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Les versions médiévales de Tristan et Yseut

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 176-180)

Deux versions majeures sont au cœur de la tradition littéraire : celle de Tho-mas d’un côté, de Béroul de l’autre.

Thomas appartient au monde des clercs travaillant dans le milieu anglo-normand de l’époque. Il compose son œuvre aux alentours de 1170, en dialecte anglo-normand. Pour les questions littéraires de cette version, l’analyse, brillante, qui introduit la nouvelle édition9 éclaire tout commen-tateur qui s’intéresse au sujet. Thomas y est présenté comme un narrateur pessimiste et impartial, observateur de la passion d’amour qui sonde les

7 Voir Rita Lejeune, « Les noms de Tristan et Iseut dans l’anthroponymie médiévale », In : Mé-langes Jean Frappier, Genève, Librairie Droz, 1971, p. 625-630. Voir également Pierre Gallais, op. cit., p. 68.

8 Voir Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 13.

9 Thomas, Le Roman de Tristan, suivi de la Folie Tristan de Berne et la Folie Tristan d’Oxford, Traduction, présentation et notes d’Emmanuèle Baumgartner et Ian Short, avec les textes édités par Félix Lecoy, Paris, Honoré Champion, Champion Classiques, 2003, Introduction, p. 9-36. Voir également Christiane Marchello-Nizia, « Thomas, Tristan et Yseut », In : Chris-tiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 129-212, 1218-1287.

souffrances de ses personnages et introduit ses propres commentaires psy-chologiques dans le récit où l’amour apparaît comme une passion tragique, indissociablement liée à la pulsion de mort. C’est cette tonalité qui marque la version de Thomas, qualifiée depuis longtemps par les spécialistes de

« version courtoise », par opposition à la « version commune », représentée par Béroul.

Le texte de Thomas est conservé dans dix fragments, émanant de six manuscrits différents ; l’ensemble de ces fragments donne aujourd’hui 3 294 vers en octosyllabes10. Deux remarques s’imposent à ce sujet. Selon l’hypothèse de Félix Lecoy, l’œuvre en comptait en réalité 12 à 13 mille.

La notion des pertes est donc à souligner, notion à ne jamais perdre de vue à propos de la production littéraire du Moyen Âge. Un deuxième élé-ment est autreélé-ment plus insolite. L’un des six manuscrits, le fragélé-ment de Carlisle, fut découvert au début des années 1990 dans une bibliothèque de province d’Angleterre, sur les feuillets de garde d’un cartulaire latin11.

« [D]écouverte aussi récente qu’inespérée »12, inespérée aussi en cela que ce fragment de 154 vers propose le début du récit, alors que la version de Thomas, telle qu’elle nous est parvenue dans les manuscrits conservés, donne essentiellement la partie finale de l’histoire, laissant une immense lacune qui ne peut être comblée qu’à partir d’autres versions (notamment celle de Gottfried).

Dans le sillage de Thomas, nous trouvons un résumé sobre de son texte, la Folie d’Oxford, composée dans le dernier quart du xiie siècle13.

L’adaptation célèbre de Gottfried de Strasbourg s’inscrit également dans la filiation de Thomas. C’est un immense poème de 19 552 vers, rédigé en moyen haut allemand entre 1200 et 121014. Ce texte somptueux est à l’origine de l’opé-ra de Richard Wagner. Resté inachevé à la mort de Gottfried, il donnel’opé-ra nais-sance à deux Continuations, celles d’Ulrich de Türheim et de Heinrich de Freiberg, datant toutes deux du xiiie siècle15.

10 Voir Emmanuèle Baumgartner, Ian Short et Félix Lecoy, op. cit., p. 9.

11 Ian Short, « Thomas, Tristan et Yseut, Le fragment inédit de Carlise », In : Christiane Mar-chello-Nizia, op. cit., p. 123-127, 1208-1218.

12 Emmanuèle Baumgartner, Ian Short et Félix Lecoy, op. cit., p. 10.

13 Ibid., p. 285-298, 349-429.

14 Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok, « Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde », In : Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 389-635, 1400-1469.

15 Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok, « Ulrich de Türheim, Première continuation »,

Enfin, le monde scandinave propose également un résumé, en langue nor-roise, du Tristan de Thomas. Il s’agit de la Tristrams saga ok Ísöndar16, compo-sée par frère Robert en 1226 pour le roi Hákon Hákonarson, grand amateur de littérature occidentale. Le monde scandinave découvrira l’histoire des amants de bonne heure et la fortune de celle-ci sera importante pendant plusieurs siècles dans les régions du Nord de l’Europe.

Quant à la version de Béroul, connue sous le nom de « version commu-ne », les spécialistes souligcommu-nent qu’elle suit sans doute assez fidèlement l’« es-toire », c’est-à-dire le récit constitué au cours du xiie siècle qui préexiste aux textes connus. Issu d’une tradition plus ancienne, le texte de Béroul est composé à la même période que celui de Thomas ou un peu plus tard, vers 118017. Le profil de l’auteur ressemble à celui de Thomas : appartenant au milieu des clercs, connaissant très bien l’Angleterre, il écrit en normand continental. Ce texte, écrit également en octosyllabes, est conservé dans un manuscrit unique de 4 486 vers, manuscrit fragmentaire dont il manque le début et la fin18.

