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Deuxième dialogue

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 112-117)

Ici on retrouve le cadre du dialogue premier. Avant, il s’agissait d’une liaison amoureuse rejetée par le chevalier, mais souhaitée par la duchesse. Maintenant ce dépit amoureux de la part de la duchesse est ressuscité comme mensonge qui vise à affaiblir le lien féodal entre le duc et le chevalier. Rien de surprenant, peut-être, mais regardons de plus près le vocabulaire utilisé dans le dialogue. La du-chesse provoque le dialogue avec son mari, le duc, en pleurant, avant d’accuser le chevalier « qui ne fina hui de moi proier de lonc le jor, que je li donnasse m’amor, et me dist que mout a lonc tans qu’il a este en ces porpens… » (CdV, v. 126-130).

Le choix du verbe « proier » soulève encore la question de l’ambiguïté.

Est-il question de l’idée de piller, de ravager, qu’on trouve selon Wartburg et Godefroy dans La Vie de saint Alexis au xie siècle43, et aussi selon Tobler et Lommatzsch dans La Chanson de Roland vers le début du xiie siècle44 ? Tobler et Lommatzsch décrivent le sens de « proier » avec les mots « plündern », « aus-plündern » (piller)45, « rauben » (dérober)46, « jemanden berauben »47 (dérober

43 La Vie de saint Alexis, poème du xie siècle et renouvellements des xiie, xiiie et xive siècles, Paris, F. Vieweg, 1887, str. 29 (voir F. Godefroy, op. cit., vol. 6, 1888, p. 373 ; Walther von Wartburg, op. cit., vol. IX, p. 287).

44 La Chanson de Roland, Göttingen, Th. Müller, 1878, v. 385 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., XXIX).

45 Voir n. 32.

46 Flore und Blanceflor, Berlin, Immanuel Bekker, 1844, v. 69 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., XXXIII).

47 Le Roman du chevalier de la charrette, xiie siècle (Der Karrenritter [Lancelot] und das

quelque chose à quelqu’un, ôter quelque chose à quelqu’un)48. Ou s’agit-il d’un des autres sens proposés par Godefroy : premièrement l’idée de semer un pré (employé au sens figuré comme métaphore sexuelle par exemple), deuxième-ment l’idée d’enlever une personne (la duchesse)49, ou troisièmement de prier ou de demander à la duchesse de lui donner son amour50. Toutes ces possibili-tés existaient déjà quand La Chastelaine de Vergy fut composée.

Cette signification dernière se noue à l’essentiel : le rapprochement en-tre le verbe « prier » et le verbe « proier ». L’orthographe différente du ver-be « proier » est déjà équivoque, y compris « preier », « praer », « prier », et

« preder ». Il suffit d’ailleurs de regarder dans les manuscrits du texte pour trouver deux cas de « prier »51 là où les autres choisissent « proier »52.

Ici encore, on trouve un type d’opposition entre la polysémie du mot et l’orthographe diverse, qui indique une confusion certaine, et la dimension d’ambiguïté dans les manuscrits qui tend à la clarté, car la plupart des or-thographes favorisent « proier », et donc le sens premier de piller, ravager, semble plus important que les autres sens53. Cependant, on pourrait mainte-nir que l’existence d’une autre possibilité, même si elle est moins pertinente, suggère une confusion au lieu d’une clarté en ce qui concerne le sens. Nous avons ici un nouvel exemple des problèmes inhérents à l’approche d’Emp-son : il se peut qu’il y ait une contradiction entre les dimensions diverses de l’ambiguïté, mais ce n’est pas certain. Si l’on précise que la contradiction possible dans le deuxième dialogue a lieu de façon inverse en comparaison avec le dialogue premier – c’est la dimension manuscrite qui donne de la clarté alors que la polysémie sème la confusion – on arrive à la conclusion

Wilhelmsleben [Guillaume d’Angleterre] von Christian von Troyes, ed. W. Foerster, Halle, 1899), v. 4234 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 12, XLV).

48 A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 7, p. 1715-1717.

49 Voir F. Godefroy, op. cit., vol. 6, p. 373-374.

50 Voir F. Godefroy, op. cit., Complément I-Z, vol. 10, p. 417-418.

51 La Chastelaine de Vergy, éd. cit., voir l’édition diplomatique de tous les manuscrits connus du xiiie et du xive siècle. On trouve « prier » dans l’édition diplomatique des manuscrits sui-vants : Paris, BNF. fr. 2136, p. 264, v. 127, et Paris, BN. n. a. fr. 4531, p. 283, v. 128.

