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Emese Egedi-Kovács

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 73-85)

Université Eötvös Loránd – Collège Eötvös József1

Résumé : L’étude se propose de présenter l’attitude ambivalente de l’auteur de la nou-velle occitane Frayre de Joy e Sor de Plaser, d’être à la fois étranger et familier envers la culture française, qui se manifeste dans un certain nombre d’énoncés réflexifs.

Frayre de Joy e Sor de Plaser, nouvelle courtoise écrite en langue occitane2, qui date selon toute apparence du xive siècle3, bien que peu connue au grand public, semble digne d’intérêt de plusieurs points de vue. D’une part elle re-présente dans la littérature européenne l’une – et peut-être la plus importante – des premières variantes du conte de la « Belle au Bois dormant ». Certes, dans les romans de Perceforest et de Blandí de Cornualha, probablement an-térieurs tous les deux à la nouvelle occitane, nous retrouvons également les éléments essentiels de ce type de conte, mais c’est dans Frayre de Joy e Sor de Plaser que l’histoire de la belle endormie apparaît pour la première fois sous

1 Étude rédigée avec le soutien de Magyar Állami Eötvös Ösztöndíj (Bourse d’études Eötvös de l’État hongrois) et du projet TÁMOP 4.2.1./B-09/1/KMR-2010-0003 du Fonds Social Euro-péen de l’Union EuroEuro-péenne, dont plusieurs parties sont parues dans l’ouvrage suivant : E. Egedi-Kovács, La « morte vivante » dans le récit français et occitan du Moyen Âge, Buda-pest, ELTE Eötvös kiadó, 2012.

2 « Le texte a été donné comme catalan par Paul Meyer, mais Amédée Pagès a bien démontré que

"ces narrations en vers … sont en provençal, en un provençal, il est vrai, déjà fort altéré". » Une Belle au Bois Dormant médiéval. Frayre de Joy e Sor de Plaser, Nouvelle d’oc du xive siècle, Texte, traduction, notes et commentaires par S. Thiolier-Méjean, Paris, 1996, p. 129.

3 S. Thiolier-Méjean, op. cit., p. 68.

une forme complexe et développé, et comme une entité indépendante – c’est-à-dire sans être intégrée dans une composition plus vaste. Car dans le roman de Perceforest et celui de Blandí de Cornualha le récit du sommeil mystérieux d’une jeune fille ne constitue qu’un bref épisode (dans Perceforest il est même entrecoupé par d’autres aventures). Quant à savoir si ces œuvres – et avant tout Perceforest – auraient pu servir de modèle pour la nouvelle Frayre de Joy e Sor de Plaser, cela semble une question plus délicate sur laquelle la critique reste prudente. Selon l’éditrice, l’« universalité de l’histoire, ainsi qu’un pro-blème de datation relevé par Paul Meyer, ne permettent sans doute pas de relier directement ce charmant récit à l’épisode équivalent contenu dans le très long roman de Perceforest »4. Quant à nous, en raison des réminiscences visibles, nous croyons qu’il a dû exister un lien de parenté entre ces œuvres.

Quoiqu’il en soit cependant, c’est moins la question de la filiation qui nous in-téresse ici que l’attitude délicate de l’auteur face à ses confrères français. Dans le prologue on lit les vers suivants :

Sitot Francess a bel lengatge No-m pac en re de son linatge, Car son erguylos ses merce, E-z erguyll ab mi no-s cove, Car entre-ls francs humils ay apres ; Per qu’eu no vull parlar frances.

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 1-6.) [Bien que les Français aient un beau langage, je n’aime en rien leur lignage,

car ils sont orgueilleux sans merci, et l’orgueil ne me convient nullement,

car j’ai été élevé parmi des gens sincères et simples ; c’est pourquoi je ne veux pas parler français.]5

L’auteur critique donc d’emblée vivement les Français qui, bien qu’ils « aient un beau langage », lui semblent « orgueilleux sans merci ». C’est pourquoi, explique-t-il, il ne veut pas « parler français ». Si l’auteur doit apparemment bien connaître la langue des Français, il en va de même pour leur littérature :

4 Nouvelles courtoises occitanes et françaises, Éditées, traduites et présentées par S. Méjean-Thiolier et M. F. Notz-Grob, Paris, Livre de poche, Lettres gothiques, 1997, p. 38-39.

