• Nem Talált Eredményt

Le morne-au-diable

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Ossza meg "Le morne-au-diable"

Copied!
76
0
0

Teljes szövegt

(1)

Dessins part. A. BEAUCÉ.

PREMIERE PARTIE.

C U A P I T R E P R E M I E R .

L e passager.

Vers h fin d e mai 1690, le trois-màts h Licorne partit de l.i Rochelle p o u r la Mar- tinique. Le capitaine Daniel commandait ce navire a r m é d'une douzaine de pièces do moyenne artillerie, précau- tion défensive nécessaire : nous étions alors en guerre a v e c l'Angleterre, et les pi- rates espagnols venaient sou- vent croiser ail vent d e s An- tilles, malgré les fréquentés poursuites de nos flibustiers.

Parmi les passagers de la Licorne, très-peu nombreux d'ailleurs, on remarquait le révérend père Griffon, de l'ordre des f r è r e s Prêcheurs.

Il retournait à la Martinique desservir la paroisse du Ma- c o u b a , dont il occupait la cure depuis quelques a n n é e s , à la grande satisfaction des habitants et des esclaves de ce quartier.

La vie tout exceptionnelle

Messieurs, que ]C perde mon nom si, dans un mois d'ici, la Barbe-Bleue n'est pas la femme de Polypliëmc de Crouslillac. — PAGES 0-1.

des Antilles d a n s une posi- tion particulière. Ils devaient iion-sctilemcnt prêcher, con- fesser, communier leurs ouail- les. mais aussi les aider à se défendre lors des fréquentes descentes de leurs ennemis de toutes nations cl de toutes couleurs.

La maison curialc était, c o m m e les autres h a b i t a - t i o n s , également isolée cl exposée à dos surprises meurtrières : plus d ' u n e fois le père Griffon, aidé de ses deux nègres, bien r e t r a n c h é derrière une grosse porte d'a- cajou crënclec, avait repous- sé les assaillants p a r un feu vil et n o u r r i .

Autrefois professeur de géométrie et de m a t h é m a t i - ques, possédant d'assez gran- des connaissances théoriques en architecture militaire, le père Griffon avait donné d'ex- cellents avis aux gouverneurs successifs tle la Martinique sur la construction de quel- ques ouvrages de défense.

Ce religieux savait en outre à merveille la c o u p e des pierres cl des c h a r p e n t e s ; instruit en agriculture, e x - cellent jardinier, d'un esprit inventif, plein de ressources.

des colonies, alors presque continuellement en état d'hostilité ouverte I d'une r a r e énergie, d'un courage déterminé, c'était un homme précieux contre les Anglais, les Espagnols ou les Caraïbes, mettait les p r ê t r e s | pour la tolouic et surtout pour le quartier qu'il habitait. La parole

y | Pin». —Intprinwm IdmMCT,!«· J'EiIwih, I. 1 uravurs par A. L I T I E I U I .

(2)

602 LE MORNE-AU-DIABLE.

évangélique n'avait peut-être pas dans sa bouche toute l'onction dési- rable; sa voix était dure, ses exhortation» rudes ; niais le sens moral en était excellent, et la charité n'y perdait rien. Il disait la messe assez vile et fort à la flibustière. Ou le lui pardonnait en songeant que l'office avait souvent été interrompu par une descente d'Anglais hérétiques ou de Caraïbes idolâtres, et qu'alors le père Criffon, sautant de la chaire où il prêchait la paix et la concorde, s'était un des premiers mis à la tête de son troupeau pour le défendre.

Quant aux blessés et aux prisonniers, une fois l'engagement terminé, le digne p r ê t r e améliorait leur position autant qu'il le pouvait, et p a n - sait avec toute sorte de soins les blessures qu'il avait faites.

Nous n'cutreprendrons pas de prouver que la conduite du père Grif- fon fût de tout point canonique, ni de résoudre cette question si souvent controversée . « Dans quelles occasions les clercs peuvent ils aller à la g u e r r e ? » Nous n'invoquerons à ce sujet ni l'autorité de saint G r é - goire, ni celle de Léon IV ; nous dirons simplement que c e digne prêtre faisait le bien et repoussait le mal de toutes ses forces. D'un caractère loyal et géocieux, ouvert et gai, le père Griffon était malicieusement hostile et moqueur envers les femmes C'était do sa part de continuelles plaisanteries de séminaire sur les 1111« d ' B v i , sur ces tentatrices, sur ces diaboliques alliées du serpent. Nous dirons, à lu louange du pure Griffon, qu'il y avait d a n s ses railleries, d'ailleurs sans aucun licl. un peu de rancune cl de dépit ; il plaisantait joyeusement s u r un bunlirtir qu'il regrettait de ne pouvoir même désirer;"car, malgré la licence e x t r ê m e des habitudes créoles, la pureté des m œ u r s du père Griffon ne se démen- tit jamais.

On aurait peut-être pu lui reprocher d'aimer un peu la bonne c h è r e ; lion qu'il en abuaét (il se bornait à jouir des biens que Dieu nous donne), mais il aimait singulièrement à s'entretenir de recettes merveilleuses pour cuire le gibier, assaisonner le poisson, on conserver dans le sucre les fruits parfumés des tropiques : quelquefois même l'expression de sa sensualité devenait contagieuse, lorsqu'il racontait certains repas à la boucautère faits au milieu des forêts 011 sur les cotes de l'île. Le père Grif- fon possédait, e n t r e autres, le secret d'un bouean de tortue dont le r é - cit pittoresque suffisait pour éveiller une faim dévorante chez ses a u d i - t e u r s . Malgré son formidable et fiénuent appétit, le père Griffon obser- vait scrupuleusement ses jeûnes, qn une bulle du pape rendait d ailleurs beaucoup moins rigoureux aux Antilles et aux Indes mi'eii Europe. Il est ¡milite de dire que le digne p r ê t r e aurait abandonne le repas le plus exquis pour remplir ses devoirs religieux e n v e r s un pauvre esclave ; que personne n'était plus que lui pitoyable, aumônier cl sagement ménager, regardant le peu qu'il possédait comme le bien des malheureux.

Jamais ses cousolalions, ses secours ne manquaient à ceux qui s o u f - fraient ; une fois sa tâche chrétienne accomplie, il travaillait gaiement et vigoureusement à son jardin, arrosait ses plantes, sarclait ses allées, éniouilait ses arbres, et, le soir venu, il aimait à se reposer de ces salu- taires et rustiques labeurs en jouissant, avec uno Intelligente friandise, des richesses gastronomiques du pays. Ses ouailles ne laissaient jamais vides son cellier 00 son garde-manger. Le plus beau f r u i t , la plus belle pièce de la chasse ou de la pêche lui étaient toujours fidèlement envoyés : il était aimé, il était béni ; 011 le prenait pour arbitre dans toutes les dis- cussions, cl son jugement décidait eu dernier ressort de toutes les ques- tions.

L'extérieur du père Griffon répondait parfaitement à l'idée qu'on pour- rait se faire de lui. d'après ce que nous venons de dire de sou caractère.

C'était un homme de cinquante ans au plus, robuste, actif, quoique un peu replet ; sa longue rolie de laine blanche à camail noir dessinait s e s larges épaules : une calotte de feulre couvrait son front chauve. Son vi- sage coloré, son triple menton, ses lèvres épaisses et vermeilles, son liez long el fortement aplati à son e x t r é m i t é , ses petits yeux vifs cl gris, lui donnáiéul une certaine ressemblance avec Rabelais : ni us cil qui c a - ractérisait surtout la physionomie du père Griffon, c était u lier.ira expres- sion de franchise, de boulé, de hardiesse ci d'iuuocontc raillerie.

Au moment où commence ce récit, le frère prêcheur, d'bout à l ' a r - rière du bâtiment, causait avec le capitaine Daniel. A la fin illlé avec la- quelle il conservait sa perpendiculaire malgré lu violent roulis du n a - vire, on voyait que le père Griffon avait depuis longtemps le pied m a r i n . Le capitaine Daniel était un vieux loup de mer ; une fuis au large, il abandonnait la direction de son navire à ses seconds ou è son pilote, et s'cuivrail régulièrement tous les soirs. Faisant irès-frénuuuinicnl le voyage de la Martinique à la Rochelle, il avait déjà fnmeiio d'Amérique le pére Griffon. Aussi ce dernier, habitué à l'cbriélé du digue capitaine, surveillait assez attentivement la m a n œ u v r e : car, sans pusséder la science nautique du père Fournier et autres de ses confrères religieux, il avait assez de connaissances théoriques cl pritiqui s en marine.

Plusieurs fois le religieux avait fait la traversée de la Martinique à Saint-Domingue, el à la Côte ferme, à bord des bâtiments flibustiers qui prélevaient toujours une sorte de dlme sur leurs prises en faveur des églises di s Antilles. La nuit approchait ; le père Griffon aspirait avec plaisir l'odeur du souper, que l'on préparait à l'avant : le domestique du capitaine vint prévenir les passagers que le repas était prêt : deux ou iroi» d'entre eux, qui avaient résfalé au mal de mer, entrèrent dans la dunette. Le père Griffon dit le llrnedicite. On venait à peine de s ' a s - seoir â table, lorsque fa porte de la cabine s'ouvrit brusquement, et 011 entendit ces mots, prononcés avec l'accent gascou le plus reuforcé :

— Il y aura bien, ic l'espère. illustre capitaine, u n e t o u t e petite p l a c e pour le chevalier «le t'roustill.ic ?

Tous les convives firent un m o u v e m e n t de s u r p r i s e , cl pois c h e r c h è - rent à lire sur la figure du capitaine l'explication d e c c t t c singulière ap- parition.

Le capitaine restait b é a n t , r e g a r d a n t s o n nouvel hôte d ' u n air p r e s - que effrayé.

