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Le trait commun de ces catégories consiste le plus manifestement en ce fait qu'elles sont toutes métajuristiques, c'est-à-dire qu'elles saisissent l'extérieur à

II. — CHOSE JURIDIQUE COMME RAPPORT SOCIAL

En ce qui concerne l'objet du droit de propriété, le code civil hongrois ainsi que les manuels définissent la notion de chose comme objet corporel pouvant être pris en possession. Or, il y est immédiatement ajouté que sont aussi considérés comme choses l'argent, les titres, ainsi que toutes les forces de la nature pouvant être exploitées comme des c h o s e s (4).

Et c'est ainsi que nous nous trouvons déjà au c œ u r de notre problème. M*me si l'on n'esquisse le développement du droit qu'en ses contours, on doit parler de l'élargissement successif de la sphère des « choses » et de leur transformation en une notion presqu'infinie. Dans le premier système juridique qui eût exigé, en conséquence de l'apparition massive des rapports d'échanges de marchandises, la généralisation abstractrice — c'est-à-dire dans l'Ancien Droit romain —, la notion de « chose juridique » avait déjà largement dérivé par rapport à celle de chose au sens propre du mot. L'achat et la vente de c h o s e s futures (emptio rei futurae, emptio spei) mettent, à vrai dire, la notion de chose entre guillemets, cependant que la subordination des obligations à la notion par elle-même contradictoire de res incorporalis, la supprime. L'élargissement ultérieur de la notion de « chose » — en particulier au cours du développement de la société bourgeoise — se produit déjà comme une réaction en chaîne. Non seulement le droit et la créance deviendront » chose », mais il en ira de même pour la main-d'œuvre. Et dans la mesure où les connaissances humaines deviennent une force de production, se transformeront en « c h o s e s » le travail intellectuel, puis ses produits, les idées aussi, de même que, à travers le droit d'auteur, ses attributions devenues autonomes. Dans le cycle d'échange de marchandises l'argent va devenir un agent médiat. Il représentera une valeur abstraite, comme le feront par la suite les titres boursiers ou les effets de commerce qui n'incorporent que des droits relatifs à une (4) A l i n é a s 1 et 2 d e l ' a r t i c l e 9 4 d e la loi No IV d e l'an 1 9 5 9 et ViLÁGHY (Miklós), EöRSt (Gyula), Magyar polgári jog, Le d r o i t civil h o n g r o i s , vol. I, B u d a p e s t , T a n k ô n y v k i a d ô , 1 9 7 3 , p. 169.

certaine valeur. Ce qui signifie qu'on a là des choses réelles dont, précisément, la nature physique-sensorielle n'a qu'un intérêt secondaire.

C'est pendant l'essor libéral suivant l'euphorie de la révolution bourgeoise qu'est institutionnalisée la protection des droits de la personnalité qui s'étend de l'intégrité corporelle et intellectuelle de l'homme jusqu'à son image, sa voix, son honneur et sa réputation, voire jusqu'au secret de ses communications privées.

Parallèlement à l'évolution qui voit la substitution du capitalisme monopoliste au capitalisme libéral des petites entreprises, ceux qui, parmi ces droits, revêtent une certaine importance dans la conduite des affaires, vont bientôt être affirmés en tant que droits des entreprises. C'est ainsi que deviennent « choses » la dénomi-nation, la renommée, le prestige des firmes : par exemple l'inviolabilité de la gestion des affaires (comme droit pour toute entreprise installée et en exercice) dans la jurisprudence de l'article 8 2 3 du code civil allemand ; ou bien l'intégrité et les secrets de la gestion intérieure (à titre de protection de la « personnalité économique ») e n Suisse ; ou encore la protection de la renommée d'affaires (au nom du « good will ») en Angleterre.

