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Faucon ou hirondelle ?

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 27-33)

Excepté la columba du Psaume42 – présence escomptée, si l’on tient compte

37 À ce propos, L. Lazzerini mentionne le « peregrin che tornar vole » de Par. I, 51 ; L. Lazzerini,

« A proposito di due Liebesstrophen pretrobadoriche », art. cit., p. 124, et n. 5.

38 J. C. Payen, « L’inspiration popularisante chez Bernard de Ventadorn », In : Studia occitanica

in memoriam Paul Remy, éd. H.-E. Keller, p. 194.

39 L. Lazzerini, « A proposito di due Liebesstrophen pretrobadoriche », art. cit., p. 126, n. 10.

40 J. C. Payen, « L’inspiration popularisante chez Bernard de Ventadorn », art. cit., p. 199.

41 Meneghetti, Le origini delle letterature medievali romanze, op. cit., p. 192.

42 On trouve une palometa aussi dans Les trasformacions, mais le contexte en est différent :

à la fille qui voudrait de se transformer en colombe l’amant répond qu’il se transformera en caçador pour la chasser (Les trasformacions, B, v. 1-4). De façon similaire, dans un autre

des valeurs allégoriques attribuées à cet animal43 – et quelques génériques volucris44, les oiseaux qui sont choisis dénotent le « double » fantasmatique d’autant de créatures humaines (qu’ils soient hommes ou femmes), ils entrent dans deux catégories ornithologiques distinctes : l’une, extrêmement restrein-te, limitée à un unique genre (celui de l’hirondelle), l’autre plus indéfinie, qui comprend une gamme variée de rapaces (faucons, autours, éperviers, éme-rillons) et dans laquelle je pense qu’il faut également insérer le geai45, certai-nement associé à dessin avec l’émeri dans le Raoul de Cambrai, si l’on tient compte de son agressivité et de sa capacité d’imiter les cris des rapaces.

En tentant d’expliquer l’alternance entre ces deux catégories, et précisément l’alternance entre épervier et hirondelle, Lucia Lazzerini suppose que la secon-de, en tant que « douce et rassurante », peut avoir été introduite pour rempla-cer le plus archaïque auzel cassador qui pour son impétuosité, réinterprétée en clé érotique, aurait heurté la sensibilité d’un public accoutumé à une étiquette amoureuse très raffinée46. Si ceci est probablement vrai pour Tant ai mo cor ple de joya – qui se réfère uniquement à cette canso47 – la logique du raisonnement vacille si l’on n’oublie pas la « grille » chronologique dans laquelle se placent les lyriques de ces troubadours (Jaufré Rudel, Bernart de Ventadorn, Bernart Mar-ti, Guillem de Berguedan), toutes presque contemporaines, lesquelles attestent la plus ou moins explicite reduplicatio en oiseau de l’amant en confirmant la coexistence effective de deux différents référents ailés.

En outre, tous les deux sont susceptibles d’êtres insérés dans un tableau

« courtois » : d’un côté l’épervier, « oiseau noble par excellence »48, peut bien

passage, la femme souhaite se transformer en une griva e l’amant en astor pour la capturer (Les trasformacions, A, v. 11-14). Cf. N. D. Shergold, Studies of the Spanish and Portuguese ballad, London/Cardiff, University of Wales Press, 1973, p. 31-32.

43 Cf. M. Sanson et F. Zambon, « Pictura et scriptura. La simbologia della colomba nel De avibus

di Ugo di Fouilloy », Rivista di storia e letteratura religiosa, XXIII, 1, 1987, p. 37-67.

44 Celui des Epistolae duorum amantium et l’ausgiello de la première lyrique en langue italienne

ancienne que nous avons mentionnée.

45 Le geai est du genre des Corvidés et de l’ordre des Passériformes, même ordre que celui de

l’hirondelle.

