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Writer of realist catholic novels, François Mauriac is generally considered a traditional novelist in every aspect: aesthetics, style, ideology. However, his novels are full of intertextual relations, either to well-known philosophical and literary works or to his own novels. This reflexive prose technique point to the core apory of literary realism: the narrativisation of life vs. the objective representation of reality.

Moreover, the borderline between real life and imagination is made more confused by autobiographical references, regularly used by Mauriac in his novels. In his late writing, although it may be surprising, he rather seems to follow Nietzsche and Derrida and the nouveau roman than the realist aesthetics. Thus, irony, dialogism and ambiguity are the main characteristics of this transgressive écriture that focuses on the problem of narrative identity and narrative unreliability.

Introduction

François Mauriac, grand écrivain français du vingtième siècle, est connu pour ses romans centrés sur l’analyse psychologique des pécheurs ou des pécheresses et de la tentation. Ses romans dits « dramatiques » sont catholiques quant à leur thématique et leur idéologie, la grâce est un thème tout aussi central que le péché. Le roman réaliste et psychologique mauriacien présente le conflit entre la religion et la passion tout autant que celui entre les valeurs spirituelles et les intérêts terrestres et égoïstes. Il est connu que Mauriac présente souvent des éléments autobiographiques dans ses romans, du point de vue d’un personnage mais avec une narration omnisciente de troisième personne (ce que Sartrea qualifié d’illusionnisme en 1939 par rapport à la Fin de la Nuit).1 Ainsi, l’écriture de Mauriac est généralement considérée comme un classicisme moderne datant de XIXème siècle.2 Cependant, le roman mauriacien, plein des relations intertextuelles, est hanté par les problèmes de l’identité personnelle et celui du rapport entre l’écriture et le réel. Cette confusion de la vie et du récit est surtout le trait principal de son dernier roman, Un adolescent d’autrefois, roman réflexif par excellence. Onega et Landa définissent le roman réflexif ainsi : plutôt que de tenir pour évident le réel et le réalisme, il s’agit d’interroger leurs fondements épistémologiques en ce concentrant sur la structure de l’écriture. Dans la métafiction, les

1 Sartre 1947 : 33-52.

2 Dufour 1956 : 18-40, 23-24.

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structures réflexives comme les analogies, dédoublements, mises en abyme servent à explorer les caractéristiques de la fiction.3 S’ajoutent à cela la réflexivité et la métafiction, souvent liées à l’intertextualité.4 De plus, on verra que cette technique d’écriture se base souvent sur une stratégie stylistique ironique et ambiguë, rappellant celles de Nietzsche et de Derrida. Dans ce qui suit, on tente de relire l’œuvre mauriacienne de manière rétrospective en lisant Un adolescent d’autrefois.

Intertextualité chez Mauriac

Avant d’aborder le roman en question dans ses détails, on doit souligner le que l’intertextualité est un trait constitutif de l’univers mauriacien.

« Les citations fonctionnent comme les pierres angulaires du dispositif romanesque, comme étape fondamentale du processus identitaire (tant du côté du romancier que de celui des actants de la diégèse), comme espace de dialogue et de conflit, comme annonce ou synthèse (comme projection ou comme rétrospection) du projet romanesque et, enfin, comme point de fixation et de liaison des différents éléments du cycle. » – comme Frédéric Gai l’a déjà prouvé concernant le cycle Thérèse Desqueyroux, réécriture d’Émile de Rousseau.5

La valeur métatextuelle de la confession en écrit de Thérèse dans Conscience, instinct divin (la première version de Thérèse Desqueyroux) propose

« une réflexion non pas tant sur le langage que sur la littérature elle-même, exposant le caractère composite de tout discours fictionnel et allégorisant, par la mise en abyme, la fonction de l’écrit ».6 Cela est vrai aussi pour le journal intime d’Alain Gajac constituant la narration d’Un adolescent d’autrefois – peut-on ajouter. En outre, la « confession » (entre guillemets) chez Schwartz, la psychanalyste, dans Thérèse chez le docteur, est un carrefour ou « autodialogisme » entre différents romans de Mauriac,7 évoquant l’écriture de Balzac, à quoi renvoie plusieurs fois le texte d’Un adolescent d’autrefois. À propos Balzac, on peut ajouter, que treize romans mauriaciens sur trente-neuf sont unis par quelques liens que les personnages nouent les uns avec les autres, et le procédé balzacien du retour des personnages est utilisé par exemple dans Le Baiser au lépreux et dans Génitrix.8 Il y a des architextes souvent allégués par Mauriac, comme ceux de Pascal et de Racine, autorités des plus importantes dans cet univers textuel. De plus, il y a des concordances relatives au paysage des Landes, le pays natal de

