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CONSTRUCTIONS ABSOLUES CHEZ GUILLAUME DE TYR ET DANS SON

In document La joie des cours (Pldal 124-130)

ADAPTATION EN ANCIEN FRANçAIS

Le texte latin de Guillaume de Tyr comporte un grand nombre d’ablatifs abso-lus. Nous chercherons dans ce qui suit à présenter les tournures équivalentes employées dans la version française.

Comme on peut s’y attendre, l’ablatif absolu est souvent supprimé ou rem-placé par des propositions coordonnées. Ainsi, la phrase latine « cum autem in ea quinque viri essent […], uno occiso, reliqui quatuor se in mare praecipites dederunt »11 devient « cinq homes avoit dedenz la galie […], li uns fu ocis, li autre s’en eschaperent qui saillirent en la mer »12. « Uno occiso » est rendu par la proposition indépendante « li uns fu ocis ».

Dans un autre passage, la protection divine, exprimée par l’ablatif absolu de l’original (« protegente eos divina clementia »), est simplifiée et explicitée, dans la mesure où l’adaptateur se contente de nommer par métalepse la conséquence de la protection divine, à savoir que les navigateurs arrivent à bon port, sains et saufs, avec leurs bagages » (« o toutes leur choses ») : « Inde, ad oram maritimam redeuntes, Antiochiam, protegente eos divina clementia, sani et incolumes atti-gerunt » ; « puis tindrent la voie de la marine, si que tuit seint et hetiez, o toutes leur choses, vindrent en Antioche. »13

Ailleurs, nous avons à la place de l’ablatif absolu une proposition temporelle :

« quo facto » peut être rendu par « tantost comme ce fu fet »14. Le plus souvent, le style de l’ancien français est plus simple et surtout plus personnel. L’ablatif absolu (« his dictis » = « ces choses étant dites ») est remplacé dans l’exemple qui suit par un verbe conjugué qui concerne directement le lecteur ou l’auditeur :

« or vos lerons de cestui » (« nous ne vous parlerons plus de lui »). « His ergo dictis de domino Balduino, ad ea quae restant de majore exercitu dicenda, redeamus. »

« Or vos lerons de cestui ; si parlerons des ore en avant coment li granz oz se contenoit qui venoit apres. »15

11 RHC, I, p. 572 (x, 11).

12 Un autre exemple, parmi de nombreux autres : RHC, I, p. 992 (xx, 28) : « ecce nuntius proficis-centibus occurrit, dicens (sicut et verum erat) Noradinum salva urbe, obsidione soluta, ad propria reversum », où l’ablatif absolu combiné au participe conjoint dépendant du verbe de déclaration est traduit par plusieurs subordonnées.

13 RHC, I, p. 388 (Ix, 15).

14 RHC, I, p. 88 (II, 12).

15 RHC, I, p. 160 (IV, 6).

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Si l’ablatif absolu est souvent exprimé par des propositions coordonnées, il peut aussi être simplement omis dans la traduction. Ainsi, « missa legatione, a principibus inducias postulant » sera simplifié en « et demanderent treves por rendre la vile as barons »16, de même qu’une expression à l’ablatif absolu en début de chapitre, « soluta obsidione »17 reste sans traduction. Ailleurs, le traducteur semble plus scrupuleux et fait de son mieux pour rendre en ancien français deux ablatifs absolus enchaînés : « nostris videntibus, nec impedire valentibus » est traduit fidèlement par des propositions coordonnées : « Nos genz les veoient bien ariver à la cité et ne leur pooient desfendre »18.

L’ancien français connaissant toutefois l’usage – certes limité – des construc-tions absolues, il arrive au traducteur de garder la syntaxe de l’original latin :

« Qui autem ignem subjecerant, a nostris comprehensi, omnes ultore gladio confossi, suis cernentibus interierunt. » « Li Tur qui furent pris aportant le feu, furent mené en une place près de la vile, et lor coupa l’en les testes, voiant cels de Sur. »19 « Suis cernentibus » est traduit par « voiant cels de Sur », formule absolue qui n’est pas rare en ancien français20. On serait tenté de croire que le verbe latin

« cerno » est rendu ici par le verbe « veoir ». Cependant, la fréquence de l’expres-sion « voiant + substantif » doit nous mettre en garde, d’autant plus qu’elle figure même dans des passages en ancien français dont l’équivalent latin n’a pas de verbe de perception ou ne comporte même pas d’ablatif absolu. Ainsi l’ablatif absolu « praesente clero et populo » est traduit par « voiant le clergé et voiant le peuple »21. La même tournure latine est rendue ailleurs par : « praesente clero et populo » « voiant le clergie et tout le pueple »22.