52 Ibid., voir l’édition diplomatique des manuscrits suivants : Paris, BNF. fr. 375, p. 206, v. 128 ; Berlin, Deutsche Staatsbibliothek, Hamilton 257, p. 225, v. 127 ; Paris, BNF. fr. 837, p. 245, v. 127 ; Paris, BN. n. a. fr. 13521, p. 302, v. 127 ; Paris, BNF. fr. 25545, p. 322, v. 127 ; Bruxelles, Bibliothèque Royale, 9574-9575, p. 342, v. 130 ; Rennes, Bibliothèque Municipale, 243, p. 361, v. 127 ; De Ricci Supplement Census, A 2200, p. 378, v. 131.

53 Apparemment, les variations dialectales n’expliquent pas les orthographes différentes.

que même la problématique de l’approche d’Empson est ambiguë. Quoiqu’il en soit, l’essentiel est qu’il existe une partie de la signification qui échappe à l’outil critique de l’ambiguïté. Voilà donc une découverte qui soulève la pos-sibilité de déconstruction, une observation qui se rapproche de l’opinion de Ramm, qui voit la notion d’exemplarité comme une position narrative pro-blématique qui se laisse ouverte à une approche de déconstruction54.

En outre, il faut examiner le contexte de ce mot, c’est-à-dire l’esprit trou-blé de la duchesse, pour se rendre compte que le choix entre le sens premier et les autres sens du mot est difficile. Suivant Empson, on pourrait définir l’ambiguïté créé par « proier » comme un exemple de Type V55, qui se pro-duit quand l’auteur est en train de déchiffrer son idée pendant l’écriture, que lui-même ne possède pas encore le fond de sa pensée. Dans ce cas on ne réussit pas à trouver quel sens est prioritaire, puisque l’auteur lui-même ne le sait pas.

Au mot « guerredon », qui apparaît un peu plus tard dans le dialogue, Godefroy, Tobler et Lommatzsch accordent le sens premier à une polysé-mie de « récompense, salaire, le prix d’un service, d’une bonne action » et

« Belohnung, Vergeltung » (récompense, représailles) respectivement, qui se trouve dans La Chanson de Roland du xiie siècle56. Le mot « guerredon » dans ce dialogue propose un système d’échange intéressant : la duchesse exige un

« guerredon », c’est-à-dire, quelque chose en échange pour son mensonge.

Ironiquement, les significations du mot « guerredon » s’opposent à la triche-rie de la duchesse : une récompense, un salaire, un prix du service, d’une bon-ne action. Toutes ces significations servent à souligbon-ner l’ironie dramatique : le lecteur sait que ses ruses ne méritent aucune récompense ; seul le duc est dupé. Mais le sens de « représailles » suggère une autre signification : le men-songe de la duchesse correspond à ses représailles contre le chevalier.

Passons maintenant aux manuscrits et voilà une orthographe hétérogè-ne57. La différence se divise entre « guerredon » (y compris les orthographes

54 Ben Ramm, « Making Something of Nothing : the Excesses of Storytelling in the Lais of Marie de France and La Chastelaine de Vergi », French Studies, vol. LX, no 1, 1-13, p. 6.

55 W. Empson, op. cit., p. 155.

56 La Chanson de Roland, éd. cit., v. 385 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 12, XXIX). Voir aussi F. Godefroy, op. cit., vol. 4, p. 377-378.

57 La Chastelaine de Vergy, éd. cit., voir l’édition diplomatique des manuscrits suivants : Paris, BNF. fr. 2136, « enguerredon », p. 264, v. 138 ; Paris, B.N. n. a. fr. 4531, « engerredon », p. 283, v. 139 ; Paris, BNF. fr. 375, « gerredon » p. 206, v. 128 ; Berlin, Deutsche Staatsbibliothek, Hamilton 257, « enguerredon » p. 225, v. 138 ; Paris, BNF. fr. 837, « gerredon », p. 245, v. 138 ;

diverses) et l’expression « enguerredons » qui se trouve au xiie siècle dans Érec, Le Chevalier du Lion et Le Chevalier de la Charrette. Cette expression est défi-nie par Tobler-Lommatzsch comme « zum Lohn, zur Belohnung, als Entgelt » (comme salaire, comme récompense, comme rétribution)58. Alors on pourrait dire qu’une ambiguïté entre le premier sens « récompense » et le sens secon-daire « rétribution » existe, et que cette ambiguïté est soutenue par le contexte de ce dialogue. En effet, l’ambiguïté du mot « guerredon » la métamorphose en arme à double tranchant : la récompense/le salaire/le prix exigé par la du-chesse, c’est l’affaiblissement du lien entre le duc et le chevalier, et du rétablis-sement de ce lien résulte la rupture du lien amoureux entre le chevalier et la châtelaine. Alors la récompense, en effet, équivaut à une rétribution.