5 Je cite toujours le texte et sa traduction dans l’édition suivante : Nouvelles courtoises occitanes et françaises, op. cit.

les nombreuses réminiscences des œuvres françaises prouvent qu’il les a as-sidument fréquentées. Ainsi, même s’il rejette l’idée de réciter son poème en français, il ne va tout de même pas jusqu’à congédier la littérature française.

C’est cette attitude ambivalente de l’auteur, qui consiste à être à la fois étranger et familier, hostile et amical envers la culture française que je voudrais présen-ter dans mon étude : bien que celui-ci se démarque dès ses premiers vers de ses collègues français en les considérant comme « orgueilleux » et en refusant de parler leur langue, il reste pourtant en dialogue continuel avec eux en se référant sans cesse à leurs œuvres qui lui fournissent apparemment une base solide à ses réflexions.

Les marques les plus évidentes montrant que la nouvelle Frayre de Joy a cer-tainement subi l’influence de la tradition littéraire française sont avant tout les nombreuses allusions au De amore d’André le Chapelain. Cette œuvre, ajoutons-le, bien qu’écrite en latin, fait pourtant sans aucun doute partie de la littérature courtoise française. Nous pouvons citer à titre d’exemple les vers 134-136 dans lesquels l’auteur de Frayre de Joy évoque un certain Livre d’Amour, sans doute celui d’André le Chapelain :

Per que-l Libre d’Amors retray Que per veser crexen dolsors, E entren pels uylls dins lo cors.

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 134-136) [car le Livre d’Amour nous dit

que les doux sentiments s’accroissent par la vue et entrent par les yeux dans le cœur.]

Puis, la nouvelle occitane réemploie plusieurs éléments des récits français contenant le même motif central, celui de la « belle endormie ». Ainsi pou-vons-nous y trouver des réminiscences du roman de Perceforest. Tout d’abord, dans la scène où le prince rend visite à la belle endormie, nous trouvons des parallèles évidents. Tout comme Troïlus dans Perceforest, le prince de ce ré-cit tergiverse également longuement au pied du lit de la jeune fille endormie.

Pourtant, le jeune homme – s’étant enhardi de la réaction positive de celle-ci, qui, du moins selon lui, « lui faisait un doux sourire » après qu’il l’a embras-sée – lève la couverture de la jeune fille presque entièrement nue. Ici les traits identiques à souligner sont : l’approche timide du jeune homme vers le lit de

la belle endormie6, son hésitation initiale avant de combler celle-ci de ses bai-sers7, et les signes corporels que donne la pucelle en guise de réaction8, ce qui enhardit le chevalier à « aller plus loin »9. En revanche, pour ce qui est de la suite, l’auteur de Frayre de Joy se montre beaucoup plus pudique et effacé par rapport à celui de Perceforest, car ce dernier ne recule pas devant l’évocation des détails les plus piquants. Sur ce point, le poète occitan surenchérit donc pour ainsi dire en « courtoisie » sur son confrère français. Ensuite, pareille-ment à Perceforest, le fruit de ces visites secrètes ne se fait pas longtemps at-tendre dans la nouvelle occitane. C’est la mère de Sœur de Plaisir qui aperçoit sa fille « grossir au troisième mois et doubler au quatrième » et finalement « au neuvième mois, quand ce fut le terme » accoucher d’un fils « sans douleur ni danger »10. Le motif de l’accouchement de la belle endormie apparaît donc même dans ce récit, tandis qu’il est totalement absent dans l’autre version mé-diévale de la « Belle au Bois dormant », dans Blandí de Cornoualha, ou dans

6 « E anech s’el lit acostar / E humilment se jonoylet / Sobr’un siti d’or que y trobet. » Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 158-160. Cf. « Le chevalier doubtoit forment de aprouchier le lit, comme fait le vray amy, qui doit estre hardy en ses pensees et couart en ses fais. […] et vey illecq gi-sant la personne du monde qu’il amoit le mieulx, toute nue, pourquoy le cuer et les membres lui attenrirent tellement qu’il fut constraint de soy seoir sus l’esponde du lit » Perceforest, troi-sième partie, tome III, éd. G. Roussineau, Genève, Droz, 1993, p. 86-87.