— Ah "ça I qui élcs-vruts? j e ne vous connais p a s . D'où diable sortez- vous donc, monsieur? s'écria-l-H cutin.

— Si je sortais de chez le diable, ce bon p è r e . . . ict le Gascou baisa la main du père Griffon), ce b o n p è r e m'y r e i n errait bien vile, eu m e disant : fade reiro, Sa'aoïu...

— Mais d'où venez-vous, monsieur ï s'écria le capitaine, i i i q éfait de l'air confiant et souriant de cet hôte inattendu ; ou n'arrlvu pas ainsi à b o r d . . . Vous n'êtes pas s u r mou rôle d ' é q u i p a g e . . . v o u s n'êtes pas t o m b é du ciel, peut-êire?

— Tout à l'heure c'était de l'enfer, m a i n t e n a n t c'est du rici q u e j e viens. .Mordions ! je ne prétends p a s à u n e origine si divine ou si infer- nale, illustre capitaine... J e . . .

— Il ne s'agit pas de cela ; rdpoudcz-moi ! s'écria le capitaine ; c o m - ment êtes-vous ici?

Le chevalier prit un air m a j e s t u e u x .

— J e serais indigne d'appartenir A la noble maison de Groii-iillac.

uno des plus anciennes de la Guyenne, si j e mettais la moindre h é s i t a - tion à satisfaire à la légitime curiosité de l'illustre capitaine.

— Enfin, c'est bien heureux ! s'écria ce d e r n i e r .

— Ne dites pas que cela est bien h e u r e u x , capitaine, dites quo cela est juste. Je tombe à v o t r e bord c o m m e une b o m b e : vous vous cloutiez, rien de plus naturel... Vous me demandez c o m m e n t j e sois e m b a r q u é : c ' e r t votre droit ; je vous l'explique, c'est m o n d e v o i r . . . Complètement satisfait de mes explications, v o u s 111e tendez la main en nie disant : — C'est t r è s - b i e n , chevalier, m e t t e z - v o u s à table a v e c n o u s ; j e vous r é - ponds:—Capitaine, ça n'est pas de refus, car j e m e u r s d inanition; bénin

| soit votre offre bienfaisante! Ce disant, je me glisse e n t r e ces deux esti- mables gentllbommes ; j e nie fais petit, petit, p n n r ne pas les g ê n e r . au c o n t r a i r e , car le roulis est si violent que j e les c a l e . . .

En parlant ainsi, le chevalier avait exécuté ses paroles â la l e t t r e ; profitant de l'éioimemciil général, il s'était placé e n t r e d e u x convives, cl se trouva bientôt muni du v e r r e de l'un, du c o u v e r t de l'autre, de l'assiette d'un troisième, un profond ébaliissemeut r e n d a n t ses voi ins étrangers aux choses d ici-bas. Tout ceci fut e x é c u t é a v e c tant de p r e s - tesse, de dextérité, de confiance, de hardiesse, que les convives d e l'il- lustre capitaine de la Licorne, et l'illustre capitaine lui-même, ne s o n - gèrent qu'à jeter un regard de plus en plus curieux et é t o n n é sur le che- valier de Croustilhic.

Cet a v e n t u r i e r portait fièrement un vieux j u s t a u c o r p s d e ratine au- trefois v e r t e , mais a l o r s d'un bleu j a u n â t r e ; ses chausses, éralllëcs, étaient de la même nuance : ses b a s , jadis écarîales, mais alors d ' u n rose fané, .semblaient, en quelques endroits, brodés de fil blanc : un feutre gris complètement râpé ; un vieux b a u d r i e r , garni de larges passe- ments de faux o r conteur de cuivre rougi, supportait une longue é p ë c sur laquelle le chevalier s'était appuyé en entrant d ' u n air de e a p i i a n . 31. de Gruuslillac était un h o m m e ue haute taille et d ' u n e maigreur exces- s i v e ; il paraissait Agé de trente-six à q u a r a n t e a n s . Ses c h e v e u x , sa moustache cl ses sourcils étaient d ' u n noir de jais, sa figure osseuse, brune et hàléo. Il avait un long nez, de petits yeux fauves d ' u n e v i v a - cité extraordinaire, cl lu b o u c h e é n o r m e ; sa physionomie révélait à la fois une assurance imperturbable e l une vanité o u t r é e .

M. de Croustillac avait eu lui une de ces c r o y a n c e s fabuleuses qu'on u r Irouvc guère que chez 1 « méridionaux. Il s'aveuglait tellement sur sou m é r i t e cl sur ses grâces naturelles, qu'il ne croyait pas de f e m m e s Capables de lui résister : la liste do ses b o n n e s fortunes de tous genre»

eût clé interminable. Si les meusonges les plus foudroyants ne lui c o û - ta ¡ont guère, on m· pouvait lui refuser un véritable c o u r a g e et une cer- taine noblesse de caractère. Celle valeur naturelle, jointe â son aveugle confiance en lui, 1e précipitaient quelquefois au milieu d e s positions les plus inextricables, au milieu desquelles il donnait t o u j o u r s tétc baissée, cl dont il lie sortait jamais sans horions ; c a r , s'il était aventureux et hâbleur c o m m e un Gascou, il était opiniâtre cl têtu c o n n u e un B r e t o n ,

Jusqu'alors sa vie avait été à peu p r è s celle de tous s e s c o n f r è r e s en Bohême. Cadet d'une pauvre famille de Gascogne, d ' u n e noblesse d o u - teuse, 11 était venu c h e r c h e r fortune à P a r i s ; lotir à t o u r bas officier d*iinc compagnie d'enfants perdus, prévôt d ' a c a d é m i e , baigneur é l u - vislc, maquignon, colporteur de nouvelles satiriques c l de gazettes d e Hollande, il s'était plus d ' u n e fois d o n n é pour p r o t e s t a n t , feignant de se convertir à la foi catholique, afin de toucher les cinquante éctis que M. P> lissou payait à chaque néophyte sur la caisse d e s c o n v e r s i o n s . Cette fourberie découverte, le chevalier fut c o u d a m n é au fouet et à la ' prison. Il subit le fouet, échappa à la prison, se déguisa au m o y e u d un

é n o r m e emplâtre sur l'œil, ceignit une formidable ë p é e dont il battit lo pavé, cl embrasait la profession d ' e n j ô l e u r de provinciaux au profil d e quelques maisons brelandières, d a n s lesquelles il conduisait ces i n n o - cents agneaux, qui n ' e n sortaient jamais que tondus à vif. Ou doit «lire, à la louange du chevalier, qu'il restait toujours é t r a n g e r à ces f r i p o u -

(3)

LE MOKNR-

crics, et, comme il le disait lui-même, s'il tendait l'hameçon, il ne man- eaii pas le poisson.

Les édits sur les duels étaient alors très-sévères. Un jour, le clieva- er rencontra sur son passage un spadassin très-connu, nommé F o n i e - ay-Conp-d'Epée. Ce dernier coudoie violemment n o t r e aventurier en li disant : — Gare... je suis Fonlonay-Coup-d'Epée. — Et moi, Crous-

¡liac-Coup-de-Canon, dit le Gascon cii mettant sa rapière au vent- F o u - ina)· fui tué, et Croustillât· obligé de fuir pour échapper aux recherches.

Le chevalier avait souvent entendu parler des incroyables fortunes

|ui se réalisaient aux iles. Il partit pour la ilochcllc, espérant de s'y

•mbarquer pour l'Amérique. Il voyagea tantôt à pied, tantôt sur des ebe- aux de r e t o u r , tantôt en c h a r r e t t e . Uuc fois arrivé, Croustillac devait, lon-seulcnient payer son passage à bord d'un bâtiment, mais encore ibtenir de l'intendant de m a r i n e la permission de s'embarquer pour les Vutilles. Ces deux choses étaient aussi difficiles l'une que l ' a u t r e : les Migrations des protestants, auxquelles Louis XIV voulait s'opposer, ren- iaient la police des p o r t s extrêmement sévère, et le voyage de la .Mar- tinique ne coûtait pas moins de huit à neuf cents livres. Or, de sa vie l'aventurier n'avait po-sédé la moitié de cette somme.

Arrivant à La Rochelle a v e c dix écus dans sa poche, vêtu d'un sarrau, et portant au bout du fourreau de sou épée son justaucorps et ses c h a u s - ses soigneusement empaquetés, le chevalier alla se loger, en fin c o m - pagnon, dans une pauvre taverne ordinairement fréquentée par des ma- telots. Là, il s'enquil d ' u n bâtiment en partance, et il apprit que la Li- corne devait m e u r e à la voile sous peu de jours. Deux maîtres de ce bâ- timent hantaient la taverne q u e le chevalier avait choisie comme c e n - tre de ses opérations. Il serait trop long de raconter par quels prodiges d'astuce et d'adresse, par quels impudents c l fabuleux mensonges, par quelles folles promesses Croustillac parvint à intéresser à son sort le maître tonnelier, chargé de l'arrimage des tonneaux d'eau douce dans la cale ; qu'il suffise de savoir que cet homme consentit à cacher Crous- tillac dans un louneau vide, et à l'amener ainsi à bord de la Licorne.

Selon l'usage, les délégués de l'intendant cl les greffiers de l'amirauté visitèrent scrupuleusement le navire au moment de son départ, pour s'assurer que personne ne s'y était embarqué eu fraude. Le chevalier se tint coi au fond de sa barrique, raugée parmi les futailles de la cale, et il échappa ainsi aux recherches minutieuses des gens du roi. Son cœur boudit d'aise lorsqu'il sentit le navire se mettre eu marche ; il attendit quelques heures avant que d'oser se montrer, sachant bien qu'une (ois en haute mer le capilaiue de la Licorne ne reviendrait pas au p o r t pour y ramener un passager de contrebande.

