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: auteurs nés autour de 1495

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 67-73)

Alain Corbellari

Génération 15 : auteurs nés autour de 1495

Avec Marguerite de Navarre (1492-1549), Rabelais (1494-1553), Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) et Clément Marot (1496-1544), mais aussi Scève (1501-1560), nous abordons ce que l’on appelle classiquement la Renaissance.

Peut-on dire que c’est aussi la dernière génération des rhétoriqueurs, avec un Jean Parmentier (1494-1529) ? En fait la mort prématurée de celui-ci (de vingt ans plus âgé, Jean Bouchet lui survit presque trente ans) le rattache plutôt à la génération précédente et l’exclut de toute façon du grand mouvement qui ani-me la deuxièani-me moitié du règne de François Ier. Nous ne sommes évidemment pas les premiers à noter que les deux plus éminents poètes de cette génération, Clément et Mellin, sont tous deux fils de rhétoriqueurs (respectivement Jean et Octovien), dont ils contestent diamétralement la poétique en privilégiant un lyrisme léger et pédestre (le prénom du second suffit cependant à montrer par quelles fibres il tient encore au Moyen Âge). La grande homogénéité chro-nologique de cette génération suffit d’ailleurs à montrer ce qui la sépare de la génération no 16, celle de la Pléiade qui, avec Du Bellay (1522-1560), Ronsard (1524-1585), Baïf (1532-1589) mais aussi Louise Labé (1524-1566)6, montrera de son côté une cohérence chronologique tout aussi impressionnante7 et inau-gurera véritablement la Renaissance littéraire en France.

Nous arrêterons ici ce petit parcours : la suite concerne les historiens de la lit-térature moderne. Il convient maintenant de se demander si le lit de Procuste de notre schéma générationnel a réellement permis d’éclairer notre vision de la littérature médiévale. Les faiblesses de cette construction sautent aux yeux.

On aura en particulier remarqué que la carence de nos renseignements sur les auteurs médiévaux a induit des manipulations que l’on peut dire aussi fa-ciles qu’inévitables. Ainsi, lorsque l’on connaissait les dates de naissance des auteurs, s’est-on empressé de classer ceux-ci sans peut-être toujours consi-dérer de suffisamment près l’étalement de leur œuvre tout au long de leur vie, tandis que les œuvres dûment datées d’auteurs dont la vie nous était par ailleurs inconnue nous ont poussé à envisager de donner à cette dernière des limites propices à la bonne marche de notre hypothèse. Les fourchettes tem-porelles ont parfois aussi été élargies jusqu’aux limites de l’acceptable : Jean de Garencières, par exemple, est de vingt ans plus jeune que les frères Col, classés dans la même génération que lui, alors qu’à peine quinze ans (et peut-être

6 Même si celle-ci n’a peut-être bien été qu’un prête-nom pour une habile et profonde mysti-fication poétique. Voir Mireille Huchon, Louise Labé une créature de papier, Genève, Droz,

« Titre courant », 2006.

7 L’appartenance de Montaigne (1533-1592) à la fin de cette même génération dénonce toutefois une fois de plus la fragilité de notre schéma, car, écrivant sur le tard, Montaigne est littéraire-ment d’une génération postérieure à celle de la Pléiade.

moins, car il n’est pas exclus que l’auteur du Curial soit né vers 1380) le sé-parent d’Alain Chartier classé dans la génération suivante. Dans l’autre sens, la proximité d’Eustache Deschamps et des frères Col (à peine six ans), pla-cés dans deux générations distinctes, peut paraître encore plus scandaleuse.

On constate au demeurant dans les trois premières générations du xive siècle une discordance entre une branche humaniste et une branche poétique, qui ne semblent pas aller du même pas : la première induit en effet une périodi-sation 1295/1300-1320/30-1350/65, la seconde a plutôt ses moyennes dans la suite 1300/13-1335/46-1364/71, les deux séries ne se rejoignant que sur leurs marges. L’hypothèse générationnelle reste donc crédible et, en ce cas, d’autant plus intéressante qu’elle nous montre la progressive congruence de deux séries largement indépendantes. On n’en ressent que mieux le gâchis provoqué par la guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons au sein de l’humanisme littéraire qui prenait forme autour de 1400. À tous égards, en effet, c’est la génération « de 1390 » qui reste la moins cohérente de toutes. Ainsi, notre ten-tation a-t-elle été grande de mettre à part Chartier et Nesson, ce qui ne nous aurait finalement guère avancé, puisque Antoine de la Salle, dont la carrière s’est poursuivie après l’heureux tournant de la Guerre de Cent ans, nous serait resté sur les bras !

