne de Philippe III le Hardi, Paris, Hachette, 1887.

21 Le travail d’Adenet en ce sens porte essentiellement sur l’onomastique : le roi d’Espagne s’ap-pelle ainsi Marcadigas, son épouse porte le titre de « done » (done Ynabele), de même que la mère de l’héroïne (done Clarmonde).

22 La mention d’un livre-source apparaît bien souvent dans les prologues médiévaux comme une stratégie d’authenticité pour les auteurs. Pourtant, en particulier pour les œuvres et les motifs venus d’autres sphères culturelles, la critique moderne a du mal à renoncer à la quête d’une source écrite, latine ou occidentalisée. Emese Egedi-Kovács souligne ainsi la fragilité du raisonnement de Gaston Paris à propos des sources écrites de Cligès et démontre qu’une source orale est tout à fait envisageable, malgré les affirmations contradictoires de Chrétien de Troyes. Emese Egedi-Kovács, La « morte vivante » dans le récit français et occitan du Moyen-Âge, Budapest, ELTE Eötvös Kiadó, 2012, p. 119-121.

23 « ainsi k’en escrit le trovons », v. 700 ; « si k’en l’escrit le truis et voi », v. 3097 ; « ainsi k’en l’escrit le trouvons », v. 16304 ; « ainsi com dit li escrit », v. 18204.

24 « si com li livres dist », v. 18022.

25 « […] me daignerent conmander / Que je ceste estoire entendisse », v. 20-21 ; « Mais ainsi que je l’entendi / Quant l’estoire m’en fu contee », v. 15918-15919 ; « N’onques de ce ne me parle-rent / Les deux dames qui me conteparle-rent / De ceste matere l’estoire », v. 17411-17413 ; « Car les dames qui m’en conterent / Ce qu’en ai dit n’en deviserent / […] », v. 18533-4 ; « Mais ainsi que j’entendu ai / De ceste estoire le certain / […] », v. 18358-18359.

de la lettre, il faudrait conclure qu’il y a eu récit oral et récit écrit »26. Mais l’équivalence du nombre est trompeuse. À y regarder de près, on s’aperçoit que les références à l’écrit et à l’oral ne s’effectuent pas du tout selon les mê-mes modalités. En effet, lorsqu’Adenet évoque un texte écrit, il a recours à des formules stéréotypées quasi identiques d’une occurrence à l’autre. Il s’agit d’incises courtes servant vraisemblablement de béquille à la versification et qui relèvent d’un réflexe de conteur. Les tournures sont impersonnelles ou plurielles, à l’exception d’une occurrence à la première personne27. De plus, lorsqu’Adenet mentionne un livre spécifique où serait consignée l’histoire, il le relègue dans un ailleurs plus ou moins précis, invitant le lecteur à cher-cher lui-même cette source probablement perdue quelque part en Espagne28. Les références à l’oral traduisent au contraire une implication beaucoup plus directe du locuteur, et par conséquent de ses destinataires, dans l’énoncé : Adenet explique clairement que Blanche, qu’il associe étroitement à Marie puisque la commande émane des deux dames, a raconté l’histoire (verbes conter, deviser, parler), commandant au poète de l’écouter (verbe entendre répété trois fois). Girart d’Amiens, pour sa part ne mentionne pas d’écrit29. S’il se montre moins précis qu’Adenet concernant les circonstances de la commande, ses propos convergent avec ceux de son confrère : tous deux affirment avoir entendu l’histoire30.

26 A. Henry, op. cit., p. 611, note 3.

27 « si k’en l’escrit le truis et voi », v. 3097. La mention d’un texte « vu » et la valeur référentielle de la première personne sont sujets à caution, tant la tournure se rapproche des autres formules stéréotypées introduites par « si com » / « si ke ».