Il avait été convenu, e n t r e le maître tonnelier et le chevalier, que ce dernier n'expliquerait jamais par quel moyen il était parvenu à s'intro- duire à b o r d . Un h o m m e moins impudent ipie notre aventurier se serait timidement tenu à l'écart parmi les matelots, attendant avec assez d ' i n - quiétude le moineul où le capitaine Daniel découvrirait cet e m b a r q u e - ment f r a u d u l e u x . Croustillac, au contraire, alla hardiment au b u t ; p r é - férant la table du capitaine à la gamelle des marins, il ne mil pas un m o m e n t en doute qu'il dût s'asseoir à celte table, sinon de droit, du moins de fait. On le voit, sou audace l'avait servi. Tel était l'hôte impro- visé sur lequel les convives de la l i c o r n e jetaient des regards curieux.

CHAPITRE II

La Barbe-Uleue.

— Allez-vous enfin, monsieur, m'expliquer comment vous vous trou- vez ici ? s'écria le capitaine de la Licorne, trop impatient de savoir le secret du Gascon pour le faire sortir de table.

Le chevalier de Croustillac se versa uu grand verre de vin, se leva e t dit à haute voix :

— Je proposerai d'abord à l'illustre compagnie de porter uue santé qui nous est chère à tous, celle de notre glorieux monarque, celle de Louis le Grand, le plus adorable des princes.

Dans c e s temps de despotisme inquiet, il eût été impolitique, d a n g e - reux m ê m e pour le capilaiue, d'accueillir froidement la proposition du chevalier. Maître D a n i e l , « à son exemple les passagers, répondirent d o n c à son appel. Tous répétèrent en chœur :

— A la santé du roi ! à la sauté de Louis le Grand !

Uu seul convive resta silencieux. C'était le voisin du chevalier. Crous- tillac le regarda en fronçant le sourcil.

— Mordioux ! monsieur, n'élcs-vous donc pas des uôtres? lui d i t - i l ; scriez-vous l'ennemi de notre monarque hien-aimé?

— Point du tout, point du tout, monsieur; j'aime et je vénère ce grand monarque. Riais comment boirais-jc? vous avez pris mon verre, répondit timidement le passager.

— Comment ! mordioux ! c'est pour un si frivole motif que vous vous exposez à passer pour un mauvais Français? s'écria le chevalier en haussant les épaules. E s t - c e q u c nous manquons de verres ici? laïquais...

laquais... allons d o n c , un v e r r e à monsieur 1 Mou c h e r ami... à la bonne h e u r e ! maintenant debout, et redisons tous : A la santé du roi-., de u o - tre grand roi !

AU-DIABLE. 3

Le toast porté, on se rassit. Le chevalier profita de ce mouvement pour faire donner une assiette et un couvert à sou voisin. Puis, d é c o u - vrant un potage placé devant lui, il dit effrontément au pere Griffon :

— Mon révérend, vous ofi'rirai-ie de c e p o t a g e aux pigeonneaux ?

— Mais, corbleu ! monsieur, s écria le capitaine, outré des libertés du chevalier, vous vous mettez bien à v o t r e aise.

Celui-ci interrompit maître Daniel et lui dit d'un a i r g r a v e :

— Capitaine, je sais rendre à chacun ce qui lui est dû ; le clergé est le premier ordre de l'Etat ; je m e conduis donc en chrétien en servait!

d'abord le révérend père que voici ; j e ferai plus, je saisirai cette o c c a - sion de rendre hommage, dans sa respectable cl suinte personne, aux veriusévaugéliques qui distinguent cl distingueront toujours notre Eglise.

Eu disant ce.·, mots, le chevalier servit le père Griffon. De c e moment il devenait assez difficile au capitaine d'expulser l'aventurier de sa table;

il n'avait pu refuser le toast du chevalier, ni l'empêcher de faire les hon- neurs des mets qui se trouvaient à sa portée, l'ourlant il conliuua s ou iuterrogatoire.

— Alloue, monsieur, vous êtes hou gentilhomme, soit ! vous êtes bon chrétien, xous aimez le roi comme nous l'aimons tous, cela est très-bien.

.Maintenant, dites-moi comment diable il se fait que vous soyez ici à man- ger mon souper ?

— Mon père, s'écria le chevalier, je xous prends à témoin, ainsi que l'honorable compagnie...

— A témoin de quoi, mou (ils? dit le père Griffou.

— A témoin de ce que vient de dire le capitaine.

— Comment ! qu'ai-je dit ! s'écria maître Daniel.

— Capitaine ! vous avez dit, vous avez recouuu, proclame à la face de la société que j'étais bon geuliihomme !...

— Je l'ai dit, sans doute, mais...

— Que j'étais bon chrétien !

— Oui, mais...

— Que j'aimais le roi !

— Oui. parce q u e . . .

— Eh bien ! reprit le chevalier, j e u prends de nouveau à témoin l'il- lustre compagnie... quaud 011 est bou chrétien, quand on est bon g e n - tilhomme, quand on aime bien son roi, que peut-011 vous demander de plus? Mon révérend, vous servirai-je de ce h o c h e p o t ?

— J'en accepterai, mon fils, car mon mal de mer, à moi, c'est l'ap- p é t i t ; une fois embarqué, nia faim redouble.

— J e suis ravi, mou père, de cette conformité d'organisation, car j e ne nie sens pas d'autre indisposition qu'une faim dévorante...

— Eli Lieu ! mou fils, puisque nuire bon capitaine vous met à m ê m e de satisfaire celte faim, je vous dirai, pour me servir de vos propres pa- roles, que c'est justement parce que vous êtes bon geutillioiunie, bon chrétien et affectionué à uolrc bien-aimé souverain, que vous devez al- ler au-devant de la question que vous fait maître Daniel au sujet de vo- tre séjour extraordinaire à bord de son bâtiment.

— Malheureusement voilà qui m'est impossible, mon père.

— Comment, impossible? s'écria le capitaine courroucé.

Le chevalier prit un air de componction solennelle, et répondit en m o n t r a n t le père Griffon :

— Le révérend père peut seul entendre ma confession et mes aveux : c e secret n'est pas seulement le mien ; ce secret est grave, bien grave, ajouta t-il en levant les yeux au ciel avec contrition.

— Et m o i ! . . . j e pourrais vous forcer à pari r, s'écria le capitaine, quaud j e devrais vous faire attacher un boulet à chaque pied et vous mettre a cheval sur une b a r r e de cabestan jusqu'à ce que vous disiez la vérité.

— Capitaine, reprit le chevalier avec un calme imperturbable, je n'ai jamais souffert une menace, uu clin d ' œ i l . . . uue m o u e . . . un signe... un zest... un rien qui me parût insultant... mais vous êtes roi à votre bord, par ccla même j e suis il ans votre royaume, et je me reconnais pour vo- tre sujet... vous m'avez admis à votre table (je continuerai a c i r e t o u - jours digne de celle faveur) ; pourtant ce n'est pas une raison pour m'in- fliger arbitrairement le» plus mauvais traitements ; uéanmoins, j e saurai m'y résigner, les supporter, à moins que ce hou père, l'appui du faible contre le fort, nedaigne intercéder a u p r è s de vous eu nia faveur, répondit huiuiilciucnt le chevalier.

La position du capitaine devenait embarrassante, car le père Griffon lie put s'empêcher de dire quelques mots en faveur de l'aventurier qui se niellait si bnisqucincut sous sa protection, et qui promettait de révé- ler sous le sceau de la confession le s e c r e t de son séjour à bord de la

Licorne. La colère du capitaine se calma un peu ; le chevalier, d'abord flatteur, insinuant, devint jovial, plaisant, bouffon : il lit, pour amuser les convives, toutes sortes de tour d ' a d r e s s e ; il mil des couteaux eu équilibre sur le bout de son nez, il construisit des pyramides de verres et de bouteilles avec une habileté surprenante, il chanta de nouveaux noêls, il imita le cri de différents animaux. Enfin, Croustillac sut telle- ment divertir le capitaine de la Licorne, assez peu difficile d'ailleurs sur le choix de ses amusements, qu'à la lin du souper il dit au Gascon eu lui frapnanl sur l'épaule :

— Allons, chevalier, après tout, vous voici à mon bord ; il n'y a pas moyeu de faire que vous n'y soyez p a s ; vous êtes uu gai compagnon, il y aura toujours pour vous uu couvert à ma table, et on trouvera bien à vous accrocher un hamac dans quelque coin du faux-pont.

i .

(4)

4 LE MORNE-AUDIABLE

Le chevalier se confondit en remerclmcnls et en protestations de r e - connaissance, se rendit au gîte qu'on lui avait assigné, et s'endormit bientôt d'un profond sommeil, parfaitement rassuré sur sa condition pendant la traversée, quoiqu'un peu humilié d'avoir été obligé d e souf- frir les menaces du capitaine c l d'être desceudu jusqu'aux coroplaisau- ces pour s'assurer de la bienveillance de maître Dauiel, qu'il traita men- talement de bête b r u t e et d ' o u r s m a r i n .