3 Onega–Landa 1996 : 20.

4 Onega-Landa 1996 : 21.

5 Gai 2010 : 3-4.

6 Ibid., 7.

7 Ibid., 14.

8 Takayama 2001 : 305-316, 310.

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l’auteur, lieu commun de l’intrigue dans ses romans. Comme on le verra, l’analyse d’Un adolescent d’autrefois affirme ce que Frédéric Gai a constaté :

« L’œuvre de l’auteur du Nœud de vipères est en effet constellé de citations (la reprise littérale d’un fragment d’ouvrage ou d’une phrase, placé entre guillemets et parfois accompagné de références – titre, auteur) ou dans une acception plus large (mention, allusion, référence…). »9

Dans ce qui suit, nous analysons les relations intertextuelles (ou transtextuelles comme Genette le nomme, contre Kristeva) y compris les intratextes ou autotextes comme les formes de l’intertextualité interne.10 D’après Dällenbach, il nous faut discerner l’ « intertextualité générale (rapports intertextuels entre textes d’auteurs différents) » de l’

« intertextualté restreinte (rapports intertextuels entre textes du même auteur) ».11 De plus, nous avançons une interprétation à la fois hypertextuelle et infratextuelle basée sur la citation de Kafka dans l’épigraphe du roman et la situation similaire à celle du Voyeur de Robbe-Grillet, où le narrateur essaye de prouver son innocence dans un meurtre sexuel sadique pédophile. (N’oublions pas le fait que Robbe-Grillet se définit lui-même comme un descendant de Kafka ! ) Tous ces procédés servent à établir une surcharge sémantique à l’aide de quoi le narrateur adolescent homodiégétique et la recherche de son identité peut être identifiées comme celles de l’auteur. Ceci est renforcé par la forme du journal intime, parce que dans un tel cas, comme Lejeune l’a constaté :

« Sur le plan contextuel, la présence de l’adulte qui tire les ficelles s’est déplacée : ce n’est plus un narrateur rétrospectif inclus dans le texte, mais l’auteur. Le pacte romanesque nous interdit de croire à la simplicité de l’énonciation ».12

De surcroît, le temps de l’histoire s’approche de plus en plus du temps de la narration, en désignant plusieurs fois la date de la lecture du texte, 1970, en accord avec la véritable époque de la publication du roman, en 1969.

Identité, intertextualité, narrateur non-fiable

« Je ne sais pas ce que je suis » lisons-nous dès le début.13 Pour le narrateur de ce journal, Alain Gajac, l’écriture et l’imagination sont les moyens pour voir clair dans ce qu’il est réellement.14 Maltaverne, les paysages des Landes et la mère profondément catholique évoquent tous la famille

9 Gai 2010 : 1.

10 Voir Gervais 1998.

11 Dällenbach 1976 : 282.

12 Lejeune 1980 : 21.

13 Mauriac 1975 : 277.

14 Ibid., 283.

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Mauriac propriétaire de Malagar, comme dans presque tous ses romans.

Ici, ce caractère autobiographique est aussi fort que dans ses premiers romans avant Le Baiser au lépreux. D’ailleurs, dans ces romans du début « il a construit ses personnages en suivant des modèles livresques ».15 Le retour aux premiers romans est marqué par « le gros chêne » présent dans son premier roman, L’enfant chargé de chaîne ainsi que dans Un adolescent d’autrefois (Al Saadi, 2009 : 263).16 Cette « intertextualité restreinte » a surtout une signification symbolique : dans le premier cela évoque le

« déracinement » barrèsien, dans notre texte c’est plutôt ironique, ayant probablement un rapport intertextuel avec un autre roman hanté par le problème de l’identité narrative. En effet, aussi surprenant soit-t-il, je pense à la racine de marronnier révélant la contingence de l’existence dans la Nausée consistant également en un faux journal intime. Certainement, il y a une analogie avec La Nausée de Sartre, critique ardent de Mauriac. Le retour à 1910 (quand Un adolescent d’autrefois s’achève,17 avec une scène balzacienne « à nous deux » tout comme dans son premier roman) représente une réflexion sur son œuvre et celles des autres, sous forme de fiction.