Nous sommes aussi témoins d'un élargissement dans d'autres directions. La sphère extraordinairement vaste des choses qu'il n'a jamais été question, pendant des millénaires, de soumettre un jour à la maîtrise des hommes (res communis omnium) s'est soudain rétrécie à la suite du progrès économique et technologique des dernières décennies. Les océans deviennent — grâce à la pêche industrialisée

— des magasins de denrées vivantes ; l'eau de la mer devient la matière première des grandes usines chargées de dessalage ; les icebergs, ces concentrés d'eau deviennent des objets de livraisons commerciales ; l'air devient la matière brute essentielle de certaines usines c h i m i q u e s ; et même,peut-être dans un proche avenir, la surface des satellites et des planètes deviendra aussi une « chose » susceptible d'être expropriée par l'homme.

Quelles conclusions faudrait-il tirer de tous ce que nous venons de dire ? Premièrement, au cours de l'évolution sociale une part toujours croissante de l'environnement naturel et social de l'homme est soumise à une expropriation sociale, et ainsi elle s'intègre à la réglementation juridique. Ce n'est pas simplement une question d'extension : la réglementation juridique intègre non seulement quantitativement l'existence sociale de l'homme, mais aussi, et dans une mesure de plus en plus accrue, dans sa profondeur. Ainsi, de ce point de vue,

« la socialisation de la société » — c'est là une des catégories les plus importantes de l'Ontologie de Lukács pour signifier la tendance du développement — n'est rien d'autre que l'auto-expropriation institutionnalisée de plus en plus élargie par la société elle-même de sa propre existence.

Deuxièmement, en conséquence d'une telle « auto-expropriation » institutionna-lisée, quelque chose de nouveau, n'ayant pas existé jusque là, est créé. La différence peut être clairement réfiétée par une constatation de Marx, selon laquelle « il serait juste de dire qu'il existe des familles, des clans qui ne font

e n c o r e q u e posséder, mais qui n'ont pas de propriété » (5). Par la r é g l e m e n t a t i o n juridique, la facticité, e n soi muette, sera r e l e v é e par u n e légalité institutionna-l i s é e .

Troisièmement, la n a t u r e sociale de ce p r o c e s s u s est déjà p e r c e p t i b l e si l'on c o n s i d è r e l'historicité et la forme institutionnalisée du p a s s a g e à la « c h o s e juridique ». D e fait, u n e f o r m e particulière lui est c o n f é r é e par la r e c o n n a i s s a n c e qu'il ne s'agit p l u s ici de c h o s e s in se, mais e x c l u s i v e m e n t de l e u r e x i s t e n c e telle qu'elle leur est c o n f é r é e par nous. D'une façon latente, déjà, l'assimilation en droit romain de la res corporalis avec la res incorporalis t é m o i g n e de ce que la r é g l e m e n t a t i o n met e n relation c o n n e x e n o n pas d e s c h o s e s en relation muette les u n e s avec les autres, mais des p e r s o n n e s s i t u é e s d a n s des rapports d o n n é s avec leurs p r o p r e s biens, leurs r e v e n d i c a t i o n s sur les biens, etc. C'est p r é c i s é m e n t pour cette raison que l ' e n s e m b l e des choses et d e s non-choses c o n c r è t e m e n t d é f i n i du point de vue social et historique, ne deviendra u n e c h o s e d a n s la réglemen-tation juridique que d a n s la s e u l e m e s u r e où il sera porteur e t / o u catalyseur d e s rapports s o c i a u x e s s e n t i e l s du point de vue d e s conflits de c l a s s e , etc. Cela revient à dire que l'intégration d a n s la réglementation juridique ne s u p p o s e pas sur un plan distinct, d e s choses existant en soi, d'une part, et du droit, d'autre part, mais plutôt un p r o c e s s u s dialectique dans lequel le d é v e l o p p e m e n t d e s rapports s o c i a u x s u p p o s e l'élargissement de l'existence s o c i a l e par de n o u v e a u x compo-sants. Et c'est p r é c i s é m e n t la légalisation i n s t i t u t i o n n a l i s é e de cet é l a r g i s s e m e n t p u r e m e n t factuel, e n t r a î n é par une n é c e s s i t é politique, é c o n o m i q u e , etc., qui exigera la qualification c o m m e « c h o s e s j u r i d i q u e s » de c e s c o m p o s a n t s , et ainsi leur s o u m i s s i o n à la réglementation.

