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Acta Romanica Quinqueecclesiensis IV. La publication du Département d’Études Françaises et Francophones Université de Pécs Faculté des Lettres

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Acta Romanica Quinqueecclesiensis IV.

La publication du Département d’Études Françaises et Francophones

Université de Pécs

Faculté des Lettres

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Acta Romanica Quinqueecclesiensis

Panorama

des études françaises en Europe centrale

sous la direction de Adrián Bene

Pécs 2017

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Acta Romanica Quinqueecclesiensis

Rédacteur de la collection : Adrián Bene

© Rédacteurs

© Auteurs

Éditeur :

Département d’Études Françaises et Francophones Faculté des Lettres

Université de Pécs

ISBN : 978-963-429-144-2 ISSN : 2498-7301

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Table des matières

INTRODUCTION ... 7

LITTERATURE

MARCELA POUCOVA :Beniowski ou Les exilés du Kamchattka ... 11 PETER BERECZKI :Les rayons obliques du soleil couchant. Réfléxions sur les descriptions d’Eugène Fromentin dans Dominique ... 19 BARBARA MIKLOS :Créateurs et créatures dans la littérature fantastique : questions sur la vie et la mort à propos de L’Eve future de Villiers de l’Isle- Adam ... 27 ZUZANA MALINOVSKA :Du roman familial au récit de filiation ... 37 ADRIAN BENE :Intertextualité et réflexivité chez Mauriac. Le récit et la vie dans Un adolescent d’autrefois ... 45 KUPCIHOVA KATARINA : Ducharme, le charmeur de mots ... 57 JAN DRENGUBIAK :Le thème de la langue dans les premiers romans de Richard Millet ... 65 KAROLY SANDOR PALLAI :« Soudain un nuage avala le soleil ». Identité et altérité dans l’écriture de Jean-François Samlong ... 77

HISTOIRE, CULTURE, CIVILISATION

ENIKO SZABOLCS :La ruine dans le Salon de 1767 de Diderot ... 93 VACLAVA BAKESOVA : Phénomène des conversions au catholicisme parmi les intellectuels en France au tournant du XIXe et XXe siècle ...107 LUCA MOLNAR : L’évolution de la hiérarchie des genres picturaux en France entre 1667 et 1737 ...115 KRISZTIAN BENE : Les Français libres et les collaborationnistes dans le même camp. Le Bataillon d’infanterie légère d’outre-mer en Indochine ...129

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DANIEL VOJTEK : Quelques remarques sur la traduction slovaque d’un article du recueil « L’Image de la famille dans le roman contemporain d’expression française » ...143

ATELIER

ANNA MERCZEL : Les troupes coloniales françaises dans la Seconde Guerre mondiale ...151 RAPHAËL ÁKOS SZABO : Introduire le français non-conventionnel en classe de FLE, une possible solution pour davantage rapprocher les élèves de la langue cible ? ...165

COMPTES RENDUS

KATALIN BARTHA-KOVACS : Miroirs et reflets (Arnaud Buchs, Diderot et la peinture) ...171 KRISZTIAN BENE : L’image de la Hongrie dans les récits de voyage français (Géza Szász, „Ki fog itt segíteni?” A reformkori Magyarország képe a francia útleírásokban) ...175 ADRIAN BENE : Marxisme, existentialisme, sociologie réflexive (Tibor Szabó, Le sujet et sa morale. Essais de philosophie morale et politique) ...179

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Introduction

Le quatrième tome de notre collection est consacré à la présentation de la coopération scientifique internationale mutuellement fructueuse parmi les romanistes hongrois, slovaques et tchèques en Europe centrale. Pendant la dernière décennie, plusieurs occasions ont permis la rencontre de ces chercheurs lors des colloques tenus aux départements d’études françaises de l’Université de Pécs, de l’Université de Szeged (en Hongrie), de l’Université de Prešov (Slovaquie), de l’Université de Brno et de l’Université de Bohême de Sud à České Budějovice (République tchèque), mais on pourrait également mentionner les Universités d’Été de l’Association Jan Hus organisées régulièrement par des collègues slovaques et tchèques.

La première prise de contact a eu lieu en septembre 2010, lors du colloque intitulé Europe centrale, carrefour des cultures dans la tradition littéraire II organisé par le Département de langue et de littérature françaises de la Faculté de Pédagogie de l’Université Masaryket, et par l’Université de Picardie Jules Verne à Brno. Ensuite, plusieurs autres occasions ont renforcé la collaboration scientifique entamée. Pour ne mentionner que quelques-unes, nous pouvons évoquer les colloques tenus en Tchéquie (le 26e colloque international François Mauriac. « J’avais une parole à transmettre » en mai 2012 à Brno ou la XXIIe Université d’été de l’association Jan Hus.« Nature(s) » à l’Université de Bohême du Sud à České Budějovice en juillet 2013) et en Slovaquie (la XXVe Université d’été de l’association Jan Hus.

« L’enfant » en juin 2016 à Kokosovce ou le colloque intitulé La culture française a-t-elle encore une influence dans le monde d´aujourd´ hui ? en octobre 2016 à Presov). En même temps, il est à mentionner également que les départements francophones des Universités de Pécs et de Szeged sont liés par plusieurs rapports professionnels et personnels ne cessant pas d’améliorer pendant les dernières années grâce à l’ouverture des collègues concernés dans les deux institutions.

Ces relations ayant déjà un certain passé ont incontestablement contribué à la création d’un réseau scientifique interrégional regroupant une partie des chercheurs francophones des pays de Visegrád.

Considérant l’état actuel des choses, le présent livre prouve indéniablement que cette collaboration est vivante et pleine d’énergie.

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Les écrits suivants sont classés dans un ordre chronologique par rapport à leurs sujes respectifs. La diversité des thèmes abordés témoigne de la vitalité des études romanes et surtout de la philologie française au sein des établissements scientifiques et d’enseignement de l’Europe centrale. Nous espérons que la parution de ce volume peut contribuer à l’enrichissement de cette collaboration précieuse ayant certainement une suite grâce à l’effort commun des établissements concernés.

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LITTERATURE

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Marcela Poučová

Beniowski ou Les exilés du Kamchattka

Maurice Aguste de Beniowski is a common personality of the history of three countries, Hungary, Poland and Slovakia. He was born in Hungary in the territory of the actual Slovakia, belonged to the Polish noblesse and fought for the freedom of Poland. His memories written in French and English were published in several European countries and inspired a number of playwrights. This study summarizes and analyzes the play of Alexandra Duval entitled Beniowski, ou Les Exilés du Kamchattka which had a great influence on the public in the 19th century.

Introduction

L’origine « centre-européenne », ainsi que l’histoire mouvementée de sa vie, ont fait du personnage historique, le compte Maurice Auguste de Beniowski (1746-1786), le héros national de trois pays. Durant le XIXe siècle, l’identité historique voire nationale de Beniowski se constitue dans ces trois pays non pas à l’aide de la connaissance détaillée de sa vie et de ses gestes, mais à partir de son identité littéraire. Actuellement les Hongrois, les Polonais et les Slovaques perçoivent le personnage de Beniowski surtout dans les circonstances historiques. Mais il faut avant tout associer les bases de cette perception avec l’image littéraire de Beniowski développée systématiquement depuis la fin du XVIIIe siècle dans les pays des langues et cultures différentes c’est à dire en Angleterre, en France et en Allemagne.

