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Les romans paléologues

In document Ianua Europae (Pldal 45-50)

Dans les romans paléologues la présence du narrateur est beaucoup moins me-surée. Nous allons mentionner, en guise d’exemples, des passages qui présen-tent des motifs récurrents dans ces romans. Le narrateur du roman Callimaque au v. 341-343 mêle deux topoi : celui de la brevitas qu’il prise au détriment de sa naturelle logorrhée, la περισσολογία, avec celui d’un profond étonnement devant une beauté ineff able (du bain du Δρακοντοκάστρον en l’occurrence) :

« ἀλλὰ καὶ τί πολυλογῶ καὶ κατὰ μέρος γράφω; / Ἁπλῶς ἃν εἴδες τὸ λούτρον·

λιποθυμήσω, πέσω / καὶ ζήσω λιποθύμημα καὶ χάριν ἀνασάνω » (mais pour-quoi suis-je bavard et parle outre mesure ? / Si seulement tu avais vu le bain : je tomberai évanoui, je tomberai, / je me pâmerai et je respirerai à nouveau devant cette grâce). Nous observons que la prolixité du narrateur, se manifes-tant dans l’usage de trois synonymes pour connoter le même sentiment, est en totale contradiction avec son horreur prétendue pour la πολυλογία. Cette tran-sition entend plutôt mettre en exergue le raffi nement des objets qui entourent les protagonistes, et réclame l’attention pour fournir une impression d’immé-diateté et de spontanéité à ses apostrophes : le narrateur s’adresse à un desti-nateur en utilisant la deuxième personne. Dans le Libistros, le protagoniste dit, à propos des attitudes hostiles des acolytes d’Eros (éd. Lendari, v. 227-228) :

« καὶ τί νὰ εἴπω, φίλε μου, καὶ τί νὰ σὲ ἀφηγοῦμαι / τοῦ καθενὸς τὰς ἀπειλὰς καὶ τοὺς φοβερισμούς του » (mais comment puis-je dire, mon ami, que puis-je raconter, / les intimidations, menaces de chacun). Le topos de la brevitas est suivi par une énumération détaillée des fi gures que Libistros rencontre lors de sa vision onirique. Dans le passage suivant du même roman, Rhodamné déclare ne pas vouloir s’étendre trop en relatant l’histoire de ses péripéties (éd.

Lendari, v. 3055-3056) : « τί τὰ πολλὰ πολυλογῶ, τοὺς λόγους μου πλατύνω / καὶ τόσην τὴν ἀφήγησιν τοῦ λόγου περιπλέκω » (pourquoi parlé-je autant, m’étends-je en tant de discours et embrassé-je une telle narration de l’histoi-re ?). Avec des paroles semblables s’exprime Libistros, quand il raconte à son indéfectible compagnon sa querelle avec Berdericos pour conquérir la main de Rhodamné (éd. Agapitos v. 2407-2408) : « τί, τί μου τὴν ἀφήγησιν, φίλε μου, τὴν πλατύνω, / τί παρατρέχω τὸν καιρόν, κενοτομῶ τοὺς λόγους » (pourquoi mon récit étends-je, mon ami, / pourquoi passé-je du temps et gaspillé-je les discours ?). Nous remarquons que dans le Libistros le topos du λογολεσχεῖν est à nouveau assumé par le discours des personnages.

D’autres interventions ont la fonction de marquer un tournant d’un passage à l’autre de la narration, d’un épisode centré sur un personnage au suivant,

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centré sur un autre. Dans Imperios, nous avons un autre exemple de la même tournure (v. 450) : « λοιπὸν πρὸς τὸν Ἰμπέριον νὰ στρέψωμεν τὸν λόγον » (maintenant nous allons diriger notre discours vers Imperios). Nous trou-vons la même fonction dans le Phlorios (v. 325a) : « στὸν βασιλέα Φίλιππον νὰ στρέψωμεν τὸν λόγον ». Dans les vers suivants, le narrateur, s’exprimant à la première personne, souligne le pathos des événements et évoque discrè-tement, par l’usage des verba dicendi, une épreuve exemplaire pour un pu-blic connaissant les peines d’amour, qui peut donc éprouver de l’empathie pour Platziaflore (v. 326-330) : « τί δὲ κακὰ συνέβησαν ὑπὸ τοῦ βασιλέως / εἰς κόρην τὴν πανεύγενον, ἂς εἰπὼν καταλέξω / καὶ ὁποὺ ἔχει πόνους, ἂς πονῇ καὶ θλίψεις, ἂς λυπᾶται / καὶ ὁποὺ ποθοῦν καὶ θλίβουνται, πάντα ἂς ὑπομένουν, / ὅτι τῆς Τύχης ὁ καιρὸς πάλιν ἐπαναστρέφει » (je vais raconter quelles mésaventures sont arrivées / à cause du roi à la très noble jeune fille / et celui qui a des peines, qu’il souffre, celui qui est dévasté, qu’il se désespère / ceux qui aiment et sont affligés, qu’ils supportent tout, / parce que le temps de la Fortune tourne à nouveau).

