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II. Le journalisme dans l’œuvre de Zoltán Ambrus

II. 2. Les débuts et les grandes étapes d’une carrière d’écrivain-journaliste

Selon l’un de ses contemporains, Ambrus fut Hongrois de caractère et de tempérament, hongrois fut son sort et le tragique de sa vie, mais le caractère de sa personnalité, son goût littéraire, les idées qu’il se faisait de la vie, toute son orientation furent français270.

« Ce fut une âme solitaire : il vécut en compagnie de ses idées. Le plus souvent, c’était dans les cafés dépeuplés de la ville qu’on pouvait encore le voir, pendant les heures creuses de la matinée, avec ce qu’il faut pour écrire, devant lui, sur la table : il se sentait tellement seul parmi les hommes qu’il pouvait même travailler dans un tel endroit public271. »

Zoltán Ambrus, l’écrivain-journaliste des phénomènes de la grande ville, fréquente les cafés Valéria, Centrál et New York pour travailler et rédiger ses articles. Au début du siècle, Budapest vibre d’ailleurs dans l’effervescence culturelle qui règne dans ses cafés272, véritables lieux d’inspiration, vrais théâtres de la vie intellectuelle, qui servent aussi de foyer ou de refuge aux artistes et aux écrivains et qui contribuent ainsi à l’épanouissement de la littérature

267 Voir Pierre Albert, « Presse et littérature, écrivains et journalistes », in Histoire générale de la presse française. Tome III. De 1871 à 1940, sous la dir. de Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou, Paris, PUF, 1972, p. 278–279.

268 Voir la liste de ses premiers articles publiés dans ce journal dans l’Annexe.

269 Ce choix de pseudonyme montre bien son attitude : un observateur qui reste plutôt à l’arrière-plan et formule son opinion dans cette optique. Voir Gizella F. Ambrus – Zoltán Fallenbüchl, op. cit., p. 29.

270 Nicolas Surányi, « Zoltán Ambrus », in Nouvelle Revue de Hongrie (Budapest), avril 1932, p. 275.

271 Géza Voinovich, « Zoltán Ambrus. Un romancier de la fin du siècle », in Nouvelle Revue de Hongrie (Budapest), juillet 1943, p. 80.

272 Voir Éva Szentes – Emil Hargittay, op. cit.

hongroise273. C’est une ère nouvelle qui se prépare essentiellement pendant les discussions entre écrivains autour des tables de café, comme l’un de leurs contemporains l’évoque en faisant référence à l’influence française chez Zoltán Ambrus :

« Entre 1880 et 1890, d’autres signes annonçaient aussi l’avance prochaine de la sensibilité littéraire française en Hongrie. Les jeunes écrivains en parlaient fréquemment. Un des amis de Reviczky a noté à son sujet, qu’en compagnie de Justh et de Zoltán Ambrus, lequel dans ses romans et nouvelles, devait subir l’influence de Flaubert, de Zola, et de Maupassant, il s’entretenaient volontiers de littérature française et qu’à leur table de café, il avait été plus d’une fois question de Stendhal, de Flaubert, de Leconte de Lisle et, toujours plus souvent, de Baudelaire. »274

A l’époque d’Ambrus, Budapest, comme Paris, est le véritable centre de la vie spirituelle du pays et il s’agit alors d’une ville dynamique à la recherche de relations et d’une influence européennes275. Et puis, c’est la vie spirituelle parisienne qui y exerce le plus fort rayonnement : la Librairie Révai est abonnée à des revues françaises telles que la Revue de l’Art Dramatique, La Lecture ou la Revue indépendante. Les journaux français accessibles à Budapest donnent des nouvelles de la vie culturelle européenne pour Ambrus. Il faut noter que plus tard, dans les années 1920, Ambrus peut déjà se permettre de commander des ouvrages récents de la littérature française pour sa propre bibliothèque et d’être abonné à plusieurs revues françaises, la Revue des Deux Mondes, Gringoire, Candide, Je suis Partout, La Plume ou L’Illustration276. Dans son fonds d’archives, conservé à la Bibliothèque nationale Széchényi de Budapest, nous pouvons trouver les exemplaires de plusieurs revues françaises mentionnées ci-dessus comme L’Illustration (1910), Candide (numéros des 1926, 1928–31), Gringoire (numéros de 1928), Le Magazine littéraire (numéros de 1930), le Feuilleton du Temps (numéros de 1930)277. Lors des futures recherches, il serait intéressant de voir de plus près la presse française de l’époque comme source d’inspiration possible de Zoltán Ambrus pour la rédaction de ses œuvres journalistiques, critiques et ses traductions.