Le ajievalier voyait dans les colonies un véritable Eldorado. Il avait tellement entendu vanter la magnifique hospitalité des colons, trop heu- r e u x , disail-ou, de retenir des mois euliers les Européens qui venaient les voir, qu'il avait fait c e raisonnement statistique fort simple :

« Il y a environ cinquante ou soixante riches habitations à la Marti- nique et à la Guadeloupe ; leurs propriétaires, qui s'eunuient comme des morts, sont ravis de pouvoir garder auprès d'eux des gens d'esprit, de joyeuse humeur et de ressources; je suis essentiellement de ces g e u s - là ; je n'aurai doue qu'à paraître pour être choyé, fêlé, adoré ; en adraet- lant que j'accorde six mois à chaque habitation l'une daus l'autre, elles sont au nombre de soixante environ, cela me fait donc une moyenne de vingt-ciiiq à t r e n t e ans de joyeuse et excellente vie parfaitement a s s u - r é e , et e n c o r e j e ne parle que de la chance la moins favorable. J e suis dans la pleine maturité de mes a g r é m e n t s ; je suis aimable, je suis spiri- tuel, j'ai toutes sortes de talents de société : comment croire que les opulentes héritières des colonies seront assez aveugles, assez stupides pour ne pas profiler de m o n occasion, et s'assurer ainsi du plus c h a r - m a n t mari que jeune fille ou veuve agaçante ait jamais rêve dans ses nuits d'iusomuie.' »

Telles étaient les espérances du chevalier; on verra si elles furent déçues

Le lendemain matin, Croustillac tint sa promesse et se confessa au

K

ère Griffon. Quoique assez véridiques, ses aveux n'apprirent rien de ien nouveau au révérend sur la position de son pénitent, qu'il avait à peu près devinée; tel fut à peu près le résumé de la confession du c h e - valier : il avait dissipé son pairimoine et tué un homme eu duel ; p o u r - suivi par les lois, se trouvant sans ressources, il avait pris le parti d é s - espére d'aller chercher fortune aux ¡les ; ne possédant pas de quoi payer son passage, il avait eu recours à la compassion du tonnelier qui l'avait introduit cl cache à bord dans une barrique vide.

Cette apparente sincérité rendit le père Griffon assez favorable à l'a- v e n t u r i e r ; mais il ne lui dissimula pas que l'espoir de trouver la fortune aux colonies était un leurre ; il faut y arriver avec des capitaux assez considérables pour y former le plus mince établissement; le climat était meurtrier, les habitants se défiaient généralement des étrangers, et les traditions de généreuse hospitalité laissées par les premiers colons étaient complètement oubliées, autant par l'égoisme des habitants que par la gène où ils se trouvaient par suite de la guerre avec l'Angleterre, qui portait une grave atteinte a leurs intérêts. En un mot, le père Griffon conseillait au chevalier d'accepter l'offre du capitaine, qui lui avait pro- posé de le ramener à la Rochelle après avoir touché à la Martinique.

Selon le religieux, Croustillac devait trouver en Franco mille ressour- ces qu'il ne pouvait espérer de rencontrer dans ce pays à demi barbare, la condition des Européens étant telle aux colonies que jamais, p a r é g a r d

K

ur leur dignité de blancs, ils n'occupaient d'emplois trop subalternes, père Grillon ignorait que son pénitent avait tellement exploité les ressources de la France, qu'il s'était vu forcé de s'expatrier. Dans c e r - taines circonstances, personne n'était d'ailleurs plus facile à abuser que le bon religieux ; sa pitié pour le malheur nuisait à sa pénétration h a b i - tuelle.

La vie passée du chevalier de Croustillac ne lui paraissait p a s d ' u n e blancheur immaculée; mais cct homme était si insouciant de sa détresse, si indifférent de l'avenir qui le menaçait, que le père Griffon finit par prendre à cet aventurier plus d'intérêt peut-être qu'il n'en méritait, et qu'il lui proposa de l'héberger dans sa maison curiaie de Macouba, tant que la Licorne resterait à la Martinique, offre que Croustillac se garda bien de refuser. Le temps se passait : maître Daniel ne cessait d'admirer les talents prodigieux du chevalier, chez lequel il découvrait chaque j o u r de nouveaux trésors de prestidigitation.

Croustillac a va il fini par mettre dans sa bouche des Louis de bougie allumée, et par avaler (les fourchettes. Ce dernier trait avait porté l'en- gouement du capitaine jusqu'à l'enthousiasme; H avait formellement o f - fert au Gascon une place à vie à sou bord, pourvu qu'il lui promit de charmer toujours aussi agréablement les loisirs de la navigation de la Licorne. Nous dirons enfin, pour expliquer les succès île Croustillac, qu'à la mer les heures semblent bien longues, que les moindres distrac- tions soni précieuses, et que l'on est alors bien aise d'avoir t o u j o u r s à ses ordres une espèce de bouffon d'une bonne humeur imperturbable.

Quant au chevalier, il cachait sous ce masque riant et insoucieux une tri-tc préoccupation ; le ternie de la traversée s'approchait : le langage du père Griffon avait été trop sensé, trop sincère, trop juste, pour ne pas virement impressionner n o t r e aventurier, qui avait compté mener joyeuse vie aux d é p e n s é e s colons. La froideur que lui témoignèrent plu-

sieurs habitants qui, se trouvant au nombre des passagers, retournaient à la Martinique, acheva de ruiner ses espérances. Malgré les talents qu'il développait et dont ils s'amusaient, nul de ces colons ne fit la plus lé- gère avance au chevalier, quoiqu'il répétât sans cesse qu'il serait ravi de faire dans l'intérieur de l'Ile une longue exploration.

Le terme du voyage arrivait, les dernières illusions de Croustill étaient d é t r u i t e s : il se voyait réduit à la déplorable alternative de uat guer à tout jamais avec le capitaine Daniel, ou de revenir en F r a n c e a fronter les rigueurs des gens du r o i . Le hasard vint loui à coup offrir l'esprit du chevalier le plus éblouissant mirage et éveiller e n lui les pli folles espérances. La Licorne n'était plus qu'à deux cents lieues enviri de la Martinique, lorsqu'elle r e n c o n t r a u n bâtiment de c o m m e r c e frai çais venant de celte Ile et faisaut voile pour la F r a n c e . Ce bâtiment m en p a u u e et envoya un c a n o t à bord de la Licorne p o u r avoir des noi vclles d'Europe ; aux colonies tout allait assez bien depuis quelques si maincs ; on n'avait pas vu uu seul bâtiment de g u e r r e auglais. Quclqui autres communications échangées, les deux navires se s é p a r è r e n t .

— l'our un bâtiment d ' u n e telle valeur (les passagers avaient ëvalu son chargement à 4 0 0 , 0 0 0 f r a n c s environ), il n'est g u è r e bien a r m é , d le chevalier, ce serait une b o n n e c a p t u r e pour les Anglais.

— Ah ! bah ! reprit un passager d ' u n air d ' e n v i e , la Barbe-Bleue pei bien p e r d r e ce bàiiiuent-là.

— Pardieii I oui ; il lui resterait assez d ' a r g e n t p o u r en a c h e t e r ei e armer d'autres.

— Une vingtaine même si elle le voulait, dit le capitaine Dauiel.

— Oh ! vingt... c'est b e a u c o u p , reprit uu p a s s a g e r .

— Ma foi, sans compter sa uiaguifiqiie plantation de l'Ause-aux-Sablef et sa mystérieuse maison du Moroe-au-Dtable, reprit un a u t r e , uc dit-o pas qu elle a pour cinq ou six millions d ' o r et d e p i e r r e r i e s . . . . enfoui d a n s quelque cachette.

— Ah ! voilà... enfouis on ne sait o ù , reprit le capitaine Daniel, mai pour sûr elle les a, c a r , m o i . je liens du vieux père l'Ouvre-l ucil, qu avait été une fois voir le premier mari de la Barbe-Bleue, au Mornc-au Diable, lequel mari était, disait-on, jeune et beau c o m m e uu auge, j«

tiens de l'Ouvre-l'œil que la Barbe-Bleue, ce jour-là, s'amusait à m e s u r e dans uu couî (I) des diamants, des perles fines et d e s é m e r a u d e s : o r toutes ces richesses sont e n c o r e eu sa possession, sans c o m p t e r q u o i dit que son troisième et dernier mari était puissamment r i c h e , et qui toute sa fortune était en poudre d ' o r .

— Les uns la disent si avare qu'elle ne dépense pas pour elle et le!

siens 10,0(10 francs par a n n é e . . . . reprit uu passager.

— Quant à cela, ça n'est pas sûr, reprit maître Daniel, personne ne peut savoir comment elle vit, puisqu'elle est é t r a n g è r e à la colonie, el

8

u'ii n'y a pas quatre personnes qui aieut mis le pied au M u r n e - a u - iable.

— Certes, et l'on fait bien : ce n'est pas moi qui aurais la curiosité d'y aller, dit un autre ; le Morne-au-Diable lie jouit pas pour cela d'une assez b o n n e r e n o m m é e . . . On dit qu'il s'y passe des c h o s e s . . . des choses...

— Ce qui est certain, c'est que le t o n n e r r e y est t o m b é trois f o i s . . .

— Cela ne m ' é t o n n e r a i t pas ; l'on entend, dit-on, d e s bruits é t r a n g e s a u t o u r de celte habitation.

— On dit qu'elle est bâtie en mauière de forteresse inaccessible au milieu des rochers de la Cabesterre...

— Cela se conçoit, si la Barbc-BIcuc a tant de t r é s o r s à g a r d e r . . . Croustillac écoutait celte conversation avec une excessive curiosité.

Ces (résors, ces diamants miroitaient singulièrement à sou imagination.

— Mais de qui parlez-vous donc ainsi, m e s gentilshommes ? d e m a u d a - t-il enfin.

— Nous parlons de la Barbe-Bleue !

— Qu'est-ce que la Barbe-Bleue ?

— La Barbe-Bleue? Eh bien ! c'est la Barbc-Blene...

— Mais, enfin, est-ce un h o m m e ou une f e m m e ? dit le chevalier.

— La Barbe-Bleue ?

— Oui, oui, dit impatiemment Croustillac.

— Eh .' mon Dieu ! c'est une femme !

— Comment ! une f e m m e ? El pourquoil'appelle-t-on la Barbe-Bleue?

— Pourquoi ? Parce qu'elle se débarra e de ses maris, c o m m e l ' h o m m e à la barbe bleue du nouveau c o n t e se débarrassait de ses femmes.