Le narrateur, après avoir confessé qu’il avait adoré le gros chaîne dans le parc, a été nommé poète par le curé. Le petit garçon évoqué et l’adolescent qui s’en souvient sont également dotés d’une imagination très vivante, c’est pourquoi il est impossible de discerner la fiction de la vérité dans cet univers fictif. Dans le cas d’un roman écrit sous la forme d’un journal intime, cette indécidabilité s’étend analogiquement sur la personne de l’auteur et ses énonciations. Surtout parce que le narrateur a toujours préféré d’écrire que de parler, il s’est proposé d’écrire un roman;18 « la plume à la main, rien ne m’arrête ».19 Après une visite racontée chez le vieux de Lassus, il écrit :

« Eh ! bien non, tout cela n’est pas vraie. C’est une histoire que je me suis racontée à moi-même. Tout est faux, à partir de ce que le vieux m’a dit du château Trompette. Du roman, quoi ! […] Il y a une autre version de cette histoire que je me raconte où le vieux décide brusquement que ce sera moi son héritier. J’imagine tout ce que je ferais de cet argent : je transformais Lassus en bibliothèque […]. Me suis-je raconté cette histoire sur le chemin du retour ? Je

15 Pinelli 2012 : 3.

16 Al Saadi 2009 : 263.

17 Ibid., 229.

18 Mauriac 1975 : 278.

19 Ibid., 294.

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ne me souviens de rien […] ».20 Cependant, nous lisons telles remarques : « Mais il se peut que je l’invente ».21

Après deux années de pause, Alain, 19 ansrouvrit son cahier, en suivant les conseils de Donzac, son ami janséniste. Enfin, ce personnage ne lirait pas le journal, mais sa théorie sur la fonction de l’écriture qu’il appelle « la découverte » est considérable : « Dans son esprit, il s’agit de mettre à jour le point secret où la vérité de la vie, telle que nous l’expérimentons, rejoint la vérité révélée […] au long de ces deux millénaires d’histoire de l’Église. » Cette art poétique nous donne à penser que Donzac est l’alter ego de l’auteur, à la manière d’une mise en abyme servant à formuler un commentaire métanarratif dans le récit réaliste. Il y a plusieurs réflexions sur la vérité, sur le réalisme dans le roman, telles que le suivante : « il faudrait parler de ces choses sans les inventer et faire pour Donzac un rapport exact, un constat ».22 Il est connu que Mauriac était un grand lecteur de Balzac,23 ici Alain se souvient d’avoir réinventé l’histoire de Lucien de Rubempré (ce qui témoigne de la relation ambivalente avec Balzac). Concernant la vérité de la représentation narrative on peut lire quelques réflexions dans le troisième cahier d’Alain : « Un journal ? Non : Le récit composé, ordonné, de ce qui m’a été fourni au jour le jour par notre histoire, à maman et à moi, durant ces deux années, – mais d’abord pour essayer d’y voir clair dans ce que je suis devenu depuis la mort de Laurent ».24 (Laurent était son frère.) Et par la suite : « Suis-je devenu un autre ? […] Le vieux de Malteverne que je porte en moi succédera dans l’histoire secrète de la grande lande au vieux de Lassus, et sera, octogénaire, ce même être que je suis, et quelque enfant poète de 1970 le regardera de loin, assis immobile sur le seuil et devenu minéral. » – écrit-il.25 Mais qui parle ici : Alain Gajac ou François Mauriac ? Et après cela, un passage étonnant, surtout en connaissant ce qui suit, le destin cruel de sa fiancée détestée :

« Ce que je vais raconter, c’est du déjà vécu et non pas de l’histoire en train de se faire, bien que pourtant l’histoire continue.

