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115 Luca Molnár

L’évolution de la hiérarchie des genres picturaux

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énonce le principe de la hiérarchie des genres et celle où les Salons organisés par l’Académie deviennent réguliers – voient une évolution de cette hiérarchie, doctrine qui a été déterminée, tout au long de cette période, dans une grande mesure par l’expression des passions.

Notre question par rapport à cette exigence de l’expression des passions est celle de savoir si les écrivains d’art de ces décennies arrivent à influencer le goût du public contemporain à l’égard surtout de la peinture.

Ce n’est donc pas l’importance de l’Académie que nous mettrons en cause, mais son impact sur le public. Est-ce que les achats, les sujets des commissions et l’opinion publique sont en accord avec les principes de l’Académie ? La citation, posée en épigraphe de notre travail, est utilisée alors dans un sens métaphorique : l’Académie ne fait pas usage des tableaux pour inspirer le goût du public, mais essaye d’inspirer les sentiments du public pour que celui-ci puisse mieux évaluer les tableaux.

Nous souhaitons éclairer une période problématique dans l’histoire de la théorie de l’art français avec un regard sociologique, tout en tenant compte des changements historico-politiques et conceptuels, ainsi que des relations entre les différents processus artistiques survenus à cette époque.

La pierre de touche de la peinture aux XVIIe et XVIIIe siècles : les passions

Pour mieux comprendre le rôle que les passions jouent dans ce « jeu » entre l’Académie et le public, nous allons tout d’abord clarifier ce que les écrivains d’art de la période étudiée entendent par le terme passion. Un exemple spécifique en est la définition du théoricien de l’art l’abbé Du Bos dans ses Réflexions critiques sur la Poésie et sur la Peinture au sujet des passions représentées dans les tableaux. Comme la terminologie de la passion n’est pas entièrement cohérente dans cette œuvre – les termes passion, sentiment, émotion y semblent parfois interchangeables3 –, nous nous concentrerons plus particulièrement sur l’effet suscité par les passions que Du Bos exige d’une peinture.

Il souligne que les œuvres d’art possèdent un pouvoir qui peut avoir un grand impact sur le spectateur, et que ce premier est effectivement causé par les passions qui émanent des peintures : « [les] Peintres & les Poëtes excitent en nous ces passions artificielles, en présentant les imitations des objets capables d’exciter en nous des passions véritables. »4 S’appuyant sur la tradition rhétorique d’Horace et de Quintilien, Du Bos est convaincu que les sentiments des autres personnes nous émeuvent.

C’est alors par la représentation des figures humaines exprimant des

3 Becq 1994: 247. Dans ce travail, nous n’entrerons pas dans les détails de cette terminologie et utiliserons ces termes comme synonymes.

4 Du Bos 1740 : 26.

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passions que le peintre peut toucher l’âme du spectateur : « c’est que l’émotion des autres nous émeut nous-mêmes ».5 Mais ces sentiments évoqués ne sont qu’artificiels car « [la] copie de l’objet doit, pour ainsi dire, exciter en nous une copie de la passion que l’objet aurait excitée. »6 C’est pourquoi Du Bos trouve important que les peintres (aussi bien que les poètes dont nous ne traitons pas dans le présent travail) choisissent des sujets élevés pour susciter un effet plus intense et durable chez le spectateur (ou le lecteur). C’est la seule peinture d’histoire – qui comprend, à part les sujets à proprement dits historiques, les sujets religieux et mythologiques aussi – lui semblant capable d’atteindre ce but.

Du Bos affirme que pareillement aux tragédies, ce genre de peinture parvient à toucher l’âme du spectateur. Il évoque plusieurs exemples pour soutenir cette idée, entre autres Le massacre des Innocents peint par Le Brun ou La mort de Germanicus par Poussin. L’argumentation de Du Bos éclaire la liaison intime des passions et de la peinture d’histoire, et cette liaison explique aussi la primauté du « genre élevé » dans la hiérarchie de ceux picturaux au début du XVIIIe siècle.

Mais avant d’entrer dans les détails de cette hiérarchie, nous nous permettons de dévoiler une contradiction à l’intérieur de l’œuvre de Du Bos. Un peu plus loin, notamment dans la section suivante, il parle explicitement du rapport des passions et des sujets picturaux : « [une]

grande passion allumée par le plus petit objet, est un événement ordinaire.