Comme nous verrons ci-dessous, le poème de Belthandros présente une si-tuation similaire, dans laquelle le narrateur s’adresse à des jeunes gens ; dans ce passage, l’auteur du Phlorios semble faire appel, de manière bien moins ex-plicite qu’en Belthandros, à un public de jeunes amants, selon les conventions du genre romanesque occidental. Le narrateur du Callimaque, écrivant aussi à la première personne, ouvre le roman par ces paroles (v. 2) : « ἀρχόμεθα διήγησιν τινὸς πειραζομένου » (nous commençons l’histoire d’un homme douloureusement éprouvé). Nous relevons en passant que le terme διήγησις est employé dans le titre Διήγησις ἐξαίρετος ἐρωτικὴ καὶ ξένη que les diffé-rents manuscrits nous ont transmis pour le roman de Phlorios et Imperios.

Ce substantif est utilisé en référence à des textes narratifs traitant d’amour et d’aventure, centrés sur les péripéties d’un couple d’amants ainsi que sur le héros. Dans le Belthandros aussi, le narrateur parle à la première personne (v. 2) : « θέλω σᾶς ἀφηγήσασθαι λόγους ὡραιοτάτους » (je vais vous racon-ter des événements exceptionnels). En outre, dans ce roman est simulée une situation performative en présence de jeunes gens de la cour, contexte qui constitue un pur jeu littéraire3. Dans l’Imperios, le narrateur parlant toujours

3 Carolina Cupane, « Leggere e/o ascoltare. Note sulla ricezione primaria e sul pubblico della letteratura greca medievale », In : Medioevo romanzo e orientale. Oralità , scrittura, modelli narrativi, II, Colloquio internazionale Napoli, 17-19 febbraio 1994, Antonio Pioletti – Francesca Rizzo Nervo (éds.), Soveria Mannelli, Rubbettino, 1995, p. 83-105, p. 90-91 et Romina Luzi, « Les romans palé ologues : à la charniè re de plusieurs traditions », In : Byzance

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à la première personne, souligne son incapacité à relater une telle histoire, si passionnante et extraordinaire, un topos très ancien qui souligne la dif-ficulté de la matière traitée et, par ce biais, valorise la virtuosité de l’auteur (v. 3-4) : « καὶ πῶς νὰ γράφω τἤν ἀρχήν, πῶς νὰ την φανερώσω, / ἀφήγησιν τὴν ἔμμορφην, ἐρωτικήν, μεγάλην; » (et comment pourrai-je écrire le début, comment montrer / l’histoire magnifique d’amour ?). Le même prétendu sen-timent d’insuffisance est exprimé peu après aux v. 44-46 : « καὶ τί νὰ λέγω οὐκ ἠμπορῶ, τὸ τί νὰ γράφω οὐκ ἔχω / ἐξαπορεῖ μου ὀ λογισμός, αἰ χεῖρες καὶ ἡ γλῶσσα / τὸ πῶς νὰ ἀφηγήσωμαι χαρὲς τοῦ παλατίου; » (et comment, pour-rai-je parler, comment pourpour-rai-je écrire, / il me manque le langage, les mains, la langue, / comment pourrai-je raconter les grâces du palais ?). En cette cir-constance, c’est la joie ressentie par les parents d’Imperios, longuement stéri-les, que le narrateur affirme ne pas pouvoir décrire, alors que ce même topos de l’incapacité du narrateur sert précisément à introduire l’ἔκφρασις du bain dans le Callimaque, déjà mentionnée, qui s’étend sur une soixantaine de vers (v. 295-297) : « τί πρῶτον εἴπω τοῦ λουτροῦ, τί δὴ γράψω πρῶτον; / τὸ μῆκος, τὴν λαμπρότηταν, τὴν ἐκ τοῦ κάλλους χάριν / ἢ τὴν ὁλόφωτον αὐγὴν ἢ τῶν φυτῶν τὸ ξένον; », (que vais-je mentionner en premier au sujet de ce bain ? Que vais-je décrire en premier ? / La grandeur, la splendeur, la grâce d’une tel-le beauté ou l’aube lumineuse, ou l’extraordinaire nature de la végétation ?).

