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Comment duper l’auditoire ? En quoi consistent la langue et le langage du politique ? Celui-ci partage-t-il vraiment le langage

Le Langage poLitique ou quand dire C’est ne rien dire

B) Comment duper l’auditoire ? En quoi consistent la langue et le langage du politique ? Celui-ci partage-t-il vraiment le langage

utilisé avec son auditoire ?

La langue de bois consiste précisément dans «un ensemble de procédés qui, par les artifices déployés, visent à dissimuler la pensée de celui qui y recourt pour mieux influencer et contrôler celle des autres»11. Le politique ne dit donc pas, mais dissimule au contraire sa pensée ou son but. Cette langue lui permet d’atteindre un but, à savoir l’adhésion et le ralliement du plus grand nombre possible de partisans.

La langue de bois utilise différents procédés dont certains étaient déjà connus dans l’Antiquité pour détecter les faux syllogismes, ceux-ci étant le moyen infaillible de prouver quelque chose, si on en respecte les règles.

Delaporte rappelle justement que Gorgias et Protagoras ont écrit la première page de la manipulation par la parole.

Il est aisé de relever quelques-uns de ces procédés que nous retrouvons chez les politiques ici et là.

9 Perelman (C.), L’empire rhétorique, Paris, Vrin, 1997, p 35.

10 Perelman (C.), Justice et Raison, Bruxelles, Ed. Univ ; Bruxelles, 1972, p. 222.

11 Delaporte (C.), Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, 2009, p. 10. Je m’inspire beaucoup de cet ouvrage dans cet article.

Le procédé préféré des politiques consiste à faire appel aux sentiments et à mettre clairement de côté la raison. Lorsqu’un politique n’arrête pas de compatir à la pauvreté des citoyens et à leurs difficultés, sachant pourtant qu’il n’a aucune solution et aucun programme pour alléger leur quotidien. Ils se sentent alors soutenus par lui parce qu’il leur donne raison et leur demande presque de se soulever en leur faisant croire qu’il est l’un des leurs en fréquentant le même café ou en se rendant dans des mosquées populaires à grande pompe. Le subterfuge consiste à faire croire qu’il est engagé auprès de son auditoire. Un politique qui revendique ce que les Jeunes ou les citoyens défavorisés revendiquent n’a pas de solution à présenter et ne fait que s’attirer leur sympathie naïve.

C’est ainsi que suite à des actes de vandalisme et de pillage qui ont eu lieu dans différents quartiers et régions de la Tunisie, le président de la république, Kais Saied, s’est rendu, lundi 18 janvier 2021, à Mnihla, son quartier de résidence avant son investiture. Il s’est alors adressé à la foule pour donner pratiquement raison aux mécontents : «Je suis conscient de votre situation et je connais les parties qui souhaitent en profiter. Ne leur permettez pas de marchander votre misère», a-t-il lancé. Sarkozy aimait bien aussi donner l’illusion de savoir ce que les Français veulent, savent…et parler en leur nom :

«je veux dire aux Français….les Français savent que….. les Français attendent de nous….». Il tente de se confondre avec son auditoire en adoptant parfois le même langage, comme en témoigne le fameux «casse-toi pauv’ c….».

Le second procédé fréquemment utilisé consiste à faire appel à de fausses analogies en rapprochant les comportements des leaders politiques d’aujourd’hui de ceux de certains chefs de guerre d’un passé lointain. Ces analogies sont inappropriées et rejoignent ce qu’on appelle un argument fallacieux qui fait appel à la tradition, à l’autorité et surtout à la religion plutôt qu’à la raison. Le modèle d’un vrai chef d’Etat est, selon les propres dires de Kais Said, par exemple, le khalife Omar Ibn Khatab (cf. interview avec K. Said du journal électronique Charaa magharibi (يبراغملا عراشلا) du 11 juin 2019).

Certains politiques tunisiens justifient leur propos en récitant un verset du coran, parfois même incorrecte, en y mettant juste le ton solennel qui convient. Qui oserait les contredire ou contester publiquement ? Par ailleurs, ils flattent souvent le Tunisien en soulignant que son intelligence lui permet

de comprendre leurs propos, ce qui les dispense de s’expliquer et de développer davantage. Qui oserait les démentir et risquer de mettre en doute son intelligence ?

Un troisième procédé, volontaire ou pas, montre à quel point un politique peut dire une tautologie ou une absurdité. Les exemples ne manquent pas. Delaporte en rappelle quelques-uns : D’après Balladur, «il faut toujours décoller pour prendre de l’altitude» (septembre 1994) alors que pour Marchais, «lutter contre l’exclusion, c’est lutter contre les exclusions»

(mars 1992). Quant à Raffarin, la quadrature du cercle ne semble pas lui poser problème, puisque, dit-il, «nous avons débloqué un certain nombre d’impasses dans lesquelles les Français étaient encerclés» (Raffarin, juillet 2002). Pour sa part Bush endort l’opinion américaine et internationale en nous rassurant que les bombardiers frappent chirurgicalement…

Comment interpréter les propos du président, Kais Saied, par exemple, lors du débat télévisé le 16 octobre 2019, qui reconnaît ne pas avoir de programme parce que, dit-il, «c’est aux Jeunes de formuler leurs attentes» et de rajouter que ceux-ci «savent ce qu’ils veulent», le rôle des politiques se limitant à «formuler politiquement et juridiquement ce que les Jeunes demandent» ? Comment s’y prendre ? Comment cela est-il possible de faire de la fonction des hommes et des femmes au sommet de l’Etat le porte-parole et l’exécutant des jeunes ? Ce qui n’a pas manqué d’échauffer les esprits et les contestations fantaisistes avec les implications que nous constatons amèrement trop souvent.