28 Le récit s’ouvre en effet au vers 97 avec la mention des « estoires des rois d’Espaigne », qui renvoie à un livre étranger dans lequel serait consigné le conte dont s’empare le poète, ce qui n’implique pas nécessairement que ce dernier l’ait lu. Dans l’épilogue, Adenet évoque également des « cronikes » conservées à Tolède ou à Séville, et exhorte le lecteur curieux à chercher ce texte, probablement perdu, afin de compléter le récit qu’il vient de lire : « Mais se vous savoir en voulez / Plus avant, en Espaigne alez, / Ou a Toulete ou a Sebile ; / Je ne sai pas en laquel vile / De ces deus plus tost trouveriés / L’estoire, se la queriiés, / Car espoir ont esté ostees / Les cronikes et remuees / Ou ceste matere fu prise / Que nus n’ot qui mout ne la pri-se. / Qui de ceste estoire vorra / Avant savoir, il couvenra / Que il la matere tant quiere / Que il la truist, se il l’a chiere. » v. 18519-18532.

29 Girart évoque bien une transmission de l’histoire par une dame de haut rang, mais ne précise pas la nature du support à partir duquel il a travaillé : « Et s’en [=du conte] avons la remem-brance / Par bele dame d’onnorance », v. 21-22 ; « cele dont li contes vint », v. 19144.

30 L’épilogue apporte en effet une précision intéressante : Girart prétend en effet avoir « oï » ce conte (« Girardin d’Amiens, qui plus n’a / Oï de cest conte retraire, / N’i veult pas mençonge atraire, / ne chose dont il fust reprist / Ainsint qu’il a le conte apris / L’a rimé au mieux qu’il savoit. » v. 19131-19136).

Il convient bien sûr de rester prudent face à ces allégations, la notion d’oralité étant souvent topique dans les prologues médiévaux. Notons ce-pendant que dans les prologues de ses précédents ouvrages, Adenet le Roi prétend systématiquement avoir travaillé à partir d’un texte écrit, consulté à la bibliothèque de l’abbaye de Saint Denis31.

À la lumière ce ces observations, revenons maintenant à la miniature ini-tiale du manuscrit de l’Arsenal, mainte fois commentée32. L’étroite connexion des deux textes et des cinq manuscrits les plus anciens des romans nous in-cite à prêter une attention particulière au folio 1 de ce manuscrit, qui met en quelque sorte en scène la naissance du roman33. Sur la miniature initiale est en effet représenté l’acte de transmission par lequel se fonde l’œuvre. Marie de Brabant domine la scène : semi allongée, elle est représentée dans une pos-ture d’écoute attentive. Devant son lit, à une échelle plus réduite, son frère Godefroi de Brabant et sa belle-sœur Blanche de France sont assis sur des coussins34. À l’écart de ce cercle d’intimes de la reine, mais sur le même plan qu’eux, Adenet le Roi, reconnaissable à la couronne et à la viole qui signalent son statut de roi des ménestrels, fléchit le genou en signe de respect. Blanche apparaît comme le personnage dont le geste semble le plus signifiant : elle lève le bras droit, paume ouverte. On peut interpréter ce geste comme la manifes-tation d’une parole, adressée d’abord à un public noble et familier, symbolisé par Godefroi, ensuite au poète, invité à entendre cette parole. La miniature se-rait ainsi une fidèle illustration du prologue copié immédiatement en dessous

31 Voir Les Œuvres d’Adenet le Roi, ed. Albert Henry, Presses Universitaires de Bruxelles, 1956-71 ; Slatkine Reprints, 1996, 5 vol. Silvère Menelgado analyse cette particularité du prologue de Cléomadès dans une perspective générique (Silvère Menelgado, « Adenet le Roi tel qu’en ses prologues », Regards sur une œuvre : Adenet le Roi, Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, N° 18, 2009, p. 309-328).

32 Paulin Paris, « Adam ou Adenes, surnommé Le Roi », In : Histoire Littéraire de la France, t. XX, Paris, Armand Colin, 1842 ; Henri Martin et Philippe Lauer, Les principaux manus-crits à peinture de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, Paris, 1929, p. 21 ; A. Henry, op. cit., t. I, p. 95-102.

33 Voir notre article à paraître dans le bulletin Questes (« Miniatures initiales et paroles inaugu-rales : naissance de l’œuvre, naissance du héros dans les manuscrits de Cléomadès », Questes, N° 27, Paris Sorbonne, à paraître en 2013).

