• Nem Talált Eredményt

Emma Goodwin

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 103-108)

University of Oxford

Résumé : Cet article considérera l’aspect d’une part menaçant, d’autre part destruc-teur du dialogue courtois dans La Chastelaine de Vergy, évoqué par l’analogie du dialogue courtois avec une arme à double tranchant. D’après les notions d’ambiguïté selon William Empson, nous examinerons la signification des ambiguïtés de quelques termes lexicaux et leur présentation dans les manuscrits.

La Chastelaine de Vergy, un récit bref, anonyme et surtout populaire dans la littérature vernaculaire : sa tradition manuscrite continue depuis le xiiie jusqu’au xviiie siècle1, et ses protagonistes prennent place, dans le xive siè-cle, parmi des catalogues des amoureux célèbres de Boccace, Deschamps, Froissart et des autres2. Peut-être une partie de sa popularité s’explique par la difficulté d’apporter une interprétation définitive du récit3. Même si le récit lui-même est rigoureux avec une origine claire : une femme dépitée (la du-chesse), dont la fureur amoureuse se heurte à l’échec4.

Le coup mortel de l’épée, avec lequel le duc porte atteinte à sa femme, la duchesse, en plein cœur, est un acte silencieux, achevé « sanz parler »

1 Gaston Raynaud, « La Chastelaine de Vergy », Romania, XXI, 1892, p. 145-193.

2 Steven R. Guthrie, « Chivalry and Privacy in Troilus and Criseyde and La Chastelaine de Vergy », The Chaucer Review, vol. 34, no 2, 1999, p. 155.

3 Jean-Charles Payen, « Structure et sens de La Châtelaine de Vergi », Le Moyen Âge, 79, 1973, p. 209.

4 J-Ch. Payen, art. cit., p. 215.

(La Chastelaine de Vergy [CdV], v. 924)5. Ce n’est qu’après avoir coupé la langue de sa femme, acte irréversible, que le duc raconte l’histoire à la cour.

Cet événement arrive à la suite d’une chaîne de dialogues à travers le récit, mais l’absence du dialogue qui aurait pu accompagner le meurtre est très symbolique : les dialogues trompeurs de sa femme ont certes d’une part donnés du dynamisme au récit mais d’autre part ils ont contribué à la tragé-die signifiée par la mort de la châtelaine et du chevalier, après qu’on a parlé de leur liaison clandestine.

Cet article envisagera l’aspect d’une part menaçant, d’autre part destruc-teur du dialogue courtois dans La Chastelaine de Vergy, évoqué par l’analo-gie du dialogue courtois avec une arme à double tranchant. Ma définition du dialogue courtois prendra en compte toutes les paroles des personnages qui se trouvent liés à la cour6. L’emploi de l’adjectif « courtois » interroge pa-rallèlement la définition de l’amour courtois selon Gaston Paris7, qui a uti-lisé cette expression pour la première fois, et celle de « fin amors » selon Jean Frappier. Frappier affirme ànouveau l’existence de l’amour courtois mais préfère le terme « fin amors »8. La question suivante se pose : pourquoi exis-te-t-il une tendance à comprendre tous les dialogues comme « courtois », en révélant un biais idéologique, selon la définition de Paris ? Une première tentative de réponse devra en premier lieu aborder ce que veut dire l’amour courtois et son rapport à la vie à la cour, ce qui est presque l’inverse de

5 Je cite le texte toujours dans l’édition suivante : Nouvelles courtoises occitanes et françaises, Suzanne Méjean-Thiolier et Marie-Françoise Notz-Grob (éds), Paris, Le Livre de Poche, 1997.

6 Linda Paterson, The World of the Troubadours : Medieval Occitan Society c.1100-1300, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 90-119.

7 Gaston Paris, « Études sur les romans de la Table ronde », Romania, 12, 1883, p. 459-534. Paris cite quatre caractéristiques d’amour courtois : (1) l’amour courtois est furtif et interdit ; (2) l’amoureux, malgré sa vaillance comme chevalier, est inférieur par rapport à l’amoureuse, qui est hautaine, capricieuse et dédaigneuse ; (3) les actes de bravoure sont un moyen de se rendre plus utile dans le service d’amour, ce qui souligne la valeur des relations amoureuses et (4) l’amour, c’est un art, une science, une vertu, qui a ses règles comme la chevalerie et la courtoisie ont les leurs. Selon lui, l’amour courtois est complexe et paradoxal : il contient un aspect social ou communal, qui est lié à la cour mais aussi un aspect personnel (l’amour) ; il reflet un système de règles enjoué tout en gardant un aspect sérieux ; il a un aspect sensuel et un aspect mystique.