Le politique utilise donc le contexte dans lequel vit une population qui a souffert de dictature et où les expressions de liberté étaient réprimandées pour peu qu’elles deviennent gênantes. Il verse dans le populisme et se dit ne pas avoir de programme. Ce serait aux Jeunes de lui dicter son programme, en oubliant de surcroît que son pouvoir est assez limité par le régime choisi et en ne se rendant pas compte que l’anarchie et le chaos ne sont pas bien loin.

De tels discours sont démagogiques, abusent des mots et ne disent finalement rien du tout. Ce langage n’est que du pipeau qui se limite à de fausses promesses. Une promesse a ses règles, la première étant qu’il faut la faire sincèrement, sinon il y a contradiction, car dire «je promets» est un acte

performatif, qui, s’il n’obéît pas à ses conditions de possibilité, se transforme à ce moment-là en souhait, en rêve ou même en duperie et supercherie.

En fin de compte, le politique n’a pas l’intention de dévoiler sa pensée, il veut donner l’illusion de le faire. En réalité, il la dissimule par des formules stéréotypées, des affirmations vides et invérifiables ainsi que des métaphores qui ne peuvent remplir aucune fonction. Dans Sens et Expression, Searle a bien expliqué que la métaphore est un jeu de langage qui a ses propres règles et qui ne peut fonctionner et jouer son rôle que grâce à une culture partagée.

Un des moyens de dissimuler son avis et sa pensée consiste à ne pas répondre aux questions d’un journaliste, soit en prétendant ne pas vouloir divulguer une information (!) soit en répondant par une autre question. Ce subterfuge est utilisé plusieurs fois par Kais Saied lors d’une interview accordée au journal électronique «Charaa magharibi» (يبراغملا عراشلا) en date du 11 juin 2019. C’est ainsi qu’à la question de savoir s’il est contre la classification d’Ansar al-charia (les partisans de la charia) comme étant une organisation terroriste, il commence par répondre par la négative pour ensuite se rétracter et poser une série de questions mettant en doute la légitimité de la question de la journaliste : «qui classifie ?» «Que signifie cette classification ?»...

Le quatrième procédé qui permet de donner l’illusion d’un discours en en cachant la vacuité consiste à répéter les mêmes mots en tournant en rond. Ce qui jette un flou et donne l’impression que le locuteur ne veut pas encore divulguer un secret. On peut évoquer la question du financement d’un nouvel hôpital, dont les plans «sont presque prêts» et le financement «presque assuré», réponses données à toutes les interrogations lors de l’interview télévisée de Kais Saied du 30 janvier 2020. Dans cette interview télévisée, il est manifeste que les réponses sont noyées et en réalité absentes. Les mêmes phrases lacunaires ont été répétées plusieurs fois.

Un cinquième procédé permet aussi de parler sans dire. Or, un langage sans pensée n’en est pas un. Il s’approche plutôt d’un délire volontaire ou non, comme lorsqu’un politique utilise des expressions faussement savantes ainsi qu’une sorte «d’éloquence figée». Ce qui constitue un bon moyen pour endormir les consciences. Une telle langue est dangereuse, car elle peut conduire vers l’autoritarisme, sinon le fascisme. Delaporte invoque d’ailleurs deux termes très utilisés aujourd’hui bien qu’ils ne signifient pas grand-chose. Il s’agit de

«peuple» et «système» qui mènent, selon lui, à «un fanatisme de masse».

Il rappelle que «le peuple est un mot sacré, empreint de la religiosité et du mysticisme qui caractérisent un large pan de «la nazilangue»12. Les politiques usent et abusent d’expressions qui donnent l’impression de connivence avec ceux qui l’écoutent, comme nous l’avons dit. Depuis la révolution de Jasmin, le terme de système dont il faudra se débarrasser revient sans cesse, encore aujourd’hui. Delaporte rappelle que «système» «est le terme méprisant choisi par les nazis pour désigner le régime d’avant 1933, la république de Weimar, et souligner la monstruosité d’une démocratie copié sur l’étranger»13. Affirmer donc que le peuple veut ou que nous allons sortir du système n’a pas de sens, sinon obtenir l’adhésion de l’auditoire, car le locuteur oublie qu’on peut, certes, sortir de ce qu’il appelle «système», mais forcément pour rentrer dans un autre.

Le dictionnaire politique définit parfaitement la langue de bois, tel que l’illustrent les quelques exemples évoqués : «la langue de bois est un discours parlé ou écrit convenu, figé incantatoire, délivrant un message coupé de la réalité, n’apportant aucune information nouvelle ou intentionnellement truqué, voire manipulatoire»14.