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Le Langage poLitique ou quand dire C’est ne rien dire

A) De tels procédés permettent-ils de communiquer ?

Le langage est d’abord un instrument de communication, il exprime une pensée et va plus exactement de pair avec elle. Or, à la lumière de quelques exemples et analyses, il est indéniable que le politique utilise généralement un langage qui esquive les questions au lieu d’y répondre en hypnotisant son auditoire par un langage qu’il ne comprend pas, et qui permet, souvent, de le porter au sommet ou alors en tournant en rond et en répétant les mêmes phrases.

En d’autres termes, celui qui parle un langage incompréhensible, ponctué de termes dits savants ou difficiles peut donner l’impression qu’il est cultivé, intelligent et au fait des réalités. Ce qui lui permettrait selon certains de tenir aisément les rênes et de redonner confiance aux citoyens.

12 Delaporte (C.), o.c., p 134.

13 Idem, p 143.

14 https://antidoxe.wordpress.com/ Nous soulignons.

Le politique utilise souvent des subterfuges psychologiques en profitant de situations et de contextes particuliers. Ce qui exclut déjà le jeu de langage, tel que nous l’avons défini. C’est ainsi qu’un politique qui utilise un langage que personne ne comprend ou un langage moyenâgeux et révolu ne participe à aucun jeu de langage, puisqu’il n’est pas partagé par une communauté et qu’il joue seul en inventant des règles ou en appliquant des règles qui n’ont plus cours. Aucune communication et aucun échange ne sont dans ce cas possibles. Or, ceci est le rôle du langage. On a affaire plutôt à un pseudo langage dans lequel seul le locuteur parle et s’écoute parler. Le dernier exemple en date est celui de la lettre manuscrite envoyée par Kais Saied au président de l’assemblée des représentants du peuple. Ignore-t-il que les ordinateurs existent, qu’une calligraphie révolue est illisible tout comme certaines expressions complètement désuètes ? Ignore-t-il que les courriers officiels ont une autre forme ? Comment peut-il parler de «kitab» pour signifier courrier et comment peut-il commencer sa lettre par «essalamou alaina» انيقلأ ام لثم مكيلع و انيلع ملاسلا ? Cette expression signifie littéralement soit «la paix sur nous et également sur vous» - ce qui ne peut que poser un problème sémantique et logique «vous» faisant partie de «nous» -, soit «la paix sur nous (dans le sens du moi de majesté) et également sur vous». Ce qui ne peut que sonner bizarrement et inhabituel.

Wittgenstein précise bien qu’un langage est public par définition. « Il serait dépourvu de sens de dire : une fois dans l’histoire du monde quelqu’un a suivi une règle ou un précurseur a joué un jeu, prononcé une proposition, en a compris une ; et ainsi de suite»15, d’autant que notre langage est vivant, les façons de s’exprimer changent, certaines disparaissent et d’autres apparaissent.

On peut relever deux exemples de politiques qui savaient communiquer : le président Habib Bourguiba qui parlait le tunisien que tout le monde comprenait sans parler de ses gestes et «tic» verbaux et Béji Caid Essebsi qui parlait aussi comme tout le monde et aimait ponctuer ses discours de blagues et de proverbes bien de chez nous. Suivre une règle ou obéir à une règle est une action institutionnelle, une action sociale effectuée plusieurs fois par plusieurs individus. Le langage nous est forcément familier et habituel. On y

15 Wittgenstein (L.), Remarques sur les Fondements des mathématiques, Paris, Gallimard, 1983, VI, §21.

est à l’aise et on n’a nullement besoin de faire appel à l’histoire, la littérature ou à une quelconque encyclopédie pour comprendre les propos de celui qui s’adresse à nous.

Ceci est d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit de comprendre un discours de campagne électorale ou de leader politique. En effet, qu’est-ce qu’un jeu de langage qui déterminerait le professionnalisme d’un dirigeant politique ?