46 L. Lazzerini, « La trasmutazione insensibile », art. cit., p. 190.

47 Ibid.

48 Il faut rappeler qu’au Moyen Âge, la chasse au faucon était l’une des occupations préfé-rées de l’aristocratie. Pour sa prétendue nature « noble », il était interdit aux paysans de posséder un faucon, et le faucon était le cadeau le plus approprié à offrir à un seigneur.

Cf. G. Duchet-Suchaux – M. Pastoureau, Le bestiaire médiéval. Dictionnaire historique et bibliographique, Paris, Le léopard d’or, 2002, p. 67-69. Voir aussi J. Voisenet, Bêtes et

être considéré comme une incarnation méliorative de la noblesse (d’âme ou de naissance) du poète amoureux, de l’autre l’hirondelle – dont le cri, au cours du Moyen Âge, était comparé à un gémissement, à des pleurs comme le cri de la colombe49 – ils suggèrent une métaphore sonore appropriée au malheur et à la mélancolie suscités par un amour lointain.

La question se complique ultérieurement si la comparaison est étendue à d’autres passages thématiquement similaires, en premier lieu la strophe conclusive du Pervigilium Veneris :

Quando fiam uti chelidon, ut tacere desinam ? Perdidi Musam tacendo, nec me Phoebus respicit.

Sic Amyclas, cum tacerent, perdidit silentium. (v. 90-93)50

[quand je deviendrai comme une hirondelle et je cesserai de me taire ? / En me taisant j’ai perdu ma Muse, et Apollon m’a abandonné. / Ainsi la ville d’Amycle, car tous se taisaient, elle a été perdue par ce silence]

Ce sont des vers dont un écho ce retrouve dans ceux – eux aussi conclusifs – de The Waste Land de Thomas S. Eliot51 :

I sat upon the shore

fishing, with the arid plain behind me shall I at least set my lands in order?

London Bridge is falling down falling down falling down poi s’ascose nel foco che gli affina

quando fiam uti chelidon? – O swallow swallow Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie

these fragments I have shored against my ruins (v. 423-430)

[je m’assis sur le rivage à pêcher / avec la plaine aride derrière moi / je réussirai enfin à mettre ordre dans mes terres ? / le London Bridge est en train de tomber il est en train de tomber il est en train de tomber / poi s’ascose nel fuoco che li af-fina / quando fiam uti chelidon ? – Oh hirondelle, hirondelle / Le Prince d’Aqui-taine à la tour abolie / avec ces fragments j’ai étayé mes ruines.]

hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du ve au xiie siècle, Turnhout, Brepols, 2000, p. 132.

49 G. Duchet-Suchaux – M. Pastoureau, Le bestiaire médiéval, op. cit., p. 78. Voir aussi

J. Voisenet, Bêtes et hommes dans le monde médiéval, op. cit., p. 135.

50 Pervigilium Veneris, texte établi et traduit par C. Formicola, Napoli, Loffredo, 1998.

51 La citation est tout à fait appropriée, vu que le poème commence avec le retour du printemps

et l’arrivée d’avril, « le plus cruel des mois » (v. 1).

Le Pervigilium Veneris est un poème anonyme52 contenu dans les deux ma-nuscrits qui transmettent l’Anthologia Latina et il date environ de la fin du iie siècle A. J. C. ou du début du siècle suivant. Il est composé de 93 vers articulés en strophes de longueur inégale, espacées par un refrain qui ouvre et clôt le poème en fournissant une synthèse efficace de son but et de son contenu :

« cras amet qui numquam amavit, quique amavit cras amet » (« qu’il aime demain qui n’a jamais aimé, qui a déjà aimé aime demain aussi »). C’est donc un hymne, ou mieux une invitation à l’amour, qui se concilie très bien avec la circonstance pour laquelle le texte a été composé : les célébrations nocturnes consacrées à Vénus à l’occasion du printemps pour gagner l’indulgence de la déesse qui est invoquée à favoriser la fertilité des champs53. Ce qui rend particulièrement intéressant ce texte pour notre étude, c’est la présence d’une allusion à la métamorphose, dans les vers qui précèdent immédiatement le passage mentionné, allusion qui donne substance à l’aspiration à « devenir comme » l’hirondelle par la matière du mythe :

et canoras non tacere diva iussit alites.

