• Nem Talált Eredményt

Les sources historiques

3. La littérature vietnamienne

3.1. Les sources historiques

Notre aperçu resterait incomplet sans l’examen de la littérature vietnamienne52. Si une partie en est malheureusement inaccessible pour nous, limitant ainsi notre tour d’horizon, les tendances et les principaux résultats y sont clairement visibles.

Les écrits les plus anciens contenant des données éparses mais précieuses sur les Brou sont des oeuvres historiographiques comme O châu cân luc, Phu biên tap luc etc., ainsi que les annales historiques et chroniques de la cour impériale de Hue53 etc. Le dépouillement et l’exploitation systématique de ces sources du point de vue ethnologique n’a pas encore été malheureusement entrepris par les ethnographes vietnamiens. Pourtant, ils contiennent une mine d’informations sur la pénétration des Vietnamiens sur les hauts plateaux, sur leurs relations interethniques avec les montagnards, sur leurs connaissances géographiques, culturelles, commerciales et militaires de cette région et de ses habitants - même s’ils ne constituent pas des sources ethnographiques à proprement parler.

Selon nos connaissances54, la plus ancienne entre elles contenant une mention de la région des Brou (sous forme de Viên Kiêu) est O châu cân luc. Ecrit vers 1553 sur la base de sources plus anciennes par Duong Van An (1513-1591), mandarin et lettré originaire de la région de Quang Binh, chargé de plusieurs fonctions ministérielles sous les Mac (1533-1592), le titre de ce livre (Description de [la région de, G.V.] O châu) 55 demande une explication. O châu (et Ri châu) furent des provinces chams données en 1306 par le roi Chê Man à l’empereur vietnamien Trân Nhon Tông en guise de compensation matrimoniale pour la fille de ce dernier, Huyên Trân, épousée par le roi cham. Un an plus tard, en 1307 ces deux provinces, devenus préfectures et couvrant grosso modo la région de Quang Tri - Thua Thiên d’aujourd’hui, furent

52 Nous remercions encore une fois notre ami, Attila Sebők, de son aide précieux dans la traduction de ces textes. (Voir l’introduction.)

53 Par exemple Dai Nam thuc luc, 1962-1978 ou Dai Nam liêt truyên, 1993. Le premier, ayant plus de 40 volumes énumérant les événements au jour le jour, n’a pas pu être dépouillé par nous. Quant au deuxième, bien qu’il traite, dans les livres 130 à 133, de la région nous concernant, il ne contient pratiquement rien sur les Brou.

54 Nous remercions encore une fois le professeur Nguyên Thê Anh (École Pratique des Hautes Études, IVe Section: Sciences historiques et philologiques; Laboratoire «Péninsule Indochinoise», CNRS-URA 1075) de son aide précieuse dans l’interprétation de tout ces documents historiques. (Voir l’introduction.)

55 La préface de cet ouvrage date de 1555. Nous remercions Nguyên Thê Anh pour ces données concernant Duong Van An.

rebaptisées par l’empereur vietnamien Thuân Châu et Hóa Châu56 (ce qui est devenu plus tard, par contraction, Thuân Hóa)57. L’importance du point de vue historique de cette alliance matrimoniale est qu’à travers ces deux préfectures nouvellement acquises, la dynastie des Trân (1225-1400) a réussi à pousser les limites de sa souveraineté jusqu’à la province de Thua Thiên d’aujourd’hui.