— El elle est veuve I . . . c'est une veuve ! . . . ce serait une veuve ! com- m e n t ! . . . s'écria le chevalier avec uu battement de c œ u r i n e x p r i m a b l e ; une v e u v e . . . répéla-l-il en joignant les mains, une v e u v e ! riche à éblouir ! à d o n n e r le vertige par le seul calcul d e ses richesses... une v e u v e ! !

— Une veuve, si veuve qu'elle l'est pour la troisième fois depuis trois ans, dit le capitaine.

— Et elle est aussi riche qu'on le dit?

— Mais, oui, c'est c o n n u , tout le monde le sait, dit le capiLVme.

— Riche à millions !! riche à a r m e r des bâtiments de 400,ui)0 l i v r e s - riche à avoir des sacs de diamants et d'éuirr,aides c l de perles fines..., s'écria le Gascon, dont 1rs yeux étincelaieiit, dnut les n a r i n e s se gonflaient, dont les mains se crispaient.

— Mais ou vous répète qu'elle est r i c h e à a c h e t e r la Martinique et la Guadeloupe, si cela lui faisait plaisir, reprit le capitaine.

— ET vii ¡Ile... très-vieille?... demanda le chevalier avec inquiétude.

Son interlocuteur regarda les autres passagers d ' u n air iulerrogalif, et dit : — Quel âge peut bien avoir la Barbe-Bleue ?

| (1) Esnëce de calebtsso assez profond·.

(5)

605 LE MORNE-AU-DIABLE.

— Ma foi, j e n'en sais rien, dit l'un.

— Tout ce que je sais, reprit un autre, c'est que lorsque je suis arrivé ans la colonie, il y a deux ans, elle en était déjà à sou second mari, t qu'elle entamait le troisième...., qui ne lui a pas seulement duré n a n .

— Pour ce qui est du troisième mari, ou ne dit pas qu'il soit mort, tais il a disparu, r e p r i t uu a u t r e .

— Il est si bien m o r t , au contraire, qu'on dit avoir vu la Barbe-Bleue n grand deuil de veuve, dit uu passager.

— Sans doute, sans doute, ajouta un troisième interlocuteur ; la reuve qu'il est m o r t , c'est que le desservant de la paroisse de Ma- oulia, eu l'absence du révérend pcrc Grillon, a die une messe des morts our lui.

— Au reste, il ne serait pas étonnant qu'il eût été assassiné, dit un utre.

— Assassiné... p a r sa femme, sans doute, reprit-ou avec une u n a u i - îité nui prouvait peu en faveur de la Barbe-Bleue.

— Non pas par sa femme !

— Ali ! ah ! voilà du nouveau.

— Pas par sa femme? et par qui donc alors?

— Par d e s ennemis qu'il avait à la Barbade.

— Par des colons anglais?

— Oui, par des Anglais, puisqu'il était, dit-on, Anglais lui-même...

— Toujours est-il, mon gentilhomme, que le troisième mari est mort...

:l bien m o r t ? . . . demanda le chevalier avec anxiété.

— Oh ! pour m o r t . . . , oui, oui, répéta-t-on en c h œ u r ?

Croustillac r e s p i r a ; un moment comprimées, ses espérances reprirent eur vol audacieux.

— Mais l'âge de la Barbe-Bleue, le sait-on? reprit-il.

— Pour son âge, j e puis vous satisfaire : clic doit avoir e n v i r o n . . . de vingt... oui, c'est à peu près cela, de vingt... à soixante ans, dit le capt- a n t e Daniel.

— Mais vous ne l'avez donc pas vue ? dit le chevalier impatienté de celte plaisanterie.

— V u e ! ! moi? et pourquoi diable voulez-vous que j'aie vu la Barbe- Bleue? demanda le capitaine. Est-ce que vous êtes f o u ?

— Comment ?

— Entendez-vous...mes compères..., dit le capitaine à ses passagers;

il m e d e m a n d e si j'ai vu la Barbe-Bleue?

Les passagers haussèrent les épaules.

— Mais, reprit Croustillac, qu est-ce qu'il y a d'étonnant a ma ques- tion?

— Ce qu'il y a d ' é t o n n a n t ? d i t maître Daniel.

— Oui.

— Tenez... vous venez de Paris, vous, n'est-ce p a s ? et c'est bien moins grand que la Martinique.

— Sans doute !

— Eh bien ! avez-vous vu le bourreau à Paris?

— Le b o u r r e a u ? n o n . . . mais quel r a p p o r t ?

— Eh bien ! une fois pour toutes, sachez qu'on est aussi peu curieux de voir la Barbe-Bleue qu'on est curieux de voir le b o u r r e a u . . . mon gentilhomme D'abord, p a r c e que la maison qu'elle habite est située au milieu des solitudes du Morne-au-Diablc, où l'on ne se soucie pas de s ' a v e n t u r e r . . . puis, parce qu'une assassine n'est pas d'une agréable s o - ciété, et puis p a r c e que la Barbe-Bleue a de trop mauvaises c o n n a i s - sances.

— De mauvaises connaissances? fil le chevalier.

— Oui, des amis... des amis do c œ u r . . . pour ne pas dire plus, qu'il ne fait pas bon rencontrer le soir sur la grève, la nuit dans les bois ou au c o u c h e r du soleil sous le vent de l'île, dit le capitaine.

— L'Ouragan... le capitaine (libustier, d ' a b o r d . . . , dit un des passagers d'un air d'cft'roi.

— Puis A r r a c h e - l ' A m e . . . le boucanier de Marie-Galande, dit un a u t r e .

— Puis Youmaalë... le Caraïbe anthropophage de l'anse aux Caïmans, reprit un troisième.

— Comment ! s'écria le chevalier, est-ce que la Barbe-Bleue serait à la fois en coquetterie réglée avec un flibustier, u n boucanier et un can- nibale... Peste... Qui lle matrone !

— Comme vous dites, m o n gentilhomme... clic passe pour une m a - trone, une buonaroba, comme disent les Espagnols.

C H A P I T R E I I I

L'arrivée.

Ces singulières révélations sur le moral de la Barbe-Bleue parurent Impressionner assez le chevalier. Après quelques m o m e n t s de silence, il demanda au capitaine : — Quel est cet homme, ce llibmiier qu'on a p - pelle l'Ouragan ?

— Un m u M r e de Saint-Domingue, dit-on, reprit maître Daniel, l'un

des plus déterminés flibustiers des Antilles; il est venu habiter la Marti·

nique depuis deux ans, dans une maison isolée, où il vil maintenant eu bouigcois ; on dit qu'il se servait, lorsqu'il faisait sa course, de pirogues à soupape.

— Qu'est-ce qu'une pirogue à soupape? demanda le chevalier.

— C'est une grande embarcation, noire, longue cl mince comme un s e r p e n t ; au fond de son arrière, près du gouvernail, il y a une large soupape qui s'ouvre à volonté. Des qu'un navire était en vue, on dit que l'Ouragan s'embarquait dans une pareille pirogue avec une cinquantaine de flibustiers armes de coutelas et de pistolets, voilà tout : la pirogue marchait à rames, parce qu'eu se p r i v a n t de voiles elle pouvait s ' a p - procher plus près de l'ennemi saus cire aperçue ; la pirogue piquait donc droit nu navire : si ledit navire se défiait et se défendait, son artillerie n'avait guère de prise sur l'avant de la pirogue, a v a n r étroit et t r a n - chant comme le coupant d'une hache : quant à la mousqueterie de l'en- nemi, l'Ouragan n'y croyait pas, dit-on. Lorsqu'il abordait le navire qu'il voulait enlever, l'Ouragan, qui gouvernail toujours, ouvrait sa soupape l'embarcation commençait à couler à fond par l'arrière, c e qui obligeait nécessairement les plus engourdis à s'élancer sur le pont du bâtiment ennemi, afin d'échapper â la noyade ; une fois à l'aboidage, les flibus- tiers poignardaient tout ce qui résistait, et jetaient à la nier tout ce qui ne résistait pas ; l'Ouragan conduisait sa prise â Saint-Thomas, où il vendait l'huître et sa coquille (c'est ainsi que les pirates appellent le bâ- timent cl ses marchandises), et il partageait l'argent avec ses c o m p a - gnons. Quand il n'avait plus le sou, l'Ouragan faisait construire une nouvelle pirogue à soupape, la faisait bénir par un prêtre, et r e c o m m e n - çait sa coin se ; on dit que quand il est en bonne humeur, il calcule avec la Barbc-BIcuc le n o m b r e des Espagnols et des Anglais qu'il a tués ou noyés, lui et ses flibustiers -, il dit que cela ne va pas loin de trois à quatre mille. Voilà ce que c'est que l'Ouragan, mou gentilhomme.

— Et vous croyez que ce matamore n'est pas iudilïércnt à la Barbe- Bleue? demanda négligemment le chevalier.

— On dit que tout le temps que l'Ouragan ne passe pas chez lui, il le passe au Morne-au-Diahle.

— Cela prouve au moins que la Barbe-Bleue n'aime guère les Céla- dons de bergerades, dit le chevalier. Ah çà ! mais le boucanier ?

— Ma foi, s'écria uu passager, j e ne sais si j e n'aimerais pas mieux encore avoir pour ennemi l'Ouragan que le boucanier Arrachc-l'Anie !

— Peste ! voilà du moins un nom qui promet, dit Croustillac.

— Et qui tient, dit le passager, car le boucanier, j e l'ai v u . . .

— Et il e s t . . . terrible?

— Il est au moins aussi farouche que les sangliers ou les taureaux qu'il chasse. Je puis vous en parler, il y a uu ail environ, j e suis allé à son boucan de la grande Tari, au nord de la Martinique, lui acheter des peaux de b œ u f s sauvages il était tout seul avec sa meute de vingt chiens courants, qui avaient l'air aussi méchant et aussi sauvage que lui ; quand je suis arrivé il se frottait le visage avec de l'huile de palmes, car il n'y avait pas un seul endroit de sa figure qui 11e fût bleu, jaune, violet et p o u r p r e .