L’article qui suit voudrait présenter comment l’image littéraire de Beniowski a été travaillé dans l’opéra-comique Beniowski ou Les exilés du Kamchattka sorti en 1800 de la plume d’Alexandre Duval. Une pièce directement inspirée de Graf Benjowsky oder die Verschwörung auf Kamtschatka (1795) de l’auteur allemand Auguste von Kotzebue.

Les faits historiques

Pour nous rappeler les faits historiques : Le comte Maurice Auguste de Beniowski, magnat de Hongrie et de Pologne, naquit en 1746 dans l’actuelle Slovaquie qui, à l’époque, appartenait au territoire hongrois et faisait partie intégrante de l’Empire d’Autriche. A la fin des années 1760, Beniowski vécut en Pologne chez un de ses parents et en 1769 il participa à l’insurrection des États confédérés de Pologne (la Confédération du Bar) contre la tzarine Catherine II. Après avoir été fait prisonnier par les Russes et s’être évadé pour la première fois, il fut envoyé au Kamtchatka, l’endroit le plus hostile de Russie, où on envoyait les pires ennemis du

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pouvoir tzariste. Beniowski sans hésiter un instant, réussit à s’en évader sur un vieux bateau commerçant avec quelques dizaines d’autres exilés.

En 1772, après avoir fui la captivité russe et traversé l’Océan Arctique, croisé les côtes japonaises, Formosa et Macao, Beniowski s’est rendu en France. De là, soutenu par les promesses de Louis XV, mais sans financement, il repartit pour Madagascar (qu’il avait visité brièvement en chemin vers la France) afin d’y fonder un établissement colonial. En 1779, il revint en France dans le but de réclamer des ressources nécessaires pour poursuivre son entreprise malgache. Il se heurta à un refus total. Il fut tué par les soldats français en 1786 lors de son retour sur l’île de Madagascar, où il prétendait reprendre ses fonctions d’ampansacabé, c’est à dire de roi des tribus malgaches.1

Auguste von Kotzebue et les Mémoires de Beniowski

Les Mémoires de Beniowski écrites pour soutenir son projet malgache dans les années 1880 sortent pour la première fois en 1790 en traduction anglaise et deviennent immédiatement un immense succès. L’édition française (l’original fut écrit en français) date de 1791. « Devenu un vrai best-seller européen au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, l’ouvrage constitue un fond pour une abondante fiction littéraire florissant un peu partout en Europe dès la fin du XVIIIe siècle. »2

Le succès incontestable de ses Mémoires attire aussitôt l’attention des professionnels littéraires sur la thématique. De son temps, Kotzebue fut l’un des auteurs dramatiques les plus célébres. Le dramaturge allemand (1761-1819) avec un retentissement européen est le premier à saisir l’occasion et la conception littéraire de Beniowski influença toute production postérieure sur ce thème.

Sa pièce Graf Benjowsky oder die Verschwörung auf Kamtschatka sortie en 1795 n’est actuellement pas considérée parmi ses plus grandes réussites.

En revanche ce fut celle qui suscita l’intérêt du public et d’autres auteurs européens. Remaniée à plusieurs reprises pendant le XIXe siècle, elle contribua de façon considérable à la naissance du mythe historique de Beniowski en Pologne, en Hongrie et en Slovaquie - les pays où Beniowski naquit, vécut ou dont il métrisait les langues.

Il est difficile de savoir comment Von Kotzebue fit connaissance des Mémoires et pour quelle raison décida-t-il d’en utiliser un épisode. Il est néanmoins connu qu’il séjourna à Paris en 1790, c’est à dire plus ou moins au moment de la parution des Mémoires et vu l’intérêt du public, il n’hésita

1 Pour les détails de la vie de Beniowski voir par exemple Kajdanski 2010 ou Bosák – Kýska 2007.

2 Poučová 2012 : 93. L’original de la version anglaise est directement accessible sur le site de World Digital Library : http://www.wdl.org/en/item/2547/ (Consulté le 15 mai 2017).

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pas à saisir l’occasion. Le choix d’intrigue montre son flair de dramaturge de génie. De toutes les aventures dont les Mémoires de Beniowski débordent, il choisit le moment de l’insurrection des exilés à Bolchereck en Sibérie. Un moment d’action fort dont la construction cependant ne requière pas une représentation théâtrale compliquée à outrance. L’auteur tire davantage de la fantaisie abondante de Beniowski est tisse la trame de la pièce sur le topos de l’amour contrarié entre Beniowski et la belle Anastasie qui figure dans les Mémoires mais elle fut probablement inventée par lui-même.

En effet, Kotzebue remanie seulement un peu l’histoire décrite par Beniowski lui-même pour assurer à sa pièce l’impression de la description fidèle des faits réels. Cette stratégie fut très réussie parce que l’histoire telle quelle fut reprise ensuite par différents auteurs européens qui adaptèrent la pièce selon leur besoins.

Beniowski, ou Les Exilés du Kamchattka d’Alexandre Duval Un des premiers qui s’inspira de la pièce de Von Kotzebue fut un autre auteur à succès, Français Alexandre Duval. Alexadre Duval (1767-1842), membre de l’Académie française depuis 1812, fut lui aussi un auteur à la mode qui puisait souvent les sujets de ses nombreuses pièces dans les événements historiques réels remaniés pour plaire au public de la Comédie- Française ou accompagnés de la musique pour le public de l’Opéra-comique.

Ses premières pièces datent des années 1790, la pièce sur Beniowski, jouée pour la première fois en 1800, appartient ainsi à ses premières œuvres .

Duval, directement inspiré par Von Kotzebue, ne se contenta que de traduire le titre de l’allemand : Beniowski, ou Les Exilés du Kamchattka.

Pourtant, dû au fait que le sujet fut conçu comme un opéra-comique3, Duval le modifia aux besoins du genre.

La description et l’analyse de la pièce

Le premier des trois actes introduit sur la scène Stéphanow qui, dans un monologue d’ouverture, confesse sa haine envers Beniowski. Celle-ci causée par sa réussite auprès d’Aphanasie, la nièce du gouverneur ainsi que par les sympathies que Beniowski gagna parmi les exilés qui le mirent à la tête des préparations de l’insurrection. Le dialogue suivant que mènent Stéphanow et Geslin présente Beniowski comme un personnage extraordinaire qui « a l’art peu commun de plaire à tout le monde. » Lors de la troisième scène, Beniowski assure les exilés rassemblés de mener leurs plans jusqu’au bout et, grâce à un soulèvement général, de s’emparer

3 Le Petit Robert 2013 caractérise l’opéra-comique comme « drame lyrique, généralement sans récitatif, composé d’airs chantés avec accompagnement orchestral, alternat parfois avec des dialogues parlés. ». Voir Le Petit Robert 2013, p. 1745.

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des navires locaux pour s’évader par la mer. Cette réunion est interrompue par l’arrivée du gouverneur en personne qui dans un entretien amical avec Beniowski lui annonce sa libération et le prépare au mariage avec sa bien aimée Aphanasie. Beniowski se retrouve dans une situation délicate. D’un côté, bloqué par son serment donné aux conjurés, de l’autre, il est ému par la gentillesse du gouverneur et l’amour d’Aphanasie. La situation est compliquée par Stéphanow, poussé par la jalousie le lendemain au moment du mariage, trahit la conjuration et révèle tout au gouverneur.