34 Les personnages sont identifiables par leur robe armoriée. Seul le personnage masculin au centre de la miniature posait jusqu’ici quelques problèmes d’identification : la robe porte certes les armes du Brabant (de sable au lion d’or), mais le lambel de gueule à qua-tre pendants, très finement exécuté, correspondant au blason du fief d’Aerschot, permet d’identifier Godefroi de Brabant, jeune frère de la reine. Godefroi devient en effet seigneur d’Aerschot en 1284.

d’elle : Blanche contant à la cour de France l’histoire du cheval d’ébène et confiant, ce faisant, à Adenet le Roi sa matière « de grant pris » (v. 12). Cela n’exclut certes pas l’existence d’un support écrit. La possibilité d’une double source, orale et écrite, a été envisagée par un certain nombre de critiques.

Mais un autre détail de l’enluminure accrédite encore un peu plus la thèse de la transmission exclusivement orale. Sous la miniature, une lettre historiée représente le poète, toujours paré de sa couronne, en train d’écrire. La repré-sentation de l’auteur au travail n’a rien d’original, surtout dans un manuscrit regroupant l’ensemble de ses œuvres. Mais Adenet n’est pas figuré devant son pupitre, comme c’est le cas dans ce type d’images. Il tient dans sa main gau-che une tablette de cire, et dans sa main droite un stylet qu’il applique sur la tablette pour écrire. Il est donc tentant de voir dans cette lettre historiée la représentation du poète prenant des notes en vue du travail de composition et de versification dont il est chargé35.

Ces observations n’apportent, certes, aucune réponse fiable à la question de la transmission du conte du cheval d’ébène. Mais elles ouvrent des perspectives pour expliquer ce qui trouble les commentateurs depuis un siècle et demi : bien que traitant d’un même sujet, à partir d’une même source, Cléomadès et Méliacin ne présentent aucune correspondance textuelle. L’examen de sé-quences précises confirme en effet que l’on peut dégager des éléments nar-ratifs, voire des détails descriptifs, identiques dans les deux romans. Mais le vocabulaire, la syntaxe, le style varient d’un texte à l’autre, même dans les passages les plus semblables36.

Pourquoi donc ne pas prêter foi aux propos d’Adenet le Roi ? Si l’on écoute le poète, l’histoire du cheval d’ébène, « c’onques nus n’oy / si diverse comme cesti », serait consignée depuis « le tans deoclesien » dans un livre perdu entre

35 D’autres représentations du poète au travail existent dans les manuscrits issus de l’atelier parisien étudié par les Rouse (Paris, BnF, Arsenal 3142 f°73 ; fr. 12467 f°1 ; fr. 1471 f°1).

À chaque fois, Adenet est figuré dans une lettre historiée, debout devant son pupitre, écri-vant à la plume sur une feuille de parchemin. La seule représentation du poète écriécri-vant sur une tablette de cire figure sous la miniature montrant Blanche comme conteuse et Adenet comme auditeur.

36 On observera par exemple l’ekphrasis commune aux deux romans à propos du lit de la prin-cesse. Les descriptions comportent un certain nombre de détails similaires, comme la cou-leur des tissus ou l’ornementation figurative du tour de lit, mais on ne peut établir aucune correspondance stylistique entre les deux textes (Cléomadès : v. 2961-3090 ; Méliacin : v. 1477-1577).

Tolède et Séville37. Mais sa matière, enrichie d’apports narratifs divers, aurait survécu dans la mémoire d’une princesse française. Offert à un auditoire pri-vilégié, le récit de cette princesse exilée répondait à la double nécessité de di-vertir la cour et de transmettre une histoire extraordinaire. Il endossait aussi probablement un caractère politique dans un contexte de conflit autour de la couronne d’Espagne. Mais il fallait un écrin à ce conte étranger : on confia donc à deux poètes le soin de consigner l’histoire, de la versifier, de la faire entrer dans la littérature européenne.

Accepter ainsi l’idée d’une transmission orale de cette histoire, c’est recon-naître aux acteurs du « projet du cheval de fust » un rôle important dans la

Accepter ainsi l’idée d’une transmission orale de cette histoire, c’est recon-naître aux acteurs du « projet du cheval de fust » un rôle important dans la

In document Rencontre de l'Est et de l'Ouest (Pldal 149-157)