Une autre génération apparaît également comme hautement problémati-que : celle de 1270, encombrée d’auteurs mal datables dont l’impact littéraire semble être resté relativement modeste, et cette confusion n’est pas sans se répercuter encore sur la génération de 1300, puisque le seul poète français que nous y situons est Machaut, dont nous avons par ailleurs rappelé l’épa-nouissement tardif. Cependant, pour ces quelques périodes rebelles à la systématisation, on remarquera que la plupart de nos autres générations montrent une forte cohérence interne. L’idée que chacune de ces généra-tions pourrait avoir été marquée par un événement historique majeur8 ne se vérifie cependant pas partout : si la génération de 1040 est celle d’Hastings et celle de 1070 celle de Godefroi de Bouillon, les autres ne semblent pas avoir tiré grand profit de la conjoncture historique. Certes, la génération de 1130 jouit d’une conjoncture politico-culturelle exceptionnellement favorable,

8 L’histoire de l’Occident offre quelques exemples impressionnants de dynamiques culturelles induites par des événement politiques majeurs : ainsi les quelques années qui entourent 1770 ont-elle vu naître, dans un mouchoir de poche, Napoléon, Chateaubriand, Beethoven, Hegel, Hölderlin, Novalis, les frères Schlegel, Schelling, Cuvier, et bien d’autres, qui forment très exac-tement la génération de ceux qui ont eu vingt ans au moment de la Révolution française.

mais l’avènement d’Henri II n’est pas un événement au sens où l’est la prise de Jérusalem (déjà sous Henri Ier l’Angleterre commençait d’occuper les avant-postes de la civilisation courtoise), et définir la génération de 1200 comme celle de l’avènement de Saint Louis est finalement peu significatif, car les premières années de règne du souverain qui incarne l’apogée du xiiie siècle furent bien modestes ! A contrario, il n’est pas impossible que des évé-nements malheureux aient pu jouer un rôle négatif dans l’épanouissement d’une génération : ainsi, l’aspect lâche et pour ainsi dire déprimé de celle de 1270 n’est peut-être pas sans lien avec l’écroulement définitif du rêve des Croisades après la prise de Saint-Jean d’Acre en 1291.

Dans un cas, même, celui de la génération de 1360, l’événement focalisa-teur s’avère purement interne au milieu étudié et s’impose comme le résultat plutôt que comme la cause d’une dynamique d’échanges favorable : le débat autour du Roman de la Rose n’intervient ainsi pas par hasard à ce moment précis de l’histoire de notre littérature. À l’inverse, la rapide dégradation du tissu socio-culturel dans les années qui suivent ce haut moment d’« engage-ment » intellectuel9 peut expliquer jusqu’à un certain point l’échec de notre modèle sur la période suivante : à tous égards – et Charles d’Orléans en est à la fois l’emblème et l’exemplaire victime – la génération « de 1390 » est une

« génération perdue ». La très bonne adéquation de notre modèle aux qua-tre générations suivantes (jusqu’à la Pléiade comprise) n’en apparaît ainsi que plus remarquable.

On pourrait être tenté de considérer que les générations les plus cohérentes sont aussi les plus riches, mais le raisonnement n’est pas imparable : si la gé-nération de 1270 nous semble effectivement (en France) morne et incohérente et si celle de 1130 apparaît aussi fascinante qu’unifiée, celle de 1460 est d’une unité frappante sans que les poètes qui la composent ne brillent d’une aura ex-ceptionnelle, alors que celle de 1170 est d’une définition malaisée, quand bien même s’y pressent des écrivains essentiels.

Notre conclusion sera donc prudente : le modèle choisi reste réducteur et no-tre méconnaissance des réseaux exacts de la sociabilité des artistes médiévaux est trop grande pour que l’on puisse à coup sûr affirmer que certaines coïn-cidences, certes frappantes, sont toujours autre chose que des coïncidences.

9 Sur cette notion appliquée à cette période, voir Jean-Claude Mühletahler, « Une génération d’écrivains "embarqués" : le règne de Charles VI ou la naissance de l’engagement littéraire en France », In : Formes de l’engagement littéraire (xve-xxie siècles), éd. par Jean Kaempfer, Sonya Florey et Jérôme Meizoz, Lausanne, Antipodes, 2006, p. 15-32.

Au moins aura-t-on pu vérifier que les conjonctions politiques fortes semblent rarement suffire à garantir la cohésion d’une génération, même si le début et la fin des Croisades, par exemple, n’ont sans doute pas été sans répercussion sur la vie culturelle. On peut par ailleurs avancer que la constitution de ce qu’il faut bien appeler des écoles littéraires semble avoir plus d’une fois infléchi le mouvement des générations ; à cet égard, la différence paraît moins grande qu’on ne le dit souvent entre le Moyen Âge et les Temps modernes. Dès leurs origines, les littératures européennes ont trouvé dans leur dynamisme intrin-sèque leur propre logique, et dans un rythme générationnel le fondement de leurs renouvellements.

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 67-73)