Entre-temps, les insurgés trompés par Stéphanow attaquent la ville.

Beniowski se retrouve au centre du combat dont les deux parties adversesse désintéressent. Déchiré par son estime envers le gouverneur et son amour pour Aphanasie d’un côté et le sens du devoir et le désir de liberté de l’autre, Beniowski se met, à la scène finale du troisième acte (qui confirme la victoire des insurgés dirigés finalement par Geslin), à genoux devant le gouverneur et lui demande son absolution et son amitié. Ensuite, il se sauve avec ses camarades et Aphanasie en prenant la mer.

Les raisons qui ont mené Duval à réutiliser le sujet semblent assez claires. A l’époque, le public français était attiré par la thématique des récits de voyages et la version française des Mémoires de Beniowski était un best-seller. Le succès semblait alors être garanti. En même temps, le personnage de Beniowski se prêtait volontairement à une utilisation artistique libre. James Cook ou La Pérouse étaient tout comme Beniowski des personnages historiques, contemporains et auteurs de récits de voyages très connus. Mais les deux premiers furent intégrés dans les structures étatiques et les résultats de leurs missions faisaient la fierté nationale. Pour cette raison, il était impossible de prêter librement leurs exploits à la fiction littéraire. Par contre, pour les autorités de la monarchie absolue française, Beniowski représentait un personnage énigmatique.

« On ne pouvait le rattacher à aucune structure fiable (famille, école, armée ou commerce illustre) capable de garantir sa loyauté. Ensuite, son individualisme et son absence de respect des autorités quelques qu’elles soient (traits caractéristiques de la noblesse hongroise et polonaise de l’époque) ne pouvaient qu’effrayer les représentants des structures monarchiques établies sur une base hiérarchique et l’avancement de l’ancienneté comme c’était le cas en Autriche, en Russie ou en France. »4 Pour cette raison ses exploits de voyageur furent constamment marginalisés par les autorités concernés.5

Tout cela faisait de Beniowski – un étranger d’origine très lointaine, qui plus est un ancien déserteur de l’armée autrichienne, insurgé polonais et déporté russe, c’est à dire un personnage à l’identité suffisamment floue

4 Poučová 2012 : 95.

5 Voir par exemple Cultru 1906 ou Curzon 1896.

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et énigmatique – un sujet idéal pour l’interprétation littéraire. De plus, la méconnaissance générale de la problématique hongroise, polonaise et russe permettait à Duval de travailler librement le sujet et jouer avec les fantasmes et clichés.

Beniowski est présenté comme insurgé polonais ce qui explique son exil russe et crée la nimbe d’un honnête combattant contre l’oppression du peuple polonais par le pouvoir tsariste despotique. Ces circonstances permettent au public de sympathiser avec Beniowski – un héros incontestablement positif. Une telle caractéristique est soutenue durant la pièce. Duval se concentra avant tout sur le conflit intérieur de Beniowski et son hésitation entre l’estime envers le gouverneur c’est à dire une autorité officielle incontestable, et la fidélité à la communauté des prisonniers (des hors-la-loi jugés et condamnés). Un tel dilemme créait un fort moment dramatique et se déroulant à un endroit géographique inconnu et dans un contexte très compliqué permettait au public à la fois de se distancier du sujet mais en même temps de s’identifier aux héros et de croire en l’authenticité de l’histoire. En oubliant la réalité quotidienne incertaine, marquée par l’arrivée de Napoléon au pouvoir et le début des guerres napoléoniennes, le public devait trouver dans la pièce une distraction idéale.

Ensuite, Duval introduit dans l’histoire le personnage de Geslin, un Parisien qui se retrouve prisonnier à Kamtchatka pour une raison inconnue, faisant ainsi le pont entre la thématique étrangère et le public français. C’est en effet Geslin, l’ami fidèle de Beniowski qui le soutient dans son conflit avec le futur traitre - Stéphanow, un exilé russe et le rival du héros de par son amour pour Aphanasie. Ainsi le personnage de Geslin incarne l’image d’un Français modèle – gai malgré les circonstances, amical, « bon copain », débrouillard, audacieux et fidèle. Stéphanow – un ancien officier de l’armée russe, matérialise à l’inverse l’image d’un Russe dont il faut se méfier parce que son caractère douteux et ambigu le pousse non seulement à trahir sa tzarine mais aussi ses camarades dans l’insurrection. Le personnage incarne ainsi les clichés négatifs construits autour des importantes puissances politiques étrangères ennemies et leur image dans la société française de l’époque.

L’image d’une société aux coutûmes spécifiques (russe) se révèle surtout dans les scènes musicales. Celles-ci se concentrent autour des personnages féminins c’est à dire Aphanasie et la suite de sa famille, ses amies et les employés de maison. En chantant, elles préparent Aphanasie à son rôle de femme mariée et commentent aussi le déroulement de la pièce.

La présence d’un collectif féminin qui surveille le destin d’une jeune fille ajoute à la pièce un parfum exotique des coutûmes sociales désormais révolues en France.

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Les petites touches présentes dans la version de Duval ne modifiaient que très légèrement le sujet de la pièce et ne contrariaient pas non plus les Mémoires de Beniowski. Pourtant elles sont attribuées à la présentation de la thématique à la française et par leur enjeu idéologique favorisaient l’accueil par le public français en jouant avec les clichés populaires.

L’histoire de la pièce selon les sources de la Bibliothèque nationale de France

Conçue à l’origine comme un livret d’opéra, la première édition conservée à la Bibliothèque National de France date de 1802 et porte la notice :

« opéra en 3 actes, paroles du C. Alexandre Duval, musique du C. Boyel- Dieu, Paris, Opéra-comique, 19 prairial an IX ». Elle nous permet de croire que la première représentation de la pièce eût lieu le lundi 8 juin 1801 à l’Opéra-Comique de Paris. Le succès apparent de la pièce peut témoigner d’une autre édition parue à Lille, malheureusement non datée.

Un autre exemplaire de la pièce présente à la BNF est l’édition allemande de 1809 (Hambourg) qui prouve même le succès auprès du public étranger. Excepté l’édition des œuvres complètes de Duval effectuée par lui même (9 volumes entre 1812-1825), le dernier exemple du succès de la pièce conservé par la BNF est la notice documentaire de la présentation de la pièce en juin 1824 au Théâtre de l’Opéra-Comique-Feydeau qui en même temps repousse la date de la première représentation au 1er juin 1800. Il est alors difficile de résoudre la question de la date précise de la première représentation. Si l’année 1800 et le mois de juin ne font désormais plus de doute, en ce qui concerne le jour, les sources différent entre le 1er et le 8 juin. La bibliothèque conserve aussi la lithographie de la décoration du premier acte de Beniowski conçue par Godefroy Engelmann pour la présentation de la pièce au Théâtre de l’Opéra- Comique-Feydeau en 1824.