— J'y suis, dit le chevalier, les nuances irisées d'un c o u p de poing sur l'œil, mais... en g r a n d .

— Juste, mon gentilhomme. J e lui demandai ce qu'il avait; voici ce qu'il me raconta : « Mes chiens, menés par mon engagé (1), me dit-il, avaient lancé uu taureau de deux aus ; il me passe, j e lui envoie une halle à l'épaule; il bondit dans un hallier; mes chiens arrivent, il fait tête et tiiën découd deux. Pendant que je rechargeais en double, mon engagé arrive, lire et manque le taureau. Mon garçon se voyant dés- a r m é , veut couper le jarret du taureau, mais le taureau l'éventre et le foule aux pieds. Placé comme j'étais, je ne pouvais tirer l'animal, de peur d'achever mon engagé : j e prends mon grand couteau de boucan, et j e me jette entre eux d e u x ; j e reçois un coup de corne qui m'ouvre la cuisse ; un second me casse ce bras-là ( il m e m o n t r e son bras gauche, qui, en cITet, était serré contre son corps avec une liane); le taureau continue de me charger ; comme il ne me restait que la main droite de bonne, j e prends mou temps, et, au moment où l'animal baisse la tête pour m e découdre, je le saisis aux cornes, j e l'abaisse à ma portée, j e lui saule aux lèvres avec mes dents, et j e ne démords pas plus qu'un houlc-dngue anglais, pendant que m e s chiens lui travaillaient les cotes.»

— Mais c'est une vraie mâchoire que cet h o m m e - l à ? dit dédaigneuse- ment Croustillac. S'il n'a pas d'autres moyens de plaire, mordioux ! j e plains sa maîtresse...

— Je vous disais bien que c'était nue espèce d'animal sauvage, reprit le narrateur ; mais je continue 111011 récit : « Une fois mordu aux lèvres, ajouta le boucanier, uu taureau est bien bas. Au bout de cinq minutes, épuisé par la perte du sang, car mes balles avaient porté, le taureau tombe à gcuoux et se renverse ; mes chiens montent sur lui, le p r e n - nent à la gorge c l l'achèvent. La lutte m'avait affaibli, j e perdais beau- coup de s a n g ; pour la première fois de ma vie, je m'évanouis, ni plus ni moins qu'une petite femme... Vous allez val que mal m'en a p t i , ' Ne voilà-l-il pas mes chiens qui, peudanl mon évanouissement, s'amusent à dévorer mon engagé !.'! tant ils sont mordants c l bien dressés'. — Com- ment, dis-je tout eflravé à Arrache-l'Ame, parce que vos chiens oui d é - voré votre engagé, ceia prouve qu'ils sont bien dressés? » El je vous

( ! ) A p p r e n t i b o u c a n i e r

(6)

c LE MORJVE-Al J-DIA BLE

avoue, monsieur, ajouta le passager qui racontait au Gascon la prouesse du boucauier, je vous avoue que je regardais avec un certain effroi c e s féroces animaux, qui tournaient et rôdaient autour de moi en me flai- rant d ' u n e façon ires-peu r a s s u r a n t e . . .

— Le fait est que ce sont là des m œ u r s taut soit p e u brutales, dit Crousliilac, et l'on serait mal venu à parler à cet homme des bois le beau langage d e l à belle galanterie... Mais quelle diable d e conversation peut-il avoir avec la Barbe-Bleue?

— Dieu inc préserve d'aller les é c o u l e r ! dit le n a r r a t e u r .

— Une fois qu'Arrache-l'Ame à la Barbe-Bleue a dit : — J'ai mordu uu taureau au nez, et mes chiens ont dévoré mon engagé, reprit le Gas- con, la conversation doil devenir languissaute, et, niordioux! ou n e fait pas tous les j o u r s manger un bomuie aux chiens pour avoir uu sujet d'entretien.

— Ma fui, monsieur, on ne sait pas, dit un auditeur, c e s gens-là sont capables de t o u t !

— Mais, dit impatiemment Crousliilac, uu pareil animal ue doit p a s savoir ce que c'est que les petits soins, le parler Deuri qui subjugue les belles...

— Non, certainement, reprit le narrateur (que uous soupçonnons fort d'exagérer les faits), car il sacre, il jure à lairc abîmer l'Ile, et il a une v o i x . . . une v o i x . . . qui ressemble au bcuglemeut d ' u n t a u r e a u .

—C'est tout simple, à force de les fréquenter il aura pris leur accent, dit le chevalier, mais la lin de votre histoire, j e vous prie.

— M'y voici. J e demandai d o n c au boucanier comment il osait s o u - tenir que des chiens qui dévoraient uu homme étaient bieu dressés, a Sans doute, reprit-il ; mes chiens soul dressés à ue jamais douner un coup de dent à uu taureau lorsqu'il est mis bas, c a r j e vends les peaux, et il faut qu'elles soient intactes ; une fois l'animal m o r t , c e s p a u v r e s hèles, si affamées qu'elles soient, ont le courage de le respecter et d'at- tendre la c u r é e ; o r , ce matin ils avaient une faim d'enfer : mon engagé était à moitié tué et couvert de sang. Il était très-dur avec eux : ils ont sans doute commencé par lécher ses blessures : puis, comme ou dit, l'appétit leur sera venu en mangeant ; ça leur a mis l'eau à la bouche, à ces pauvres bêtes ; finalement ils ne m'ont laissé que les os de mou en- gagé. Sans la m o r s u r e d ' u n serpent à tête d'agouti, qui pince fort, mais qui u'csl pas venimeux, j e serais peut-être eucore évanoui. Je rev iens à moi, j ' a r r a c h e le serpent de ma jambe droite où il s'était euvoulé, je le prends par la queue, j e le fais tourner comme qui dirait une f r o n d e , et j e lui écrase la tête sur un t r o n c de goyavier ; j e nte làtc, je n'avais presque r i e n . . . la cuisse fendue c l le bras cassé ; je bande la plaie de ma cuisse avec une feuille de balisier bien fraîche, attachée avec une liane.

Quant à mou aileron gauche, il était brisé entre le coude cl le poignet ; j e coupe trois petits bâtons cl uuc longue liane, et je ficelle m o n bras cassé comme une c a r o t t e de t a b a c ; une fois pansé, je cherche m o n e n - gagé, c a r j e ne m'étais pas encore aperçu du t o u r . . . j e l'appelle, il ne répond p a s ; nies chiens étaient couchés à mes pieds, ils faisaient les in- nocents, les sournois ! cl me regardaient en remuant la queue, comme si de rien n'était; eulin je nie lève, et qu'est-ce que j e vois à vingt pas, la carcasse de mon engagé ! je le connais à sa corue à poudre et à sa gaine à couteaux. Voilà tout ce qu'il en restait. C'était pour eu revenir à ce que je vous disais, ajouta Arrache-l'Ame eu terminant son horrible histoire, et pour vous prouver que mes chiens étaient bien mordants et bien dressés ; car il ue manque p a s un poil à la peau du taureau. »

— Allons, allons, le boucanier vaut le flibustier, dit Crousliilac. Tout ce que je vois là-dedans, c'est que la Barbe-Bleue est furieusement à plaindre de n'avoir eu jusqu'ici que le choix entre de pareilles b r u t e s . . . Et le Gascon ajouta avec compassion : C'est tout simple ; celte pauvre femme-là u'a pas d'idée de ce que c'est qu'un aimable et galant gentil- homme. Quand on a toute sa vie mangé du lard et des lèves, on ne se figure pas qu'il peut exister quelque chose d'aussi parfait, d'aussi déli- cat qu'un faisan ou un ortolan... Allons, niordioux! je vois qu'il m'était destiné d'éclairer la Barbe-Bleue sur une infinité de choses, et de lui dévoiler uu monde tout nouveau... Quant au Caraïbe, il doit ê t r e digne de figurer à côté de ses farouches rivaux?

— Oli ! pour le Caraïbe, dit uu des passagers, je puis en parler à bon escient. J'ai lait cet hiver, daus sou balaou, la traversée de i'Ausc-au- Sable à Marie-Galaude ; j'avais hâte d'arriver dans ce dernier endroit : la rivière des Saintes était débordée, il m'aurait fallu faire un détour é n o r m e pour trouver un endroit guéablc. Au moment de m'enibarquer, j e vis à l'avant du balaou d'Youmaalé une crpèce de ligure brune ; j e m'approche, qu'est-ce q u e j e v o i s ? Jésus, mon Dieu! uue tête et deux bras desséchés en manière de momie, qui formaient la ligure d ' o r n e - ment de sa pirogue. Nous parlons : le Caraïbe, silencieux comme un sau- vage qu'il était, pagayait saus mot dire. Arrivé à la hauteur de l'îlot des Crabes, où avait échoué quelques mois auparavant uu hrigautin e s p a - gnol, je lui demande : — N'est-ce pas là où a péri le bâtiment e s p a - gnol ? Le Caraïbe me fait signe que c'est l à . . . Il est bon de vous dire qu'à bord de ce navire se trouvait le révérend père Simon, des Missions é t r a n g è r e s . Sa régulation de sainteté était telle qu'elle était p a r v e n u e jusque chez les Caraïbes ; le br'gatiliii avait péri corps cl biens, du mnius on le croyait. Je dis donc au Caraïbe : — C'est là qu'est m o r t le p è r e Simon, tu e n as entendu p a r l e r ? Il me fit un nouveau signe de t è t e : aflirmalif... c a r ces gens-là regardent à prononcer une parole de t r o p .

C'était un excellent homme? ajoulai-jc. J

— J'en ai mange, nie répondit ce malheureux idolâtre, a v e c une se de satisfaction orgueilleuse c l f a r o u c h e .