Quatrièmement, n o u s d e v o n s voir qu'il s'agit ici d'un p r o c e s s u s de réaction en c h a î n e au c o u r s d u q u e l , sur les « c h o s e s » n'ayant plus le caractère de c h o s e , de n o u v e a u x é l é m e n t s s o c i a u x , exigeant e u x - m ê m e s é g a l e m e n t u n e réglementation juridique, s e s u p e r p o s e n t , parvenant e n fin de c o m p t e , par c e p r o c e s s u s d'abstractions s u c c e s s i v e s , à u n e distance d é f i n i t i v e m e n t i n s u r m o n t a b l e d e s c h o s e s p r o p r e m e n t dites. A savoir, d è s que, à la suite de l'abstraction de la c h o s e réelle, est c o n s t i t u é e la « c h o s e » au s e n s juridique, de n o u v e l l e s abstractions, de n o u v e l l e s « c h o s e s j u r i d i q u e s » s e s u p e r p o s e n t e n c o n s é q u e n c e , et ce p r o c e s s u s , f i n a l e m e n t , s'élargit d a n s u n e si vaste m e s u r e que la « c h o s e juridique » perd c o m p l è t e m e n t les l i e n s la rattachant au m o n d e matériel, ne les conservant que du point de vue g é n é t i q u e .

Cinquièmement, c'est p r é c i s é m e n t cette c r o i s s a n c e e n catégorie u n i v e r s e l l e qui r é v è l e qu'il n e s'agit pas ici d'une falsification g n o s é o l o g i q u e de la notion de c h o s e , mais de sa t r a n s f o r m a t i o n en un m o y e n t e c h n i q u e de l'action pratique. Pas davantage n e peut-on dire que c e sont d e s n o t i o n s analogiques. En effet, si le r a i s o n n e m e n t a n a l o g i q u e peut prétendre avoir j o u é un certain rple historique,

(5) MARX (Karl), Introduction générale à la critique de l'économie politique, dans : Marx, Œ u v r e s , E c o n o m i e , Ed. établie p a r Maximilien Rubel,*Paris, 1963, p. 256.

cette circonstance n'influence toutefois nullement le caractère propre de c e s dernières. Les notions de « choses juridiques » ne sont que des fictions, moyens désormais traditionnels, pour la technique juridique, de distinguer les « objets »,

« choses », « biens » d'intérêt juridique de ceux qui ne portent actuellement aucun intérêt juridique.

Est-ce à dire que, dans la plupart des cas, les techniques elles-mêmes sont conservatrices et que, seules, les philosophies et les idéologies qui se trouvent à la base des mouvements sociaux rendent leur utilisation révolutionnaire ? En tout cas le manuel hongrois de droit civil en prend bien le chemin quand, en se référant ouvertement au développement capitaliste, il énonce : « C'est dans ce sens que la science socialiste du droit a repris et utilise la notion de chose » (6).

On pourra aisément se convaincre à partir de quelques exemples, de la mesure dans laquelle cette expression fictive de la technique juridique est devenue un principe de structuration du raisonnement juridique.

Dans le domaine de la responsabilité pour faute en droit civil, par exemple, on parle traditionnellement de la responsabilité des personnes, tout en recherchant une quasi-culpabilité morale ou de droit pénal afin de la sanctionner bien que du point de vue des faits économiques il s'agisse d'une question ne concernant que les biens, en l'espèce de la participation de certains biens à la répartition du dommage.