Dans le même ordre d’idées, l’exemple suivant peut donner l’impression à première vue que le traducteur anonyme ajoute une construction ablative là où il n’y en a pas en latin : « tam dominus rex et comes, quam reliqui ejusdem vir-ginis cognati et amici, imperiales nuntios publice conveniunt, alterutrum duum proponentes » « Li quens leur dit, oïant touz, qu’il ne vouloit plus estre entre

16 RHC, I, p. 126 (III, 11).

17 RHC, I, p. 129 (III, 13).

18 RHC, I, p. 965 (xx, 15).

19 RHC, I, p. 569–570 (x, 10).

20 Cf. « voiant touz ses baron » dans le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes (éd. David F. Hult [Pochothèque, Paris, 1994], v. 2150, p. 781). Ailleurs dans le Roman d’Eracle, l’ablatif absolu avec

« cernentibus » est rendu par une proposition indépendante (« si que tuit le virent ») : RHC I, p. 525 (xII, 9) : « ecce turbo ab aquilone prodiens immanissimus, in medio belli campo, cunctis cernentibus haesit humi ; » « uns granz estorbeillons sourdi devers Bise et se mist entre eus eu milieu de la bataille si que tuit le virent. »

21 RHC, I, p. 404 (x, 3).

22 RHC, I, p. 388 (Ix, 16).

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deux de cele chose »23. L’énumération fastidieuse des personnes convoquées est évitée grâce à la formule passe-partout « oïant touz », mais cet « ablatif absolu » ne confère pas une allure véritablement littéraire à cette phrase, de tonalité en effet plutôt orale, notamment en raison du démonstratif « cele » devant « chose ».

Il ne s’agit donc pas ici de construction absolue calquée sur le latin et il semble justifié de penser à une fonction prépositionnelle que le participe « oïant » (et aussi « voiant ») aurait acquise en ancien français. Certaines variantes du texte français du Roman d’Eracle, où « voiant » et « devant » sont interchangeables, confirment aussi cette hypothèse : « devant els » est en effet une leçon alternative pour « voiant els », les deux pouvant correspondre au latin « cernentibus suis » :

« Iluec assembla Nostre Sires ses desciples et monta voiant [devant] eus au ciel le jor de l’acension, quant une nue le prist et s’en ala en haut avec lui » ; « Unde et Salvator noster, cernentibus discipulis, quadragesimo resurrectionis suae die est elevatus in coelum »24. Il est à remarquer que d’autres textes comportent la même expression « voyant tous » dans un environnement syntaxique particulier qui fait pencher pour le sens prépositionnel, équivalent à « devant », du participe figé « voyant ». Dans le Chevalier aux deux épées (roman courtois du premier tiers du xiiie siècle) figurent les vers suivants : « Il va prendre sans demorance / L’espee, et l’a voiant tous traite. »25 Nous avons affaire ici à une tmèse : dans le passé composé le verbe auxiliaire (« a ») est séparé du participe passé (« traite ») par l’expression « voiant tous ». Nous pouvons supposer que, vu le style général plutôt simple de cette œuvre narrative écrite en octosyllabes, la combinaison d’une tmèse avec une construction absolue est peu probable et qu’elle serait en tous les cas trop sophistiquée du point de vue syntaxique. Attribuer à « voiant tous » le sens de « devant tous » est donc plausible.

L’exemple suivant illustre la même duplicité stylistique dans le Roman d’Eracle. Une construction apparemment absolue, absente de l’original et donc créée de toute pièce (« voiant tous les barons ») s’accompagne d’une reprise pléonastique du sujet et du prédicat (« li jura » et « li princes li jura ») qui est propre au langage oral et peut a priori difficilement avoir sa place dans un texte écrit, si négligé soit-il26. « Tandem visum est arbitris […] quod dominus

prin-23 RHC, I, p. 875 (xVIII, 31).

24 RHC, I, p. 340–341 (VIII, 11).

25 Le chevalier as deus espees, in French Arthurian Romance III, éd. Paul Vincent Rockwell (Brewer, Cambridge, 2006), v. 10794–5, p. 536.

26 Le grammairien byzantin du ixe siècle, Georges Khoïroboskos (Chérobosque) définit de la manière suivante le solécisme : c’est une faute au niveau de la syntaxe et du discours, lorsque chaque mot en soi est correct (kalôs échousès), tout en étant employé irrégulièrement (ataktôs) et de façon inconséquente (sans suite, anakolouthôs) dans la syntaxe et dans le discours. L’exemple classique fourni par Khoïro-boskos est un nominatif absolu : « me promenant [pendant que je me promenais], le mur s’effondra ».