Il faut noter, du point de vue de l’avènement du journalisme littéraire de l’époque, que

« …la plupart des hommes de lettres du XIXe siècle sont […] investis dans la rédaction de

273 Voir Les Cafés littéraires de Budapest. Anthologie de textes littéraires hongrois et photographies anciennes, préface de Gyula Zeke, textes traduits du hongrois par Joëlle Dufeuilly, Jean-Léon Muller, Chantal Philippe, Dominique Radanyi, Nantes, Le Passeur, 1998, 153 p.

274 Ce souvenir de Pál Koroda est rapporté par Katalin Lengyel, Baudelaire magyar kritikusai és fordítói [Les critiques et les traducteurs hongrois de Baudelaire], Budapest, 1937, p. 12. Cité par André Karátson, op. cit., p. 44.

275 Voir entre autres les recherches de Péter Nagy, Vous et nous. Essais de la littérature hongroise dans un contexte européen, éd. cit.

276 D’après les documents (lettres, bons de commandes, factures) conservés dans le Département des Manuscrits du Musée littéraire Petőfi de Budapest (V. 5872/59), Zoltán Ambrus correspond, entre autres, avec les maisons d’éditions et les éditeurs les plus importatns pour commander des livres et des revues pour sa propre bibliothèque.

277 Voir en détail dans l’Annexe.

revues et de quotidiens, inaugurant des pratiques de publication tout à fait neuves »278. C’est aussi le cas de Zoltán Ambrus dont le parcours journalistique fournit un bon exemple de ce phénomène nouveau dans le journalisme européen.

Dès les débuts de sa carrière de journaliste, Ambrus écrit beaucoup sur des thèmes artistiques : sur la littérature, les beaux-arts, les expositions, les opéras, mais le théâtre est avant tout son sujet de prédilection. Son œuvre journalistique279 reflète la palette des revues littéraires hongroises de l’époque. Son premier article, paru dans la presse, est une critique de théâtre, publiée dans Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale] (1865–1903) en 1879280. Il y donne son avis sur Nana d’Émile Zola en 1880281, les romans récents de Mór Jókai282, les poèmes de József Kiss283, et y publie une critique d’opéra qui est à la fois une chronique, car il part pour Londres pour assister à la représentation de l’opéra de Bódog Orczy (1835–1892), intitulé Il rinnegato, composé d’après le roman Zord idő [Temps dur] (1858) de Zsigmond Kemény (1814–1875), en 1881284. Il consacre l’une de ses premières critiques importantes à la littérature française où il formule son avis sur les poèmes de Charles Baudelaire à propos d’un recueil d’essais de Paul Bourget dans le journal Budapesti Szemle [Revue de Budapest]285 en 1884.

Puis, il collabore au journal Függetlenség [Indépendance] (1882) et au journal Egyetértés [Accord] (1883) en tant que critique de théâtre, aux quotidiens Pesti Napló [Journal de Pest]

(1850–1939, 1888–1889) et Magyar Hírlap [Journal Hongrois] (1876–1879, 1891–1938), Budapesti Hírlap [Journal de Budapest] (1883–1939), aux hebdomadaires Nemzet [Nation]

(1882–1899), Ország-Világ [Tout le Monde] (1886–1888), A Hét [La Semaine] (1890–1924) et Új Idők [Temps nouveaux] (1895–1949), au Pester Lloyd (1853–1944), le journal allemand de la capitale qui est aussi le périodique hongrois le plus important à l’étranger286.

