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Lectures et champs d’interprétation de Solibo Magnifique

VERS UNE ANALYTIQUE IDENTITAIRE

1. Différences et translations

2.3. Lectures et champs d’interprétation de Solibo Magnifique

«Il ne s’agissait pas de comprendre le dit, mais de s’ouvrir au dire, s’y laisser emporter…»

(Solibo Magnifique)

La lecture de l’univers textuel implique la capacité de reconnaître et d’intégrer des dimensions et leurs relations dans un système de plusieurs niveaux392. Tel est le cas du réseau intra- et supratextuel de Solibo Magnifique. La lecture compréhensive s’anime et réduit la distance qui vient de la triple réalité (fragmentaire, pourtant complète et entière) de l’auteur-lecteur-personnages. Le lecteur se fond dans la cellule personnelle et universelle de l’auteur. De cette manière, le lecteur sert de médiateur dans le tissu en morceaux de la texto-réalité horizontale et verticale.

2.3.1. L’analyse de l’univers Solibo

L’univers solibotique se construit de l’omniprésence et de la combinaison des facteurs temporels. Le temps narratif-artificiel de l’introduction est le temps dans lequel le personnage, le monde, la signification et l’importance de Solibo sont (re)construits. La recherche dans la mémoire personnelle se transforme en recherche collective qui est effectuée dans une dimension suprapersonnelle.

C’est une dimension qui nous entoure. Tout au long de la quête d’un personnage et d’une communauté, il s’agit de réécrire le passé selon les lectures individuelles. Même en tant qu’individu, chaque être humain a un segment solibotique. C’est le segment qui imprègne la cellule personnelle de chacun des personnages qui – plus ou moins consciemment – vivent et agissent en tant qu’habitants de cet univers.

Dans une lecture plus étendue, le monde solibotique incarne un héritage commun. Les recherches internes du marqueur de paroles éclairent la vraie nature de l’existence du Maître de la parole. La non-présence et la présence cadavrique sont donc justifiées, même nécessaires pour illustrer et démontrer l’existence abstraite du personnage de Solibo qui est une idée, une notion abstraite, un sentiment collectif, une appartenance. Chaque être de la réalité globale et du monde auto-ethnographique vit dans une partie réduite de l’univers Solibo. On commence à deviner la vie et la nature abstraites et

392 RICHARD, Jean-Pierre, Microlectures, Seuil, 1979, p. 7-12.

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mystérieuses de Solibo au moment où il est « brusquement amputé de son animation, de son existence393 ». Sa présence sensible ne cesse pas d’exister à ce point, au contraire, c’est le commencement de la véritable existence. Sa mort est une transformation implicite en réalité. Dès cet événement – présenté sous un jour tragique – ce mosaïque de souvenirs, de réflexions et d’émotions devient la seule réalité qui tire les ficelles et qui incite à sa propre découverte.

Par cette mort, Solibo entre dans la sphère des notions, il dépasse les cadres de l’existence humaine et devient le centre et la direction de la circulation du Tout. Malgré son absence, il est omniprésent. Son non-mouvement394 devient vibration continuelle et même lors de sa non-vie cadavrique il continue à exister dans l’activité du dit et de la parole vivante. Par l’intermédiaire de cette ouverture vers une lecture plus large, une (re)lecture de l’Autre et de l’Ailleurs, on entre dans l’utopie d’une « Totalité-monde »395, dans un discours sur les personnages et leur réinterprétation, dans l’inter-échange de l’univers glissantien. Les personnages sont représentés en tant que mondes entiers et uniques. La conduite de l’action donne l’horizontalité396, le tissu de connection entre les points juxtaposés de la microstructure. La description des personnages s’anime et entre dans l’univers individuel en être animé, comme tissu organique constituant la réalité personnelle397.

La subordination des événements de la vie des personnages, la chronologie individuelle constitue la dimension verticale.

393 RICHARD, Jean-Pierre, op. cit., p. 32.

394 Ibid., p. 31.

395 BÉLUGUE, Geneviève, « Du lieu incontournable à la relation », CHEVRIER, Jacques (dir.), Poétiques d’Édouard Glissant, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 43-55. (p. 43. pour la notion citée)

396 RICHARD, Jean-Pierre, op. cit., p. 13-25.

397 Ibid., p. 25-43.

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Ces extra-dimensions des monohistoires (marquées par ) sont liées à l’horizontal (à l’univers collectif) qui intériorise et intègre ces corps textuels réduits. L’intégration des rapports du dedans-dehors et ceux des paysages internes et externes (textuels et réels) s’inscrit dans la démarche glisantienne398.

2.3.2. Temporalité

Solibo Magnifique est une oeuvre de style atemporel399 marquée par l’attitude ethnographique d’un « chroniqueur ». L’espace des souvenirs et celui de l’action sont rapprochés par la dimension verticale (histoires individuelles). On peut constater la primauté du logique sur le chronologique400. Il s’agit donc de l’élargissement de plus en plus considérable de l’univers textuel en intégrant des parties de l’espace du passé.