L’accompagnement musical

Le nombre des éditions prouve le succès de la pièce. Il faut souligner par ailleurs que l’auteur de la musique fut François-Adrien Boieldieu (1775- 1843), l’un des compositeurs français les plus importants de la première moitié du XIXe siècle. En 1800, il composa Le Calife de Bagdad, sa plus grande réussite, on peut alors supposer que la musique pour Beniowski, conçue la même année, porte l’empreinte du génie de l’auteur et fut ainsi une des principales causes du succès. Cette supposition peut être renforcée par le fait que la BNF conserve encore une autre partition écrite sur le même livret, cette fois de Stanislas Champein (1753-1830), qui comme nota son auteur en 1813 ne fut jamais représentée.

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17 Conclusion

L’exemple de Beniowski, ou Les Exilés du Kamchattka nous montre que pour le public de France (ainsi que d’Allemagne ou d’Italie) les aventures de Beniowski présentent un sujet de divertissement consciemment travaillé pour plaire non seulement au niveau des règles du genre utilisé (livret d’opéra, pièce de théâtre) mais surtout au niveau idéologique. Les origines de Beniowski, un étranger mystérieux, ainsi que la thématique russe, une puissance politique éloignée, redoutée et admirée en même temps, ont ainsi alimenté les fantasmes du divertissement populaire de façon semblable à ceux que nous pouvons découvrir durant le XXe siècle dans la production cinématographique globalisée. Les romances, les parodies ou les films d’action basés sur les événements historiques réels attirent surtout par leur capacité à répondre à des clichés que les nations se font d’elles-mêmes que par une description véridique des faits. Sur ces exemples bien connus par tout le monde tout comme sur celui de Beniowski, ou Les Exilés du Kamchattka, nous pouvons constater que chaque culture s’approprie la matière traitée pour faire ses propres interprétations selon les codes liés à leurs Histoire, politique et réligion.

En Hongrie, en Pologne et en Slovaquie (les pays d’origine de Beniowski), le public appréhendait le personnage de Beniowski sans préjugés extérieurs. Au contraire, au cours des renouvellements nationaux durant le XIXe siècle, on commençait à ajouter systématiquement à ce personnage littéraire les qualités d’un personnage historique phare. La thématique littéraire menée par les principes idéologiques à la fois opposés et semblables à ceux de France contribua ainsi à la naissance d’un triple héros national sur le territoire d’Europe centrale.6

Une telle constatation témoigne de l’influence puissante de la culture dite populaire sur l’imaginaire historique de la population européenne au XIXe siècle et invite à approfondir les études de ses cultures, langues et identités dans un contexte commun.

6 Pour suivre l’histoire de l’expansion de la pièce de Kotzebue en Pologne et en Slovaquie voir par exemple Sieroszewski 1970 : 331. et Bosák - Kýska 2007.

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18 Bibliographie

BENIOWSKI, Maurice Auguste (2010), Mémoires et Voyages, Phébus, Paris.

BOSÁK, Ľubomír – KÝSKA, Patrik (dir.) (2007), Móric Beňovský, legenda a skutočnosť :Zborník referátov z odbornej konferencie o Móricovi Beňovském, ktorá sa uskutočnila vo Vrbovom 10. októbra 2006, Vrbové, Mestský Úrad.

CHAMPEIN, Stanislas, Beniovski, partition-manuscrite, entre 1780-1813.

CULTRU, Prosper (1906), Un empereur de Madagascar au XVIIIe siècle, Paris, Challamel.

CURZON, Henri (1896), Un Épisode de l’histoire de Madagascar au XVIIIe siècle. Beniowski, d’après des documents inédits, par Henri de Curzon, Paris, Plon.

DUVAL, Alexandre (1802), Beniowski ou Les exilés du Kamchattka, Paris, Barba.

DUVAL, Alexandre (1809), Beniowski ou Les exilés du Kamchattka, Hambourg, Brunswik.

DUVAL, Alexandre (1823), Œuvres complètes. Tome neuvième, Paris, Barba.

ENGELMANN, Godefroy, Théâtre royal de l’Opéra-Comique.

Décoration du premier acte de Beniowski.

Encyclopaedia Universalis, Thesaurus-Index, Dieudonné-Latedeva, Paris, 1990.

KAJDANSKI, Edward (2010), « Préface », in Beniowski, Maurice Auguste, Mémoires et Voyages, Paris, Phébus.

KOTZEBUE, August von (1795), Graf Beniowski oder die Verschwörung auf Kamtschafka, Leipzig, P.G. Kummer.

Le Petit Robert 2013 Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française.

Paris, 2013.

POUČOVÁ, Marcela (2012), « La tolérance et l’intolérance dans les Mémoires de Maurice Auguste Beniowski », in Buschinger, Danielle (dir.), Tolérance et intolérance. Actes du Colloque international à Amiens, Presse du Centre d’Etudes Médievales, Université de Picardie-Jules Verne, pp. 93- 99.

SIEROSZEWSKI, Andrzej (1970), Maurycy Beniowski w literackiej legendzie, Warszawa, Państwowy Instytut wydawniczy.

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Péter Bereczki

Les rayons obliques du soleil couchant

Réflexions sur les descriptions d’Eugène Fromentin dans Dominique

Melancholic themes are not foreign to Eugène Fromentin. The artist’s youthful experiences contributed certainly to the evolution of his descriptive style based on an in-depth "autopsy" of his subjects. Even Fromentin’s landscape descriptions are essentially focused on the representation of human beings. For this close coexistence between the landscapes and their inhabitants, Fromentin found a perfect example among the peoples of the African desert. The occasionally long-winded descriptions of the travel notes become considerably shorter in Dominique: the rays of sunshine break to meet the eyes of the painter- writer and prompt him to ask questions of a much wider scope on human existence.

Les thèmes mélancoliques ne sont pas étrangers à Eugène Fromentin, ayant vécu auprès de malades, de moribonds et d’aliénés. Le fait que son père était un médecin respecté, dévoué aux traditions et aux valeurs civiques est sans aucun doute un facteur décisif dans la vie du peintre- écrivain. L’artiste lui-même était profondément imprégné de cette vision de monde pragmatique : Fromentin examine et évalue ses capacités et les opportunités qui en ressortent d’une façon quasi obsessionnelle tout au long de sa vie. N’ayant qu’une seule chance de réussir en tant qu’artiste, en bon bourgeois, il soumet toutes ses démarches à une épreuve sévère – à la manière des jeunes héros balzaciens, pour ne plus pouvoir sortir de ce

« monde-prison » qui l’enferme contre son gré.1

L’asile d’aliénés fondé par son père dans les alentours de La Rochelle est l’un des lieux déterminants de la jeunesse de Fromentin. Les expériences de jeunesse de l’artiste ont certainement contribué à l’évolution de son style descriptif basé sur une « analyse autopsique » approfondie de ses sujets. L’imagerie littéraire de Fromentin au niveau des descriptions prend sa source dans la volonté de l’auteur de comprendre et d’interpréter les phénomènes jusqu’aux plus petits détails, révélant ainsi les significations «sous-jacentes » des vibrations du paysage.

