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DE SICAMBRIA A SANS-SOUCI

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DE SICAMBRIA A SANS-SOUCI

HISTOIRES ET LÉGENDES FRANCO-HONGROISES

PA R

ALEXANDRE ECKHARDT

professeur de langue et de littérature françaises à fa Faculté des Lettres de l’ Université

de Budapestéi

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DE SICAMBRIA A SANS-SOUCI

HISTOIRES ET LÉGENDES FF ANCO-HONGROISES

(5)

BIBLIOTHÈQUE

DE LA

REVUE D ’HISTOIRE COMPARÉE

II

EDITEE PAR L’IN STITU T PAUL TELEK I, BUDAPEST E T P A R L’I N S T I T U T H O N G R O I S D E P A R I S

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DE SICAMBRIA A SANS-SOUCI

HISTOIRES ET LÉGENDES FRANCO-HONGROISES

PAR

ALEXANDRE ECKHARDT

professeur de langue et de littérature françaises à la Faculté des Lettres de l’ U niversité

de Budapest

I

LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

49, Boulevard Saint-Michel, Paris (5e) '943

MTAK

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284020

ttW Y A ft TUDOMÁNYOS A P ttD & fl*

KŐÍöVrÁKA

publiés dans la Bibliothèque de la Revue d ’ H istoire Com parée représentent pas nécessairem ent l’ opinion de la rédaction

Responsable pour l’ éd ition : C. Benda 9 9 .7 2 9 Im prim erie de la S. A . H ornyánszky, Budapest

R esponsable pour l’ Im prim erie: E . E Bocskói

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INTRODUCTION

Le lecteur français trouvera dans ce volum e une série d ’études, produit de mes recherches sur des problèmes très variés.

Néanmoins, un fil relie solidem ent ces morceaux en apparence hétérogènes: l’ardente curiosité qui m ’attire vers tout ce qui rattache le pays hongrois à la France, au passé français. Légendes savantes, croyances populaires, livres et études m anifestant à la fois l’attrait exercé par ce pays lointain sur l’imagination française et l’adhésion millénaire des Hongrois à la culture française, voilà ce que je présente ici au public français qui vient d ’accueillir avec tant de bienveillance mon étude sur Le Génie Français, dont la conclusion pourrait être aussi celle de ce volum e.

En effet, si la Hongrie paraît avoir occupé d ’une manière assez suivie la curiosité des Français, la culture française m e semble avoir toujours été l’antidote infaillible d ’infiltrations intellectuelles plus rapprochées, dont l’importance historique est incontestable pour la Hongrie, m ais dont le volum e par trop imposant n ’a pas été sans danger pour l’autonomie de son caractère national.

Certaines de ces études sont connues de ceux qui ont suivi avec intérêt l’effort que j ’ai déployé dans les colonnes de diverses revues — surtout dans la Revue des Études Hon-

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A V A N T -P R O PO S

groises — pour faire connaître au monde savant français les résultats des recherches érudites hongroises. Cependant, m êm e ces travaux reparaissent ici sous une form e quelque­

fois assez considérablement remaniée. Dans plusieurs de ces études j’ai essayé de résoudre des problèm es concernant l'histoire de la conscience nationale des Français et je me flatte d 'y arriver quelquefois à des conclusions qui pourront intéresser d’assez près l’historien de la littérature médiévale et classique (Les jam bes du roi de Hongrie, Les Hongrois- Sarrasins dans la Chanson de Roland, Un ouvrage inédit de La Bruyère etc.).

B u d a p e s t, le 2 8 j u i ll e t 1 9 4 3 A. E .

ÍG

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I

SICAMBRIA

CAPITALE LÉGENDAIRE DES FRANÇAIS EN HONGRIE*

1

Si le touriste français qui visite le plus ancien qu artier de la capitale hongroise, appelé Ô-Buda (Vieux-Bude), dé­

passe les dernières m aisons qui longent la route de Vienne, et suit le ruisseau qui verse dans le Danube l’eau chaude des sources thermales romaines, il débouchera sur un cham p parsem é de maisons et de temples en ruines.

Il se trouve alors à Aquincum ou Acuicum, une des princi­

pales stations des légions romaines de Pannonie. Des fouil­

les récentes ont montré que la ville romaine s’étendait au-dessous même de Ô-Buda: en effet, au cours des travaux de démolition, un second am phithéâtre et une église des premiers chrétiens (c e lh trichora) ont été mis au jour dans cette banlieue de la vieille capitale.

Le touriste d ’a u jo u rd ’hui ignore que pendant des siècles c’était là que ses aïeux, les Français, ainsi que les Hongrois du moyen âge, plaçaient l’habitation des ancê­

tres légendaires des Français, venus de Troie.

* Un extrait de cette étude a été lu par l'auteur devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, à Paris, en séance du 17 juin 1927.