Sur les traces de Béroul, nous trouvons également d’autres versions comme la Folie de Berne, remontant au dernier quart du xiie siècle19.

Le texte d’Eilhart d’Oberg, rédigé en moyen haut allemand entre 1170 et 1190, s’inscrit lui-même dans la tradition représentée par Béroul20. Ce récit de 9 524 vers est unique en ce sens que c’est « la seule version complète de la lé-gende qui nous soit parvenue pour le xiie siècle »21.

Notons encore, pour le domaine français des xiie-xiiie siècles, quelques ré-cits brefs consacrés à divers épisodes de l’histoire de Tristan : le Lai du Chèvre-feuille de Marie de France, composé vers 116522, le Donnei des Amants : Tristan

ibid., p. 637-689, 1469-1484 et « Heinrich de Freiberg, Deuxième continutation », ibid., p. 691-779, 1484-1515.

16 Régis Boyer, « Frère Robert, La Saga de Tristram et d’Ísönd », ibid., p. 781-920, 1515-1540.

17 Voir Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 21-22, 38, Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. xlvi.

18 Daniel Poirion, « Béroul, Tristan et Yseut », In : Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 3-121, 1127-1208.

19 Voir Emmanuèle Baumgartner, Ian Short et Félix Lecoy, op. cit., p. 285-348.

20 René Pérennec, « Eilhart d’Oberg, Tristrant », In : Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 263-388, 1359-1399. « Datation haute » vers 1170, « datation basse » avant 1190, voir ibid., p. 1370.

21 Voir Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 9.

22 Mireille Demaules, « Le Lai du Chèvrefeuille », In : Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 213-216, 1287-1309.

rossignol, datant de la fin du xiie siècle23, la Continuation de Perceval : Tristan ménestrel, composée par Gerbert de Montreuil entre 1226 et 123024 et le Ro-man de la Poire : Deux aRo-mants parfaits, écrit par Tibaut vers 1240-125025.

L’entrée en scène du Tristan en prose constitue, à lui seul, un chapitre à part26. Composé vers 1230-1240, conservé dans plus de 80 manuscrits auxquels s’ajoutent également des versions imprimées, c’est une œuvre qui connaîtra un immense succès entre les xiiie et xvie siècles27.

Toujours pour le xiiie siècle, citons deux textes allemands : Tristan le Nain, rédigé vers le milieu du xiiie siècle en moyen bas francique (région du nord de l’Allemagne et des Pays-Bas)28 et Tristan le Moine, composé entre 1210 et 1260 soit dans le domaine alémanique (Alsace), soit dans une zone proche de ce dernier, soit en Suisse29.

Pour la période du xive siècle, les textes conservés témoignent d’une dif-fusion importante du récit dans diverses régions de l’Europe. En Italie, où la « matière de Bretagne » est présente dès le xiie siècle, la Tavola ritonda est composée vers le deuxième quart du xive siècle30. Un poème en moyen an-glais, Sire Tristrem, est copié à peu près à la même période (première moitié du xive siècle)31. En Scandinavie, le trésor des chansons islandaises, danoi-ses, féroïennes restera vivant pendant des siècles32. Enfin, l’Europe centrale est représentée par un roman tchèque, Tristram et Izalda (dernier tiers du xive siécle)33.

23 Christiane Marchello-Nizia, « Le Donnei des amants : Tristan rossignol », ibid., p. 967-973, 1566-1569.

24 Christiane Marchello-Nizia, « Gerbert de Montreuil, La Continuation de Perceval : Tristan ménestrel », ibid., p. 975-1010, 1570-1575.

25 Christiane Marzello-Nizia, « Tibaut, Le Roman de la Poire », ibid., p. 1011-1017, 1576-1577.

26 Voir Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 124-125.

27 Le Roman de Tristan en prose, éd. Philippe Ménard, Genève, Droz, t. I-IX, 1987-1997, Le Ro-man de Tristan en prose (version du Ro-manuscrit fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), éd. Philippe Ménard, Paris, Champion, Les Classiques français du Moyen Âge, t. I-V, 1997-2007.

28 Danielle Buschinger, « Tristan le Nain », In : Christiane Marchello-Nizia, op. cit., p. 1019-1021, 1578-1579.

29 Danielle Buschinger, « Tristan le Moine », ibid., p. 1023-1058, 1579-1591.

30 Jacqueline Risset, « La Tavola ritonda : six épisodes de l’histoire de Tristan et Yseut », ibid., p. 1059-1071, 1591-1595.

31 André Crépin, « Sire Tristrem », ibid., p. 923-964, 1541-1566.

32 Régis Boyer, « Chansons scandinaves », ibid., p. 1073-1105, 1595-1600.

33 Hana Voisine-Jechova, « Tristram et Izalda », ibid., p. 1107-1123, 1600-1603.

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