« Le silence est un des charmes les plus subtils de ce pays solitaire et vide. Il communique à l’âme un équilibre que tu ne connais pas, toi qui as toujours vécu dans le tumulte; loin de l’accabler, il la dispose aux pensées légères; on croit qu’il représente

1 Ungvári 1977 : 150.

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l’absence du bruit, comme l’obscurité résulte de l’absence de la lumière: c’est une erreur. Si je puis comparer les sensations de l’oreille à celles de la vue, le silence répandu sur les grands espaces est plutôt une sorte de transparence aérienne, qui rend les perceptions plus claires, nous ouvre le monde ignoré des infiniment petits bruits, et nous rélève une étendue d’inexprimables jouissances. »2

Comme si l’artiste essayait de déchiffrer l’âme du paysage en utilisant pour cette fin des concepts proches de ceux de l’école psychophysique nouvellement née à cette époque qui cherchait à élucider les relations entre le monde physique et sa perception sensorielle.

En lisant les journaux de voyage de Fromentin, nous sommes souvent saisis du sentiment que la volonté de l’auteur d’explorer ses objets jusqu’à leurs entrailles fait de temps à autre plus de mal que de bien aux descriptions et nuit à la force expressive de ces représentations. En dehors de ses expériences de jeunesse, cette caractéristique des descriptions de Fromentin n’est pas sans rapport avec la passion typique pour le XIXe siècle de collectionner et de systématiser tout, de même qu’avec le développement jusque-là inconnue des sciences naturelles. D’un autre côté, ces « anamnèses » débouchent déjà dans les journaux presque sans exception dans la description d’un état d’âme :

« La température me paraît encore relativement assez douce et, même avec dix degrés de plus, je la supporterais volontiers, si l’air continuait d’être sec, léger, éminemment respirable, comme il l’est dans ces régions élevées. […] Aujourd’hui, sous la tente, à deux heures il a atteint le maximum de 32o, et la lumière, d’une incroyable vivacité, mais diffuse, ne me cause ni étonnement ni fatigue. Elle vous baigne également, comme une seconde atmosphère, de flots impalpables. Elle enveloppe et n’aveugle pas. »3

La description citée est celle d’un fœtus recroquevillé en défensif, se livrant aux puissances supérieures. Nous voyons ici un parcours ordinaire dans les descriptions de l’artiste : en partant des faits concrets du monde extérieur, nous arrivons, en passant par des couches de plus en plus profondes, à la révélation de la personnalité du spectateur, ce qui donne naissance à quelques-unes des lignes les plus belles et les plus expressives de Fromentin. Le mot « douce » s’associe d’abord à l’image de la tente exprimant l’idée de la sécurité, qui ne sera que renforcée par la douceur des ondes mousseuses. Le point tournant de la description est le mot

« diffuse » : la lumière éparpillée semble tourner le regard du spectateur vers l’intérieur.

2 Fromentin 1902 : 66.

3 Ibid., 67.

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« C’est une sorte de clarté intérieure qui demeure, après le soir venu, et se réfracte encore pendant mon sommeil. […] Cette perception du jour, même en l’absence du soleil, ce repos transparent traversé de lueurs comme les nuits d’été le sont de météores, ce cauchemar singulier qui ne m’accorde aucun moment d’obscurité, tout cela ressemble beaucoup à la fièvre. »4

Dans ses journaux de voyage, Fromentin note les plus petites différences dans les effets de la lumière. Ses descriptions des rayons de soleil filtrés aboutissent à l’image d’une sorte de brouillard opaque et onirique tandis que le soleil du midi s’enfonce dans la chair du spectateur à la manière d’un scalpel médical. Les rayons éblouissants se brisent à la rencontre du regard qui se tourne à son tour vers l’intérieur et incite l’artiste à examiner sa propre condition humaine.

L’image d’Orient de Fromentin devient vraiment complexe – la description d’El-Aghouat en fournit un exemple parfait – après qu’il redécouvre en Afrique cette unité mystérieuse de la vie et de la mort, de la naissance et de la disparition. Les lumières comparées par Fromentin à un

« linceul blanc » portent toutes des contradictions de ces paysages désertiques en elles. Le milieu oriental fertilise l’art de Fromentin qui observe et étudie chaque signe de la destruction et de la décomposition d’une manière essentiellement stoïque. Le thème de la mort et de la disparition trouvent leur expression dans les images de l’immobilité, typique pour le mode de vie oriental.

Voyage et évasion

Thibaudet met en parallèle la volonté de Fromentin de fuir le monde clos de l’hôpital psychiatrique de Lafond avec le poème Fenêtres de Mallarmé.

Le poème de Baudelaire dédié à Maxime Du Camp exprime peut-être encore plus fidèlement l’état d’esprit qui a conduit Fromentin vers les pays orientaux:

« Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le cœur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers: […] Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent. Pour partir; cœurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons ! »5

4 Ibid., 184-185.

5 Baudelaire 1868 : 344-352.

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Le voyage, et en particulier le premier que le peintre effectue en Algérie en 1846 est inextricablement liée à l’idée de l’évasion et de la découverte de sa personnalité.

L’Orient est une révélation qui le libère, mais – et c’est ce que Fromentin ne peut pas savoir au moment de son départ – qui le paralyse aussi : l’Orient séduisant ne lâche plus l’homme qui est tombé dans son piège. L’artiste lui-même parle dans ce sens des thèmes orientaux, desquels il ne pouvait plus se débarrasser durant sa carrière. Les copies de tailles différentes de ses toiles ont mis à l’épreuve l’excellente mémoire du peintre-écrivain, sans vraiment contribuer à son développement artistique.

Citons à ce titre Du Camp:

« Eugène Fromentin subit la fatalité de ses débuts et de ses premiers succès; l’Algérie le saisit et ne le lâcha plus. Inutilement il tenta de lui échapper. […] Les marchands, les amateus de tableaux le repoussaient à l’envi vers le Tell et vers le Sahara, qu’il aurait voulu fuir. A toutes ses propositions on répondait: »Non, faites- nous quelque chose d’algérien, vous savez, avec un de ces petits chevaux nacrés auxquels vous excellez.« Il pestait, et, pour la centième fois, il recommençait le petit cheval blanc, le petit ciel bleu […]. Un jour qu’il venait de terminer une de ses jolies toiles, il me la montra, et, levant les épaules avec impatience, il me dit: »Je suis condamné à ça à perpétuité! »6

Les observations faites en Orient trouvent leur écho également dans Dominique. Le roman illustre bien comment – quant à la description des paysages et à l’analyse de l’âme humaine – la représentation des paysages orientaux s’est réorganisée à un niveau supérieur dans un contexte contemporain, devant l’arrière-plan fourni par la campagne française.

Les descriptions parfois trop bavardes des notes de voyage deviennent considérablement plus courtes dans Dominique. A certains moments décisifs du roman, les images de la nature effacent et remplacent presque complètement les figures humaines, et elles racontent bien davantage à leur sujet que leur propres mots.