Depuis sa première publication dans la Revue des Études Hongroises (1928; VI, 166) M. Edmond Farai a consacré une analyse très détaillée à la genèse de la légende trojenne des Francs (La légende arthurienne, 1929; I, 262); néanmoins, je n'ai pas cru devoir modifier mon analyse du Liber H istóriáé Francorum. d’autant moins <jue les conclusions de M. Farai s’accordent avec elle en substance et même sur un certain nombre de détails.

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SICA M BRIA

En effet, au cours des invasions b a rb a re s A quincum avait sombré dans le flot des divers peuples qui avaient inondé la P an non ie et qui effacèren t ju sq u ’au souvenir de son nom. Mais les maisons, les rues, les m urs, l'am p h i­

théâtre étaient restés là, et pour les Hongrois qui s’éta­

blirent en Pannonie au IXe siècle, c’était u n e énigm e que cette ville en ruines, dont à cette époque les m urs étaient, sans doute, beaucoup m ieux conservés q u ’à p résen t, lis crurent que c’était là la résidence du Fléau de D ;eu, Attila, roi des Huns, que les Hongrois, d ’après u n e tradition q u ’ils sem blent avoir app ortée de leu r ancienne p a trie de l ’Oural, considéraient com m e le prem ier et le plus illustre des rois de Hongrie; ausisi, d’accord avec les colons étrangers, pour la plupart allemands, qui de bonne heu re vinrent s’établir au milieu des m urs incendiés, donnèrent-ils à ces ruines le nom d’Urbs Attiláé, Etzelburg, ville d’Attila.

Cependant, à p a rtir du XIIIe siècle, u n a u tre nom surgit à côté de l’ancien: Sicambria, c’est du m oins ainsi que le tabellion chro niqueu r du roi Ladislas IV appelle Ô-Buda.

où selon les chroniqueurs plus anciens Attila a u ra it établi son siège, sans nous dire d’ailleurs où il venait de pêcher ce nom.

Quel est ce nom singulier qui n ’a apparem m ent rien de hongrois? Les historiens le savent fo rt bien: Sicambria est le nom d’une ville imaginaire inventée au moyen âge pour expliquer une étape de la m igration des Francs depuis la prise de Troie d’où les F ran cs et plus tard les Français prétendaient tirer leur origine.

La légende de l’origine troyenne des F ra n c s a déjà toute une littérature. La curiosité du m onde sa v an t s’explique fort bien si l’on considère que ce récit légendaire présente une importance exceptionnelle pour l'histoire de la con­

science historique médiévale des F ran çais; le m oyen âge y croyait fermement et l’on sait que des poètes comm e Jean Lem aire de Belges et Ronsard l’o n t utilisé dans leurs œuvres, dont l’une était très am bitieusem ent destinée à

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SIC A M BR IA

servir d ’histoire nationale aux Français, l’autre à devenir leur grande épopée, leur Énéide.

Ce n ’est pas l’ensemble du problème de l'origine troyenne des Francs qui cous occupe ici, — ;1 paraît en effet suffisam ment élucidé, — c’est seulement une partie de cette légende, celle du séjour de Sicambria, qui nous sem ­ ble appeler encore une analyse, m algré plusieurs tentatives d’explication.

L ’histoire de Sicam bria ne figure pas encore dans la célèbre chronique du Pseudo-Frédégaire où l’on trouve la prem ière m ention de l’origine troyenne des Francs. Elle n'apparaît que dans les Gesta Regum Francorum, appelés aussi depuis l’édition de Krusch: Liber Históriáé Franco­

rum .1 Cette histoire, œ uvre d ’un m oine neustrien inconnu, fut écrite en 727, peu après la chronique du Pseudo-Fré- dégaire.2 L’auteur raconte d ’abord que le roi Énée avait régné dans Ilium et qu’après la p rise de Troie il s’enfuit en Italie où il fonda un nouveau royaum e:

„D’autres princes, à savoir P riam et Anténor avec le reste de l’arm ée troyenne, douze mille hommes, m ontè­

rent à bord des navires, partirent et vinrent jusqu’aux rives du fleuve Tanaïs. E ntrés à bord des navires dans les palus Méotides ils atteignirent les frontières des Panno- nies, près des palus Méotides et se m irent à construire une ville q u ’ils appelèrent, pour étern iser leu r souvenir, Si­

cam bria; et ils y dem eurèrent p en dan t bien des années et leur nom bre augmenta si bien qu’ils form èrent une grande nation. (Chap. II) A cette époque le peuple dépravé et m échant des Alains se rebella contre Valentinien, em pe­

reur des Rom ains et des nations. Alors celui-ci m it sur pied

1 Mon. Germ. Hist. SS. Rer. Merov. t. II, p. 215. Sur la Chronique du Pseudo-Frédégaire éditée dans le même volume et par Monod, (Bibl.

Êc. H autes-Etudes, t. LXIII, p. 84), cf. Krusch, Neues Archív, d. Ces. f.

ölt. d. Gesch. VII, Halphen, Rcv. Hist. LXXIX (1902), et Baudot, La question du Pseudo-Frédégaire p. 129 (Le Moyen Age 1928) etc. Cf.

Farai, op. cité t. I, p. 273.