7 « Gentil, plasent, se sabia / Que no-us fos greu, vos baisaria ! / Qu’eras m’o poguessets vos dir ! », Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 195-197. Cf. « Pucelle, plaise vous que je vous baise ? », Perceforest, éd. cit., III/3, p. 88. Par ailleurs, le thème des « baisers des amoureux dont le nom-bre est incomptable » (« E bayset la altra veguada, / Hoc, mas de cent », Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 214-215 ; « qu’il ne se peut tenir de la baisier par tant de fois que le nombre n’en est point retenu », Perceforest, éd. cit., III/3, p. 89) était sans doute connu du poème de Catulle. C.f.

Catulle, Élégies, 5 : Da mi basia mille, deinde centum, / dein mille altera, dein secunda centum, / deinde usque altera mille, deinde centum. / Dein, cum milia multa fecerimus, / conturbabimus illa, ne sciamus, / aut ne quis malus invidere possit, / cum tantum sciat esse basiorum.

8 « Ab tant la baiset douçament / E pux esguardet son dous vis / E fo li semblant c’un dolç ris / Li fases, e qu’en fos paguada ; / E bayset la altra veguada, / Hoc, mas de cent, ans qu’esmo-gues / La boca », Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 210-216. Cf. « Troÿlus aiant ses yeulx soulagé en baisant la pucelle et il vey qu’elle ne s’en mouvoit fors tant qu’elle en devint plus vermeille, il dist a lui mesmes que c’estoit fort dormy, mais puis qu’elle en changoit couleur, c’estoit signe qu’elle en avoit aucun sentement. » Perceforest, éd. cit., III/3, p. 88-89.

9 Sur les parallèles et les différences entre Perceforest et Frayre de Joy e Sor de Plaser voir encore l’analyse de G. Roussineau (« Introduction », In : Perceforest, éd. cit., p. XVIII-XXI), ainsi que celle de S. Thiolier-Méjean (« Zellandine, ma sœur », In : Une Belle au Bois Dormant médié-val. Frayre de Joy e Sor de Plaser, éd. cit., p. 119-124).

10 « Soven reguardava la mayre / Sa filla, que vi engruxar / Al terç mes et al quart doblar / […] / Al noven mes, si com lo temps / Fo, ach la puncella un fill, / Ses dolor e ses tot perill », Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 257-267.

les versions modernes, notamment dans celle de Perrault. Le motif de l’oiseau adjuvant figure également dans les deux récits, sauf que dans Perceforest on trouve dans cette scène non un vrai oiseau mais Zéphir, le bon génie prenant l’apparence d’un oiseau.

Perceforest n’est toutefois pas le seul récit français dans lequel puise se-lon toute vraisemblance l’auteur de Frayre de Joy. Nous pouvons égale-ment retrouver quelques réminiscences du lai d’Eliduc de Marie de France.

Semblablement au lai d’Eliduc, dans la nouvelle occitane aussi le thème de la « vivante ensevelie »11 hante pour ainsi dire pour une courte période, mais il sera repoussé rapidement et de façon plus nette. Car, tout comme Guilliadun, Sœur de Plaisir semble mourir (et non simplement dormir) puis, comme tout le monde la croit morte, ses proches sont sur le point de l’ensevelir. Pourtant, alors que chez Marie de France ce n’est que par ha-sard – ou plutôt par l’hésitation fort illogique du protagoniste – que la belle morte reste finalement en scène, dans ce récit si Sœur de Plaisir échappe au tombeau c’est grâce à la décision raisonnée de son père qui – juste au dernier moment avant qu’elle ne soit enterrée – se remémore des cas des personnes mortes vivantes (sans doute également celui de Guilliadun) re-latés par des livres :

Con lo cors a Deu porteron, Cant plorans lo vas serqueron, Plens de conssir ab mal trayre, Mas denant tuyt dix l’emperayre Que ja sa fiyla no seria

Soterrada, car no-s tenya Tan bel cors sots terra fos mes ; Que no paria ver per res Que fos morta tan soptament, Car hom trobava en ligent Que mantes s’erent fentes mortes Que puys eren de mort estortes, E d’altres de lur seny axides Qui puys eren vives garides, Gentils, de beyll acoyliment.