Georges Choïroboskos, Prolegomena et scholia in Theodosii Alexandrini canones isagogicos de flexione

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ceps […] in praesentia illustrium et inclytorum imperialis palatii, cum univer-sorum coetu procerum suorum, cum debita solemnitate et ligiam exhibeat fide-litatem ; juretque praestito corporaliter sacramento, quod domino Imperatori Antiochiam ingredi volenti, vel ejus praesidium, sive irato sive pacato, liberum et tranquillum non neget introitum. […] et jure perpetuo sibi et heredibus suis, tamen in beneficio, quod feodum vulgo dicitur, tranquille possideat. » « Puis s’en retornerent por aresnier le prince de la pès. Tant parlerent à lui en meintes manieres par qu’il poïssent estre acordé. Aucune parole fu trouvée à que les deux parties s’asentirent qui fu cele : que li prince ala el paveillon l’empereor, et, iluec, voiant tous les barons de Grece et de la princée d’Antioche, li fist homage lige de ses meins. Après ce li jura seur seinz que toutes les foiz que l’empereor voudroit entrer dedenz Antioche ou dedenz le donjon de la vile qui est desus el tertre, li princes li jura qu’il li leroit entrer ; et par pès et par guerre, par desus ce, li jura encore que se l’empereres pooit conquerre Halape et Cesaire, Hamanz et Enisse, et les baillast au prince por avoir totes quites : li princes par ce fesant rendroit à l’empereor Antioche pour tenir à tozjorz en son demeinne com son droit heritage, et l’empereres li promist toute s’aide et son conseill comme à son seingneur lige, et li creanta que se il pooit ces citez que ge vos ai dites, conquerre, il les li bailleroit à tenir en fié. »27 Notons que la reprise pléonastique du prédicat (« li jura ») peut être considérée comme une « marque fonctionnelle de l’oralité », car il s’agit d’une trace du processus de la communication réelle, non épurée après coup28. Le vrai caractère de la version en ancien français apparaît bien à travers l’exemple suivant. La traduction d’un triple ablatif absolu du latin nécessite plusieurs phrases, dont la première qui a une syntaxe particulièrement

nominum, éd. A. Hilgard, in Grammatici Graeci, Pars IV, vol. 1 [Leipzig, 1894], p. 103–104. Il est inté-ressant de noter que le nominativus pendens peut aussi apparaître en latin : dans notre corpus, la rétroversion latine de Pépin de Bologne, sous l’influence de l’ancien français, semble en effet oublier l’ablatif absolu. Texte latin de Guillaume de Tyr (RHC, I, p. 19 [I, 5]) : « Quod audientes judices, aliis absolutis, illum gladio exposuerunt. » Traduction en ancien français où l’ablatif absolu « aliis absolu-tis » est exprimé par une coordination et un verbe conjugué : « Quant il oïrent ce, si delivrerent touz les autres, et il seus ot la teste coupée. » Retraduction latine du texte français – légèrement abrégé par rapport au texte français du RHC – de Bernard le Trésorier (Bernardi Thesaurarii : De Accquisitione Terrae Sanctae », in Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. 7, (Milan, 1725), col. 666 : « Captus itaque a Barbaris, capite punitus est, caeteri liberati », où le nominatif « caeteri liberati », qui peut à la limite être considéré comme une forme elliptique de « caeteri sunt liberati », remplace l’ablatif « caeteris liberatis ».

27 RHC, I, p. 652–653 (xIV, 30).

28 Cf. Walter N. Mair, « Elemente gesprochener Sprache bei Robert de Clari, Überlegungen zum Pro-blem der Verschriftlichung im Altfranzösischen », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur 92 (1982), p. 197–198. Ces « reliquats » oraux d’ordre fonctionnel seraient avant tout les anacoluthes, les accords manqués et les reprises pléonastiques, dont on trouve aussi quelques exemples « spora-diques » dans la Conquête de Constantinople de Robert de Clari.