Rien n’est surprenant dans nos passions qu’une longue durée. »7 Il prétend alors que des fois, même le plus petit objet est capable d’allumer une grande passion dans l’âme du spectateur. Pourquoi est-il important alors pour le peintre de choisir de grands sujets ? Est-ce que les genres mineurs, à savoir tous ceux suivant la peinture d’histoire dans la hiérarchie, sont également capables d’éveiller de grandes passions ? Finalement, quel genre – et quel sujet – est susceptible de produire une passion durable dans l’âme du spectateur, et le sujet historique peut-il toujours la garantir ? L’Académie et la hiérarchie des genres

Qu’est-ce qui caractérise alors la peinture d’histoire ? En paraphrasant les pensées de Du Bos, nous pouvons dire que les tableaux appartenant à ce genre doivent aller plus loin que le simple plaisir des yeux du spectateur :

5 Du Bos 1740 : 42. Déjà précédant la publication de l’ouvrage de Du Bos, Alberti et Léonard de Vinci insistent sur l’importance des passions dans un tableau, idée qui remonte à la tradition rhétorique. Alberti inclut dans la toile une « figure de liaison » qui montre explicitement les passions au spectateur, tandis que Léonard de Vinci peint des personnages qui les expriment avec leur geste ou regard. (Kovács 2004 : 36-37.)

6 Du Bos 1740 : 26.

7 Ibid., 42.

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ils doivent toucher son âme. Autrement dit, seules les grandes passions sont capables d’atteindre ce but, et seuls les sujets historiques, religieux ou mythologiques permettent la représentation des passions. Cette dernière affirmation est néanmoins trop simplifiée et nécessite d’être nuancée. Bien que l’importance de l’expression picturale des passions ne diminue pas lors de la période examinée, nous devons étudier plus attentivement le rapport entre la peinture d’histoire, située au sommet de la hiérarchie par Du Bos, et les genres qualifiés de mineurs.

Avant d’entrer dans les détails de l’examen de cette division, nous trouvons important de clarifier très sommairement la terminologie que nous utiliserons. Il faut préciser que le mot « hiérarchie » ne figure pas dans les textes que nous observons dans ce travail, et « [à] l’âge classique, dans le vocabulaire de la peinture, le terme « genre » n’est pas employé systématiquement pour signifier cette notion, comme il le sera plus tard. »8 L’objectif des écrivains d’art de la deuxième moitié du XVIIe siècle jusqu’au début du siècle suivant est d’argumenter pour la supériorité de la peinture d’histoire, ne pouvant le faire qu’en la comparant avec d’autres peintures.9 En conséquence, une sorte de classification est établie dans ces écrits, et les catégories qui la construisent comprennent les tableaux sélectionnés pour leurs sujets. Comme l’argumentation des théoriciens va plus loin que tout simplement identifier les grands et les petits sujets, nous ferons référence à leur catégorisation plus élaborée et détaillée par l’expression « hiérarchie des genres », même si elle leur a été donnée ultérieurement, sans pour autant entrer dans les détails de l’historicité du terme.

Reprenant la problématique de la peinture d’histoire et de la conception de ce genre par les écrivains d’art, nous évoquerons d’abord les idées des théoriciens ayant déterminé la pensée picturale de l’époque et qui étaient tous liés de quelque façon à l’Académie. André Félibien (1619-1695), déjà évoqué, était membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, ainsi que secrétaire de l’Académie Royale de l’Architecture pendant une courte période. C’est lui l’auteur de la Préface aux Conférences de l’Académie Royale de peinture et de sculpture pendant l’année 166710 où il avait établi une hiérarchie des genres picturaux à laquelle nous avons déjà fait allusion. Il faut cependant préciser que Félibien ne parle pas en termes de genres mais de sujets picturaux11 : c’est le sujet du tableau qui détermine selon lui sa capacité à exprimer les passions. Au niveau le plus bas se

8 Lavezzi 2009 : 31.

9 Ibid., 34.

10 Félibien : 1668.

11 Kovács 2011. Les noms des différents genres picturaux que l’on utilise aujourd’hui leur ont été donnés ultérieurement.

