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D’autres militaires et explorateurs. Ch. Lemire et la question de la route

Bientôt après les explorations de Malglaive, en août-septembre 1892, une nouvelle expédition partit avec, comme chef, Charles Lemire (Lemire, 1894). Ses antécédents directs furent les conflits armés sur la frontière siamoise-annamite, en conséquence desquels en février 1892 un premier poste franco-annamite fut installé à Ai Lao, puis, en septembre de la même année, un deuxième, à Axoc.

Lemire fut envoyé dans la région pour rendre compte de la situation en vue de conjurer d’éventuelles nouvelles incursions siamoises29.

29 Pour une biographie de Lemire ainsi que la description détaillée de sa mission en 1892, voir Malleret, 1937.

Lemire mentionne comme fait évident et bien connu que «trois sentiers mènent de Cam-Lô au Mékong: L’un par Mai-Lanh, Lang-Con et Ai-Lao; c’est celui du sud et le plus fréquenté» (1894:13) [voir ill. n° 18]. C’est la route parcourue par Harmand. Un autre chemin part de Tam-Son au dessus de Cam Lo et, remontant la vallée de la rivière Cam Lo, et en passant par les villages de Chon Dong (= Dong Cho?) et Mot Bai (= Sabai) mène à Miet, d’où il repart pour Adoa (Ayoa), Lang-Sên et Xuong-Thanh. C’est la route médiane. Une troisième route, celle du nord relie le littoral à partir de Màu-Hoa, à travers Cugiong, Dagiong et Axoc à Tabang.

Lemire suit cette dernière jusqu’à Axoc, puis il recoupe en direction du sud-est, vers la route médiane qu’il rejoint à Lang Sen; de là, il continue dans la même direction, pour passer à travers Ayoa et Lambui/Miet, et arriver finalement à la route du sud, dans les environs de Khe Sanh d’aujourd’hui. De là, il continue son chemin vers l’ouest, jusqu’à Ai Lao (= Lao Bao), puis il revient sur ses pas pour retourner par la route du sud à Mai Lanh et au littoral.

Les points finals de son itinéraire, Axoc, Lang Sen et Ai Lao dessinent la frontière siamoise-annamite, et dans son rapport, il met tout naturellement l’accent sur les liens qui relient cette région au littoral, ainsi que sur le fait que malgré «les usurpations provisoires siamoises» les populations de ce territoire doivent être considérées comme des ressortissants de la Cour impériale de Hué - et par conséquent des colonisateurs français. C’est à ce propos qu’il explique aux notables du village Lang Ha à mi-chemin entre Lao Bao et Khe Sanh, que leur serment de fidélité au roi du Siam, en buvant l’eau consacrée à Ubon en Thaïlande devant le gouverneur siamois, est «prématuré et sans valeur» (1894:43) vu les traités en vigueur entre la France et le Siam. Par cet interlude, l’auteur nous fournit une de ses plus belles descriptions, concernant la cérémonie du serment, d’après ses informateurs.

La publication de Lemire est importante pour nous sur plusieurs points. Tout d’abord, il parcourt le territoire qui nous concerne avant tout, la région de Khe Sanh, dans tous les sens. Deuxièmement, il donne un bref, mais très utile résumé historique du processus de colonisation par les Vietnamiens de la région montagneuse, et de son organisation administrative. Troisièmement, il donne une description détaillée de son itinéraire, il mentionne beaucoup de noms de villages dont la majorité sont connus jusqu’aujourd’hui sous le même nom, ou peuvent être facilement identifiés;

et surtout: dans presque chaque village visité, il énumère le nombre des maisons et des familles, de leur buffles et d’éléphants - nous fournissant ainsi des données sociologiques irremplaçables. Quatrièmement, nous lui devons plusieurs descriptions uniques qui mettent en évidence la relation de vassalité entre montagnards et Siamois/

Annamites (comme par exemple la description du serment de fidélité au roi de Siam, mentionnée plus haut, ou les coutumes relatives aux brevets de nomination délivrés par la Cour de Hué - cette dernière description étant corroborée par nos propres données recueillies sur le terrain); ou d’autres qui peuvent être considérées comme les premières mentions de certains traits culturels très importants des Brou (comme par exemple la description sommaire des autels domestiques). Nous reviendrons plus tard sur certaines de ces questions concrètes.