278 Marie-Eve Thérenty, La littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, éd. cit., p. 16.

279 Il écrit sous les pseudonymes suivants dans des journaux de l’époque : A. ; a. ; A-s ; A.Z. ; a.z. ; Bojtorján ; Csongor ; Flaneur ; f.p. ; Gönczöl ; I-c ; Idem ; Igric ; Little John ; Lucius ; Május ; Masque ; Mirror ; Mizantróp ; Mustármag ; Nestor ; Ovidovits László ; Pont, -que ; Rab Jenő ; -s ; Semper ; Spectator ; Tiborcz ; T.Z. ; Vessző ; Ygrec ; Z. ; ? . Zoltán Fallenbüchl note à ce propos que Ambrus signe ses nouvelles et ses récits courts sous son propre nom, tandis qu’il utilise plusieurs pseudonymes pour ses articles, chroniques et critiques, ce qui exprime sa pensée selon laquelle ces derniers sont liés plutôt à l’actualité. Voir Gizella F. Ambrus – Zoltán Fallenbüchl, op. cit., p. 74.

280 Voir T. Z. [Zoltán Ambrus], « Björnson : Leonarda » [représenté au Théâtre National de Budapest le 10 décembre 1879] , in Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale], num. 283, le 10 décembre 1879.

281 Voir T. Z. [Zoltán Ambrus], « Nana de Zola », in Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale], 1880/num. 40.

282 Voir ses comptes rendus dans les numéros 80 et 81 de Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale] de l’année 1881.

283 Voir son compte rendu dans le numéro 26 de Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale] de l’année 1882.

284 Voir sa chronique dans le numéro 160 de Fővárosi Lapok [Feuilles de la Capitale] de l’année 1881.

285 Voir Zoltán Ambrus, « A pesszimizmus egy új bírálója [Un nouveau critique du pessimisme] », in Budapesti Szemle, 1884, XXXIX, p. 143.

286 Voir Géza Buzinkay, Magyar hírlaptörténet 1848–1918 [Histoire de journal hongrois 1848–1918], Budapest,

Il y publie ses chroniques, ses critiques, ses nouvelles et ses romans en feuilleton. De plus, il rédige encore quelques articles pour Harmónia [Harmonie] (1883–1884) de József Keszler (1819–1902), pour les journaux Koszorú [Couronne] (1879–1882), Magyar Salon [Salon hongrois] (1884–1906) et Vasárnapi Újság [Le Journal de Dimanche] (1854–1921)287. Sa première nouvelle publiée porte le titre Messziről jött levelek [Lettres arrivées de loin] et paraît dans le journal Ország-Világ [Tout le Monde] en 1886288. Dans les années 1900, il collabore entre autres aux journaux Az Újság [Le Journal] (1903–1944), Magyar Nemzet [Nation hongroise] (1910–1913), Magyar Figyelő [Observateur hongrois] (1911–1918), Az Est [Le Soir] (1914–1939) et Világ [Monde] (1911–1949).

Du point de vue de l’ensemble de son parcours d’écrivan-journaliste, il nous semble important de souligner que la présence de la culture française est significative dès le début de sa carrière, déjà avant son séjour parisien. Nous mettons en relief qu’il devient collaborateur du journal Nemzet [Nation] en 1882, à l’âge de 21 ans, et rédige un long article sur Émile Zola qui paraît le 9 décembre 1882289. Il s’agit d’une chronique dans laquelle il parle de l’activité de l’auteur français en tant que journaliste. Il mentionne son ouvrage Une campagne (1882), le recueil de ses articles parus dans Le Figaro (1880–1881) chaque lundi. Ambrus rédige sa chronique à l’occasion de la parution de cet ouvrage qu’il a déjà pu lire auparavant, car il figure dans son carnet de lectures de la même année, gardé en manuscrit dans son fonds d’archives à la Bibliothèque nationale Széchényi290. Il est intéressant de remarquer que Ambrus souligne l’importance de la forme : il analyse le langage de Zola et constate le caractère solide et sévère de ses articles. Finalement, il précise que Zola aime son époque et trouve nécessaire la vérité, et c’est pour tout cela qu’il mérite d’être traité dans cet article.