Iam loquaces ore rauco stagna cygni perstrepunt : adsonat Terei puella subter umbram populi, ut putes motus amoris ore dici musico, et neges queri sororem de marito barbaro.

Illa cantat, nos tacemus. Quando ver venit meum ? (v. 84-89)

[aux oiseaux aussi la déesse a imposé de ne se pas taire. / Les cygnes loquaces crient déjà avec leur voix rauque dans les étangs : / à l’ombre d’un peuplier la fille de Tereo répond, / et tu es porté à croire qu’elle exprime d’une voix mé-lodieuse une passion d’amour, / certainement tu ne dirais pas qu’elle pleure sa sœur à cause du mari barbare. / Elle chante, je me tais. Quand viendra mon printemps ?]

On trouve ici une référence évidente aux Métamorphoses d’Ovide, livre VI, vers 421-674, où la triste histoire de Procne et Filomela est évoquée. En vérité Ovide ne spécifie pas laquelle des deux sœurs a été transformée en hirondelle

52 Il a été attribué à Catulle, Apulée, Tibérianus, et à Florus (peut-être celui, Lucius Annaeus

Florus, l’auteur de l’Epitoma de Tito Livio, II sec. d. C.) qui a composé 9 autres poèmes de l’ An-thologia, dont la plupart sont du même mètre que ceux de Pervigilium.

53 À l’ancienne Rome les fêtes en honneur de Vénus, les Veneralia, ont été lieu le premier jour

d’avril, et coïncident avec le début du printemps. Cependant, les sources historiques ne par-lent pas de veillées nocturnes dédiées à la déesse.

et laquelle en rossignol. À ce propos la tradition même présente de manifestes oscillations, en faisant prévaloir dans les témoignages grecs la transformation de l’épouse dolente en rossignol et celle de la sœur martyrisée en hirondelle, tandis que les adaptations romaines privilégient le contraire54. Curieusement, les mêmes oscillations, la même indétermination, se retrouvent dans les études critiques sur le Pervigilium55, quoique je pense que seule l’identification de l’illa qui chante d’une « voix mélodieuse » avec une Procne-rossignol aie du sens : une indécision qui trouve son fondement dans la tentative de mettre en cor-rélation la chelidon à laquelle le poète voudrait se faire semblable avec l’hiron-delle du mythe ovidien, alors que le rapport hironl’hiron-delle-poète pourrait avoir une consistance purement rhétorique, en créant une atmosphère qui fait allusion à la volonté poignante de devenir autre de soi. En ce cas la filière des équiva-lences métaphoriques impliquerait une « constellation » sémique déterminée par l’intersection des champs sémantiques concernant l’hirondelle, le prin-temps, l’amour, le chant (entendu soit au sens phonique, indépendamment de son harmonieusité, soit comme production lyrique) : comme dans Tant aux mo cor ple de joya, où l’oiseau proverbialement messager du début du cycle saison-nier est le corrélatif objectif d’un sentiment joyeux de régénération intérieure, il est le « moteur premier » de l’inventio poétique et il n’a aucun rapport avec les conditions climatiques. Au contraire, le désir – ou la capacité – d’entrer en syntonie avec la renaissance de la nature (réel ou fantasmatique), et avec la voca-tion à aimer, ont des résultats diamétralement opposés : d’un côté la frustravoca-tion totale, l’aphonie renonciataire de l’auteur du Pervigilium, de l’autre la ténacité obstinée de Bernart qui de la dolor et du martir d’un éloignement qu’on ne peut remplir fait germer la joya du cor et les sonorités de la poésie.

