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Le juriste-philosophe Carl Schmitt a développé une Théorie du partisan dans un opuscule du même nom en 1963, et une conceptualisation du révolutionnaire professionnel (partisan, fellagha ou guérillero) qu’on voit dans les guérillas, guerres révolutionnaires ou de libération nationale. Il a pris pour point de départ de ses réflexions la guerre de guérilla menée par le peuple espagnol de 1808 à 18013 contre les forces armées d’un envahisseur étranger. Le partisan de la guérilla espagnole de 1808 a été en effet le premier

35 Aron (R.), Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965, p. 52 ; ainsi que Draus (F.), «Raymond Aron et la politique», RFSP, 1984, 34-6, pp. 1198-1210.

36 Aron (R.), Le spectateur engagé, op.cit., p. 301.

37 Weil (E.), Philosophie politique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1984, p. 179 et ss.

38 Châtelet (F.), Pisier-Kouchner (E.), Les conceptions politiques du XXe siècle, Paris, PUF, coll.Thémis, 1981, p. 650.

à se battre contre les forces régulières de Napoléon. Mais, Schmitt n’a pas manqué aussi d’insister sur les spécificités du partisan révolutionnaire dans plusieurs guerres, à travers Lénine, Mao Tsé-Toung, Che Guevara, Castro, Tito, Hô Chi Minh ou les membres du FLN algérien.

- Caractéristiques générales

Nous croyons, pour notre part, que, contrairement à l’habitude en la matière, le révolutionnaire professionnel devrait d’autant plus faire l’objet des études sur les professionnels de la politique, un professionnalisme, il est vrai, d’un type particulier, qu’il s’agit très souvent d’une phase préparatoire à l’accès au pouvoir des révolutionnaires et d’un apprentissage fondamental à l’exercice politique dans le cadre de la résistance39 ou de l’opposition. D’autres font leur apprentissage dans un parti politique institutionnel ; ici c’est plutôt dans un contexte de militance révolutionnaire clandestine. Ainsi, fait occulté par Carl Schmitt lui-même, après la victoire de leur action révolutionnaire, les partisans forment tantôt les cadres de la nouvelle équipe au pouvoir, tantôt les cadres d’une nouvelle armée régulière. Mieux encore, les leaders révolutionnaires deviennent les chefs d’un nouvel Etat légitime.40

Le révolutionnaire professionnel se caractérise d’après Carl Schmitt par un certain nombre d’éléments. Le premier caractère est d’être un combattant irrégulier, ayant pour ennemi le soldat en uniforme et l’armée régulière. Le deuxième caractère est l’engagement politique intensif. Un caractère qui le distingue du criminel ou bandit dont les motivations ne sont pas politiques, mais orientées vers l’enrichissement illicite. Quand Che Guevara disait que

«Le partisan est le jésuite de la guerre»41, il pensait à la détermination et à l’intensité de son engagement politique, comme le jésuite en religion. Le révolutionnaire partisan s’aligne sur une ligne politique. Le terme «partisan»

souligne que son action relève d’un parti ou d’un groupe de combattants politiquement actif. Le jour où, à l’action politique du révolutionnaire se

39 Rolf Schroers, dans son livre Der Partisan ; ein Beitrag zur anthropologie (Le partisan ; contribution à l’anthropologie politique, Kiepenheuer § Witsch, Cologne, 1961) fait du résistant et de l’activiste clandestin, combattant dans l’illégalité, le type même du partisan.

40 Schmitt (C.), Théorie du partisan, in du même auteur, La notion de politique. Théorie du partisan (deux opuscules réunis par l’éditeur), Paris, Flammarion, Champs, 1992 (1e éd. en 1963). Voir Préface de Julien Freund, p. 33.