Un professionnel n’est pas un amateur. Pour exercer sa profession dans le sens le plus large du terme, c’est-à-dire comme étant l’exercice d’une activité rémunérée, il faut soit avoir la formation pour s’acquitter de cette tâche, à savoir, avoir fait les études qui le permettent, soit avoir une expérience dans le domaine, tel un sportif professionnel. La compétence d’un professionnel se mesure ainsi soit à la formation, soit à l’expérience. Par conséquent, toute personne qui se prétend chef politique et qui ne peut se prévaloir ni de l’une, ni de l’autre ne peut participer au jeu de langage du professionnel en la matière.

La langue de bois est, certes, utilisée en politique, dans la mesure où les politiques ne sont pas élus pour leurs compétences, ou du moins pas uniquement. Néanmoins, lorsque l’expérience et la formation font défaut, la langue de bois devient pratiquement le langage exclusif pour une communication qui devient en réalité absence de communication, comme l’ont montré les procédés ci-dessus expliqués. Cette absence de communication est la négation même de la profession du politique.

5. Conclusion

Le langage a été considéré comme étant le miroir du réel grâce à un isomorphisme entre les deux. Cette conception a été assez rapidement critiquée comme étant loin d’épuiser notre réel et remplacée par une conception plus englobante, qui consiste à faire du langage l’instrument de la communication. Pour ce faire, il faut que l’orateur, s’il veut être compris, partage son langage avec son auditoire.

Or, nous constatons que si la langue de bois est utilisée depuis toujours, les sociétés démocratiques aujourd’hui, dans lesquelles chacun et chacune peut se présenter à des élections, en font un usage fréquent. La «verbomanie»

est devenue certainement l’outil favori des orateurs. Nous avons vu, exemples

à l’appui, que le politique ne parle pas comme les autres et rompt ainsi trop souvent inéluctablement la communication. Les interlocuteurs ne peuvent qu’éprouver un sentiment d’étrangeté, de bizarrerie devant des verbiages sans limites. Ce verbiage peut avoir deux conséquences diamétralement opposées : une aversion ou une admiration qui s’explique par un sentiment d’infériorité envers celui qui parlerait si bien….

Je dirai pour finir que le politique utilise certes un langage, mais ce dernier perd les caractéristiques qui sont les siennes et qui lui permettent de dire et d’échanger. Le discours et les interventions politiques ont pour but d’obtenir l’assentiment des citoyens par des subterfuges qui rompent justement la communication pour faire du langage une arme, un instrument de pouvoir sur la volonté, le choix et même la conscience de l’auditoire.

Bibliographie

- Delaporte (C.), Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, 2009.

- Perelman (C.), L’empire rhétorique, Paris, Vrin, 1997.

- Perelman (C.), Justice et Raison, Bruxelles, Ed. Univ ; Bruxelles, 1972.

Wittgenstein (L.), Carnets 1914-1916, Trad. fr. G.G. Granger, Paris, Gallimard, 1971. Wittgenstein (L.), Tractatus logico philosophicus, Trad. fr.

G.G. Granger, Paris, Gallimard, 2001. Wittgenstein, (L), Recherches philosophes, Paris, Gallimard, 2004.

Mélika Ouelbani est Professeur émérite à l’Université de Tunis.

Spécialiste de philosophie du langage. Auteurs de nombreux articles sur l’empirisme logique et sur Wittgenstein et d’ouvrages dont La philosophie de Ludwig Wittgenstein, Paris, Vrin, 2016 ; Qu’est-ce-que le Positivisme ?, Paris, Vrin, 2010 ; Le Cercle de Vienne, Paris, P.U.F, 2006 ; L’éthique dans la philosophie de Wittgenstein, Tunis, 2004 ; Introduction à la logique mathématique, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2000 ; Expérience et connaissance chez B.Russell, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 1999 ; Le dicible et le connaissable : Kant et Wittgenstein, Tunis, Cérès-Editions, 1996 ; Le projet constructionniste de Carnap : ses critiques et ses limites, Ed. Univ. Tunis, 1992.

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