Un autre aspect qui rapproche les deux passages est représenté par le ton

« populaire » utilisé par les deux auteurs : « populaire » c’est l’image choisie – selon Payen – par le troubadour, « populaires » sont le lexique, la syntaxe, le mètre du poème latin en étant les tétramètres trochaïques cataleptiques dans lequel on compose généralement des vers utilisés d’habitude dans la comédie et dans le répertoire des chants militaires.

54 Cf. R. Schilling, La Veillée de Venus. Pervigilium Veneris, Paris, Les Belles Lettres, 1962

[1941], p. 28.

55 Pour identifier l’hirondelle avec Procne voir P. Boyancé (« Encore le Pervigilium Veneris »,

Re-vue des études latines, 27, 1950, p. 229) et D. Romano (Pervigilim Veneris, Palermo, Palumbo, 1952, p. 78). Pour une opinion contraire voir I. Cazzaniga (« Saggio critico ed esegetico sul Pervigilium Veneris », Studi classici e orientali, 3, 1953, p. 79) et R. Schilling (La Veillée de Ve-nus, op. cit., p. 28-29).

Ce sont des ressemblances – si elles ne sont pas simplement fortuites – qui peuvent nous aider à comprendre si les deux espèces d’oiseaux citées dans des circonstances textuelles analogues peuvent être considérées comme in-terchangeables ou non, ou si elles sont en revanche organiques à des suites symboliques différentes et à des traditions indépendantes. Si nous essayons de sonder les prémisses de cette deuxième hypothèse nous nous rendrons compte que les occurrences qui se réfèrent à l’hirondelle sont homogènes et compactes : avant tout elles sont toutes pertinentes au sein de la zone pro-vençale56. Puis – si nous excluons le Girart de Roussillon où la détermina-tion de la typologie des oiseaux semble insignifiante – elles sont l’expression d’une rhétorique courtoise très raffinée et caractérisée par des thématiques printanières. Enfin Tant aux mo cor ple de joya, Arondeta, de ton chantar j’azir et le Lai Markiol – œuvres dans lesquelles l’hirondelle est mentionnée – manifestent une coïncidence significative, voire révélatrice, des rimes57.

En revanche, la présence des rapaces – bien plus fréquente – nous frap-pe pour la connotation agressive qui caractérise leur image en dépit de leur

« noblesse » prétendue : parce qu’elle est peu conforme aux lois du « cérémo-nial » érotique de la fin’amor auquel s’harmonisent les lyriques de Bernart Marti, Charles d’Orléans et Jaufre Rudel58, et parce qu’elle est peu conforme aussi aux contextes sentimentaux qui n’entrent pas dans la phénoménologie amoureuse des troubadours, comme le Raoul de Cambrai et, surtout, la Lie-bestrophe du xie siècle.

D’après ces observations, on peut donc présumer qu’hirondelles et rapaces participent de deux ordres de sens différents, et qu’ils ont des backgrounds indépendants : les premières ont un arrière-plan principalement littéraire, les secondes en ont un de nature plus indéterminée. Pour mieux en préciser les contours, il peut être utile d’analyser les termes dans lesquels le motif de l’homme-oiseau est développé dans le lai de Yonec, composé par Marie de France vers 1160-1170.

56 Il faut rappeler que la langue du Girart de Roussillon appartient à une zone de transition entre

oc et oïl, et la langue du Lai Markiol est caractérisée par un élevé taux d’hybridation, au point qu’elle a été définie comme « langue mixte ».

57 Ironda/isponda/prionda chez Bernart de Ventadorn et Guillem de Berguedan ;

ironda/espon-da/blonda chez Bernart de Ventadorn et dans le Lai Markiol, où les formes linguistiques ont subi une « oitanisation » pour laquelle les mots ont la voyelle atone final en -e et non en -a, qui est propre à l’occitan.

58 Cf. supra, n. 29.

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