• Nem Talált Eredményt

Le professionnel politique est pour Weber celui qui «vit» de la politique.

C’est surtout des permanents du parti que dépend le destin du parti et du pouvoir.

45 Il faut rappeler que la «longue marche» a débuté en novembre 1934, elle partait de la Chine du Sud jusqu’à la frontière mongole, c’est-à-dire plus de 12.000 kilomètres.

46 Aron (R.), Penser la guerre. Clausewitz, t. II, op.cit., p. 191.

47 Activité détestée par Proudhon, Bakounine, Georges Sorel, parce qu’elle décourage le « grand enthousiasme» et le «grand mythe» sorélien du syndicalisme et de la grève générale, et aussi par Donoso Cortès et Carl Schmitt parce qu’elle s’oppose à «la décision immédiate». Schmitt (C.), Parlementarisme et démocratie, Paris, Seuil, 1988 (1e édition, 1923), ch.4 (Théories irrationnelles de l’emploi immédiat de la violence, p. 81-95.

- La politique, un véritable métier

Max Weber a perçu l’authentique professionnel de la politique dans l’apparition des partis, supplantant les parlements de notables, et dans la transformation de la politique en une entreprise, exigeant une formation spéciale de ceux qui voudraient participer au combat politique et à la lutte pour le pouvoir à l’intérieur des partis modernes48. Pour lui, ni les patriciens de l’Antiquité, ni les clercs d’autrefois (qui savaient écrire) sur lesquels s’appuyait le prince, ni les lettrés (qui ont reçu une formation humaniste), ni la noblesse de cour (dépossédée du pouvoir politique) ou la gentry anglaise, ni les fonctionnaires (qualifiés et honnêtes, mais de mauvais hommes politiques et administrant de manière non partisane et neutre), qui ont collaboré avec le pouvoir politique ou en étaient proches, ne pouvaient véritablement être considérés comme des professionnels politiques. Ils ne vivaient pas de politique, et n’en faisaient pas leur métier principal. En effet, distinction de Weber désormais bien connue, «Il y a deux façons de faire de la politique. Ou bien on vit «pour» la politique, ou bien «de» la politique».

On peut dans l’idéal faire les deux en même temps, mais, «celui qui vit «pour»

la politique fait d’elle, dans le sens le plus profond du terme, le «but de sa vie». Plus précisément, celui qui considère la politique comme une source permanente de revenus «vit de la politique» ; dans le cas contraire, il vit

«pour» la politique,49 c’est-à-dire se passionne pour elle, mais n’en est pas rémunéré. C’est une des raisons pour lesquelles, et par extension, Weber étend le caractère du professionnel de la politique, à titre peut-être auxiliaire, aux professeurs de science politique, politologues et journalistes politiques qui peuvent vivre à la fois «de» et «pour» la politique. Weber était lui-même à la fois un professeur d’Université, un homme d’action et un journaliste.

Mais, il faut reconnaître que le nombre des personnes qui font de l’activité politique leur profession principale, et non occasionnelle, ne sont pas nombreux et ne l’ont jamais été50.

48 Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, coll. Le Monde en 10/18, 1963 (1e éd., Plon, 1959), p. 121.

49 Weber (M.), Ibid, p. 111-112.

50 Weber (M.), Ibid, p. 130 et 140.

- Les permanents des partis

Au règne des notables et des parlementaires a succédé, selon Max Weber, la domination des partis modernes, avec leurs structures et leur organisation rationnelle et hiérarchique. Issus de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter des militants et d’organiser les masses, les partis tendent vers l’unification organisationnelle rigide à l’échelle nationale et la discipline dans les divers échelons51. Ils ont besoin d’individus qui font de l’activité politique leur profession principale, tout en restant en dehors du parlement. Ce sont ces «entrepreneurs» partisans, comme le boss américain ou l’election agent anglais, ou les fonctionnaires permanents des partis, qui vont avoir la maîtrise sur «l’entreprise politique». Ce n’est plus le groupe parlementaire ou les notables locaux qui établissent les programmes, la ligne et la stratégie du parti, qui décident des candidatures aux élections ou des réunions et congrès, mais les militants permanents du parti. Ainsi, «le pouvoir est maintenant entre les mains des permanents qui sont responsables de la continuité du travail à l’intérieur de leur organisation ou encore entre celles des personnalités qui dominent personnellement ou financièrement l’entreprise».52 C’est leur volonté qui prime. La «machine», c’est eux ; les finalités du parti, c’est encore eux. Ce sont encore eux, qui ont les meilleures chances d’aspirer aux hautes sphères du parti de par leur proximité des chefs.