Donzac saura faire la différence entre le document interprété, retouché par moi, et ce qui prend forme au jour le jour, et de page en page d’un destin inéluctable. Donzac saura interpréter mes mensonges par omission et leur fera dire la vérité à mon insu –

20 Ibid., 293.

21 Ibid., 310.

22 Ibid., 311.

23 Takayama 2001 : 309.

24 Mauriac 1975: 317.

25 Ibid., 318.

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cette vérité que je voudrais pourtant arracher de moi, que je cherche avec une passion qui m’effraie […] »26

Les circonstances du meurtre de la Pou, petite fille choisie pour fiancée par sa mère, sont plutôt suspectes. Il l’avait découvert se baignant dans un lac, elle s’est effrayée, y a couru et finalement serait trouvée étranglée. Très vite, le meurtrier, un paysan serait arrêté, lisons-nous. Or, c’est un narrateur non fiable, ayant prétendument dit qu’il allait l’étrangler, cette fille-là.27 Il écrit par exemple, dans un autre contexte : « J’invente, j’invente, et pourtant ce devrait être vrai ».28 Dans un monologue intérieur, il s’adresse avec ces mots à lui-même :

« Tu es victime de ce conteur arabe qui habite au-dedans de toi et qui invente indéfiniment des histoires, pour boucher les interstices entre les livres que tu lis, pour qu’un mur sans fissures te défende contre la vie. Mais cette fois, l’histoire que tu racontes, c’est la véritable histoire. Vraie ou inventée ? Quelle est la part de l’imaginaire ? A quel endroit précis recoupe-t-il le réel ? »29

L’ambiguïté de la relation entre la narration et la réalité dans cet univers diégétique se présente dans le personnage de Donzac qui est le narrataire du journal écrit par Alain et, en même temps, la mise en abyme du lecteur modèle et à la fois l’auteur impliqué derrière la voix narrative. Ce n’est pas sans ironie que Donzac, qui « comprend tout et n’exprime rien » est caractérisé ainsi : « Il ne compose pas, il ne crée pas. Il croit que je serai un écrivain et même un grand écrivain. Mais il croit aussi qu’à partir de n’importe quel texte de moi sur un sujet donné, fourni par la vie telle que je le ressens, il sera capable, lui, André Donzac, de ce dont je suis moi-même incapable […] »30

Enfin, Mauriac transgresse les limites du son propre réalisme en confondant les éléments fictifs et biographiques ce qui a l’effet de bouleverser la relation ontologique traditionnel entre le récit et la vie. On doit citer le dialogue entre Alain et Simon ici :

« – Vous savez ce qui m’obsède ? Je sais à qui je ressemblerai en 1970. Je vous parle souvent du Vieux de Lassus…

– Tandis que vous, vous aurez vécu, je ne sais pas quelle vie, mais vous aurez eu une vie qu’on pourra raconter, que vous vous pourriez raconter, puisque moi, votre témoin, je ne serai plus là. Le

26 Ibid., 318-319.

27 Ibid., 391.

28 Ibid., 337.

29 Ibid., 333.

30 Ibid., 296.

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premier prix de narration, en 1970, vous continuerez de l’avoir, vous verrez ! »31

Et puis, avoir avoué ses ambitions de publier ce qu’il écrit, en proposant de le voir comme récit fictif, il se demande : « Qu’aurais-je tenté, pour Donzac, depuis je rédige ce journal, que de lui proposer une vue imaginaire de Maltaverne, aussi irréelle que la Belle, que la Bête, que Riquet à la Houppe ? Ce qui fut réellement ? »32

Intertextualité et ironie

N’étant pas le narrateur seulement fantaisiste, non fiable, mais encore suspect, la voix du journal oscille entre une confession et un aveu. Cela ressemble au Voyeur de Robbe-Grillet où le criminel sadique nie à lui-même son propre crime. Notre soupçon est intensifié par des passages racontant sa mauvaise ( ? ) confession après avoir été demandé par le curé :

« – Tu as toujours fait des confessions sincères ?