Vu la date reculée de la parution d’O châu cân luc , il contient naturellement peu de données concernant les Brou: la pénétration des Viet dans la zone montagneuse est un phénomène plus tardif. Néanmoins, c’est ici que le nom Viên Kiêu dont l’ethnonyme Vân Kiêu prend, selon toute probabilité, sa source (voir plus tard), apparaît pour la première fois dans la littérature (1961/I.:17). Fait important, il y est mentionné comme «source»58 et «forêt» à Hai Lang59huyên (sous-préfécture), Triêu-phong60 phu (préfecture), Thuân Binh61 châu (district indigène, «montagnarde»), c’est-à-dire comme une région non-habitée, «sauvage»; par conséquent le nom Viên Kiêu ne figurera pas plus tard parmi les huyên (sous-préféctures) et xa (communes) énumérés. Cela renvoie, selon toute probabilité, au fait qu’à cette époque la région habitée par les Brou n’était pas encore soumise et organisée en unités administratives. A en juger d’après les produits locaux cités, typiquement forestiers et montagnards, mentionnés également plus tard comme articles de tribut, il semble néanmoins que toute la région montagneuse du Thuân Binh devait être au moins nominalement vassale.

Une source plus tardive, par conséquent plus détaillée, est Phu Biên Tap Luc [Mélanges sur le gouvernement des marches] de Lê Quy Dôn (1725-1784).

L’auteur, illustre homme politique de la dynastie des Lê (1428-1788), envoyé en Chine, mandarin, lettré, philosophe néo-confucianiste, historiographe, etc., a rédigé ses Mélanges «à la suite de la reconquête [en 1775-1776, G.V.] par les seigneurs Trinh, qui gouvernaient le Nord-Vietnam au nom de la dynastie impériale des Lê, des provinces du Thuân-Hoa et du Quang-Nam, considérées comme les marches de l’Empire vietnamien et perdues depuis deux siècles du fait de la dissidence des seigneurs Nguyên, qui s’étaient érigés en dynastes pratiquement indépendants dans le Sud. Lê Quy Dôn y joua un rôle actif, puisqu’il participa à la direction de l’armée d’occupation» (Nguyên Thê Anh, 1979:499), puis, en qualité de gouverneur militaire des provinces reconquises, à la réorganisation administrative de ces dernières. «Chargé de rétablir, avec la restauration des institutions impériales, une ‘administration

56 Thuân Châu correspond à la partie sud du Quang Tri; Hóa Châu au Thua Thien actuel (voir Nguyên Thê Anh, 1990:19, note 30).

57 Thuân Hóa: nom générique désignant la seigneurie des Nguyên dont les limites se déplacent dans le temps jusqu’à Quang Nam. Au sens strict il couvre la région de Huè. Nous remercions Nguyên Thê Anh pour cette information.

58 Nguôn = amont, c’est-à-dire «source» signifie dans ce contexte une «région où un cours d’eau prend sa source». Nous remercions Nguyên Thê Anh pour cette information.

59 Aujourd’hui la même sous-préfecture dans la province de Quang Tri.

60 Aujourd’hui la province de Quang Tri.

61 Thuân Binh est une région plus large que Thuân Hoa (voir note 50.). Elle couvre grosso modo les territoires de Quang Binh, Quang Tri et Thua Thiên d’aujourd’hui.

harmonieuse’ dans le Sud» (Nguyên Thê Anh, 1979:499), et «à l’instar d’un fonctionnaire curieux de Bonn de l’Allemagne de l’Ouest faisant un tour en Allemagne de l’Est en 1991, puis s’installant à Leipzig pour décrire tout ce qu’il avait vu» (Woodside, 1995:158) [notre traduction, G.V.], Lê Quy Dôn nous fournit dans ses Mélanges un tableau complet de l’organisation politique, économique et sociale des provinces méridionales que deux siècles d’indépendance avait rendus très dissemblables du Nord des Lê et des Trinh. Un chapitre entier y est consacré, entre autres, à la description de l’administration des hautes régions, c’est-à-dire de tout le hinterland «Moï» de ces provinces, y compris la région de Khe Sanh - Ai Lao qui nous concerne avant tout, ainsi qu’à celle de la réglementation des impôts sur les bacs, marchés, mines de métaux et des transports. C’est ici, que la «source»

Viên Kiêu (1972-73/Vol.1.:148), mais aussi plusieurs fois le «poste militaire»