Toute une théorie des personnes morales a été échaffaudée à l'image de la personne réelle, en tant que pure fiction. Leur nature nettement postulée, réelle uniquement en tant que principe structurateur du raisonnement juridique, ne se vérifiera d'une manière évidente que si l'on parle également de la responsabilité pour les dommages causés par les entreprises en termes de culpabilité. Parmi ces constructions, la jurisprudence française semble se détacher en consacrant, en vertu de l'article 1384 du Code civil, une responsabilité pour le dommage causé par le fait des choses. Cette construction apparaît comme particulière car les choses y sont apparemment personnifiées comme sujets du fondement du dommage. En réalité, il s'agit, au contraire, d'une désanthropomorphisation. Et c'est précisément ici que le caractère artificiel des constructions « anthropomor-phisantes » apparaît pleinement. On sait que selon Lukács la science comme telle a été créée et s'est trouvée à même d'influer sur les processus naturels et sociaux d'une façon adéquate à leurs propres lois objectives, dès lors qu'elle s'était désanthropomorphisée : contrairement à la réflexion religieuse, notamment, elle cessa de projeter le vécu psychique de l'individu, s'efforçant plutôt de faire apparaître ces processus à partir des données effectives de son propre mouve-ment (7). A vrai dire, la tendance anthropomorphisante de la construction de la responsabilité pour dommage renvoie bien, dans sa conception, au traitement de

( 6 ) V I L À G H Y — E Ö R S I , p . 1 7 0 .

(7) LUKACS (Georg), Die Eigenart des Ästhetischen, 1. H a l b b a n d , N e u w i e d , L u c h t e r h a n d , 1963, c h a p . IL

la responsabilité en tant que rapport social, néanmoins, du point de vue de sa connaissance réelle, une telle conception est sans valeur puisqu'elle falsifie en même temps le mouvement réel des processus économiques concrets.

En ce qui concerne, par contre, la protection des droits de la personnalité, nous sommes ici tentés par une certaine conception de 'a * chose » comme source de difficultés permanentes et de précarité des situations. D'une part, il est indubitable que la possibilité de leur sanction judiciaire est une nécessité expressément politique. Mais, d'autre part, on peut raisonnablement douter que cela puisse avoir un rapport quelconque avec le droit civil. Tantôt, ce semble être le triomphe de la conception socialiste qui tend à réserver une indemnisation non-matérielle à un dommage non-matériel, et l'on considère dépassée par là-même la conception bourgeoise qui réduit le moral au pécuniaire, tantôt, par contre, des efforts sont déployés pour que la protection de la réputation, par exemple, soit ramenée à des considérations matérielles (comme à la réussite dans la vie ou dans le travail). De tels signes peuvent être observés dans la pratique judiciaire soviétique ; en ce qui concerne la Hongrie, le législateur vient de prévoir « une indemnisation équitable » en cas de dommage non-pécuniaire rendant la vie « plus difficile », « dans des conditions durables et graves » (8).

En considérant la question en termes plus généraux, on peut établir que si la mise au premier plan du droit civil correspondait historiquement aux périodes caractérisées par les petites entreprises de la production de marchandises (Rome antique, capitalisme libéral), à l'époque des grandes entreprises les structures autonomes devront être refoulées au second plan (9). Si l'on se réfère à l'avertissement de Lénine concernant le socialisme (10), c'est la conception des administrateurs et des administrés, propre au droit public,à laquelle correspond l'expansion croissante des moyens administratifs, de droit économique, etc., qui passe au premier plan. Sans partager les énonciations de Maine ou de ses critiques, nous pouvons accepter figurativement la thèse déjà formulée par son contemporain en vertu de laquelle le développement menant du status vers le contractus cède de nouveau sa place à des liaisons de complexes à caractère de status (11).

(8) Loi N o IV d e l ' a n T 9 7 7 s u r l e c o d e civil h o n g r o i s , a r t . 3 5 4 .

(9) Cf. EöRSi ( G y u l a ) , Fundamental Problems of Socialist Civil Law, B u d a p e s t , A k a d é m i a i K i a d ó , 1 9 7 0 , p . 9 e t s .