– À ce moment le démon entra en moi et me souffla de répondre » Non, mon père. « »33

Et quelques pages après : « Mais moi, à ce moment-là, quel était ce démon ou cet ange qui me possédait ? Ou ce comédien ? Mais alors qui me soufflait mon rôle ? »34

Ainsi un tel cadre d’interprétation se constitue où la réflexivité et l’ironie de soi conduisent la lecture. Par exemple, le passage suivant rappelle la clôture de La Nausée. « Le nouvel homme né en moi manifestera sa force et son courage en osant utiliser pour son avancement ce destin qui sera devenu la matière d’un livre broché à trois francs ».35

Après la violation et l’étranglement de la petite Séris, le narrateur avoue qu’il avait envie de la petite fille nue, mais il ne reconnaît pas sa culpabilité en écrivant « c’est l’ennemi qui me l’a fait adorable […] »36 Que penser en lisant un tel passage :

« Je confesse que je tremblais de peur, que je transpirais d’angoisse. Peur de quoi ? Angoisse de quoi ? J’étais sûr qu’il fallait m’attendre au pire. […] L’ennemi ne m’aurait pas, si bien machiné que ce fût. »37

31 Ibid., 365.

32 Ibid., 369.

33 Ibid., 284.

34 Ibid., 297.

35 Ibid., 407.

36 Ibid., 389.

37 Ibidem..

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L’analogie avec le roman de Robbe-Grillet s’établissant à l’idée du manque, du vide est évident. Le premier signal paratextuel de cette relation hypertextuelle est une citation de Kafka comme l’épigraphe :

« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »38 Avec ces mots, à la fois aporétiques et ironiques, Mauriac essaye de réinterpréter son œuvre, en se liant d’une manière intertextuelle au roman moderne, marqué par les innovations de Robbe-Grillet, d’ailleurs critiqué ironiquement par Mauriac dans son Mémoires intérieures.39 En même temps, la dimension spirituelle, caractéristique de Mauriac, s’inscrit aussi dans ce jeu intertextuel, en nous rendant la possibilité d’interpréter psychanalytiquement le motif de culpabilité sur la base du « hors-texte » (notamment l’homosexualité caché de l’écrivain chrétien).40

« La petite Séris étranglée et violée n’est que l’image immonde et démesurément grossie du crime spirituel commis impunément par tant d’êtres qui ne se croient pas responsables, qui peut-être en effet ne le sont pas. Moi, mon Dieu, je suis, quoi que je fasse, responsable devant vous. »41

Ces phrases équivoques généralisent l’aporie biographique sur toute l’œuvre mauriacienne dont les thèmes principaux sont le crime et la culpabilité, même en nous permettant de le lire avec ironie.

Conclusion

Il apparaît par là que l’opposition entre Mauriac et le nouveau roman est un phénomène plus complexe que la critique le regarde.42Un adolescent d’autrefois surtout préfère « l’aventure d’une écriture » (comme le nouveau roman fut défini par Jean Ricardou) à l’écriture d’une aventure. Les allusions littéraires servent à réinterpréter ironiquement l’œuvre mauriacienne. Les références aux lectures de jeunesse mettent Pascal, Blondel, Barrès, les Annales de Philosophie chrétienne au même niveau quede romans de Jules Verne tels que l’Ile mystérieuse (mentionné dans Le Sagouin aussi) et les Enfants du capitaine Grant comme représentations textuelles des aventures intérieures et extérieures (voir l’opinion de Mauriac sur le roman d’aventures coupable de nous détourner de nous-mêmes dans Le Roman écrit en 1928). De l’autre côté, on peut regarder le texte dans sa réécriture ce qui est, d’après Maurice Domino, « une option épistémologique qui,