(1972-73/Vol.1.:178 et Vol.2.:19) et le «nguyên62» (canton, district) (1972-73/

Vol.2.:19) portant le même nom sont mentionnés. Lê Quy Dôn les situe, comme Duong Van An, à Hai Lang huyên, Triêu Phong phu, Thuân Binh châu. Qu’on y prête attention: la répartition et la dénomination administrative de la région n’a pas changé pendant les deux siècles passés, mais autour de la «source» il y a un poste militaire et une unité administrative. Ceci montre clairement que la pénétration et la colonisation vietnamiennes sont en cours. Lê Quy Dôn nous informe également sur le nombre des tông (canton) et xa (commune) constitutives du huyên Hai Lang:

7 tông et 55 xa, malheureusement sans leur nom. Plus tard, dans les parties sur l’impôt public et privé, il décrit en détail la taxe annuelle payée par le nguyên de Viên Kiêu (1972-73/Vol.2.:19). Il énumère également les plantes cultivées et les animaux élevés dans cette région (1972-73/Vol.1.: 148).

A part ces détails très précieux, strictement relatifs à la région de Khe Sanh, il nous fournit des données plus globales. Il mentionne par exemple l’existence de routes commerciales, à partir de Cam Lô (sur le littoral) jusqu’à la vallée du Mékong (la route qui est devenue plus tard celle dite «coloniale» N° 9.), et plus loin, jusqu’à Lakhone (en Thaïlande) et à Vientiane (au Laos); ainsi que les distances en jours de marche qui en séparent les différentes étapes (1972-73/Vol.1.:176). Ailleurs, il donne une liste des produits échangés: des produits agricoles et forestiers montagnards (riz sec, poulet, buffle, ramie, cire, bambou, l’écorce de l’arbre gio, textiles etc.) contre les produits de la plaine (sel, nuoc mam, poisson séché, articles métallurgiques, pots en cuivre et en bronze, bijoux en argent, bracelets etc.) (1972-73/Vol.2.:13). Il mentionne également les éléphants des «Man»63, selon toute probabilité les Brou, utilisés pour transporter les fardeaux. Les Brou ayant régulièrement visité les marchés de Khe Sanh et de Cam Lô et servi comme intermédiaires dans le commerce avec leurs éléphants (fait décrit par beaucoup de nos sources anciennes et corroboré par nos propres recherches), ces passages nous permettent de reculer les faits synchroniques ethnologiques au moins deux-trois siècles en arrière. Quant aux autres détails, une

62 Le nguyên de la zone montagnarde est l’équivalent de tông (canton, district) des plaines.

63 Terme chinois dépréciatif désignant „sauvage”, utilisé pour les montagnards en général.

bonne partie du Phu Biên Tâp Luc est consacrée à la description de l’infrastructure militaire et administrative de la région. C’est ainsi, que Lê Quy Dôn décrit le poste militaire d’Ai Lao ayant une petite garnison et six barques sur la rivière de Tchépone (1972-72/Vol.1.:177) ainsi que d’autres postes militaires de la région, comme Viên Kiêu ou Ba Trang. D’après leur nombre et leur répartition, les Viet sont déjà en possession de la région jusqu’à la ligne de crêtes de la Cordillère Annamitique; les frontières avec le Laos sont grosso modo celles d’aujourd’hui.

Nous ne pouvons pas nous attarder davantage sur tous ces détails précieux. Le dépouillement et l’évaluation de toute la littérature historiographique64 dépasse largement les limites de notre essai et reste à faire. L’analyse préliminaire de ces deux sources peut-être les plus importantes a pu cependant montrer la valeur de cette littérature, jetant une lumière sur la période la plus reculée de la relation inter-ethnique des Brou avec les Viet, prêtant ainsi une dimension historique aux faits ethnologiques synchroniques.

3.2. La littérature ethnographique. Les pionniers: Vuong Hoàng Tuyên et