Il n’est pas inutile ici de faire une petite digression à propos des routes menant du littoral (de Quang Tri, de Cam Lô etc.) vers l’intérieur du pays et la vallée du Mékong, mentionnées par Lemire et d’autres. Elles existaient évidemment bien avant l’arrivée des Français. Les premiers explorateurs ne faisaient en fait autre chose que de parcourir ces routes pratiquées par les Vietnamiens et les montagnards depuis des temps immémoriaux. Quant à leur histoire, nous savons peu de choses.

En 1282, les troupes mongoles, après avoir conquis le Vietnam et une partie de l’empire Cham, traversèrent la Cordillère au col d’Ai Lao pour arriver dans l’empire Khmer - ce qui suppose l’existence d’une voie. De la même manière, et bien plus tard, le royaume vietnamien sous le règne de Vo Vuong (1738-1765) et de Gia Long (1802-1820) a pris de l’extension aux dépens des principautés Lao à travers ce même col. Une source historique vietnamienne du XVIIIè siècle30 décrit en détail l’arrière pays de la région de Quang Tri et les routes en question, menant vers le Laos et la Thaïlande. La même source nous donne le premier renseignement sur le poste militaire de Lao Bao («dinh Ai Lao»), qui avait une petite garnison et six barques sur la rivière (Lê Quy Dôn, 1972-73:175-177). Ce fut l’empereur Minh Mang (1820-1841) qui ordonna la construction d’un pénitencier à Lao Bao (Ai Lao) pour des prisonniers vietnamiens chrétiens. De cette manière, 100-150 ans avant les Français, les Vietnamiens avaient développé et entretenu la route entre Quang Tri et Lao Bao (Hickey, 1993:140-141). Les routes menant de Cam Lô à travers Khe Sanh vers Lambuiq et Ayoa d’une part, et à Lao Bao d’autre part, sont mentionnées par Lemire comme «la route dite mandarine» ou «la route mandarinale», tracée sur l’ordre de l’empereur Tu Duc plus de 30 ans avant l’arrivée de Lemire sur place, c’est-à-dire vers 1860 (1894:33).

L’histoire du roi Ham Nghi prouve que cette route était réellement connue et utilisée par des Vietnamiens. Quand, le 5 juin 1885, les Français eurent pris la citadelle de Huê, le roi, âgé de 13 ans, ainsi que le Régent Thuyêt, s’enfuirent. D’abord ils se rendirent dans la capitale provisoire, fortifiée à l’avance à Tân So, près de Cam Lô.

Puis, étant donné que la route vers le nord sur le littoral était coupée devant eux, ils suivirent le chemin Cam Lô - Mai Lanh - Ai Lao - Tchépone - Muong Vang - Mahaxay, à travers les montagnes, c’est-à-dire la route parcourue par Harmand, Malglaive, Lemire et d’autres.31 Pendant deux ans, ils réussirent à se cacher et à se maintenir avec leur escorte dans le nord-ouest de Quang Binh et l’est de Cammon, avant d’être capturés le 1er novembre, 1888. Cette histoire montre clairement que les Vietnamiens avaient des connaissances exactes sur les territoires de l’autre côté de la Cordillère et qu’ils s’étaient servis de routes construites par eux-mêmes. De cette manière, la carte de Bourotte (1929), illustrant la route du roi Ham Nghi et celle de Lemire (ici, illustrations n° 18 et n° 19) ne diffèrent que par de petits détails32.