( 1 0 ) « N o u s n e c o n n a i s s o n s p a s d ' a f f a i r e s p r i v é e s , p o u r n o u s , d a n s l e d o m a i n e d e l ' é c o n o m i e t o u t e s t a f f a i r e d e droit public e t n o n p a s d e droit privé ». LÉNINE, V . l . , u n e n o t e p o u r D. I. K o u r s k y , l e 2 0 f é v r i e r 1 9 2 2 , d a n s : Sotchinenia, Œ u v r e s , v o l . X X X V I , M o s c o u , G o s i z d a t , 1 9 5 7 , p . 5 1 8 .

( 1 1 ) MAINE (Sir H e n r y ) , A n c i e n t Law, w i t h i n t r o d u c t i o n a n d n o t e s by F. P o l l o c k , 5 t h e d . L o n d o n , 1 9 0 6 , p. 1 7 4 . La r e m a r q u e d e POLLOCK, p. 1 8 3 - 1 8 5 . A u s u j e t d e l ' a p p r é c i a t i o n c r i t i q u e d e la l i t t é r a t u r e o c c i d e n t a l e c o n t e m p o r a i n e s u r c e t t e q u e s t i o n c f . HARMATHY ( A t t i l a ) , Változások a szerzôdések bunsoi elméletében, M o d i f i c a t i o n s d a n s la t h é o r i e b o u r g e o i s e s u r l e s c o n t r a t s , Á l l a m é s J o g t u d o m á n y , X V I I , 1 9 7 4 , 4 , p. 5 8 S e t s. e t CÖRSI ( G y u l a ) , Comparative Civil (Private) Law, B u d a p e s t , A k a d é m i a i K i a d ó , 1 9 7 9 , c h a p . V I .

La tendance observable actuellement dénote une contradiction particulière. La conception de « chose juridique » se sépare résolument de la chose proprement dite, bien que la dialectique du processus assure un équilibre spécifique avec le développement simultané de la tendance opposée. Notamment, l'homme et son environnement s'intègrent de plus en plus complètement et sans restriction au complexe social g'obal au sein duquel est préservé, dans la détermination finale, le poids déterminant de la sphère économique. En reprenant les termes de Lukács, au cours de la socialisation continue de la société, des complexes toujours plus complexes vont être établis, tout en assumant d'une manière toujours plus différenciée leur rôle déterminant au sein du complexe global. Mais ce dévelop-pement, loin de le reléguer au second plan, différencie plutôt encore davantage le rôle joué par la détermination de l'économique en dernière analyse.

En ce qui concerne, par ailleurs, la teneur des conceptions de la « chose » juridique sur un plan spécifique, dans le cercle de la théorie des rapports juridiques, dès la seconde moitié des années cinquante, les débats ayant eu lieu en Union Soviétique visaient encore à ramener à un dénominateur commun, d'une manière quelconque, les choses et les attitudes en tant qu'objets des rapports du droit civil (12). Il était néanmoins évident que cet essai de compatibilité était voué à l'échec. Tant à l'égard de la conception de l'objet juridique qu'en ce qui concerne la conception de l'objet des rapports juridiques, la teneur des rapports sociaux en tant que teneur décisive, essentielle, déterminante, avait remporté la victoire. Par conséquent, au niveau général de la théorie il s'agit dans tous les cas d'une attitude déterminée en tant qu'expression de rapports sociaux donnés (13) qui sont reflétés par le droit civil « sous la forme de rapports de sujets juridiquement autonomes des biens séparés » (14), alors que le droit pénal (comme somme actuelle des débats séculaires allant de la conception sensorielle-matérielle de l'objet juridique jusqu'à l'affirmation de la construction artificielle) (15) affirme que « l'objet protégé ... fait partie — en tant que partie détachée — du mécanisme compliqué des rapports sociaux dont la protection est un impératif prévu par le droit pénal » (16). On ne saurait sous-estimer la portée de cette prise de position, surtout si l'on pense qu'il existe une opinion dominante selon laquelle « la théorie marxiste du droit est finalement une théorie des rapports de droit » (17).