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trouvent les peintures des fleurs, des fruits, des coquilles et des objets que nous rangerions aujourd’hui parmi les natures mortes. Elles sont suivies par les paysages, les animaux et la représentation de l’être humain. Au niveau le plus haut, il met donc les sujets de la peinture d’histoire, mais ne s’y arrête pas pour autant. Il ne suffit pas selon lui de peindre un événement historique avec plusieurs personnages car le tableau doit être allégorique pour pouvoir toucher le spectateur :

Néanmoins un Peintre qui ne fait que des portraits n’a pas encore atteint cette haute perfection de l’Art, et ne prétendre à l’honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d’une seule figure à la représentation de plusieurs ensembles ; il faut traiter l’histoire et la fable ; il faut représenter de grandes actions comme les Historiens, ou des sujets agréables comme les Poètes ; Et montant encore plus haut, il faut par des compositions allégoriques, savoir courir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes, et les mystères les plus relevés. L’on appelle un grand Peintre celui qui s’acquitte bien de semblables entreprises.12

Selon Félibien, c’est cette catégorie qui exige le plus la représentation des passions et qui est ainsi la plus favorisée. Nous devons pourtant préciser que la hiérarchie de Félibien n’est pas la hiérarchie conventionnelle de l’Académie car il exprime ses propres idées dans la Préface. Néanmoins, il est impossible de séparer entièrement les conceptions qui dominent la pensée de Félibien et le discours sur l’art institutionnel – question à laquelle nous reviendrons plus tard.

C’est cette hiérarchie de Félibien que l’écrivain d’art Roger de Piles – également diplomate et conseiller honoraire de L’Académie – évoque dans son Dialogue sur le coloris en 1673. Nous devons tout de même remarquer que l’allégorie n’est plus importante chez lui. Il met la peinture d’histoire à la tête de la hiérarchie, mais n’entre pas dans les détails des caractéristiques de ce genre ; il se concentre surtout sur les genres inférieurs, comme le paysage et le portrait.13 Avec les termes de René Démoris, spécialiste de la pensée artistique française des XVIIe et XVIIIe siècles, dans les textes qui suivent celui de Félibien, « on assiste de fait à une suppression de l’allégorie », et « l’effort de déchiffrement apparaîtra comme nuisible à l’émotion. »14 C’est cette suppression que nous trouvons entre autres chez Noël Coypel,15 peintre académicien et directeur de l’institution entre 1673 et 1675. Il se réfère à la même conception des genres que Roger de Piles dans ses réflexions intitulées Sur le rang que le dessin et le coloris doivent tenir

12 Félibien 1996 : 50.

13 Kovács 2004 : 57.

14 Démoris 2000 : 57.

15 Noël Coypel (1628-1707) était un peintre reconnu déjà avant sa réception à l’Académie Royale de Peinture et Sculpture en 1663.

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entre les parties de la peinture en 1697. Son fils, Antoine Coypel16 devient aussi peintre reconnu à l’Académie : il est l’auteur du Discours prononcez dans les conférences de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture (en 1721) où il place la peinture d’histoire au-dessus de tous les autres genres. L’argumentation de l’abbé Du Bos que nous venons de présenter au début de cette étude suit en effet les mêmes principes en 1719, plus de cinquante ans après la publication des Conférences de l’Académie.

La position de Du Bos n’est guère surprenant si l’on tient compte de ce qu’il était rattaché à l’institution académique en qualité de diplomate, écrivain d’art et secrétaire de l’Académie Française à partir de 1722. Mais nous ne devons pas oublier que Du Bos ajoute à la hiérarchie traditionnelle la possibilité qu’un petit objet puisse évoquer une grande passion. René Démoris offre une interprétation de ce problème que nous partageons : il le comprend telle la manifestation d’un aspect social, notamment le goût personnel ajouté à la hiérarchie traditionnelle.17 Il va encore plus loin :

Pour Du Bos, le public a toujours raison, en dernière analyse ; mais il peut être égaré par les préjugés, et le verdict définitif risque d’être celui que proposent non des connaisseurs (Du Bos exclut même les peintres, pour cause de routine), mais plutôt ce que nous appellerions des gens cultivés.18