30 Phu Bien Tap Luc écrit par Lê Quy Dôn en 1776. Voir plus bas.

31 A partir de Muong Vang, nos sources diffèrent concernant le chemin suivi.

32 Pour tout ceci, voir Bourotte, 1929; Cadière et Cosserat, 1929; Pirey, 1914.

Ill. 19

Par rapport à l’ouvrage de Lemire, les données fournies par ses successeurs, Barthélemy et Lefèvre, sont d’ordre mineur. En 1894-95 (Barthélemy, 1899), puis 1896-97 (Barthélemy, 1901), ainsi que 1898-99 (Barthélemy, 1902 et 1903), le marquis de Barthélemy fit plusieurs voyages en Indochine. C’est pendant son voyage en 1896-97 qu’il toucha la région en question en passant par la route Savannakhet - Quang Tri, de la vallée du Mékong au littoral. Puisque selon lui, «nous étions désormais en pays absolument connu et sans grand intérêt» (1901:286), sur le peu de pages décrivant son itinéraire, il ne mentionne rien qui soit intéressant.

Ce n’est même que de la relation de son voyage postérieur en 1898-99 que nous apprenons le nom de la population qu’il avait fréquentée: «Le type moï de cette région est celui des Khâs-Leups (sic) que nous avions vus deux ans auparavant à Ai-Lao» (1904:37), explique-t-il à propos des habitants de Bao Rai, un village sur la rivière de Huê, où il rencontre les premier «Khàs», autochtones de cette région.

Ce voyage dont le but général est «de recueillir des renseignements intéressants sur la faune peu connue de l’Annam et d’ouvrir des voies nouvelles au travers des régions montagneuses et inexplorées, entre l’Annam et le Laos», ainsi que, plus spécialement, «de découvrir et signaler à l’Administration coloniale quelques villages moys nouveaux et d’apprendre à connaître le caractère de ces populations que nous allions visiter» (1902:145), le mène cependant vers des contrées plus méridionales, le territoire des Pakoh, des Tau-Oi et des Katu, puis, plus tard, parmi d’autres populations dans l’arrière pays de Da Nang et Quang Nam33. C’est ainsi que nous ne nous attardons plus sur son récit, typique de son temps et peu informatif sur tout ce qui nous intéresse.

En 1898, un membre de la mission Pavie, le docteur Lefèvre, traversa également le col de Ai Lao. Après avoir parcouru le Moyen Laos à partir de 1896, il suivit le Mékong pour arriver à Savannakhet, d’où il se rendit à la frontière vietnamienne à travers Se Tchampone, Muong Phong, Muong Phine et Tchépone. De là, il suivit le chemin bien connu jusqu’au littoral. Sa relation ne nous apporte pratiquement rien sauf la mention de trois noms de villages, «Lang Khone, Lang Khoaï et Vung Co», ainsi qu’une description habituelle des «Kha», «véritables sauvages», près d’Aï Lao où il passa une nuit dans une case: «vêtus seulement d’un pagne, petit morceau d’étoffe destiné à cacher leur nudité, les cheveux tombant sur les épaules, des physionomies aux traits rudes et accentués....L’unique pièce composant la case est remplie d’engins de pêche et de chasse, et au-dessus du foyer sont pendus quelques épis de maïs que l’on fait fumer. Malgré leur aspect peu agréable ces Kha me montrent un empressement touchant. Ils me réservent la meilleure place, près du feu qu’ils raniment....»(1898:172-173).

33 Le point de départ de ce voyage, „Huong Hoa (Duong Huu de la carte de M. Pavie)»

(Barthélemy, 1902:146), au bord de la rivière de Huê, est à ne pas confondre avec Huong Hoa = Khe Sanh, chef lieu de la région habitée par les Brou, plus au nord.

1.6. De l’exploration à l’ethnographie. Les tentatives de l’EFEO vers «un