Ainsi, les militants, fonctionnaires du parti et permanents attendent des compensations du chef du parti et non des députés du parti. C’est le chef qui déterminera leur carrière partisane et politique et qui leur ouvrira les portes du pouvoir. Même les partis uniques des régimes autoritaires, du Nord ou du Sud ont connu leurs permanents et fonctionnaires du parti, comme le PSD, puis RCD en Tunisien sous Bourguiba, puis Ben Ali.53

51 Daniel Gaxie a bien analysé les dynamiques politiques introduites par les partis dans les démocraties modernes. Selon lui, quatre évolutions ont eu lieu grâce à l’essor des partis : la nationalisation des arènes électorales ; l’intensification de la compétition électorale ; la personnification des activités politiques ; et la collectivisation de la vie politique. Gaxie (D.), La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, coll. Clefs politique, 4e éd.,2003 ; Voir également Manin (B.), Principes du gouvernement représentatif, Paris,, Flammarion, coll.Champs, 1995.

52 Weber (M.), Ibid, p. 140-141.

53 M’rad (H.), «La problématique du professionnalisme politique du gouvernement tunisien. De l’autoritarisme à la transition démocratique», in Biard (B.) (dir.), L’Etat face à ses transformations, ABSP, L’Harmattan, Academia, Science politique, 22, ch.9, 2018, pp.181-208 ; ainsi que Revue Tunisienne de Science Politique, n°1, sem.1, 2019, pp. 47-73.

Le chef du parti lui-même, premier des professionnels de la politique, doit être judicieusement sélectionné. Au-delà de son volontarisme et détermination, les qualités oratoires sont décisives. Gladstone, conservateur, puis libéral, et quatre fois premier ministre en Angleterre au XIXe siècle, était un adepte de la bonne formule. Il exploitait beaucoup l’émotivité de la foule.

On sait que, autant Max Weber n’appréciait pas beaucoup le leadership rationnel-légal, trop ennuyeux à son goût, autant il préférait le leader charismatique, qui rompt avec «le désenchantement» bureaucratique des Etats modernes. Il disait, «ou bien une démocratie admet à sa tête un vrai chef et accepte l’existence d’une «machine», ou bien elle renie les chefs et elle tombe alors sous la domination des «politiciens de métier» sans vocation, qui ne possèdent pas les qualités charismatiques profondes qui font les chefs»54. Ces chefs doivent avoir trois qualités essentielles dans son esprit : «la passion», au sens de finalité à atteindre ou de cause à défendre ; «le sentiment de responsabilité», car la passion seule ne suffit pas sans responsabilité, qui oriente l’exercice politique vers des considérations élevées ; enfin «le coup d’œil», qualité psychologique qui doit l’incliner à garder la distance avec les événements, les choses et les hommes.55 Car, la vanité, l’absence de détachement sont des vices notoires pour le professionnel politique, au pouvoir ou à l’opposition.

Ce sont ces exigences-là dans les qualités du professionnel politique qui ont conduit Max Weber à distinguer l’homme d’action du savant académicien.

Contrairement au philosophe-roi de Platon, qui les confond entre les mêmes mains. La science que conçoit le savant doit servir et non décider à la place de l’homme politique. «Une théorie de l’action est une théorie du risque en même temps qu’une théorie de la causalité» 56, comme l’écrit Raymond Aron dans l’Introduction du livre de Weber, Le savant et le politique. L’homme d’action agit dans une conjoncture unique, spécifique, en fonction de ses propres valeurs, en introduisant lui-même de nouveaux faits et de nouvelles conséquences par le fait son action propre. Les conséquences de son action ne sont pas généralement prévisibles, car chaque circonstance est par elle-même

54 Weber, Ibid, p. 159.

55 Weber, Ibid, p. 162 et ss.

56 Ibid, p. 8. Les italiques sont mis par Raymond Aron.

singulière. Même si le professionnel politique ne doit pas se départir d’un décisionnisme raisonnable, puisé entre autres dans son savoir théorique.

6. Le technocrate de l’Etat savant