41 Cité par Carl Schmitt, Ibid, p. 300.

substituent d’autres formes de violence, comme les attentats, le terrorisme indiscriminé, les bombes aux cinémas, trains, gares, théâtres, les prises d’otage ou les détournements d’avion, et le jour où son action ne relève plus des ordres de son parti, apparaît avec évidence les disjonctions entre les procédés de guérilla et ceux de la criminalité.42 Le troisième caractère est la mobilité, la rapidité et l’alternance de l’attaque et de la retraite. En effet la souplesse extrême distingue le révolutionnaire du soldat de l’armée régulière. Cette souplesse est encore renforcée par la technicisation du combat, l’industrialisation et les nouveaux moyens de communication et de motorisation. Fidel Castro est devenu le chef d’une révolution victorieuse parce que sa rhétorique oratoire a eu un effet multiple au moyen de la radio. Le quatrième caractère distinctif du révolutionnaire professionnel est son caractère tellurique (comme l’a appelé Jover Zamora), en lien avec le sol, orienté vers la défense du territoire contre un ennemi étranger ou national qui l’occupe illégitimement.

Le révolutionnaire a fondamentalement un caractère défensif et territorial, à quelques exceptions. La guérilla des Djebels des Algériens et la guérilla urbaine, tout comme la résistance de Tito ou la révolution plus ou moins rapide de Fidel Castro à Cuba (en deux ans), avaient un caractère fondamentalement tellurique. Un caractère défensif qui va changer avec le marxisme révolutionnaire qui confère à la révolution une puissance historique et une vocation mondiale contre l’ennemi capitaliste43. Lénine fut le premier à donner un élan international à une guerre civile nationale, sous la direction d’un parti communiste. Il écrira un article intitulé «Le Combat des partisans», paru le 30 septembre-13 octobre 1906 dans la revue russe Le Prolétaire. Ce sont là «très logiquement, les débuts du révolutionnaire professionnel», disait Peter Schreibert.44 Mao va réhabiliter le partisan tellurique, à caractère national (son ennemi était Le Kuo-min-tang et le général nationaliste Tchang Kaï-chek, soutenu par les Américains) et non mondial. En une vingtaine d’années de combats et de résistance illustrées par des pertes spectaculaires,

42 Aron (R.), Penser la guerre. Clausewitz, t.II (L’âge planétaire), Paris, Editions Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, nrf, 1976, op.cit., p. 208.

43 Schmitt (C.), Théorie du partisan, op.cit., p. 256.

44 Schreibert (P.), «Under LeninsAnfänge» («A propos des débuts de Lénine», Historische Zeitschrift, n° 182 (1956), p. 564.

d’exploits et d’expériences de partisans, la «longue marche»45 aboutit à l’unification du parti communiste chinois en un parti de paysans et de soldats, dans lequel le partisan était la figure clé.

- Les révolutionnaires et le métier politique

Les révolutionnaires professionnels apprennent le métier politique, non pas dans les institutions, mais dans la clandestinité, sur le terrain, dans les forêts et montagnes. Ils font de la politique à la manière révolutionnaire. Ils ont des méthodes de combat spécifiques et des stratégies de terrain (ils évitent les batailles en raison de l’infériorité du nombre, ils abandonnent l’espace pour gagner du terrain, attaquent par surprise, la mobilité leur assure l’avantage du nombre et du terrain).46 Ces règles de base, ils les ont appris, non pas dans les livres, mais les connaissent d’instinct, par l’expérience sur le terrain et la connaissance de l’ennemi. Ils ont aussi des stratégies et des objectifs politiques. Ils défendent la cause d’un parti, ils sont disciplinés, obéissent à des tactiques politiques mouvantes. Ils se soucient moins de frapper l’ennemi que de recruter de nouveaux combattants et partisans, de gagner la sympathie de l’opinion et le soutien de l’ensemble de la population.

Tant d’éléments qui permettent d’identifier le partisan ou le révolutionnaire à un type particulier de professionnel politique, celui du combat de terrain et de la résistance clandestine. La politique ne s’apprend pas seulement dans l’activité parlementaire47 ou au sein d’un parti institutionnel, même si dans la vie moderne, et comme l’expliquait pertinemment Max Weber, c’est là qu’elle a pris véritablement son essor pleinement professionnel.