« Il entendit mon pas, me salua en m’indiquant par un geste poli que je pouvais m’asseoir […]. Il était onze heures. La ville dormait, et j’entendais dans le fond du port la mer se soulever par un mouvement calme et régulier comparable à la respiration d’une poitrine humaine. Je trouvai ce tableau si simple et si complet […]

que ce souvenir me parut être de ceux qu’on n’oublie pas. »7

La première rencontre du narrateur avec M. de Bray peut se résumer en une seule phrase: pendant une chasse, Dominique rend par un beau geste

6 Du Camp 1885 : 279-280.

7 Fromentin 1934 : 44.

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de générosité le gibier abattu au conteur. Cette brève entrevue et la description extérieure de Dominique ne nous disent pas beaucoup du proptagoniste du roman. Les images de la nature et les gestes dénoncent par contre sans relâche le personnage : nous sommes en octobre, au beau milieu de la saison préférée de Dominique, déchiré entre ses vieux désirs et son état ataraxique momentanée. L’automne évoque l’idée de la transition, et en même temps exprime l’équilibre fugitif entre les extrêmes, ce qui bien sûr ne peut pas s’installer sans tempêtes. La sérénité, le silence et la douleur – mots clefs du roman – sont simultanément présents dans cette description: pendant la fête des vendanges, la joie des travailleurs se mèle au silence impénétrable du soir. La douleur, la troisième caractéristique déterminante du personnage principale, imprègne toute la description. Le paysage plat, complètement déboisé, à peine ondulé s’ouvre sur la mer, dont la vue est insupportable pour le protagoniste à cause de son inconstance. Seules les ombres du soir sont en mesure d’embellir et de rendre plus convivial cette terre.

Je suis un exemple, m’a-t-il dit maintes fois depuis lors, de certaines affinités malheureuses qu’on ne parvient jamais à conjurer tout à fait. J’ai fait l’impossible pour n’être point un mélancolique, car rien n’est plus ridicule à tout âge et surtout au mien; mais il y a dans l’esprit de certains hommes je ne sais quelle brume élégiaque toujours prête à se répandre en pluie sur leurs idées. »8

Avec la citation, nous faisons demi tour vers l’idée de l’obscurité et les métaphores liées à l’eau, qui s’unissent ici pour mettre en valeur les conflits intérieurs de Dominique. La mélancolie est associée par le Petit Robert à l’expression tædium vitæ qui représente un état d’âme épuisé qui s’installe sans aucune raison visible.9 A la première vue, Dominique mène une vie pleine parmi ses proches. Par contre, les passages decriptifs consacrés à la représentation du héros expriment depuis la première page du roman le conflit émotionnel qui définit son existence, raconté rétrospectivement dans une forme quasi monologique. L’utilisation du cadre narratif renforce encore une fois le poids des mots de Dominique : le narrateur qui représente initialement un contrepoint adopte peu à peu la vision et les sentiments du protagoniste. La première confession résume, grâce aux points de vue contrastés, l’histoire de la vie d’un homme frustré, tournant en rond :

« Certainement je n’ai pas à me plaindre - me disait celui dont je rapporterai les confidences dans le récit très-simple et trop peu romanesque qu’on lira tout à l’heure - car, Dieu merci, je ne suis plus rien, à supposer que j’aie jamais été quelque chose, et je

8 Fromentin 1920 : 4.

9 Le Nouveau Petit Robert 1995 : 1378-1379.

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souhaite à beaucoup d’ambition de finir ainsi. J’ai trouvé la certitude et le repos, ce qui vaut mieux que toutes les hypothèses.

Je me suis mis d’accord avec moi-même, ce qui est bien la plus grande victoire que nous puissions remporter sur l’impossible. »10

Comme si le héros essayait de se rassurer par ces propres mots : en accentuant l’importance de sa « victoire » sur lui-même, il cherche à dissimuler son désenchantement. Dominique est obligé de vivre « en absence de son être véritable » comme le vagabond du Sahel, qui laisse derrière lui sa vie antérieure.

Comme il en ressort de ce qui a été dit jusqu’à présent, les descriptions de paysage de Fromentin sont essentiellement axées sur la représentation des êtres humains. Pour cette coexistence étroite entre les paysages et leurs habitants, Fromentin a trouvé un exemple parfait chez les peuples du désert africain. Ce n’est pas par hasard que dans la description de Villeneuve, Fromentin réutilise toutes les caractéristiques de base des paysages désertiques.

« Il éclairait longuement, en y traçant des rayures d’ombre et de lumière, un grand pays plat, tristement coupé de vignobles, de guérets et de marécages, nullement boisé, à peine onduleux, et s’ouvrant de distance en distance, par une lointaine échappée de vue, sur la mer. »11

Dominique choisit consciemment une forme de vie retirée du monde (tandis que les gens orientaux ont hérité de l’environnement naturel au sein duquel ils passent leur vie), et il se transforme fondamentalement : Trembles devient au fur et à mesure son alter ego, et l’image du ciel couvrant le domaine deviendra un indice infaillible de l’état d’âme humain.

Ombres et lumières

Les critiques contemporains de Fromentin oublient curieusement les déclarations de l’auteur au sujet de l’importance de l’ombre, puisqu’ils célèbrent sans exception le triomphe de la lumière dans les œuvres de l’artiste. Cependant, ce qui préoccupe Fromentin et dans les descriptions des paysages sahariens et dans Dominique, ce sont les moment d’obscurité représentant les point forts de ces « périples » réels et fictifs. Fromentin affirme que l’Orient en tant que sujet pictural est foncièrement étranger à la tradition de la peinture européenne : alors que traditionnellement le clair-obscure s’emploie pour couvrir les détails moins intéressants ou importants et de mettre en avant ce qui est essentiel, l’ombre rare en Orient – qui rend l’existence supportable – capte l’œil du spectateur et devient significatif par sa seule présence. En effet, par rapport à la lumière

10 Fromentin 1920 : 1.

11 Ibid., 8.

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habituelle, tout ce qui reste dans l’ombre se charge d’une importance supplémemtaire. De ce point de vue, le domaine de Trembles n’est pas si éloigné du Sahara : bien que Fromentin mette en scène le cycle complet de la nature dans le roman, la représentation du personnage de Dominique est dès le début indissociable du motif de l’obscurité et des ombres.

« Je la trouvai tout illuminée par les rayons obliques du soleil couchant, et je fus comme ébloui par le rayonnement de cette lumière chaude et vermeille qui l’envahissait comme un flot de vie.

Pourtant je me sentis plus calme en m’y voyant seul, et me mis à la fenêtre, attendant l’heure salutaire où ce torrent de clarté allait s’éteindre. […] Je restai là jusqu’à la nuit, me demandant ce que j’éprouvais, ne sachant que répondre, écoutant, voyant, sentant, étouffé par des pulsations d’une vie extraordinaire, plus émue, plus forte, plus active, moins compressible que jamais. »12

Les rayons obliques du soleil et les ombres diffuses ont en commun leur capacité de brouiller les contours et d’éliminer les frontières nettes. Cela donne naissance à un équilibre dont l’harmonie « octroyée » n’est que transitoire et apparente. Un équilibre qui caractérise également le personnage principal du roman après avoir renoncé à tout ce qui aurait pu le rendre unique.

« L’âme de trente années d’existence palpitait encore émue dans cette chambre étroite, et quand Dominique était là, devant moi, penché vers la fenêtre, un peu distrait et peut-être encore poursuivi par un certain écho de rumeurs anciennes, c’était une question de savoir s’il venait là pour évoquer ce qu’il appelait l’ombre de lui- même ou pour l’oublier. » 13

En dépit de son caractère sympathique, Dominique est un personnage vague et indécis. Né dans le « brouillard d’octobre », sa vie est inséparable du sort du domaine de Trembles, « peut-être parce qu’elle [la saison]

résume assez bien toute l’existence modérée qui s’accomplit ou qui s’achève dans un cadre naturel de sérénité, de silence et de regret ».14 Ainsi, l’ombre devient un outil fondamental dans la représentation du protagoniste qui ressemble de plus en plus à son pays qui « n’a presque jamais ni contours ni perspectives ».15

12 Ibid., 82.

13 Ibid., 32.

14 Ibid., 4.

15 Ibid., 172.

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26 Bibliographie

BAUDELAIRE, Charles (1868), Les Fleurs du mal, Paris, Michel Lévy.