En dépit de ces déplacements d’accent, tout se passe comme si rien et personne ne contredisait le principe même de la classification établie par les académiciens, et que les écrivains d’art ne faisaient qu’ajouter ou préciser quelques aspects de la hiérarchie. Au début du siècle des Lumières, l’Académie occupe une place exceptionnelle dans l’évaluation de l’art : la hiérarchie des genres lui permet non seulement de sélectionner les œuvres jugées les meilleures, mais aussi les artistes les plus doués. Nous devons pourtant remarquer que malgré le fait que l’Académie apprécie le plus la peinture d’histoire, les peintres exerçant les genres mineurs ont également la possibilité de devenir ses membres (nous reviendrons aux exceptions plus tard), mais leur position est inférieure à celle des peintres d’histoire. De cette manière, l’Académie réussit à contrôler l’activité artistique, à prescrire ce qui est la « bonne peinture », à garantir le respect et la reconnaissance pour les artistes qu’elle accepte – tout en les

16 Antoine Coypel (1661-1722) était le fils de Noël Coypel et est devenu peintre comme son père. Il a été accepté à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture à l’âge de dix-huit ans.

17 Démoris 2000 : 60.

18 Ibidem.

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hiérarchisant – et elle devient ainsi un instrument de monopole dans le pays.19

Finalement, l’institutionnalisation que nous avons mentionnée dans notre introduction est aussi en rapport étroit avec l’établissement d’une hiérarchie des genres. C’est le contexte politique qui inspire Félibien – et les autres écrivains d’art de son époque – de catégoriser les genres picturaux : le système administratif du pays sous le règne de Louis XIV est réorganisé après 1661 « de façon strictement hiérarchique, et à la tête de [chaque administration] figurait le roi. »20 Tout simplement, comme l’Académie est une institution (en plus, relativement nouvelle à cette période), elle intégre la perception de l’administration politique et commence à catégoriser tout dont elle est la responsable, y compris la production artistique aussi. Il n’est pas surprenant de voir alors que la hiérarchie des genres est construite d’une manière pareille à celle de l’administration : leur tête doit être nécessairement le roi. Si nous évoquons donc la hiérarchie de Félibien, où les tableaux allégoriques sont au sommet et observons les peintures qui y appartiennent, nous trouvons que les allégories sont les peintures racontant les actes héroïques et dignes du roi. Cette contextualisation succincte permet de préciser la diminution de l’importance de l’allégorie après la mort de Louis XIV et aussi le fait pourquoi la hiérarchie est, dans tous les cas, liée à l’Académie.

La perspective du public au début du XVIIIe siècle

Après avoir vu le contexte dans lequel sont nées la hiérarchie des genres et les conditions déterminant son évolution sous la plume des écrivains d’art, nous examinerons par la suite comment la théorie de la classification des genres se réalise dans la production artistique de la même époque. En ce qui concerne l’expression des passions, le résultat de l’exigence à l’égard de la peinture est la naissance d’un nombre croissant de tableaux historiques qui représentent de grandes passions surtout pendant le premier tiers du XVIIIe siècle. Pourtant, il est frappant de voir qu’à cette même période, parallèlement, les genres mineurs (à savoir tous les genres considérés comme inférieurs à la peinture d’histoire) deviennent aussi très populaires, leur production augmente. D’un côté, cette tendance n’est pas étrange, car tous les genres étaient acceptés à l’Académie, mais de l’autre côté, les genres moins prestigieux n’avaient jamais pu atteindre la même appréciation que la peinture d’histoire.

La raison du succès quasi-équilibré des différents genres de la peinture doit être cherchée dans la composition du public. Avant le milieu du XVIIe siècle, les arts plastiques n’étaient accessibles que pour une couche

19 Francastel 1990 : 179.

20 Kirchner 1997 : 196.

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de la société très fine, très riche et très proche du roi. C’est grâce aux expositions organisées par l’Académie à partir de 1663 qu’un public plus large peut voir les tableaux de haute qualité.21 Les débuts de ces expositions « n’avaient pas été très prometteurs »,22 comme l’écrit l’historien de l’art, Thomas Crow – surtout à cause des lieux qui n’étaient pas convenables (les arcades du Palais Royal et, ensuite, les salons de l’Académie). Mais à partir de 1699, les expositions ont déménagé au salon carré du Louvre – d’où vient leur nom, le Salon. Elles étaient toujours irrégulières en ce temps-là, mais cette salle permettait aux peintures exposées d’être vues par un public plus large, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Il fallait encore une quarantaine d’années « avant que le Salon ne devînt une manifestation régulière de la vie culturelle française »23 en 1737,24 mais cela na nullement empêché l’apparition d’un nouveau public.