8 Réimprimé dans Jean Frappier, Amour courtois et Table Ronde, Genève, Droz, 1973. Pour Frappier, l’origine de la littérature dans laquelle on trouve l’amour courtois est importante, car elle s’est développée aux limites des structures de pouvoir dominantes (théologiques et politiques). Ainsi « fin amors » représente un moyen d’évasion hors de la réalité, au lieu de re-présenter des relations amoureuses véritables.

l’idée de l’arme à double tranchant, puisqu’on oppose l’idée de « fin amors » avec quelque chose de menaçant et destructeur. Si on limite la définition de l’amour courtois à un rapport entre un homme et une femme à la cour, com-ment décrire l’ambiguïté créée par la facette affective du lien féodal ? Nous suivrons la piste de réflexion suivante : La Chastelaine de Vergy est une fic-tion et donc les représentafic-tions de l’amour, les liens féodaux et le système vassalique en général ne sont pas une réflexion directe mais plutôt une fan-taisie du public de ce récit populaire9.

Dans cet article, nous utiliserons ces définitions équivoques comme enca-drement du débat qui envisagera la définition de l’amour courtois selon Sarah Kay : une série de questions qui sont débattues à travers plusieurs textes10. Nous essayons de montrer comment on peut appliquer l’idée de l’arme à dou-ble tranchant au niveau lexical dans les dialogues de La Chastelaine de Vergy.

La piste de réflexion suivra l’aspect d’une part menaçant, d’autre part destruc-teur, du dialogue courtois, qui y est mise au jour par l’ambiguïté significative de quelques termes lexicaux.

Nous interrogeons les notions d’ambiguïté selon William Empson, qui utilise l’idée d’ambiguïté dans un sens étendu ; puisqu’il y voit une nuance verbale, qui, même si elle a l’air insignifiante, provoque des réactions di-verses envers la même partie d’une phrase11. Empson distingue sept types d’ambiguïtés différentes :

Type I : Dans ce type d’ambiguïté, un mot peut avoir plusieurs sens distincts ; plusieurs sens connectés l’un avec l’autre ; plusieurs sens qui ont besoin de l’un

9 Sarah Kay, « Courts, Clerks and Courtly Love », In : The Cambridge Companion to Romance, ed. Roberta L. Krueger, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 83 : « The fictions of romance, then, certainly are not a direct reflection of the social practices of their audience, although they may of course reflect their fantasies. »

10 S. Kay, art. cit., p. 85 : « While I shall continue to use the term "courtly love", I wish not to lose sight of this tension between inner intensity and outward decorum which the dichotomy fin’ amor –

"courtly love" suggests. Indeed, the combining of spiritual and sexual elements, vividly invokes this tension between desire and regulation... Courtly texts do not so much propound precepts as raise alternatives, permitting contradictions to surface, but within a restricted agenda of shared preoccupations. Is love foolish or moderate? Ecstatic or rational? Socially beneficial or antisocial?

Spiritual or social? The tensions underlying this agenda stem from the environment in which courtly literature was produced. If we want to understand the internal complexities of courtly literature, and the complex interaction between courtly poets, courtly patrons, courtly literature, and courtliness, we must scrutinize what they all have in common: the court. »

11 William Empson, Seven Types of Ambiguity, London, Pimlico, 2004, p. 1. (Première édition publiée par Chatto et Windus, 1930 ; deuxième édition, 1947 ; troisième édition, 1953.)

et de l’autre pour compléter leur sens ; ou plusieurs sens qui s’unissent pour que le mot signifie un rapport ou un processus12.

Type II : Un exemple du second type d’ambiguïté dans un mot ou dans la syn-taxe, se produit quand deux sens sont résolus dans une seule signification13. Type III : Une ambiguïté du troisième type, en tant que matière verbale, arrive quand deux idées, liées l’une et l’autre seulement par le contexte, s’expriment dans un mot simultanément. Ce qui est important ici, c’est la distinction entre les deux sens, dont le lecteur doit se rendre compte : il y a deux informations, deux parties du narratif ; en dépit de l’ingénuité, on aurait eu besoin de deux mots14.

Type IV : Une ambiguïté du quatrième type a lieu quand deux sens ou plus d’une affirmation ne sont pas en accord l’un avec l’autre, mais contribuent à rendre clair un état d’esprit de l’auteur plus complexe15.

Type V : Ce type d’ambiguïté se produit quand l’auteur est en train de décou-vrir son idée pendant son écriture, ou n’a pas en tête la totalité de son idée en même temps. Alors la comparaison n’applique à rien exactement ; elle reste entre deux choses quand l’auteur passe de l’un à l’autre16.

Type VI : Une ambiguïté du sixième type arrive quand une affirmation ne dit rien, soit par tautologie, en raison de contradiction, ou à cause des affir-mations sans pertinence. Le lecteur est obligé d’inventer les affiraffir-mations lui-même et elles risquent de ne pas concorder l’une et l’autre17.