38 Ibid., 274.

39 Mauriac 1959 : 536.

40 Voir Barré 2009.

41 Mauriac 1975 : 407.

42 Famine 2001 :309-319.

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située à la confluence des théories critiques contemporaines, mettrait l’accent sur l’articulation du texte littéraire avec son » autre « ».43 Dans ce cas, l’ironie de ce coup de force de pastiche devrait être interprété comme une sorte de critique sarcastique s’intègrant dans la polémique contre Sartre et surtout contre le nouveau roman. Cette ambiguïté fut introduite par les références ironiques à Nietzsche44 dans Le Baiser au lépreux, et surtout est en accordance avec le fondement épistémologique de Sartre (dont la pensée eut des racines nietzschéennes45) et du nouveau roman, nommément avec la réduction phénoménologique évoquant l’épochè sceptique. Ce scepticisme concerne l’identité même, en justifiant la thèse derridien selon laquelle l’écriture est toujours d’emblée réécriture dont les traits constitutifs sont l’hétérogénéité, l’inversion, l’ironie, la parodie, « la graphique de l’hymen ou du pharmakon » tout comme chez Nietzsche.46 La pluralité des voix et le dialogisme sont donc aussi importants pour Mauriac que pour Nietzche ou Derrida. Un texte, c’est toujours le texte-même (identité) et son autre (altérité). « Lire un texte, c’est aussi en lire plusieurs qui affleurent implicitement ou explicitement sa surface » – écrit Maurice Domino.47 C’est-à-dire qu’Un adolescent d’autrefois confirme ce que Derrida écrivit dans Glas sur le style (tout style « se multiplie, se métamorphose sans fin jusqu’à obséder la totalité du corpus »48 et ce que Marcos Siscar commente ainsi : « Tout style se multiplie jusqu’à hanter spectralement l’identité, jusqu’à inscrire dans la lumière baroque de l’entre-deux le reste lui-même, et ses greffes ».49 La stratégie d’écriture de Mauriac évoque ces grands sceptiques, remettant en question sa propre identité et son homogénéité stylistique.

43 Domino 1987.

44 Sur l’ironie et l’ambiguïté de Nietzsche voir Derrida 1978.

45 Les allusions à Nietzsche sont évidents dans La Nausée et dans L’Etre et le néant – voir Bene 2012.

46 Derrida 1978 : 79-80.

47 Domino 1987 : 35.

48 Derrida 1981 : 15.

49 Siscar 1998 : 178.

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Katarína Kupčihová

Ducharme, le charmeur de mots

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The author presents the oeuvre of a renowed Quebec writer, Réjean Ducharme. She focuses on the linguistic aspect of his literary works, especially the lexical creativity that is to be illustrated by the examples taken from the novel Dévadé.

Dans le cadre d’un programme de recherches, une équipe d’enseignants du Département de langue et de littérature françaises de la Faculté des Lettres de l’Université de Prešov, dont je fais partie, a étudié la prose québécoise contemporaine. C’est à cette occasion que j’ai découvert le roman de Réjean Ducharme Dévadé. L’auteur, qui a fêté ses 70 ans l’an dernier, est relativement peu connu en Slovaquie et ses œuvres ne sont d’ailleurs pas, jusqu’à présent, traduites en langue slovaque.

Réjean Ducharme a publié une dizaine de romans, il a écrit plusieurs pièces de théâtre, quelques scénarios de films et des textes mis en musique et interprétés par l’une des grandes figures de la chanson québécoise, Robert Charlebois. Ducharme a débuté en 1966 avec le roman L’avalée des avalées, sorti à Paris chez Gallimard. Depuis, il s’est retiré de la vie publique. Son existence est voilée de mystère à tel point que certains journalistes se demandent s’il est encore vivant.

Grâce aux sujets développés et grâce à un langage exceptionnellement riche et original, les ouvrages de Réjean Ducharme ont suscité et suscitent toujours l’intérêt des spécialistes en littérature, de même que celui des linguistes. On dit de lui que c’est un jongleur de mots. Le titre de ma communication se veut être un clin d’œil à son patronyme. Pour moi, Ducharme est un charmeur de mots. L’écriture de Ducharme exerce un charme dans les deux sens du terme : en charmant les mots par toutes sortes de créations lexicales, de jeux de mots, de calembours, de antonymes, d’équivoques, cet auteur charmeur séduit, envoûte ceux qui le lisent. Lanchanteur, mot créé spontanément, à partir de langue et de enchanteur, par mon jeune collègue Daniel Vojtek résume l’effet que Ducharme produit sur son lecteur. Rien que les titres de quelques-unes de ses œuvres fournissent la preuve de son intérêt pour la langue qui, parfois, frôle l’obsession. Le nom d’une pièce de théâtre Ines Pérée (prénom de femme et nom orthographié au féminin) et Inat Tendu (au masculin) est transparent, facilement déchiffrable, basé sur l’identité sonore de ces noms

1 This contribution/publication is the result of the project implementation: Retrofitting and Extension of the Center of Excellence for Lingua culturology, Translation and Interpreting supported by the Research & Development Operational Programme funded by the ERDF.