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Des Sô et de leur relation aux Brou

5. Quelques enseignements 130

5.4. Des Sô et de leur relation aux Brou

Et cela nous mène à la question du rapprochement des Brou aux Sô. Qui sont ces Sô? Peut-on se les représenter comme un groupe ethnique ayant une langue, une culture et une identité propres à eux qui les différencieraient nettement des Brou?

Examinons ces trois caractères les uns après les autres!

Tout d’abord la langue. Etant conscient du problème théorique de la délimitation des

«langues» et des «dialectes», nous devons néanmoins poser la question: est-ce que le Sô est une langue à part ou plutôt un dialecte Brou? Haudricourt, premier à aborder la question de ce qu’il appelle «des langues So-kuy», se basant sur les données de Macey et de Fraisse, parle de la langue «bien connue du moyen Mékong, le So...mais il faut également y rapporter les dialectes suiyants [= suivants, G.V.] connus par les mots recueillis par les mêmes auteurs: kha Tiari (ou Tiali ou khoai Tri), kha

Mong-90 Outre les sources citées, pour les Kalơ, voir encore Parkin (1991:88-89); Donner (1978:592-593); Seidenfaden (1958:120-121); pour les Sô, Seidenfaden (1943) et Kania and Kania (1979); pour les Bruu de Thaïlande, Theraphan (1979) et (1980).

khong (ou khoai Brô)...» (1966:137-138). Dans sa note 34, même page, il réitère:

«Des dialectes, ou des langues très voisines du So sont connues sous les noms de:

Van-kiêu, Ca-lơ, Ta-hoi, Toi-hoi, Kon-tu, Bru, Kha-tư « (1966:138). Abstraction faite des hésitations et des malentendus91 dûs à la connaissance élémentaire en 1966 de la situation linguistique de cette région, ce qui nous importe ici, c’est que pour lui tous ces parlers sont très proches les uns des autres, qu’ils soient

«langues» ou «dialectes». A la fin de son article, il est encore plus explicite et parle de «la langue So» comme ayant une expansion jusqu’à la mer, au Quang Binh et au Quang nam, c’est-à-dire que sous cette dénomination «langue So», il comprend les différents dialectes Brou.

Sur les cartes de Bradley (in: Wurm et Shorto, 1981) fondées sur un groupement lexicostatistique, les Sô et les différents sous-groupes Brou (Vân Kiêu, Khua, Mangkong, Tri) ainsi que les Kuy/Suaï, sont tous placés dans la «famille occidentale» du «Katuic stock» de «Katuic-Bahnaric superstock» du «Mon-Khmer Sub-Phylum», et présentés séparément les uns des autres. Nous le savons: dans ce type de classement, les langues dans une même famille peuvent partager de 50%

à 80% de mots communs (de vocabulaire de base) ce qui montre déjà une grande unité92. Par contre, on ne sait pas exactement si la séparation des différents parlers Brou au même titre que celle des Kuy/Suaï des Brou/Sô, repose sur des données empiriques ou sur une tradition non fondée linguistiquement. C’est que, selon nos propres expériences de terrain, il n’existe pratiquement pas de différence entre le parler des «Vân Kiêu» et celui des «Tri». Avec nos connaissances du premier nous avons pû mener des enquêtes approfondies sans problème parmi ces derniers. En fait, parmi nos meilleurs informateurs, il y avait deux personnes d’appartenance

«Tri». Pour nous, les «Vân Kiêu» ne sont que des Tri du Vietnam. C’est ce que dit, d’ailleurs, Ngo Duc Tinh également: «Une partie importante des Brou qui vivent au Vietnam sont, selon nous, des Brou Tri. Les Vietnamiens les appellent Vân Kiêu, Calo, Leu/Leung ou Moi...» (traduction d’A. Sebők) (1976:54). Le Makong est en revanche plus différent, mais même là, l’intercompréhension est possible: avec notre «Vân Kiêu», nous avons pu nous faire comprendre avec quelques difficultés.

Il ne peut, par conséquent, exister une différence aussi prononcée entre ces parlers qu’entre eux-mêmes et le Kuy/Suaï d’autre part.

Pour soutenir la thèse de la proximité «dialectale» des langues Brou/Sô, nous voudrions nous référer encore une fois à l’opinion des linguistes. M. Ferlus, énumérant les membres du groupe «katouique (sô-souei)», donne des équivalents,

91 Il énumère, par exemple, les Ta-hoi et les Toi-hoi, ainsi que les Kon-tu et les Kha-tu, comme deux populations différentes alors que ce sont deux façons à transcrire le nom d’une même population. Également, selon nos connaissances d’aujourd’hui, ces deux langues sont bien différentes de celle des Brou/Sô et peuvent être considérées comme des langues à part.