Type VII : Le septième type d’ambiguïté est le plus équivoque. Il a lieu quand les deux sens du mot, c’est-à-dire les deux valeurs de l’ambiguïté, ont des sens opposés selon le contexte. Cette situation montre une division fondamentale dans l’esprit de l’auteur18.

Selon Empson, l’ambiguïté peut prendre plusieurs formes : elle peut ainsi représenter une sorte d’indécision en ce qui concerne le sens ; une intention de signifier plusieurs choses ; une probabilité que l’un, l’autre ou les deux sens possibles ont été indiqués ; et le fait qu’une affirmation ait plusieurs sens19.

12 W. Empson, op. cit., p. 5.

13 Ibid., p. 48.

14 Ibid., p. 102.

15 Ibid., p. 133.

16 Ibid., p. 155.

17 Ibid., p. 176.

18 Ibid., p. 192.

19 Ibid., p. 5.

Or notre méthodologie, qui vise à appliquer l’approche d’Empson aux textes médiévaux, examinera les tensions entre les sens premiers et secondaires d’un mot. Une partie essentielle de cette méthodologie est d’examiner l’influence du contexte sur les sens secondaires et par extension le pouvoir du contexte à transformer le sens secondaire en sens premier. Nous proposons à présent de traiter des exemples dans deux dialogues importants de La Chastelaine de Vergy, afin d’examiner l’approche méthodologique expliquée ci-dessous.

En proposant l’approche d’Empson, il faut préciser que son cadre a besoin de modification pour les textes médiévaux. Il faut dire que les textes médié-vaux sont souvent anonymes comme La Chastelaine de Vergy, et qu’on trouve plusieurs versions du même récit car il se peut que les scribes anonymes eux-mêmes deviennent auteurs. Un texte peut mentionner l’auteur (ou les auteurs) dans la troisième personne, rester inachevé ou être commencé par un auteur et achevé par un autre. Donc l’auteur de Type IV, V et VII peut correspondre à plusieurs personnes, souvent anonymes, dans les textes médiévaux, dont La Chastelaine de Vergy fournit un bon exemple.

En plus, il existe une tension entre les ambiguïtés de Type IV et de Type V en ce qui concerne la communication entre le texte et le public. L’ambiguïté de Type IV fournit la clarté, alors que Type V mène à la confusion. Selon Type IV, deux ou plusieurs sens d’une affirmation qui ne sont pas en accord contri-buent à rendre clair un état d’esprit plus complexe de l’auteur20. À l’instar de type IV, selon type V, l’ambiguïté se produit quand l’auteur suit le chemi-nement de sa pensée pendant l’écriture. Ainsi, la comparaison mise au jour par l’ambigüité reste indéterminée21. Cette tension devient plus pertinen-te quand on considère l’étiquetpertinen-te d’exemplarité qui est parfois discutée par rapport à La Chastelaine de Vergy22. Si l’on continue à développer l’idée que La Chastelaine de Vergy n’est pas un exemplum destiné à l’édification publi-que23, cette tension sert à confirmer ce point de vue, car elle déstabilise le fil de communication entre le texte et le public.

Selon Empson les types d’ambiguïté ont trois dimensions possibles : pre-mièrement celle du désordre logique ou grammatical, deuxièmement le ni-veau de conscience relatif à la reconnaissance de l’ambiguïté, et troisièmement

20 W. Empson, op. cit., p. 133.

21 Ibid., p. 155.

22 J-Ch. Payen, art. cit., p. 209.

23 Ibid., p. 229.

le degré de complexité psychologique24. Ce que nous proposons dans cet ar-ticle, c’est une autre dimension possible de l’ambiguïté particulière aux textes médiévaux : celle des variantes des manuscrits. Bien qu’il existe de l’ambiguï-té au niveau du sens lexical, cette ambiguïl’ambiguï-té se trouve aussi entre le choix des différents mots utilisés à travers des manuscrits différents. Nous reviendrons sur ce point plus tard.

Derrière la notion de « mot », au lieu d’une collection de sens, Empson envi-sage une unité du langage ; et par extension, quelque chose de plus équivoque et difficilement exprimable en d’autres termes. Dans ce sens il propose une comparaison intéressante entre le langage et le potage (on pourrait substituer le récit pour le langage ici), dont on connaît bien les ingrédients que l’on iden-tifie dans la casserole, tout en étant étonnés par le jus, qui unit les ingrédients sans révéler comment il les combine ou les lie25. Ce jus, dont parle Empson, signifie quelque chose d’indéterminé qui déstabilise le cadre d’Empson, et in-forme les tensions entre la clarté et la confusion introduites par l’ambiguïté mentionnée ci-dessus.

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 103-108)