En guise de récapitulation nous pouvons avancer que les notions de « chose » en droit sont des catégories non-cognitives. Ce ne sont pas les reflets de la réalité,

( 1 2 ) Cf. p a r e x e m p l e l e s c o n s t a t a t i o n s f a i t e s e n c e s t e m p s p a r AGABKOV, ALEXANDROV, ALEXEYEV, DENISSOV, GENKINE, KETCHEKYAN, KERÍMOV, KOROLYEV, CHARGORODSKY, e t c .

( 1 3 ) SZABÔ ( I m r e ) , A szocialista jog, Le d r o i t s o c i a l i s t e , B u d a p e s t , K ô z g a z d a s â g i é s Jogi K ö n y v k i a d ö , 1 9 6 3 , p . 3 7 3 .

( 1 4 ) EÖRSI, Fundamental Problems of Socialist Civil Law, p. 1 6 .

( 1 5 ) Q u a n t à l e u r a p e r ç u cf. SCHULTHEisz ( E m i l ) , A jogtárgy, L ' o b j e t d u d r o i t , t i r é à p a r t d e s N o s 3A e t 5 - 6 d e Jog, V, 1 9 3 8 .

( 1 6 ) WIENER (A. I m r e ) , A hivatali bùntettek, L e s i n f r a c t i o n s p r o f e s s i o n n e l l e s , B u d a p e s t , K ô z g a z d a s â g i é s Jogi K ö n y v k i a d ö , 1 9 7 2 , p . 7 6 .

(17)SZ.ABÔ ( I m r e ) , Les fondements de la théorie du droit, B u d a p e s t , A k a d é m i a i K i a d ó , 1 9 7 3 , p . 3 1 .

mais des « constructions humaines artificielles » (18) ayant pour objet d'influen-cer la réalité par l'établissement de d'influen-certaines règles du jeu ainsi que par leur mise en valeur. Il s'agit des moyens purs de la technique juridique qui doivent eux-mêmes, selon Lukács, être examinés non pas gnoséologiquement, mais, comme instruments pratiques d'influence sociale, ontologiquement, dans l'accom-plissement de fonctions ayant elles-mêmes leur propre existence sociale. La question n'est donc pas de savoir si les « choses juridiques » sont de vraies abstractions à partir desquelles nous pouvons retourner, épistémologiquement, aux choses proprement dites, mais uniquement de savoir si elles sont des constructions adéquates pour faire fonctionner d'une façon satisfaisante le complexe social de la façon dont l'exige le complexe social global (19).

De ce que nous venons de dire s'ensuit que la conception de « chose » comme principe de structuration du raisonnement juridique ne saurait en soi être critiquée. Autre est la question de savoir si sur la base du principe méthodolo-gique dit du rasoir d'Occam — non est ponenda pluralitas sine necessitate (20) — il y a des tentatives de plus en plus affirmées de faire reculer cette construction comme expression non-adéquate, et de décrire les processus économiques et juridiques se déroulant en fait sans leur support. La réduction des principes d'explication rend plus aiguë la rationalité intérieure des développements et peut être d'un apport considérable dans une progression de la métaphysique vers la science, selon un processus continu et ininterrompu (comme on a pu le voir, par exemple, dans les discussions concernant la postulation d'une théorie autonome de la volonté dans la théorie socialiste du droit) (21).