— C'est une manière c o m m e u n e a u t r e de g o û t e r q u e l q u ' u n , Crousliilac, et de partager ses principes. -

— D'abord, reprit le passager, j e ne c o m p r i s p a s ce que voulait d cet horrible anthropophage ; m a i s , lorsque je l'eus (ait s ' e x p l i q u e r , j";

pris qu'ensuite de j e ne sais quelle cérémonie sauvage, le missionua et deux matelots qui s'étaient sauvés sur un ilol désert avaient été si pris par les Caraïbes et eusuilc d é v o r é s . . . Comme j e r e p r o c h a i s à Yt m a a l ê cette atroce barbarie, eu lui disaut qu'il était affreux d'avoir crilié ces trois malheureux Français à leur rage sanguinaire, il me i pondit sentencieusement et d ' u u ton approbalif, c o m m e s'il eût voi nie p r o u v e r qu il c o m p r e n a i t la f o r c e de mes a r g u m e n t s eu classa sinon la valeur, du moius la saveur de trois différents peuples : — as raison : Espagnol, j a m a i s ; F r a n ç a i s , s o u v e n t : Anglais t o u j o u r s .

— Ce qui prouve q u e l'Anglais est incomparablement plus délicat q le Français, et que l'Espagnol e s t c o r i a c e e n diable, dit Crousliilac; m;

avec c e s gourmandises-là, il finira un j o u r par m a n g e r la Barbc-BIc de c a r e s s e s . . . si tout ceci est v r a i . . .

— Tout est vrai, mon gculillioimne...

— Il en résulte alors positivement que cette ietine ou vieille veu n'est pas insensible aux agréments féroces de 1 Ouragan, d'Arrach l'Ame et de l'anthropophage.

— C'est la voix publique qui l'en a c c u s e .

— Ils la fréquentent donc s o u v e u t ?

— Tout le temps que l'Ouragan ne passe p a s e n flibuste, tout t e m p s qu'Arrache-l'Ame u e passe pas à son b o u c a n , tout le tein|

qu'à oumaalé ne passe p a s d a n s les bois, ils le p a s s e « a u p r è s de Barbc-Bleuc.

— Sans jalousie les uns d e s a u t r e s ?

— On dit que la Barbe-Bleue est une m a n i è r e de femme aussi despt tique et aussi impérieuse que le sultan des T u r c s . . . et qu'elle leur d<

feud d'être jaloux...

— Mordioux ! quel sérail clic s'est choisi l à . . . Mais, allons, allon messieurs, vous m e savez Gascon, vous savez qu'on u o u s a c c u s e d'exs gérer et vous voulez railler...

Le capitaine Daniel répondit d ' u u air sérieux qui ne pouvait pas éti feint :

— A notre arrivée à la Martinique, demandez au p r e m i e r créole ven ce que c'est que la Barbe-Bleue, et q u e saint J e a n , m o n p a t r o n , m maudisse si on ne vous dit pas ce qu'on vient de vous dire à p r o p o s de cell femme et de ses (rois amis, le flibustier, le boucanier c l le Caraïbe !

— Et de ses immenses richesses... m ' e n parlerait-on aussi ? demaud le chevalier.

— On vous dira q u e l'habitation qui dépend du Morne-att-Diahlc e>

une des plus belles du pays, et que la Barbe-Bleue possède un coniptoi au Fort-Saiul-Pierre, et que ce comptoir, tenu par un h o m m e à elle, e expédie chaque aimée cinq ou six bâtiments c o m m e celui q u e nou avons r e n c o n t r é tout à l'heure.

— J e vois ce que c'est alors, dit le chevalier d ' u n air railleur. La Barbe Bleue est une femme blasée sur les richesses et sur les plaisirs d e c monde ; pour se distraire, elle est capable de b o u c a n e r , de (libustet voire m ê m e de cannibalcr, si le c œ u r lui en dit.

— Si cela lui plait, il y a t o u t e a p p a r e n c e qu'elle ne se g è n e guère dit le capitaine.

A ce moulent le père Griffon monta sur le pont; Crousliilac lui dit :

— Mon père, j e disais tout à l'heure à cesmessieurs qu'on nousaccuse nous autres Gascons, de faire des bourdes, mais ce qu'on dit de la Barbe Bleue est-il vrai?

La figure du père Griffon, ordinairement placide ou j o y e u s e , se rem brunit tout d'un coup -, et il répondit gravement à l'aventurier :

— Mon fils, ne p r o n o n c e z j a m a i s le nom de cette femme.

— Comment! mon père, il serait v r a i ? Elle remplacerait ses d é f u n l maris par un llibuslier... un b o u c a n i e r . . . et un a n t h r o p o p h a g e . . .

— Assez, assez, mon fils... j e vous p r i e , ne parlons pas du Morne an-Diable et de c e qui s'y passe.

— Mais, mou p è r e . . . cette femme est-elle aussi r i c h e qu'on le d i t reprit le Gascon, dont les yeux brillaient d e convoitise, a-l-cllc d ' i m mciiscs trésors ? est-elle belle ? est-elle j e u u e ?

— Que le ciel nie préserve de m ' e n informer !

— Est-il vrai que ses trois maris aient été tués par elle, mou p è r e Si cela est vrai... comineul la justice a-l-eflc laissé de pareils crime impunis?

— Il est des crimes qui peuvent é c h a p p e r à la justice des hommes mon fils, mais ils u'écluippcnt jamais à ia justice de Dieu. J e ue sai d'ailleurs si cette femme est aussi coupable qu'on le dit : mais e u c o r une f o i s , m o u fils, n ' e n parlons p l u s . . . j e vous e n c o n j u r e , dit le pèr Griffon que cet eulrclien affectait péniblement.

Tout à coup le chevalier se campa fièrement sur sa h a n c h e , enfonç son vieux feutre sur sa t ê t e , caressa sa moustache, se dressa sur s e orteils comme un coq qui „e prépare au combat, et s'écria avec une a u d a t e dout un Gascon était seul capable :

— Messieurs, diles-moi le qtiaulicine de c e mois.

— Le 15 juillet, lui répondit le capitaine.

— Eli bieu ! messieurs, reprit l'aventurier, q u e je perde m o n n o m d·

(7)

7 LE MORNE-AU-DIABLE.

juslillac, que mon blason soit à jamais entaché de félonie, si dans on lis d'ici, jour pour jour, malgré tous les boucaniers, tous les flilnis- rs cl tous les anthropophages de la Martinique et de l'univers, la.Barbe- :ue n'est pas la femme de Polyphcmc de Croustillac !

Le soir, au moment où il allait se retirer dans l'entrc-pont, l'avcnlii-

¡r fut pris en particulier par le père Griffon ; celui-ci tâcha, par tous i moyens possibles, de pénétrer si le Gascon en savait plusqu'il ne pa- issait savoir à l'endroit de la Barbe-Bleue. L'insistance extraordinaire ec laquelle Croustillac s'était occupé d'elle et des gens qui l'ciilou- ieut avait éveillé les soupçons du 'bon p è r e . Après s'être entretenu ngtemps à c e sujet avec le chevalier, le religieux fut à peu près c c r - in que Croustillac n'avait parlé ainsi que par outrecuidance et par mité.

— Il n'importe, dit le père Griffon d'un air pensif en voyant le elic- dier s'éloigner, j e n e perdrai pas cet aventurier de v u e . . . il a l'air

u et évaporé, mais les traîtres savent prendre tous les masques...

élas ! ajoula-t-il tristement, ce dernier voyage m'impose de grands dc- airs envers ceux qui habitent le Morne-au-Diable. Maintenant leur s e - rei est p o u r ainsi dire le m i e n . . . mais j'ai dû faire ce que j'ai fait, ma jnscicnce le voulait... puissent-ils jouir longtemps encore du bonheur u'ils méritent en échappant aux pièges qu'on leur t e n d . . . Ali I ce sont e dangereux ennemis que les rois... et on paye souvent bien c h e r le

•¡sic honneur d'être né sur les marches d'un trône. . Ilélas! reprit le on père avec un profond soupir, pauvre et angélique femme... cela me avre d'entendre ainsi parler d'elle... mais ¡1 serait iinpolilique de la étendre... Ces bruits font la sûreté des nobles créatures auxquelles j e s'intéresse si vivement.

Après de nouvelles réflexions, le père Griffon se dit : — J'avais un ustant pris cet aventurier pour un secret émissaire de l'Angleterre, nais je m e suis sans doute trompé... Malgré cela, j e surveillerai cet lomme... mais au fait, j'y songe, j e lui offrirai l'hospitalité... de celle nanière aucune de ses démarches ne m'échappera ; en tout cas, je pré-

iendrai mes amis du Morne-au-Uiablc de redoubler de prudence, car c ne sais pourquoi l'arrivée de c e Gascon m'inquiète.

Nous devons nous bâter d'avertir le lecteur que les soupçons du père îrifion à l'égard de Cruustillac n'étaient pas fondés, le chevalier n'était

•¡en autre qu'un p a u v r e diable de chevalier d'industrie, tel que nous l'avons dépeint. L'excellente opinion qu'il avait de lui-même était la seule cause de son impertinente gageure : d'être avant un mois l'époux de la Barbe-Bleue.

CHAPITRE IV.

L a m a i s o n curialc,

La Licorne était mouillée à la Martinique depuis trois jours. Le p è r e Griffon, ayant quelques affaires à terminer avant que de retourner dans sa paroisse du Macouba, n'avait pas encore quitté le Fort-Saint-Picrrc.

Le chevalier de Croustillac se trouvait transplanté aux colonies avec trois écus dans sa p o c h e . Le capitaine cl les passagers avaient regardé c o m m e une fanfaronnade l'engagement pris par l'aventurier d'être avant mi mois l'époux de la Barbe-Bleue.