À titre d’exemple, prenons le début de la partie « Avant la parole ». Les documents du procès-verbal témoignent d’une mort antérieure au temps du récit. Le lecteur s’installe dans un temps contemplatif qui se situe entre le dedans et le dehors de l’univers Solibo. C’est le temps de l’introduction, des réflexions et des souvenirs.

398 BERNABÉ, Jean et CONFIANT, Raphaël, « Eloge du défricheur de paysage », CHEVRIER, Jacques (dir.), Poétiques d’Édouard Glissant, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 15-17.

399 BARTHES, Roland, « Analyse structurale des récits », BARTHES, Roland et al., Poétique du Récit, Paris, Seuil, 1977, p. 1-27. (ici p. 26.)

400 Idem.

l’horizontalité (conduite de l’action)

(histoires individuelles qui se détachent de la conduite centrale et la rejoignent à divers points de l’action principale)

table schématique des rapports de la chronologie individuelle et de la conduite de l’action

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Les documents policiers racontent les mesures prises après la découverte du cadavre. Ces documents sont écrits en style indirect qui est pourtant directe et impersonnelle. En utilisant le présent, on fait allusion à un passé postérieur à la mort. Dans la première partie de la Parole401, un narrateur inconnu et indéfini adresse ses paroles à un auditoire indéfini dans un temps indéfini. En donnant des points de référence collective, on se trouve dans une période indéfinie de l’histoire personnelle de Solibo. L’injustice et l’humiliation emportées par la présence et l’enquête policières sont dépeintes dans le champ du passé. En élargissant le contexte jusqu’à l’Antillanité402, le narrateur se plonge dans la description d’un Vénéré. L’importance primordiale du rôle ethnographique est soulignée en incluant (et de cette manière conservant) les coutumes de la Guadeloupe. Le temps de cette mise en contexte est un temps général, atemporel. Dans la phrase suivante, le narrateur revient aux policiers et le paragraphe suivant nous réinstalle dans la foule carnavalesque de la fatale soirée.

401 CHAMOISEAU, Patrick, Solibo Magnifique, Paris, Gallimard, p. 23-227.

402 La quête de l’identité antillaise et la volonté de reconstituer cette identité ouverte et plurielle à travers une révalorisation de l’histoire, de l’héritage et de la langue. Cf. DESSE, Michel, Les îles de la Caraïbe : Enjeux et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 87-98.

mesures policières

mort de Solibo

narrateur

vie de Solibo

atemporalité ethnographique

enquête

policière enquête

policière

carnaval avant la mort

espacedupassé

espace du présent

antillanité

passé antérieur à la mort temps contemplatif de l’introduction

passé postérieur à la mort présent, temps du narrateur table schématique du réseau temporel

113 2.3.3. L’auteur dehors et dedans

L’auteur exprime (par le narrateur) un Je qui lui est extérieur et intérieur en même temps. L’identification de l’auteur au marqueur de paroles n’est pas totale403, on ne peut pas parler d’une correspondance parfaite404. Le marqueur de paroles assure la semi-présence de l’auteur. En incarnant une zone significative de l’histoire personnelle chamoiseautique, il devient coauteur interne.

Le Ti-Cham du roman est la manifestation d’un second moi405 de l’auteur qui est quand même observé d’une distance implicite, inconnue, mystérieuse et indéfinie. C’est une distance temporelle, intellectuelle et psychologique entre l’auteur semi-explicite qui regarde son moi éloigné de son existence réelle et actuelle. La fonction ethnographique devient donc multiple. Le rôle ethnographique du marqueur de paroles – intérieur à la communauté – semble être complet en conservant un univers marqué par le personnage référentiel406 du Maître de la parole. Le marqueur de paroles est donc l’ethnographe explicite. En donnant de minutieuses descriptions et en dépeignant une surabondance de détails407, un ethnographe implicite voit (aussi) le jour entre le

403 KAYSER, Wolfgang, « Qui raconte le roman? », BARTHES, Roland et al., Poétique du Récit, Paris, Seuil, 1977, p. 59-84.

404 BOOTH, Wayne C, « Distance et point de vue », BARTHES, Roland et al., Poétique du Récit, Paris, Seuil, 1977, p. 85-113.

405 Idem.

406 HAMON, Philippe, « Pour un statut sémiologique du personnage », BARTHES, Roland et al., Poétique du Récit, Paris, Seuil, 1977, p. 115-180.

407 GOLDENSTEIN, Jean-Pierre, Lire le roman, Bruxelles, De Boeck, 1999, p. 16.

ethnographe II – marqueur de paroles personnages

Solibo

ethnographe I – Patrick Chamoiseau