Au niveau de l’ironie dramatique, le « guerredon » actuel que la duchesse reçoit à la fin du récit, c’est son meurtre par le duc devant la cour. Spectacle courtois, bien sûr, mais uniquement sans l’ajout d’un dialogue courtois.

Le mari se venge à cause de la promesse trahie, mais le lecteur/auditeur recon-naît que cette action sert à rendre muette la duchesse et à faire taire ses dialo-gues mensongers.

Considérons brièvement les implications pour l’approche d’Empson : on pourrait conclure que le mot « guerredon » fournit une ambiguïté du troisiè-me type, qui « arrive quand deux idées, liées l’un et l’autre seuletroisiè-ment par le contexte, s’expriment dans un mot simultanément. Ce qui est important ici, c’est la distinction entre les deux sens, dont le lecteur doit se rendre compte : il y a deux informations, deux parties du récit ; en dépit de l’ingénuité, on aurait eu besoin de deux mots »59.

Mais ce type d’ambiguïté n’inclut pas l’ironie dramatique, qui appartient au Type I60. Le modèle de fausse récompense – réelle rétribution – employé par la

Paris, B.N. n. a. fr. 13521, « guerredon », v. 138, p. 302 ; Paris, BNF. fr. 25545, « gerredon », v. 138, p. 322 ; Bruxelles, Bibliothèque Royale, 9574-9575, « guerredon », p. 342, v. 141 ; Rennes, Bibliothèque Municipale, 243, « enguerredons », p. 361, v. 138 ; De Ricci Supplement Census, A 2200, « engueredon », p. 378, v. 142.

58 Christian von Troyes, Erec und Enide, éd. cit., v. 3183 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 12, XXXII) ; Christian von Troyes, Der Löwenritter (Yvain), éd.

cit., v. 264 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 12, XXIX) ; Der Karrenritter [Lancelot] und das Wilhelmsleben [Guillaume d’Angleterre] von Christian von Troyes, éd. cit., v. 2814 (voir Literaturverzeichnis, A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 12, XLV). A. Tobler – E. Lommatzsch, op. cit., vol. 5, p. 750.

59 W. Empson, op. cit., p. 102.

60 Type I (voir au dessus). Voir W. Empson, op. cit., p. 5.

duchesse pourrait signifier un rapport ou processus de la narration. Comme Ramm l’a remarqué, il n’y a pas d’exemple établi par le texte, et l’ambiguïté de l’exemple pose la question du rôle d’une narration exemplaire61. Mais l’argu-ment du Type III est d’autant plus persuasif, car les deux sens importants de

« guerredon » sont deux informations distinctes, et deux parties du narratif.

Alors l’inclusion de l’ironie dramatique dans le Type I semble un peu arbitrai-re, et elle semble appartenir aussi bien au Type III.

En conclusion, en comparant le dialogue courtois à une arme à double tran-chant, capable d’une véritable déconstruction lexicale, nous avons démontré que l’ambiguïté du texte est encore plus profonde qu’il ne le semblait à premiè-re vue. En développant l’approche d’Empson, l’ambiguïté comme outil de cri-tique littéraire, nous renforçons l’argument selon lequel le dialogue courtois comporte un côté sombre qui détruit le sens apparent créé par ce dialogue.

Des critiques comme Ramm ont déjà évoqué l’ambiguïté du cadre narratif ; nous affirmons que les origines de cette ambiguïté dans La Chastelaine de Vergy se trouvent enracinées beaucoup plus profondément dans les dialogues courtois. L’approche empsonienne, même s’il faut avouer le chevauchement entre les dimensions diverses de l’ambiguïté et la part d’arbitraire dans la ty-pologie d’Empson, démontre de manière frappante que ces dialogues courtois nuisent à la communication et que ce jeu lexical révèle un aspect menaçant.

61 B. Ramm, art. cit., p. 1 et 6.

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