Loin d'avoir a b a n d o n n é ce projet, le chevalier y persistait de pins en plus depuis son a r r i v é e à la Martinique; il avait pu s'informer des ri- chesses de la Barbe-Bleue, cl se convaincre que si l'existence de celle femme bizarre était entourée du plus profond mystère cl le sujet des plus folles exagérations, il était du moins avéré qu'elle était colossale- mont riche. Quant à sa figure, à son âge, à son origine, comme per- sonne n'était à cet égard aussi instruit que le père Griffon, on n'en pouvait rien dire. Elle était étrangère à la colouie. Son intendant l'avait précédée d a n s l'île pour acheter une plantation magnifique et faire bâ- tir l'habitation du Morne-au-Diable, située au nord cl dans la partie la plus inaccessible et la plus déserte de la Martinique.

Au Iront de quelques mois, on apprit que le nouvel habitant et sa Tcnunc étaient a r r i v é s : un 011 deux colons, poussés par la curiusilé, s'a- v e n t u r è r e n t dans les solitudes du Morne-au-Diable ; ils furent reçus avec une hospitalité royale, mais ils ne purent voir les maîtres de la maison.

Six mois après' cette visite, on apprit la mort de c e premier mari, mort qui eut lieu pendant un petit voyage que les deux époux avaient fait à la Terre-Ferme. Au bout d ' u n e année d'absence et de veuvage, la Barbe-Bleue revint à la Martinique avec un second époux. Ce dernier mari fut, dit-on, tué par accident, au milieu d'une promenade qu'il fai- sait têlc-à-iêie avec sa f e m m e ; l c pied lui avait manqué, et il était tombé d a n s 1111 de ces abîmes sans fond qu'on rencontre fréquemment au milieu du sol volcanisé des Antilles.

Telle était du moins l'explication que sa femme avait donnée de cette mort mystérieuse. L'on ne savait rien de ires-positif sur le troisième mari de'la Barbe-Bleue et sur sa m o r t . Ces trois morts si rapprochées, si fatales, les bruits étranges qui commençaient à courir sur cette femme, éveiUèrent l'attention du gouverneur de la Martinique, qui était alors M. le chevalier de Crussol : il partit avec une escorte pour le Morne-au-Diable ; a r r i v é au pied de la montagne boisée, au sommet de

laquelle s'élevait la maison d'habitation, il trouva un mulâtre qui lui r e - mit une lettre.

Après l'avoir lue, M. de Crussol parut saisi d'étonnement ; puis, o r - donnant à son escorte de l'attendre, ¡1 suivit seul l'esclave. Au bout de quatre heures, le gouverneur revint avec son guide, et reprit immédia- tement le chemin de Saint-Pierre. Quelques personnes de son escorte remarquèrent qu'il était très-pâle, très-agité. Depuis ce moment jusqu'à sa mort, qui arriva treize mois, jour pour jour, après sa visite au Morne- au-Diable, on ne lui entendit pas prononcer une-fois le nom de la Barbe- Bleue. M. de Crussol se confessa très-longuement au père Griffon, qu'il avait fait venir dn Macouba... On observa qu'en quittant le pénitent le père Griffon avait la figure bouleversée.

Depuis c e temps, l'espèce de fatale et mystérieuse renommée de la Barbe-Bleue augmenta de j o u r en jour. La superstition vint se joindre à la terreur qu'elle iuspira», et l'on ne prononça plus son nom qu'avec épouvante : on croyait fermement qu'elle avait assassiné ses trois m a - ris, cl qu'elle n'échappait à la vindicte des lois qu'à force d ' o r , en achetant par de ri lies présents l'appui des différents gouverneurs qui se succédèrent. Personne n'était a u n e tenté d'aller troubler la Barbc- lilcuo au milieu des sites sauvages et solitaires qu'elle habitait, surtout depuis que le Caraïbe, le boucanier et le flibustier étaieut devenus, di- sait-on, les commensaux, ou même les consolateurs du la veuve.

Quoique ces hommes n'eussent légalement commis aucun crime, on fai- sait des récits fabuleux sur leur férocité; ils avaient, dit-on, déclaré qu'ils poursuivraient d ' u n e haine et d'une vengeance implacables tous ceux qui tenteraient de p a r v e n i r auprès de la Barbe-Bleue.

A force d'être répétées cl exagérées, ces menaces portèrent leur fruit. Les habitants se soucièrent peu d'aller, peut-être au péril de leur vie, pénétrer les mystères du Morne-au-Diable. Il fallait avoir l'audace désespérée d ' u n Gascon aux abois pour essayer de surprendre le secret de la Barbe-Bleue, et de prétendre l'épouser. Tel était pourtant l ' i r r é - vocable dessein du chevalier de Croustillac ; il n'était pas homme à r e - noncer si facilement à l'espoir, si insensé qu'il fût, de se marier à une femme riche à millions ; belle ou laide, jeune ou vieille, peu lui i m p o r - tait. Pour réussir, il comptait sur sa bonne mine, sur son esprit, sur son amabilité, sur son air à la fois galant et fier, car le chevalier c o n t i - nuait d'avoir de lui-même une excellente opinion ; il comptait encore sur son adresse, sur sa ruse et son courage.

En effet, un homme alerte et déterminé qui n'a rien et qui ne craint rien, qui cruil en lui et son étoile, qui se dit comme disait Croustillac : En risquant de mourir pendant u n e minute, c a r la mort ne dure que cela, je puis vivre dans le luxe et l'opulence; un Ici homme peut o p é - rer des miracles, surtout lorsqu'il se propose un but aussi magnifique, aussi stimulant que celui que se proposait Croustillac.

Selon ce qu'il s'était propose, le père Griffon, a p r è s avoir terminé quelques affaires qui le retenaient à Saint-Pierre, offrit au chevalier de l'accompagner au Macouba et d'y rester jusqu'au moment où la Licorne ferait voile pour la France. Le Macouba n'étant éloigné que de quatre ou cinq lieues du Morne-au-Diable, le chevalier, qui avait dépensé ses trois cous cl qui se trouvait sans ressources, accepta l'offre du r é v é - rend, sans toutefois l'informer encore de sa résolution à l'égard de la Barbe-Bleue; il ne voulait la lui révéler qu'au moment de l'exécuter.

Après avoir pris congé du capitaine Daniel, le chevalier et le p r ê t r e s'embarquèrent dans une pirogue. Favorisés par mie bonne brise du sud, ils tirent voile pour le Macouba. Croustillac paraissait indifférent aux sites magnifiques et nouveaux pour lui qu'offraient les côtes de la Martinique vues de la m e r ; celle végétation tropicale, dont la verdure, d'une crudité de ton presque métallique, se détachait sur un cicl e n - flammé, le touchait peu.

L'aventurier, les y e u x machinalement fixés sur le sillage scintillant que la pirogue laissait après elle, croyait y voir pétiller les vives é t i n - celles des diamants de la Barbe-Bleue : les petites herbes vertes et bril- lantes détachées des prairies sous-marines que paissent les grandes tor- tues et les lamt'iUins rappelaient au Gascon les énicraudes de la veuve ; tandis que quelques gouttes d'eau qui s'irisaient au soleil en tombant des rames lui faisaient songer aux sacs de perles tincs que possédait la terrible habitante du Morne-au-Diable.

1л p è r e Griffon était aussi profondément absorbé : après avoir songé à ses amis du Morne-au-Diable, il pensait, avec un mélange d'inquiétude et de joie, à son petit troupeau de fidèles, à son jardin, à sa simple et pauvre église, à sa maison, à sa vieille liaqiicuée favorite, à son chien, à ses deux nègres, auxquels il rendait la servitude presque douce. Et puis, faut-il le d i r e ? il pensait aussi à certaines conserves de ramiers qu'il avait faites quelques j o u r s avant son départ, et dont il ignorait le sort. En trois heures le canot arriva au Macouba.

Le père Griffon n'était pas attendu ; la pirogue mouilla dans une p e - tite anse, non loin de la rivière qui arrose ce quartier, l'un des plus fertiles de la Martinique. Le père Griffon s'appuya sur le bras du c h e v a - lier. Après avoir quelque temps suivi la grève où venaient se rouler les hautes et pesantes lames de la mer des Antilles, ils arrivèrent au bourg du Macouba, à peine composé d'une centaine de maisons construites en bois, et couvertes de roseaux ou de planchettes de palmier.

Le bourg s'élevait sur un plan dcmi-circiilaire qui suivait la courbure de l'anse du Macouba, petit port où venaient mouiller plusieurs pirogues

! CI bateaux de p ê c h e . L'église, long bâtiment en bois du milieu duquel s'é-

Hivatkozások

KAPCSOLÓDÓ DOKUMENTUMOK

II poursuit la réflexion de Diderot au sens ou les tombeaux, les ruines et la fin de la tyrannie sont chez lui aussi des notions intimement liées, mais tandis que

On peut choisir des romans, des nouvelles, des bandes dessinées qui sont filmés et nous pouvons les regarder avec les éléves pendant les cours et ils peuvent

principaux traits caractéristiques du touriste sont présentés entre autres par Jean Cassou, « Du voyage au tourisme », Communications 10 (1967) : 25-34. 33 Nous avons déjà

' Les autorités, services, corps ou instií'uts recueillant des données exécuteront, dans le cadre du programme de travaux approuvé par le Parlement, les enguétes statistigues

Les principales guestions méthodologigues et de princípe pour l'examen statistigue des sala'u-es réels et des revenus réels ———- Mme Aladár

rung” in the Illustrated Book» ont en commun le fait que, dans leurs enquêtes sur le rapport entre image et texte, les auteurs analysent non seulement les livres du point de vue

L’étude du contenu des bibliothèques, la reconstitution du parcours de livres, les enquêtes sur des régions ou des pays entiers ont toujours été poursuivies dans

Liquide; ou Solide. NOTA 1: Les gaz qui répondent à la définition des gaz toxiques ou des gaz comburants selon 2.2.2.1.5 et les gaz identifiés comme &#34;Considéré comme un