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En 1887, le Seminar für Orientalische Sprachen (SOS), l’Institut des Langues Orientales, ouvrait ses portes. Le SOS était, dès le départ, une institution inhabituelle ; à la différence des universités soutenues par les provinces, son financement était divisé entre le Reich et la formation pratique prussienne ; il formait des étudiants qui visaient principalement des carrières commerciales, des carrières de fonctionnaires coloniaux, de postiers et de militaires d’outre-mer, mais pas les spécialités de la faculté de philosophie11.

Comme le remarque Suzanne Marchand, il ne fait aucun doute que le SOS a contribué à la domination coloniale allemande ; en 1912, le directeur estimait que le séminaire avait produit quelque 101 fonctionnaires coloniaux, 64 agents postaux pour les colonies et 228 officiers militaires coloniaux12.

En outre, le rapprochement germano-ottoman et sa transformation en une alliance de guerre ont créé un débat sur le panislamisme13 parmi les intellectuels avant et pendant la guerre. Le terme panislamisme est popularisé à partir des années 1880. La menace que représentait le panislamisme pour les puissances coloniales européennes était d’abord soulevée par le publiciste français Gabriel Charmes avant de devenir la hantise générale des administrateurs coloniaux. Le sultan ottoman Abdülhamid II (1842-1918) pouvait alors conforter sa position envers les puissances coloniales en

11 Voir Marchand, op.cit.

12 Voir ibid., p. 351.

13 Le panislamisme représente une idéologie qui vise l’union de toutes les communautés musulmanes sous une même autorité et qui s’est développée au 19e siècle comme réaction face à l’expansion coloniale occidentale en Afrique et en Asie. La question qui se pose au sujet de ce panislamisme est de savoir s’il s’agit d’un attachement sentimental et d’une rhétorique contemporaine ou d’un concept associé à un mouvement politique faisant l’objet de controverses, aussi bien au moment de son apparition que de nos jours. Né du besoin d’une unité politique des musulmans et de la libération de la domination étrangère, il s’agit d’un courant anti-impérialiste. Le sultan ottoman Abdülhamid II (1842-1918) décide d’utiliser le panislamisme et la solidarité musulmane dans le but de renforcer sa puissance affaiblie et se met en scène en tant que chef spirituel et défenseur du monde de l’islam.

s’appuyant sur l’idée panislamiste, l’utilisant comme contrepoids à la menace occidentale14.

Dans ce contexte, il convient de noter l’attrait de nombreux universitaires pour le pouvoir - le pouvoir culturel comme le pouvoir politique - et leur volonté de tirer parti des opportunités pour faire avancer leur carrière et leurs conceptions culturelles15. De nombreux professeurs allemands ont également estimé qu’il était de leur devoir d’apporter de l’aide et parfois même du réconfort aux colonisateurs. L’enthousiasme était particulièrement vif chez ceux qui estimaient que leurs talents et leurs domaines avaient été sous-estimés et sous-utilisés par le Reich. En ce sens, l’orientaliste Carl Heinrich Becker (1876-1933) proclamait : «L’époque où les Allemands pouvaient être indifférents lorsque «au loin, au fin fond de la Turquie, les peuples se battent entre eux» est définitivement révolue»16. Pour ceux qui se sont longtemps sentis dévalorisés ou ignorés, il était réconfortant de penser qu’à l’ère de la Weltpolitik, ils pouvaient enfin trouver grâce et aider leur empire à se hisser au même niveau que les autres17.

Puis, la Première Guerre mondiale a accru l’intérêt des intellectuels pour la politique et les a rendus plus visibles dans le discours public. Ils ont considéré la guerre non seulement comme une occasion de devenir une puissance mondiale, mais aussi comme une lutte pour l’existence nationale. Pendant la guerre, certains orientalistes se référaient au principe de «raison d’État» pour justifier leur contribution dans la politique du Reich18.

En juillet 1915, certains orientalistes et spécialistes allemands de l’islam comme Carl Heinrich Becker, Theodor Nöldeke et Otto Franke ont signé la déclaration appelée Intellektuelleneingabe (mémorandum des intellectuels),

14 Voir Hajji, op. cit., p. 78.

15 Voir Marchand, p. 348.

16 Carl Becker, «Die orientalischen Wissenschaften: Der Vordere Orient und Afrika», dans Deutschland unter Wilhelm II, Berlin, 1914, p. 1183.

17 Voir Marchand, op.cit.

18 Voir Hajji, op. cit., p. 70.

organisée par l’Alldeutsche Verband19. De cette façon, ils déclarent officiellement leur soutien à la guerre. Ce manifeste a été signé par 1347 intellectuels, parmi lesquels 352 professeurs de différentes universités. Ainsi, la plupart des orientalistes allemands se sont soudainement retrouvés au milieu de la guerre20.

Poussés par leur allié allemand, les Ottomans proclamèrent le djihad contre les puissances de l’entente en novembre 1914. Cette proclamation du djihad a suscité des réactions de la part des orientalistes universitaires allemands. Sur la base de la Weltpolitik de Guillaume II, le Reich allemand a tenté d’inciter les pays musulmans sous la domination coloniale de ses adversaires, l’Angleterre, la France et la Russie, à se révolter pendant la Première Guerre mondiale en proclamant le djihad afin de les affaiblir dans leurs colonies. L’idée sous-jacente était assez simple : les ennemis seraient occupés à réprimer les soulèvements, déplaçant des soldats vers les colonies, qui leur manqueraient ainsi dans la guerre contre les puissances centrales en Europe.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, depuis les années 1880, l’intérêt que la presse européenne porte au sujet du panislamisme était en hausse. Mais le djihad, déclaré en 1914, fut la première grande action de l’alliance entre l’Allemagne et l’Empire ottoman en temps de guerre.

Dans le cadre de cette politique de révolutionnarisation des pays musulmans sous domination britannique et française, certains orientalistes ont joué un rôle important, car ils étaient non seulement chargés de fournir des informations importantes sur les pays musulmans, la culture indigène et l’islam, mais ils étaient surtout responsables de la mise en œuvre décisive de cette politique et de la propagande : convaincre les musulmans que, suite à l’appel au djihad par les Ottomans, il était de leur devoir religieux de se révolter contre les Anglais, Français et Russes et de les combattre dans leurs

19 L’Alldeutsche Verband a existé de 1891 à 1939. Pendant la période de l’Empire allemand, il a parfois été l’une des associations d’agitation les plus importantes et les plus connues. Il était perçu comme l’un des groupements les plus bruyants et les plus influents. Son programme était expansionniste, pangermanique, militariste, nationaliste, ainsi que déterminé par des modes de pensée racistes et antisémites.

20 Voir Remzi Avci, „Pan-islamism and the Djihad Discourse of the German Orientalists in the First World War“, Jurnal Al-Tamaddun, Bil. 14 (2), 2019, pp. 25-35, ici p. 27.

colonies et, de la même façon, convaincre les prisonniers de guerre musulmans et les soldats musulmans des armées de l’Entente de déserter pour se battre aux côtés des armées allemandes et ottomanes.

3. Deux orientalistes aux services de la politique : Martin