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 49-63)

11 Pour une typologie du motif de la « morte vivante » dont fait partie, selon nous, celui de la

« vivante ensevelie » voir E. Egedi-Kovács, op. cit., p. 24-35.

[Lorsqu’ils portèrent le corps à Dieu, lorsqu’en pleurant ils suivirent le cercueil, pleins de chagrin et de souffrance, alors l’empereur déclara devant tous que sa fille ne serait jamais

mise en terre, car il n’était pas d’avis qu’un si beau corps fût mis en terre ; il ne lui semblait nullement vrai qu’elle fût morte si subitement ; car on trouvait dans les livres

le cas de nombreuses personnes qui avaient paru mortes et qui ensuite étaient revenues à la vie,

et d’autres qui privées de leurs sens, étaient ensuite vivantes et guéries, gracieuses et faisant bel accueil.]

Ensuite, c’est la description du lieu où repose la belle endormie qui nous fait nous rappeler de quelques vers d’Eliduc12. Outre les caractéristiques identiques, dans la nouvelle occitane, tout comme dans Eliduc, l’endroit qui fournit le lieu de repos pour la jeune fille apparemment morte possède un caractère surnatu-rel et sacré. Cependant, tandis que dans le lai de Marie de France cela n’est que discrètement suggéré – seuls quelques détails permettent en effet d’y penser –, dans la nouvelle occitane tout cela devient clair et bien accentué, le caractère merveilleux du lieu étant décrit expressis verbis. Car l’auteur remarque à pro-pos de cette demeure que tous ceux qui la voient disent qu’il s’agit du Paradis :

E dizien que dins l’estatye Era Paradis, …

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 100-101) [et disaient que dans cette demeure c’était le Paradis,…]

Le caractère sacré du lieu s’exprime aussi par le fait que celui-ci fonctionnera comme un endroit de pèlerinage : chevaliers, dames et demoiselles, tous, « en

12 « E tot entorn del loch apres / Tres legues, aquells qu’en passaven », Frayre de Joy e Sor de Pla-ser, v. 94-95. Cf. « Une forest aveit en tur, / trente liwes ot de lungur » Eliduc, v. 889-890 (Les Lais de Marie de France, trad. L. Harf-Lancner, Paris, Le livre de poche, collection Classiques médiévaux, 1998).

entendant parler de ce lieu ici et là par terre et par mer », viennent le voir et « en éprouvent un si grand plaisir qu’ils n’auraient voulu jamais s’en éloigner »13. À propos de la scène où l’oiseau ressuscite la belle endormie, sa parenté avec la scène similaire d’Eliduc semble également évidente. Sauf que la belette du lai est remplacée par un oiseau dans le récit occitan. Le motif de l’herbe ressusci-tant, tout comme dans Eliduc, apparaît même dans Frayre de Joy, sauf qu’elle n’est pas de « vermeille colur » (en effet on ne sait pas de quelle couleur elle est exactement, car le texte n’en donne aucune précision). Toutefois, l’importance de la couleur rouge dans le récit occitan est également soulignée : bien que l’auteur mentionne multiples couleurs à propos du geai, seule de la couleur

« vermeil » qui se répète : qu’era verts e vermells, so say, Blanch, neyre, groch, indis ho blaus, Avia cresta com a paus,

E-l bech vermells…

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 329-332) [il était vert et vermeil, je le sais bien, blanc, noir et jaune, bleu indigo, il avait une crête de paon, le bec vermeil…]