DU CAMP, Maxime (1885), Souvenirs littéraires, Paris, Hachette.

FROMENTIN, Eugène (1902), Un été dans le Sahara, Paris, Plon.

FROMENTIN, Eugène (1920), Dominique, Lyon, Lardanchet.

FROMENTIN, Eugène (1934), Une année dans le Sahel, Paris, Plon.

Le Nouveau Petit Robert (1995), Paris, Dictionnaires Le Robert.

UNGVÁRI, Tamás (1977), A regény és az idő, Budapest, Gondolat, 1977.

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Barbara Miklós

Créateurs et créatures dans la littérature fantastique : questions sur la vie et la mort à propos de

L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam

The theme of the artificial creation offers a reflection on man: its nature, its possibilities, its evolution. This is an issue that has been widely exploited not only in fantastic literature, but in literary texts of all kinds since the antiquity. Yet it is in the nineteenth century fantastic literature succeeded to enrich the theme of artificial creation with a new dimension. When speaking of the literature of artificial creatures, the work of E.T. A. Hoffmann is unavoidable, which is why take his emblematic tale entitled The Sandman (Der Sandmann) as starting point of the analysis and combine it with Villiers de l’Isle-Adam’s Future Eve (L’Eve Future), a modern story of creation, thus allowing fornumerous analytical directions. This paper is focused on a parallel reading of these texts, in the light of Freud’s theory about the uncanny.

Le thème de la création artificielle propose une réflexion sur l’homme: sur sa nature, sur ses possibilités, sur son évolution. C’est un sujet qui a été largement exploité non seulement par la littérature fantastique, mais par les textes littéraires de toute sorte, et ce depuis l’Antiquité. Pourtant, c’est au XIXe siècle que la littérature fantastique enrichit le thème de la création artificielle d’une nouvelle dimension. L’esthétique de la transgression qui détermine le genre permet d’aborder le problème de la création avec un angle différent de celui utilisé par les textes antérieurs et les mythes ou récits légendaires. N’oublions pas : le mot créature implique toujours l’existence d’un créateur quelconque avec l’idée sous-jacente d’un homme créature de Dieu ou de divinités. L’acte par lequel l’homme s’imagine et puis se fait créateur, engendre le germe de la rivalité dès le début. Mais dans les premiers temps, cette intention se dissimule sous les prières et rituels qui accompagnent l’activité. L’approbation de la divinité, posesseur du vrai pouvoir créateur est indispensable à la réalisation et bien que ces créatures soient souvent interpretées comme fantastiques, leur existence est en général en harmonie avec l’ordre divin. Plus tard, au fur et à mesure que la dimension religieuse s’efface, la création sera plutôt présentée comme une activité ludique, dirigée par la curiosité, visant à susciter l’émerveillement : pensons par exemple à l’engouement suscité par les automates au XVIIIe siècle. Dans la littérature fantastique, cet aspect ludique s’efface presque entièrement, cèdant la place à des sentiments beaucoup plus sinistres.

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L’une des œuvres les plus remarquables s’occupant de la création artificielle est L’Eve future, roman fantastique de Villiers de l’Isle-Adam.

L’histoire de la genèse de l’œuvre est longue et particulièrement riche en péripéties : suivant plusieurs parutions interrompues dans différents journaux à partir de 1880, la version définitive a été publiée en 1886. La cause majeure de ces soi-disant péripéties est tout simplement l’indifférence totale du public : il semble que les lecteurs contemporains n’ont pas été sensibles aux profondeurs métaphysiques du texte. L’œuvre de Villiers reste donc assez mal connue et mal interprétée jusqu’au XXe siècle. Par contre, en 1886, le fantastique est loin d’être une nouveauté pour les lecteurs français : les premiers textes relatifs à ce genre littéraire apparaissent en France autour de 1830, principalement sous l’influence d’E.T.A. Hoffmann, dont les œuvres paraissent entre 1829 et 1833 chez Renduel. Contrairement à ceux de Villiers, les lecteurs sont passionnés par les œuvres de Hoffmann : la traduction du titre de son recueil le plus renommé, Fantasiestücke1 est un succès qui contribue à changer la signification du mot fantastique en ouvrant la voie à un nouveau genre de littérature. Dès lors, les auteurs de contes fantastiques ne cessent de se multiplier. En parlant de la littérature de créatures artificielles, l’œuvre de Hoffmann est incontournable ; c’est pourquoi nous nous proposons comme point de départ de l’analyse son conte emblématique intitulé L’Homme au Sable. L’histoire d’amour du protagoniste, Nathanael pour l’automate Olympia nous fournit les notions de base du genre, tandis que la figure de Coppola/Coppélius est l’avatar du créateur diabolique qui se transforme plus tard en personnage de savant fou. C’est pourquoi, cherchant à démontrer en quoi réside l’originalité profonde du texte villérien, il nous semble particulièrement intéressant de l’examiner d’une manière parallèle avec le conte de Hoffmann. L’Homme au Sable, considéré comme l’un des textes fondateurs du thème de l’amour entre un homme et une femme artificielle, a été commenté et analysé de bien de manières et ainsi, peut nous servir de point de référence dont les résonances sont clairement reconnaissables dans L’Eve future. Afin de mettre en évidence l’évolution de ce motif chez Villiers tout en visant à démontrer les nouveaux aspects que l’auteur apporte au sujet, il faut repérer non seulement les différences mais les similitudes également.

On peut affirmer qu’en 1886 – année de parution de L’Eve future - le fantastique en tant que genre est en pleine maturité : ses caractéristiques distinctives sont hautement développées ; les procédés narratologiques, les topoï – devenant vite des clichés grâce au grand nombre des pastiches – sont minutieusement élaborés et bien connus par les auteurs et les lecteurs également. Malgré le fait que – au moins à notre avis – L’Eve future ne soit

1 Traduit comme Contes fantastiques.

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pas une histoire fantastique typique, le texte est solidement ancré dans le sol du fantastique. Évitant toujours les voies du populisme, Villiers de l’Isle-Adam n’a pas le dessein de se mettre au goût du jour : il se sert des procédés courants du genre, mais il les renouvelle et les transforme à sa guise.