Dans le Belthandros, nous relevons la même inaptitude clamée à décrire encore une fois un bain somptueux (v. 458-459) : « τοιοῦτον ἦτον τὸ λουτρὸν οἷον ἄλλον οὐκ ἦτον, / οὐδὲ λαλῆσαι κἂν ποσῶς ἡ γλῶσσα δύναταί μου » (le bain était tel qu’aucun semblable ne pouvait exister / et que même ma lan-gue ne pourrait en décrire de tel). Dans le Libistros (éd. Agapitos, v. 2577-2579) :

« καὶ τὰ ἄλλα, φίλε μου, τοῦ κάστρου νὰ τὰ ἀφήσω, / ὅλα τὰ εἶχε τὰ καλὰ καὶ τὰ παράξενά του· / μόνον νὰ σὲ ἀφηγήσωμαι τὰ εἶχεν ἡ φισκίνα » (et les autres choses, mon ami, du château je laisserai, / toutes celles qu’il avait de splendi-des et extraordinaires : / seulement je te raconterai celles que la piscine avait).

Dans ces vers, le protagoniste, après avoir raconté son élévation au trône par le père de Rhodamné, décrit à Clitobos avec complaisance le jardin et la piscine de l’Ἀργυροκάστρον, montrant la même volonté prétendue affichée par les narrateurs des autres romans de ne pas s’attarder sur les détails. Toutes ces interventions du narrateur se caractérisent par une expression d’étonnement fictive devant la beauté d’objets façonnés par d’habiles artisans (l’ἔκφρασις du

et l’Occident III. É crits et manuscrits, sous la direction d’Emese Egedi-Ková cs, Collè ge Eö tvö s Jó zsef ELTE, Budapest, 2016, p. 71-87, p. 82-86.

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bain est un topos répandu dans les romans paléologues), prétexte à de longues ἐκφράσεις et accompagnée souvent par des affirmations d’une prétendue impuissance langagière. Pour insister sur une situation dramatique ou poi-gnante et suspendre le flux du récit, tout en aiguisant la curiosité du lecteur, le narrateur déploie une panoplie de figures de style : un passage du Callimaque insiste sur le pathos du spectacle qui s’offre aux yeux du héros par une ana-phore très appuyée par l’aposiopèse :

ἐν μέσῳ γὰρ – ἀλλὰ πολὺν ὁ λόγος πόνον ἔχει – ἐκ τῶν τριχῶν ἐκρέματο κόρη μεμονωμένη

– σαλεύει μου τὴν αἴσθησιν, σαλεύει μου τὰς φρένας – ἐκ τῶν τριχῶν – αἲ φρὀνημαν παράλογον τῆς τύχης – ἐκ τῶν τριχῶν ἐκρέματο κόρη – σιγῶ τῷ λόγῳ, ἰδοῦ σιγῶ, μετὰ νεκρᾶς καρδίας τοῦτο γράφω – / ἐκ τῶν τριχῶν ἐκρέματο κόρη μὲ τῶν χαρίτων

[Au milieu – mais le discours a beaucoup de peine (à sortir) / par les che-veux pendait une jeune fille seule / mes sens chavirent, mon intellect est ébranlé / par les cheveux- dessin fou de la Fortune / par les cheveux était pendue la jeune fille – je reste silencieux / alors, je me tais, j’écris cela avec un cœur anéanti / par les cheveux pendait une jeune fille avec toutes les grâces.]

L’anaphore, également soulignée par l’aposiopèse, est même plus marquée dans le Libistros, quand le héros remémore avec mélancolie et regret son passé heureux à côté de sa bien-aimée avant son enlèvement. Dans un rêve c’est Eros, la divinité même, qui la lui présente pour la première fois (éd. Agapitos, v. 703-709) :

εῖχεν δοξάριν ἀργυρὸν καὶ εἰς τὸ ᾶλλον του τὴν κόρην, τὴν κόρην τὴν παράξενην ἐκείνην τὴν Ῥοδάμνην·

εἶχε τὴν κόρην – βάσταζε, πολύπονε καρδία, μὴ τώρα πάθῃς καὶ ῥαγῇς καὶ νεκρωθῇς ἐκ πόνου – εἶχεν τὴν κόρην – βάσταζε, ψυχή, μὴ ῥαθυμήσῃς – εἶχεν τὴν κόρην – πρόσεχε, ψυχή, μὴ ἀναιστητήσῃς – εἶχεν τὴν κόρην, λογισμέ, μὴ φύγῃς άπὸ έμέναν […]

[Il tenait un arc d’argent dans une main et la jeune fille dans l’autre / cette jeune fille, l’extraordinaire Rhodamné / il tenait la jeune fille- sois endu-rant, cœur chagriné de peines / ne souffre pas maintenant, ne te déchire pas, ne défaillis pas de peine / il avait la jeune fille – sois endurante âme,

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ne sois pas faible / il tenait la jeune fille – fais attention, âme, ne t’évanouis pas / il avait la jeune fille, raison, ne t’enfuis pas de moi.]