Mais revenons à la raison évoquée par le père lors de la mort soudaine de sa fille. Comme nous l’avons déjà dit, celui-ci ne laisse pas ensevelir sa fille, car il se rappelle certains cas de fausse mort dont des livres témoignent. Il est in-téressant de voir que dans la description des fausses morts l’auteur distingue deux cas différents : il s’agit d’une part de personnes en apparence mortes qui reviennent ensuite à la vie (« le cas de nombreuses personnes qui avaient paru mortes / et qui ensuite étaient revenues à la vie » v. 59-60), d’autre part de celles qui, seulement « privées de leurs sens » (ce qui suggère qu’elles ne parais-sent pas « entièrement » mortes), deviennent finalement « vivantes et guéries » (« et d’autres qui privées de leurs sens, / étaient ensuite vivantes et guéries, / gracieuses et faisant bel accueil. » v. 61-62). Or ces deux cas correspondent parfaitement aux deux types différents de la « morte vivante », sauf qu’ici les

13 « Que say e lay, per terra, per mar / Ausien comptar les noveyles / Cavaylers, dones e donseyles, / Qui anaven lo loch veser, / Don avien trop gran plaser ; / Nul temps no s’en volgr’om lunyar », Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 104-109.

états léthargiques ne sont pas réservés à des victimes féminines. Ainsi, dans le premier cas, il s’agirait du thème de la « vivante ensevelie », la personne étant selon toutes apparences morte (à titre d’exemple on peut citer Fénice du Cligès ou Ydoine du roman d’Amadas), tandis que dans le deuxième du motif de la

« belle endormie », la personne n’étant que « privée de leurs sens » dont elle sort « vivante et guérie », comme d’une simple maladie ou d’une défaillance temporaire (ici je me référerai de nouveau à Zellandine du roman Perceforest).

Cette phrase faisant donc allusion à une tradition littéraire antérieure sans doute avant tout française, fait en même temps une réflexion sur le thème central lui-même du récit, celui de la « morte vivante », qu’elle définit et dont elle distingue même les différents cas. Ce type d’énoncé réflexif dans lequel se cristallise l’essentiel du thème central, se rencontre même ailleurs dans le récit. Car nous trouvons une pareille définition du thème de la « belle en-dormie » au moment où le prince charmant entre en scène. Le fils du roi de Floriande entend parler de la princesse, qui « était fraîche et belle lorsqu’elle était vivante » mais qui est « cent fois plus belle morte » et dont la « demeure » est « enchantée ».

Lo fill del rey de Florianda Ausi parlar de la donseyla Con vivent era fresqu’e bella, E morta pus beyla .C. tans, E con era l’emperi grans E-l loch ab encantament fayt ;

(Frayre de Joy e Sor de Plaser, v. 118-123) [Le fils du roi de Floriande

Entendit parler de la demoiselle,

Combien elle était fraîche et belle lorsqu’elle était vivante Et combien elle était cent fois plus belle morte,

Et combien le royaume était grand, Et comment sa demeure était enchantée]

Cette phrase est, nous semble-t-il, une formulation parfaite du thème de la

« belle endormie », qui en relève et résume ainsi dire les traits essentiels : 1. Les descriptions de la vivante et celle de la morte, mises en parallèle par des vers successifs, évoquent discrètement l’image de la « morte vivante » (v. 120-121).

2. L’image de la jeune fille qui en sa mort paraît cent fois plus belle qu’en sa vie permet de penser à un cas particulier issu sans doute d’une merveille.

Car, comme le prince lui-même le remarque un peu plus bas, « une morte est repoussante », la jeune fille demeure cependant toute fraîche. Certes le mot

« fraîche » (« fresqu’e bella ») est lié, dans le sens strict, à la description de la vivante, néanmoins, à cause du parallèle entre les deux vers, et non moins en raison du souvenir des vers précédents, dans la description de la belle en-dormie, que nous venons de lire quelques lignes plus haut14, nous pouvons le rapporter à celle de la morte.

3. Dans la dernière partie de la phrase citée, on insiste sur la nature enchantée de la demeure de la belle endormie (v. 123), qui nous semble également un topos important du thème en question.

3. Dans la dernière partie de la phrase citée, on insiste sur la nature enchantée de la demeure de la belle endormie (v. 123), qui nous semble également un topos important du thème en question.

In document Dialogue des cultures courtoises (Pldal 73-85)