En parlant de la création artificielle, on rencontre partout la dualitéde la vie et de la mort : d’autant plus que créer artificiellement signifie toujours une tentative de créer un être à partir de la matière inerte – c’est- à-dire morte – bien que la mort soit un état propre au vivant. Ces créatures se trouvent donc à la frontière de la vie et de la mort. En les voyant, l’homme est pris d’une sensation de malaise, décrite souvent comme pénible, sinistre, épouvantable. C’est ce sentiment qu’on appelle après Sigmund Freud l’inquiétante étrangeté. Dans son essai portant le même titre, publié en 1919, il analyse le terme ainsi :

« Le mot allemand » unheimlich « est manifestement l’opposé de » heimlich, heimisch, vertraut « (ternies signifiant intime, » de la maison «, familier), et on pourrait en conclure que quelque chose est effrayant justement parce que pas connu, pas familier. Mais, bien entendu, n’est pas effrayant tout ce qui est nouveau, tout ce qui n’est pas familier; le rapport ne saurait être inversé. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ce qui est nouveau devient facilement effrayant et étrangement inquiétant ; telle chose nouvelle est effrayante, toutes ne le sont certes pas. Il faut, à la chose nouvelle et non familière, quelque chose en plus pour lui donner le caractère de l’inquiétante étrangeté. […] Ainsi » heimlich « est un mot dont le sens se développe vers une ambivalence, jusqu’à ce qu’enfin il se rencontre avec son contraire » unheimlich «. » Unheimlich « est, d’une manière quelconque, un genre de » heimlich «. »2

Freud souligne que le mot contient la racine du Geheimnis qu’on peut également traduire par « secret », dans le sens de « ce qui aurait dû rester caché, secret, mais se manifeste ».3

Freud cite plusieurs fois les articles d’Ernst Jentsch qui était le premier à analyser ce concept, en 1906. L’une de ses affirmations nous paraît particulièrement intéressante pour l’analyse des textes traitant le sujet des créatures artificielles ; il définit l’inquiétante étrangeté comme la situation quand « on doute qu’un être en apparence animé ne soit vivant et inversement, qu’un objet sans vie ne soit en quelque sort animé ».4 Cette insécurité intellectuelle, étroitement liée au fait qu’il frôle d’une manière surnoise le domaine de la mort, résulte la frustration caractéristique du personnage du récit fantastique. C’est pourquoi la notion « d’inquiétante

2 Freud 1976 : 11.

3 Ibidem.

4 Ibid., 6.

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étrangeté » est utilisé non seulement pour décrire un sentiment complexe mais comme une caractéristique générale du fantastique aussi.5

Dans L’Homme au Sable, le protagoniste, Nathanael ne réalise pas que son amour, Olympia n’est pas une femme vivante, mais un automate. Si évident puisse-t-il paraître, distinguer le réel et l’artificiel ne va pas toujours de soi. Pourtant, le champ sémantique de la mort, menaçant et explicite, est toujours présent quand Olympia apparaît sur la scène. Le regard fixe et sans expression et l’immobilité du corps nous font penser à un cadavre ou au moins à « une belle statue ». Elle passe des heures entières dans une passivité totale, assise à une petite table sans le moindre mouvement. La situation s’aggrave quand elle commence à bouger : « dans sa démarche et dans sa pose il y avait une certaine raideur et quelque chose de mesuré qui pouvaient causer une impression désagréable [...]

Chacun de ses mouvements semble produit par un mécanisme d’horlogerie. »6 Quand Nathanael lui prend la main, cette main est « froide comme la glace » et à son contact, il sent un instant « courir dans ses veines l’horrible froid de la mort ».7 L’aura de l’inquiétante étrangeté est presque palpable autour de cette automate aux traits parfaits, portant un visage angélique et impassable ; il semble que c’est quelque chose que l’homme est capable de détecter presque inconsciemment. Un ami de Nathanael essaie d’expliquer ce sentiment confus ainsi : « Cette Olympia, nous lui trouvons quelque chose de sinistre, nous souhaitons nous en tenir loin, nous avons l’impression qu’elle fait seulement semblant d’être une créature vivante et qu’il y a quelque chose de louche dans son cas. »8

Il paraît donc que chez Hoffmann c’est l’attitude et l’aspect physique de la créature qui la rend étrange et affreuse ; dans L’Eve future de Villiers ces caractéristiques sont interprétés plutôt comme désirables : Hadaly, la femme artificielle, créée par l’inventeur Edison expressément pour racheter les imperfections des femmes réelles est « une créature de silence, d’obscurité et de marbre ».9 L’immobilité chez cette femme idéale n’a rien de commun avec celle de la machine arrêtée, au contraire c’est plutôt le signe de la présence de l’esprit et de l’âme : « l’attitude la plus naturelle de la future Alicia [...] sera d’être assise et accoudée, la joue contre la main – ou d’être étendue sur quelque dormeuse- ou sur un lit, comme une femme ».10 La première de ses nombreuses qualités est sa

5 Il est important de mentionner que selon l’interprétation de Freud ce n’est pas le personnage d’Olympia qui provoque le sentiment de l’inquiétante étrangeté, mais celui de Coppélius, associé à la figure de l’Homme au Sable.

6 Hoffmann 1968 : 101.

7 Ibid., 98.

8 Ibid., 103.

9 Grauby 1998 : 61.

10 Villiers 1993 : 151.

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modestie : ses gestes sont mesurés et gracieux, elle ne parle que quand on le lui demande, et surtout, comme l’affirme Edison, « ce sera bien la parole attendue [...] qu’elle répondra ».11

Poupée magnifique, elle a des fonctions beaucoup plus complexes que la pauvre Olympia qui ne savait que danser, chanter et jouer au piano ; son comportement peut être dirigé par la manipulation des bagues qu’elle porte : elle marche, s’assoit, ou fait ce que le caprice de son maître exige. Cette obéissance totale est accompagnée d’une capacité de « la mort subite ». Par exemple, losqu’elle ne trouve pas ces aliments sous sa main au moment où elle les désire, elle s’évanouit ou, pour mieux dire, elle meurt.

« – Elle meurt ? ... murmura le jeune lord en souriant.

– Oui, pour donner à son élu le plaisir vraiment divin de la ressusciter. » 12

D’ailleurs, la mort est inscrite dans le corps de Hadaly ; quand elle voyage, elle doit être enfermée dans « un lourd cercueil d’ébène, capitonné de satin noir ».13 et pour celui qui la possède, il est facile de la détruire complètement, comme le signale Edison : « même après l’œuvre accomplie vous pourrez toujours la détruire, la noyer, si bon vous semble, sans déranger pour cela le Déluge ».14 La différence fondamentale entre la poupée Olympia et l’andréide réside dans le fait que ce dernier est présenté dès le début comme tel. Pas de supercherie : l’ingénieur explique minutieusement à Lord Ewald le fonctionnement de l’Andréide. Cet exposé anatomique est réalisé par une rigueur scientifique, « débité par Edison du tone monotone avec lequel on expose un théorème de géométrie ».15 Aucun détail ne nous est épargné : de l’ossature d’ivoire de l’Andréide et de son armure de platine, aux pieds d’argent emplis de mercure. Comme Edison souligne tout au début du roman « ce n’est pas un être vivant » mais curieusement, ce fait ne lui fait pas défaut : « C’est un Être de limbes, une possibilité ».16 Le mot possibilité est la notion-clé du texte : il s’agit de la possibilité de la perfection, la réalisation non seulement d’une femme idéale, mais de l’Idéal. Pourquoi cette femme est- elle idéale ? C’est d’une manière paradoxale grâce à sa nature non-vivante :

« La nature change, mais non l’Andréide. Elle ne connaît ni la vie, ni la maladie, ni la mort. Elle est au-dessus de toutes les

11 Ibid., 220.

12 Ibid., 153.

13 Ibid., 144.

14 Ibid., 134.

15 Ibid., 214.

16 Ibid., 117.

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