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LES CONSTRUCTIONS ABSOLUES EN ANCIEN FRANçAIS

In document La joie des cours (Pldal 121-124)

Dans un article consacré aux pièges que les textes en ancien français tendent à leurs traducteurs modernes français ou hongrois, Imre Szabics énumère diffé-rents types de modifications qui ont pu affecter le sémantisme des mots depuis le Moyen Age. L’extension, la restriction ou le déplacement de sens peuvent induire en erreur le lecteur moderne, pour aboutir à des faux-amis1. Dans la pré-sente étude, nous nous interrogerons sur un autre type de traduction et de glis-sement grammatical : il s’agira de l’adaptation en ancien français d’un texte latin médiéval du xiie siècle, de l’Historia rerum in partibus transmarinis gestarum de Guillaume de Tyr2. Le phénomène qui nous intéressera est l’ablatif absolu3 latin que le traducteur-adaptateur rend de différentes manières. La question est de savoir si l’on peut effectivement parler de constructions absolues dans le Roman d’Eracle ou bien s’il s’agit simplement de locutions figées, voire de participes

* Université Eötvös Loránd de Budapest

1 Imre Szabics, « Traductibilité des textes littéraires de l’ancien français », in De Peire Vidal à Bálint Balassi, Etudes sur les contacts poétiques franco-hongrois du Moyen-Age et de la Renaissance, Budapest, Eötvös József Könyvkiadó, 2003, p. 49.

2 Vu que la vieille édition du Recueil des Historiens des Croisades, Historiens Occidentaux I (Paris, 1844) est la seule à présenter le texte original avec la version en ancien français (appelée aussi Roman ou Livre d’Eracle), pour toutes nos citations la pagination est celle de cette édition et non pas celle de l’édition critique de Huygens (Chronique, Turnhout, 1986) qui ne publie que le texte latin.

3 Voici la définition de « proposition absolue » par Grevisse (M. Grevisse, Le bon usage, grammaire française. Refondue par A. Goosse, 13e édition revue, Paris-Louvain-la-Neuve, 1993, p. 351) : « La pro-position absolue se caractérise par le fait qu’elle est constituée d’un sujet et d’un prédicat, mais sans mot introducteur et sans verbe conjugué, et qu’elle a une fonction dans la phrase : ‘Dieu aidant, je vaincrai.’»

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In: La joie des cours. Red: Krisztina Horth, Budapest, 2012. ELTE Eötvös Kiadó. /Tálentum 9./ 120–128.

ayant acquis la valeur de prépositions4. À la suite de Stimming5, dans son His-toire de la langue française, F. Brunot signale que l’imitation du latin a pu jouer un rôle dans la diffusion du « participe construit absolument »6. Selon Grevisse, la préposition « durant » en français moderne a la même origine « absolue » et c’est la raison pour laquelle elle peut également être postposée7.

Si Guillaume de Tyr est généralement considéré comme l’un des meilleurs latinistes de son époque, Huygens a néanmoins émis quelques réserves à ce sujet, recensant notamment un certain nombre de fautes syntaxiques, dont des ana-coluthes dans l’Historia8. Nous pouvons néanmoins affirmer que le langage de

4 Pour une interprétation des participes « voyant », « voiant », « veant », au sens de locutions figées équivalant à « en présence de », « devant », voir les dictionnaires d’ancien français de Greimas et de Godefroi. Dictionnaire de l’ancien français par A. J. Greimas, Larousse, Paris, 1980, p. 659 (sous l’entrée veoir) :«mon veant, vostre veant : en ma présence, en votre présence ». F. Godefroi : Diction-naire de l’ancienne langue française, tome VIII, Librairie des sciences et des arts, Paris, 1938, p. 155 :

« mon veant, vostre veant » : en votre présence ». Povl Skårup décrit ces expressions comme des

« syntagme[s] prépositionnel[s] où veant occupe la place de la préposition ». Voir son article intitulé

« Les formes déverbales en –ant en ancien français », C. Guillot, S. Heiden, S. Prévost (dir.) : À la quête du sens, études littéraires, historiques et linguistiques réunies en hommage à Christiane Marchello-Nizia, ENS Editions, Lyon, 2006, p. 57. La même idée a été énoncée par C. Marchello-Nizia (Le français en diachronie : douze siècles d’évolution, Christiane Marchello-Nizia, Ophrys, Gap-Paris, 1999, p. 120) :

« deux formes en –ant étaient dès cette époque employées comme des prépositions, puisqu’elles étaient devenues invariables : oiant toz, veant toz : en présence de tous, sous les yeux de tous. » Joseph Anglade note que ce sont surtout les verbes de perception (veoir et ouir) qui peuvent s’employer en ancien français de manière absolue, comme compléments circonstanciels (Joseph Anglade, Gram-maire élémentaire de l’ancien français, A. Colin, Paris, 1931, p. 216).