Ce qui importe, c'est en tous cas de bien appréhender les notions de « choses juridiques » dans leur rôle d'ancilla, en ne les laissant pas devenir une vision autonome du monde, s'élever à la hauteur d'une catégorie cognitive, d'une expression idéologique qui un beau jour commence à nous maîtriser au lieu d'être maîtrisée par nous. C'est bien une telle situation qui est caractérisée par un jeune philosophe hongrois, faisant référence à l'analyse marxiste du fétichisme de la marchandise (22) : « A l'égard du fétichisme Marx examine comment dans le monde renversé sur sa tête — puisque les rapports sociaux ne sont pas simplement reflétés dans la conscience sous la forme de rapports réifiés, mais ils le deviennent dans le processus réel de la production des marchandises — les rapports existants apparaissent comme des évidences quotidiennes, c'est-à-dire que le fétichisme n'est pas tellement vu dans le renversement, mais plutôt dans le caractère naturel, éternel, évident de ce renversement. C'est ainsi que la

(18) KLAUS (Georg), Einführung in die formale Logik, B e r l i n , VEB D a u t s c h e r V e r l a g d e r W i s s e n s c h a f t e n , 1 9 5 8 , p . 7 2 .

(19) LUKÁCS, A társadalmi lét ontológiájáról, vol. II, p. 1 8 8 et s., 2 1 5 et sec., 4 6 6 etc. Q u a n t à s e s c o n s é q u e n c e s d a n s la t h é o r i e d u d r o i t cf. VARGA, La question de la rationalité formelle en droit, p. 2 2 6 et s.

(20) OCKHAM ( W i l l i a m ) , Sententiarum d. 2 7 q. 2 K.

(21) VARGA (Csaba), The Concept of Law in Lukács' Ontology, R e c h t s t h e o r i e , X, 1 9 7 9 , 3, p. 3 2 2 et s. •

(22) MARX (Karl), Le Capital, vol. I, P a r i s , E d i t i o n s Sociales, 1 9 7 6 , p. 6 8 et s.

conscience renversée du monde renversé, en tant que conscience adéquate, — car en fin de compte une attitude adéquate des producteurs de marchandises est simplement inconcevable sans la c o n s c i e n c e du fétichisme de la marchandise — assume sa fonction orientative qui est en m ê m e temps aussi protectrice du monde existant »(23).

- III. — OBJECTIVATION ET RÉIFICATION COMME PROPRIÉTÉS ESSENTIELLES DE LA VIE RÉELLE DU DROIT

L'examen des notions d'objectivation et de réification est inconcevable sans éclaircir la notion de l'aliénation, ainsi que leurs rapports mutuels. Or, nous nous heurtons ici immédiatement à une difficulté. L'aliénation est une notion fonda-mentale dans la conception de la science sociale marxiste. Cette notion, cependant, n'occupe le centre de l'intérêt de Marx que dans les écrits précoces comme les Manuscrits de 1844 et les Fondements de la Critique de l'Economie Politique. Marx reprendra ce thème dans des œ u v r e s ultérieures — ainsi, d'une manière particulièrement précise, dans le Capital, au chapitre premier, dans la partie traitant du travail aliéné — mais l'accent, voire la description des notions, et même en partie, la terminologie subiront des modifications, parallèlement avec le déploiement de son œuvre. Par ailleurs, les deux œ u v r e s de Marx m e n t i o n n é e s plus haut, ne furent éditées qu'en 1932 et 1 9 3 9 ; par conséquent l'étude de Lukács,

L'examen des notions d'objectivation et de réification est inconcevable sans éclaircir la notion de l'aliénation, ainsi que leurs rapports mutuels. Or, nous nous heurtons ici immédiatement à une difficulté. L'aliénation est une notion fonda-mentale dans la conception de la science sociale marxiste. Cette notion, cependant, n'occupe le centre de l'intérêt de Marx que dans les écrits précoces comme les Manuscrits de 1844 et les Fondements de la Critique de l'Economie Politique. Marx reprendra ce thème dans des œ u v r e s ultérieures — ainsi, d'une manière particulièrement précise, dans le Capital, au chapitre premier, dans la partie traitant du travail aliéné — mais l'accent, voire la description des notions, et même en partie, la terminologie subiront des modifications, parallèlement avec le déploiement de son œuvre. Par ailleurs, les deux œ u v r e s de Marx m e n t i o n n é e s plus haut, ne furent éditées qu'en 1932 et 1 9 3 9 ; par conséquent l'étude de Lukács,