92 Selon l’ordre croissant des concordances, les langues d’un „phylum” contiennent 6% - 12% de mots communs (de vocabulaire de base); celles d’un «stock» 12% - 20-25%; celles d’une sous famille 20-25% - 50% et d’une famille 50% - 80%; tandis que les dialectes d’une même langue au dessus de 80%.

entre parenthèses, du nom «Bru»: «Sô, Mangkong, Chali/Tri» (Ferlus, 1996:9)93. Selon lui, les divergences y seraient plutôt d’ordre «dialectal», vu que leurs différences ne sont ni prononcées ni anciennes; si on prend par exemple la différence entre le Brou et le Tau-Oi comme celle existant entre deux «langues», alors celles entre les différents parlers Brou/Sô seraient sans aucun doute «dialectales»94. Et, pour finir, c’est en accord avec tout ce qui précède que Parkin écrit: «[le Brou] est une langue très proche du Sô, avec lequel il forme un groupe opposé au Souei-Kuy au sein du Katuique Occidental» [notre traduction] (1991:84).

Tournons maintenant notre attention vers la question de l’identité des Sô. Nous avons cité plus haut les données de Macey, de Fraisse et de Vuong Hoàng Tuyên qui semblaient être contradictoires et confuses au premier abord. Rappelons que ce premier présente les Sô dans un chapitre qui est intitulé «Sôs ou R’rekoué-B’brrô»

est que selon lui «les membres du groupe ethnique nommés Sôs par les Laotiens et les Siamois, se nomment eux-mêmes R’rekoué-B’brrô...» (1905:43). Faut-il le dire, ce «B’brrô» est équivalent au «Brou», tandis que R’rekoué signifie «personne» tout comme le mot Brou «koai». C’est-à-dire, ces soi-disant Sô ont une identité Brou.

De son côté Fraisse, en faisant une distinction théorique entre les Sô et les «Kha», et en soulignant que les premiers se considèrent plus «évolués» que les seconds95 (ce qui veut dire qu’ils ont une identité différente), a décrit néanmoins, sous le nom composé de «Sô + autre nom», les différentes ethnies montagnardes («Kha»), tel les sous-groupes brou, les Tri et les Mangkong. En fait, cet article, intitulé Les tribus Sô de la province de Cammon (1950/a) ne présente pas du tout les Sô, contrairement à son titre, mais les «Kha» de cette province, comme si les premiers n’existaient pas96. Ceci montre que le nom Sô peut avoir une signification «montagnarde» et que la différence entre «Sô» et «Kha» reste assez obscure. Dans son deuxième article Les tribus Sek et Kha de la province de Cammon, il décrit pratiquement les mêmes groupes, cette fois sous la dénomination «Kha». On voit bien que les deux ethnies signifient la même chose pour Fraisse (répétons: contrairement à ce qu’il dit) et que néanmoins, l’on peut être «différent» en ayant le même nom, la même langue et grosso modo la même culture. C’est ainsi que les «Sô Mankong» et les

«Kha Mankong» sont différents pour Fraisse, suivant ses informateurs.

Les renseignements de Vuong Hoàng Tuyên et d’autres chercheurs vietnamiens font écho à ceux de Fraisse. Pour le premier Sô «signifie, tout autant que Kuai, personne ou être humain. Nous les appelons Tri ou Mang kong, dans la langue vietnamienne.

Mais ces minorités s’appellent Sô Tri ou Sô Mang Koong, ainsi que Kuai Tri ou Kuai Mang koong» (traduction d’A. Sebők) (1963:124). Conformément au précédent, en

93 Il est à noter que les Vân Kiêu y font défaut.

94 Communication personnelle, 1997.

95 „Les So ne se considèrent pas comme des Khas...Ils s’estiment supérieurs aux Khas des montagnes” (Fraisse, 1950/a:175).

96 Il est à noter que Fraisse a dû passer par des informateurs Lao ce qui a pu contribuer à cette confusion.

parlant de ces ethnies vivant au Laos, il utilise les expressions «Kha Tri», «Sô Tri»

ou «Kuai Tri», et «Kha Mang koong», «Sô Mang koong» ou «Kuai Mang koong»

comme des synonymes. Nous avons vu également que pour Phan Huu Dat «les Sô...ne sont autres que des Khua....Le même groupe s’appelle au Laos Sô, tandis qu’au Vietnam Khua...» (1975/1998:481-482) et que pour Ngo Duc Thinh, «les Makong qui habitent surtout au Khammouane, ainsi que les Tri qui habitent surtout au Savannakhet....sont tous appelés par les Lao des Sô» (1976:55).

Les matériaux de Ferlus sont en parfait accord avec tout ceci. Nous citons ici quelques remarques de l’introduction à son Lexique Brou-Français non publié, de 1974. «Les Sô sont répandus dans la province de Kham Mouane, au niveau de Thakhek. Sô est un mot lao, ils se nomment eux-mêmes Bruu. Leurs voisins Sèk les appellent Sarôo. Ils ont adopté un bouddhisme superficiel. De nombreux villages ont des écoles. Les Sô vivent dans les plaines et les vallées intérieures, les montagnes de calcaire étant inhospitalières. A la suite des événements, ils sont venus nombreux se réfugier à Thakhèk.» Tout ceci concorde donc parfaitement et montre que d’un point de vue linguistique, il est bien difficile de distinguer les Sô des Brou.