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relâchée avec la reprise pronominale de « couvenances ». « Sic itaque foedere completo, pace plenius restituta, vexillo imperiali super principalem praesidii arcem collocato, donis ingentibus cumulatus, cum suis princeps in civitatem est regressus. » « Après ces couvenances que ge vos ai dites, quant eles furent toutes acomplies, l’empereres fist moult grant joie au prince ; de moult biaux dons et de granz donna à lui et à ses barons, puis pristrent congié à l’empereor et s’en retornernet en la vile. » 29

Parfois, il est difficile de dire s’il s’agit en ancien français d’une construc-tion absolue inspirée par l’original ou de la tournure « voiant tous » équivalant à « devant tous ». « Voiant le seigneur d’Antioche et les granz homes de la ville, soufroient nostre gent tant de fain et tant de mesese come nos vous avons dit, ne por toutes ces choses ne vouloient oir parler de lessier le siege, ainz sem-bloit a leur contenance que li travaus ne leur grevast rien ; por ce comencierent mout a esmaier. Ansiaus et sa gent, par le conseil de ses plus privez amis, envoia messages et letres a ses riches voisins, et leur prioit mout efforciement que por honneur de leur loi, et por leur sauvement meismes, et por l’amor de lui, le seco-reussent sanz demeure. » « Interea cives Antiocheni, simul et eorum dominus, pro statu suo valde solliciti, videntes nostrorum longanimitatem et in laboribus perseverantiam, quodque nec fame nec frigoris inclementia ab incepto pote-rant revocari, sed inter tot molestias propositum continuare satagebant, mis-sis epistolis et crebris legationibus, principes finitimos in sui subsidium evocare contendunt, orantes et persuadere nitentes attentius, quatenus fratrum com-passione moti, eis opem maturare non differant. »30 Il y a ici une anacoluthe en ancien français : la construction participiale continue par une conjonction cau-sale pléonastique (« por ce »). Les deux propositions ayant chacune un sujet au pluriel, la phrase devient ambiguë. En latin on ne trouve pas d’ablatif absolu, mais une construction participiale (participe conjoint : « cives Antiocheni videntes longanimitatem »), tandis que dans la traduction en ancien français il semble que « Voiant le seigneur d’Antioche et les granz homes de la ville » soit une construction absolue à valeur causale : « puisque le seigneur d’Antioche et les grands hommes de la ville voyaient que les nôtres supportaient héroïquement les épreuves du siège ». Cependant, à la fin de la phrase, le même sujet est repris et la construction absolue n’a donc plus lieu d’être. Nous avons affaire ici à une phrase contaminée : l’influence du latin y est certes pour quelque chose, mais la fréquence du tour « voiant toz » a également dû contribuer à la naissance de cette phrase hybride. Il y a en revanche peu de chances que « voiant » au début de la phrase joue le rôle d’une simple préposition (« devant le seigneur d’Antioche »),

29 RHC, I, p. 653 (xIV, 30).

30 RHC, I, p. 194 (V,1).

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car le participe latin « videntes » suggère que son pendant français possède aussi une valeur participiale.

Nous avons vu que la fréquence des tours « voiant tous » et « oiant tous » s’ex-plique par l’influence de l’original latin : elle relève néanmoins tout autant du style personnel de l’écrivain-adaptateur ! En effet, « voiant tous » et « oiant tous » sont absents de la continuation du Roman d’Eracle (à partir du livre xxIII)31, cette dernière n’étant plus une adaptation du texte latin de Guillaume de Tyr, mais un texte sans doute directement rédigé en ancien français. On a toutefois la surprise de constater que d’autres tours « absolus », absents dans la première par-tie de l’œuvre, y font leur apparition en grand nombre, à savoir ceux construits avec « estant » et « donnant »32. Si dans l’adaptation de Guillaume de Tyr nous avons donc essentiellement des expressions figées avec les deux verbes de per-ception « ouïr » et « voir » (équivalentes en général à la préposition « devant »), dans les continuations, plus tardives, apparaissent des formules plus compli-quées, sans doute inspirées par le style administratif et juridique qui préfigure déjà la prose plus cérémonieuse du xive siècle33.

31 Pour la Geste des Chyprois (Chronique du templier de Tyr) et les continuations, voir la réédition en ligne, sur http ://www.fordham.edu/halsall/basis/GuillaumeTyr1.asp., de l’ancienne édition de Gas-ton Raynaud, Les Gestes des Chiprois : recueil de chroniques françaises écrites en Orient aux xiiie &

xive siècles, Paris, 1887.

32 « Estant ensi les Sarazins con je vos dis bien matin vos diray que meschance avint as crestiens»

(Geste des Chyprois, p. 351).

33 A propos de la diffusion progressive des constructions absolues en ancien français à partir du xiiie et surtout du xive siècle, nous avons déjà mentionné J. Haas, Französische Syntax, Halle, 1916, p. 321. Voir aussi sur ce point Hans-Dieter Bork, « Sprachkontakte : Latein und Gallo-Romania », in Romanische Sprachgeschichte, Walter de Gruyter, Berlin, 2006, tome 2, p. 1588 : « Absolute Konstruktionen hat das Romanische ererbt. Die Zahl der Fügungen nimmt im 13. Jahrhundert zu. »

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structur es sYmboliques

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