Mais si dans le Libistros, ce sont des paroles prononcées par le protagonis-te, qui exprime ainsi son désespoir – nous ne devons pas oublier que tous les événements sont racontés par Clitobos à Myrtane et que la structure du roman est relativement sophistiquée, car le même épisode est parfois relaté par les diff érents personnages selon leur point de vue4 – dans le Callimaque c’est le narrateur qui manifeste sa présence et simule une détresse intoléra-ble. Une lettre de Libistros adressée à Rhodamné, contient un autre exemple d’anaphore (éd. Lendari v. 1418-1425) :

Πότε τὸ κάστρο νὰ διαβῶ καὶ νὰ ἀνεβῶ εἰς τὸν πύργον;

Πότε τῆς κόρης μήνυμα νὰ δέξομαι ἐγγράφως;

Πότε κρατήση χέρι μου πιττάκιν ἐδικόν της;

Πότε νὰ ἰδῶ κοιτώνα της καὶ στόμα της φιλήσω;

Πότε λαλήση Λίβιστρον τὸ στόμα τῆς κουρτέσας;

Πότε πατήσω ἐνήδονα τῆς κόρης τὸ κουβούκλιν;

Πότε τὴν κόρην περιπλακῶ, μυριοκαταφιλήσω καὶ γεμιστῆ γλυκύτητα τὸ στόμα μου ἀπ’ἐκείνην;

Πότε κερδίσω τὸ ἐπιθυμῶ καὶ ἐπιχαρῶ τὸ θέλω καὶ νὰ ἐλευθερωθῶ τὰ δύσκολα τὰ ἔχω καθημέραν;5

[Quand traverserai-je le château et monterai-je sur la tour ? Quand re-cevrai-je un message écrit par la jeune fille ? Quand tiendrai-je dans ma main une lettre d’elle ? / Quand verrai-je sa chambre et embrasserai-je sa bouche ? / Quand prononcera la bouche de la courtoise fille (le nom de) Libistros ? /Quand traverserai-je le seuil de la plaisante chambre de la jeune fille ? / Quand embrasserai-je la jeune fille des milliers de fois / et sera ma bouche comblée de sa douceur ? / Quand gagnerai-je ce que je désire et serai-je régalé par ce que je souhaite ? / Quand serai-je délivré de ces diffi-cultés que j’ai chaque jour ?]

Il est évident que la mention littérale faite par Clitobos des paroles exactes, écrites par son ami Libistros dans la lettre, avec une telle abondance de dé-tails, est la solution la moins adaptée pour un eff et de vraisemblance, mais

4 Gérard Genette, Discours du récit, Paris, Points, 2007, p. 190-200.

5 Les vers 1654-60 de l’édition d’Agapitos emploient des termes similaires. Nous puisons les exemples des deux versions, puisqu’elles sont suffisamment différentes l’une de l’autre, pour ne pas pouvoir être utilisées pour la reconstruction de l’Urtext.

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ceci n’était certainement pas le dessein de l’auteur, plutôt intéressé à réaliser des fi gures de style et à déployer sa faconde en ἐκφράσεις et longs dialogues.

Selon la classifi cation de Genette, cette approche peut être défi nie comme une focalisation « variable […] ou multiple, comme dans les romans par lettres, où le même événement peut être évoqué plusieurs fois selon le point de vue de plusieurs personnages-épistoliers »6. Le roman d’Imperios, caractérisé par un style plus populaire et moins fl euri en fi gures rhétoriques, présente aussi une anaphore, bien que moins déployée, insistant ainsi sur le désespoir du couple princier, frappé par une longue stérilité (v. 31-34) : εἶχαν καρδίαν φλογερήν, εἶχαν μεγάλους πόνους / εἶχαν κρυφὰ πονέματα, εἶχαν κρυφὰ τὰς θλίψεις / εἶχαν κρυφὰ τοὺς στεναγμούς, εἶχαν κρυφὰ τὰ δάκρυα (ils avaient le cœur enfl ammé, ils avaient de grandes peines, ils avaient des souff rances secrètes, ils avaient des affl ictions cachées, ils avaient des soupirs secrets, ils avaient des larmes cachées). Les romans paléologues présentent tous des interventions du narrateur très similaires, qui remplissent les mêmes fonctions dans le récit : une exception est constituée par le roman de Libistros et Rhodamné, en raison de sa structure narrative.

In document Ianua Europae (Pldal 45-50)