L’autre facteur contribuant à l’agrandissement du public est l’aménagement du centre culturel de Versailles à Paris déjà sous le règne de Louis XIV. Grâce à la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture et l’ouverture des expositions organisées par cette Académie – toutes ayant lieu à Paris –, l’art peut se rapprocher de la population de la capitale « dominée par la classe nouvelle des financiers, des banquiers, des fermiers, une classe aisée donc ».25 Le nouveau type de public, dérivant de cette nouvelle couche sociale, n’est pas lié à la Cour, mais il est riche et aspire à égaler l’aristocratie en fortune et en habitudes. Ces nouveaux amateurs, curieux et même collectionneurs ont néanmoins des goûts spécifiques – un intérêt particulier aux peintures de genre – et une volonté à exprimer leurs opinions sur les tableaux.

Il est frappant de voir que l’évolution de la hiérarchie des genres et le renforcement de ce nouveau public se déroulent presque en même temps, et il nous semble alors inévitable d’établir une correspondance entre ces deux processus. Au niveau de la théorie de l’art, la hiérarchie part des allégories et arrive jusqu’au « petit objet » ; tandis qu’au niveau social, l’opinion de ce nouveau public devient de plus en plus déterminante dans l’appréciation de l’art. Mais le seul fait qu’une nouvelle classe sociale apparaisse parmi les spectateurs de l’art, ayant des goûts picturaux

21 Nous devons tout de même mentionner que les marchands vendaient des tableaux aux foires où ils avaient une clientèle relativement large, mais ces tableaux coïncidaient rarement avec ceux appréciés par l’Académie. Sur ce sujet voir: Crow 2000

22 Crow 2000 : 5.

23 Ibid., 6.

24 Après 1737, le Salon avait lieu chaque année, mais il « ne prend sa forme définitive qu’en 1746 : il est bi-annuel » à partir de cette date. (Lavezzi 2009 : 9.)

25 Prohászka 2015 : 111.

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particuliers, ne suffit pas à expliquer l’ascension des genres mineurs au XVIIIe siècle.

Avec l’ouverture des salles d’expositions et l’entrée de nouveaux spectateurs, les artistes réussissent à se présenter à de nouveaux collectionneurs, des connaisseurs et des amateurs, étant tous des clients potentiels et prospères. Les nouvelles commissions rémunératrices à souhait attendent d’eux surtout des tableaux de genres mineurs.

Autrement dit, ce public leur commande des peintures qui – d’après la doctrine de l’Académie – n’allument pas de passions dans l’âme du spectateur. Par conséquent, pour gagner leur vie, c’est moins à l’Académie que les peintres préfèrent se conformer qu’à ces nouveaux commanditaires. Le résultat de cette tendance est qu’en moins d’un siècle, le pouvoir de l’Académie baisse considérablement et, parallèlement, les genres mineurs fleurissent. Nous pouvons nous poser alors la question de savoir pourquoi les genres mineurs – et surtout la peinture de genre – ont réussi à acquérir tant de popularité, à l’encontre des principes représentés par l’Académie ? Est-ce que ce nouveau public ne cherche pas les passions dans les tableaux ou bien les trouve-t-il dans les peintures de genres mineurs ? Une autre question se pose par rapport à celle-ci : quelle est la cause du mépris des genres mineurs par les académiciens ?

La peinture de genre

La hiérarchie des genres se présente au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles comme la division des peintures en deux grandes catégories : celle des « grands » sujets et celle des « mineurs », cette dernière étant inférieure à la première. Mais les genres mineurs forment un groupe beaucoup plus vaste et varié que celle de la peinture d’histoire. Dans sa classification, Félibien précise déjà quelques catégories qui y appartiennent :

Ainsi celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d’un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l’homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la terre, il est certain aussi que celui qui se rend l’imitateur de Dieu en peignant des figures humaines est beaucoup plus excellent que tous les autres.26

Nous y reconnaissons les genres tels que nous appelons aujourd’hui nature morte ou paysage. Nous pouvons y ajouter aussi le portrait, qui est traité dans le Cours de peinture par principes de Roger de Piles déjà cité.

Il est néanmoins frappant de voir que la peinture de genre ne figure pas dans la hiérarchie de Félibien. Thomas Kirchner explique ainsi

26 Félibien 1996 : 50.