5 Une première étude exhaustive sur le thème des gérondifs et des participes présents en ancien fran-çais est due à A. Stimming en 1886 (« Verwendung des Gerundiums und des Participiums Praesentis im Altfranzösischen », Zeitschrift für romanische Philologie, 10 [1886], p. 526–555), où l’auteur insiste sur le fait que certains types de construction absolue sont particulièrement fréquents dans les textes français traduits du latin : « diese Konstruktion ist bekanntlich in altfrz. Übersetzungen lateinischer Originale sehr häufig » (p. 546).

6 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, tome I, A. Colin, Paris, 1966, p. 343 : « il faut retenir le développement du participe construit absolument, où il n’est pas impossible que l’imitation du latin ait joué un rôle ». Les traductions ont aussi joué un rôle dans la diffusion de ces constructions (p. 495) : « Le participe en apposition, avec la valeur d’une phrase relative, soit adjec-tive, soit déterminaadjec-tive, ne se trouvait guère en ancien français, sauf dans les traductions. […] A par-tir de Joinville, mais surtout au xive et au xve siècle, il devient commun. » Pour un aperçu de l’état de la question et d’un relevé des grammaires historiques qui traitent de la question des constructions absolues en français, voir Suzanne Hanon, Les constructions absolues en français moderne, Peeters, Louvain-Paris, 1989, p. 27–28.

7 M. Grevisse, op. cit., p. 357 : ‘des années durant’ : « durant est senti aujourd’hui comme une prépo-sition ; ancien prédicat d’un complément absolu, il a gardé de son origine la faculté de suivre son régime. ».

8 L’  «excellence » stylistique de Guillaume de Tyr a été maintes fois affirmée, entre autres par Rainer Christoph Schwinges, Kreuzzugsideologie und Toleranz, Stuttgart, 1977, p. 45. Pour les critiques à pro-pos du latin heurté de Guillaume, « à la limite de la correction grammaticale », voir l’introduction à la

« P r a e s e n t e c l e r o e t p op u l o »

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l’archevêque de Tyr est dans l’ensemble conforme aux règles classiques de la grammaire latine et l’on ne saurait en aucun cas parler de latin macaronique ou corrompu en évoquant son récit magistral sur l’histoire des neuf premières décennies du Royaume latin de Jérusalem, récit qui abonde en tout cas en abla-tifs absolus.

Dans le sillage de Koch-Oesterreicher, J. Müller-Lancé propose dans son étude diachronique sur les constructions absolues en latin et en français d’éta-blir deux pôles : le pôle oral (la langue de proximité), opposé au pôle écrit (la langue de distance), les deux étant reliés par des formes intermédiaires variées9.

Selon lui, les constructions absolues changent de valeur en diachronie : plus fré-quentes dans le discours direct en latin primitif et classique, elles deviennent plus rares dans le discours direct en latin tardif et médiéval. Cependant, cer-tains types de constructions absolues, telles que les constructions en chaîne, caractérisent en ancien français les textes formulaires dits à « oralité médiée »10.

Quant au français moderne, curieusement, les constructions absolues sont beau-coup plus fréquentes dans le style des médias, proches du langage parlé, que dans les véritables « belles-lettres » : ceci dit, cela étant fait et semblables formules ne relevant pas vraiment du style élevé, mais fonctionnant plutôt comme des clichés linguistiques d’un certain style journalistique.

Chronique par Huygens, op. cit., ainsi que l’essai de Monique Zerner dans Danielle Régnier-Bohler (éd.), Croisades et Pèlerinages, Récits, chroniques et voyages en Terre Sainte, xiie- xvie siècles, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 502.

9 Müller-Lancé, Johannes, Absolute Konstruktionen vom Altlatein bis zum Neufranzösischen, ein Epochenvergleich unter Berücksichtigung von Mündlichkeit und Schriftlichkeit, G. Narr, Tübingen, 1994, p. 11.

10 «Medial mündliche Texte», ibid., p. 178. Selon Haas « oiant toz », « veiant toz » etc. sont des locutions figées, les constructions absolues ayant un usage très restreint en ancien français et ne se répandant qu’à partir de l’époque du moyen français : « Die lateinische Konstruktion des absoluten Partizips hat im Altfr. eine grosse Einschränkung erfahren. Sie kommt immerhin vor ; z. B. : « helmes laciez » Rol.

1041. Meist sind es feststehende Ausdrücke : « oiant toz » (auch « oianz toz »), veiant toz, veiant tes ieux (Troie), und auch « oiant mil chevaliers », veiant gent. Eine Erweiterung der Verwendung des absoluten Partizips findet sich in mfrz.Zeit seit dem 14. Jahrhundert. Da wird er zu einer geläfigen Ausdrucksform. » (J. Haas Französische Syntax, Halle, Niemeyer, 1916, p. 321.)

t i va d a r Pa l á g y i

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