En ce qui concerne maintenant leur culture, il est difficile de se prononcer, puisqu’il nous manque tellement de descriptions ethnographiques concernant ces populations.

Néanmoins, à en juger par les matériaux fragmentaires de Macey et de Fraisse, il existe bien des similitudes avec la culture des Brou tant dans le mode de vie que dans la culture matérielle, l’organisation sociale ou la religion. A propos de «l’état social, organisation du village et de la famille», Macey nous informe par exemple que: «Les Sôs modernes ont conservé quelques anciens usages des R’rekoué-B’brrô identiques à ceux qui ont été signalés chez les Khas Tiaris et Mong Khong; mais à côté de ces pratiques intimes ils ont adopté l’organisation familiale, sociale et politique des Laotiens...» (1905:47) - sans préciser cependant à quels «usages anciens» il se réfère.

Ces Sôs de Macey font des rizières dans les plaines et des essarts sur les collines, élèvent des buffles, des boeufs et des chevaux en petites quantités, du porc, et des volailles, sont d’excellent chasseurs et pêcheurs, boivent de l’alcool de riz avec prédilection etc. - tout comme les Brou, et ajoutons, tous les groupes montagnards.

En même temps «les Sôs...subirent l’influence laotienne, élevèrent leur moral et leur état social en adoptant peu à peu, les moeurs, le costume, la langue et les croyances religieuses de cette race» (1905:44). Ce profond changement de leur culture fut favorisé, selon Macey, entre autres par l’intermariage fréquent avec d’autres peuples.

«Il est résulté de cette façon de faire une fusion et une assimilation plus complètes et plus intimes, des Sôs avec leurs voisins, en même temps qu’une augmentation constante des individus du groupe» (1905:49).

Sans aborder la question expressément, Fraisse confirme les mêmes faits. D’après notre analyse, il décrit deux fois les mêmes populations sous deux noms différents qui, de par ce fait, sont pour lui identiques. Aussi, nous avons vu que dans les récits historiques cités, les «Sô» de Fraisse jouaient exactement le même rôle que les «Kha»

de la littérature précédente (voir Damprun et Malpuech) et que selon toute évidence, la culture de ces «Sô» présentait de nombreux détails en commun avec celle des «Brou»

ou «Kha» que nous connaissons (autels domestiques; autel forestier pour les

«âmes» des défunts récents, dong nsok; sanctuaire du village, lape; des épopées chantés avec accompagnement de flûte, sanot, etc.).

Finalement, une dernière confirmation de la similitude de la culture des Sô et de celle des Brou est due au capitaine Rivière dont Figure 75. (dans Malglaive et Rivière, 1902:277) légendé comme suit: «les objets figurant dans ce croquis pris à Ban-Khoc [un village de «Khas Sô», G.V.], servent à l’esprit protecteur de la maison, à son amusement, à son entretien et à sa défense», reproduit un autel très similaire à celui des chamanes Brou (voir illustrations n° 16, n° 47-52 et n° 58).

Ill. 47

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Ill. 49

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Ill. 51

Ill. 52

Bref, toutes ces données concordent et indiquent que la différence entre les “Sô”

et les groupes «Brou» est minimale. Mais alors, que signifie la constatation que les «Sô» ne sont autres que des populations d’origine «Kha», sous forte influence laotienne ou siamoise? Si les Sô sont une ethnie très proche des Brou, et si ce sont des

«Kha laocisés», ne serait-ce que les Sô sont simplement des Brou laocisés? De toute manière, la population «Kha» en contact immédiat avec les Sô dans les provinces de Khammouane et de Savannakhet sont majoritairement des sous-groupes Brou.

Ce sont donc nécessairement les Brou qui devaient être cette population «Kha» à l’origine des Sô. Il nous semble donc que du point de vue historique les Sô et les Brou constituent une même population. Les deux noms désignent deux sous-groupes ayant eu un développement divergent. Les Brou sont ceux qui sont restés plus ou moins préservés de la civilisation laotienne, et les Sô, ceux qui ont subi une forte influence lao. Leurs langues très proches, les traces d’une ancienne identité collective, et les restes d’une culture identique prouvent leur origine commune97. Ces conclusions sont par ailleurs en parfait accord avec celles des chercheurs vietnamiens qui, nous l’avons cité amplement, sont arrivés aux mêmes résultats à partir des recherches pionnières de Vuong Hoàng Tuyên en 1963, ou encore avec ce que Macey avait prononcé il y a à peu près un siècle: «Alors qu’ils étaient encore R’rekoué B’brrô, les Sôs étaient...etc.» (1905:47) ou, sous une autre forme, «les modernes Sôs ont conservé quelques anciens usages des R’rekoué B’brrô» (1905:48).