D’ailleurs, les romans de Zola sont connus du public hongrois de l’époque. Selon la publicité éditoriale de Nemzet [Nation] du 1er décembre 1883, on peut lire Le Bonheur des Dames [Hölgyek öröme] d’Émile Zola, dans la traduction de Pál Tarnay, aux éditions Athenaeum. Le quotidien publie également en feuilleton le roman Germinal de Zola, dans la traduction de Sándor Adorján cette même année. Zola est parmi les écrivains français dont les œuvres sont

Corvina, « Tudástár », 2008, p. 71.

287 Voir József Szinnyei, « Ambrus Zoltán », in Irodalomtörténet [Histoire littéraire], 1918, p. 6.

288 Sa première nouvelle est publiée dans le numéro 52 de l’année 1886 de Ország-Világ [Tout le Monde].

289 Voir « Zola Emil », írta Ambrus Zoltán. A Nemzet tárcája, Budapest, december 9. [1882] num. 102.

Voir la version numérique de ce numéro sur ce lien :

https://adtplus.arcanum.hu/hu/view/Nemzet_1882_12/?pg=71&layout=s&query=Zola

290 Voir son carnet de lectures dans le Fonds 471 à la Bibliothèque nationale Széchényi.

traduites en hongrois peu après leur publication en France comme nous l’avons déjà évoqué précédemment291.

Cette influence de la culture et de la littérature françaises devient encore plus grande pendant et après sa période de Paris (1885–1886). Le fait qu’il séjourne au début de sa carrière, à l’âge de 24 ans, presqu’une année à la capitale française comme journaliste correspondant du journal Nemzet [Nation] (1882–1899), exerce, selon notre conviction, une influence importante sur l’ensemble de son œuvre. Notons aussi qu’après son retour de Paris à Budapest, il collabore pendant deux ans au périodique Ország-Világ [Tout le Monde] (1886–

1888) : il y rédige des chroniques populaires sous le pseudonyme Május dans lesquelles Paris est un important point de repère292. Sa première nouvelle publiée porte le titre Messziről jött levelek [Lettres arrivées de loin] et paraît également dans ce journal en 1886293.

Ambrus, fortement attaché à la littérature française, collabore également à plusieurs revues importantes du point de vue de la présence de la littérature étrangère : il reste l’un des fondateurs de la revue A Hét [La Semaine] (1890–1924, 1890–1905), collaborateur de Új Idők [Temps nouveaux] (1895–1949, 1897–1911), rédacteur de Új Magyar Szemle [Nouvel Observateur hongrois] (1900, 1920–1921). Il est également collaborateur à plusieurs revues qui deviennent les précurseurs de la revue Nyugat [Occident] : ainsi, il rédige avec Géza Gárdonyi la revue Jövendő [L’Avenir] (1903–1906) de Sándor Bródy, il collabore aux périodiques Magyar Géniusz [Génie hongrois] (1892–1903) et Figyelő [Observateur] (1905).

Il écrit dans le journal Szerda [Mercredi] en 1906 avec Ignotus et, comme la plupart des écrivains de l’époque, il est aussi journaliste chez Pesti Napló [Journal de Pest]. Son nom figure sur la couverture de la revue Nyugat [Occident] (1908–1941).

II. 3. Le journaliste engagé des revues littéraires en rapport avec la culture française

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