' Cf. Krusch, éd. citée, p. 2,17.

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SICAM BR1A

une grande arm ée et m archa co ntre eux, leu r livra b a­

taille, les défit et les vainquit. Les vaincus s’enfuirent sur le Danube et s ’engagèrent dans les Palus Méotides.

Alors l’empereur dit: „Quiconque entrera dans ces m arais et en jettera dehors ce peuple dépravé, je l’acquitterai pour dix ans de ses contributions.14 Alors les Troyens rassemblés inventèrent u n piège, car ils étaient experts en cette matière, et ayant pénétré dams les Palus Méot’des ils jetèrent dehors les Alains et les passèrent par les armes.

Alors l ’em pereur V alentinien les appela Francs dans sa langue attique, c’est-à-dire féroces, à cause de la dureté ou de l’audace de leur cœur. (Chap. III) Les dix ans écou­

lés, l’em pereur m entionné ci-dessus envoya des exacteurs avec le prem ier p rin ce du sénat rom ain pou r percevoir les contributions usuelles chez le peuple franc. Ceux-ci pou r­

tant, comme ils étaient cruels et incléments, écoutèrent un conseil néfaste et se dirent entre eux: „L ’em pereur avec toute son arm ée n ’a pu faire sortir les Alains, ce peuple fort et rebelle, des recoins de leurs m arais; et nous, qui les avons vaincus, pourquoi lui paverions-nous un im pôt?

Levons-nous contre le P rim arius et ces exacteurs et tuons les et ôtons-leur tout ce qu ’ils ont su r eux et ne donnons point de contributions aux Romains et nous serons libres à jam ais.“ Ainsi ayant préparé leur piège ils tuèrent ceux- là. (Chap. IV) L ’em pereu r ayant entendu cela, p a rtit d’une fureur et d ’une colère immenses, et leva l’arm ée des Rom ains et des autres peuples avec Arestarcus, chef de l’arm ée et ils dirigèrent l ’armée contre les Francs. E l en effet il y eut là un grand m assacre parm i les deux peuples. Or les F rancs, voyant qu’ils ne pouvaient résister à une telle arm ée, s’e n ­ fuirent, tués et défaits (!); et même le très vaillant Priam y tomba. Ceux-ci alors, sortis de Sicam bria, vinrent dans les parties les plus lointaines du fleuve appelé le R hin..."1

1 Alii quoque ex principibus, Priamus videlicet et Antenor, cum reliquo exercitu Troianorum duodecim milia intrantes in navibux, abscesserunt et vénérant usque ripas Tanais fluminis. Ingressi Meoli-

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SIC A M BR IA

L ’a u tre source médiévale dans laquelle on rencon tre le nom de la ville de Sicambria rapporté une histoire a n a ­ logue dans le fond, m ais très différente dans les détails.

Cette source est la fantastique Cosmographie d’Ethicus,1 compilation romanesque du VIIIe ou du IXe siècle.

Celui-ci raconte que Romulus avait d’abord dévasté l’Europe et de là en paissant en As'e Mineure défit une deuxième fois les Troyens là où les descendants de la pr o ­ das paludes navigantes, pervenerunt intra lerminos Paimoniarum iuxta Meotidas paludes et cœperunt aedificare eivitatem ob memoriale eorum appellaveruntque eam Sicambriam; habitaveruntque illic annis m ultis creveruntque in gentem magnam. (C. 2). Eo itidem tempore gens Alanorum prava ac pessima rebellaverunt centra Valentinianum im- peratorem Romanorum ac gentium. Tune ille exercitum movit hostem magnam de Roma, contra eos perrexit, pugnam iniit superavitque eos atque devicit. Illi itaque caesi super Danubium fluvium, fugierunt et intraverunt in Maeotidas paludes. Dixit autem imperator: ‘Quicumque potuerit introire in paludes istas et gentem istam pravam eicerit, concedam eis tributa donaria annis decim. Tune congregati Troiani, fecerunt insidias, sicut erant edocti ac cogniti, et ingressi in Meotidas paludes cum alio populo Romanorum, eiceruntque inde Alános per- cusseruntque eos in ore gladii. Tune appellavit eos Valentinianus imperator Francos Attica lingua, hoc est feros, a duritia vel audacia cordis eorum. (C. 3). Igitur per transactos decim annos misit memo- ratus imperator exactores una cum Primario duce de Romano senatu, ut darent consueta tributa de populo Francorum. Illi quoque, sicut erant crudeles et inmanissimi, consilio inutile accepto, dixerunt ad invicem: ‘ Imperator cum exercitu Romano non potuit eicere Alános de latibulis paludarum, gentem fortém ac rebellem; nos autem qui eos superavimus, quur solvimus tributa? Consurgamus igitur contra Primarium hune vel exactoribus istis percutiamusque eos et auferamus cuncta quae secum ihabent et non demus Romanis tributa et erimus nos iugiter liberi’. Insidiis verő praeparatis, interficerunt eos. (C. 4).

Audiens haec imperator, in furore et ira nimis succensus, praecepit hostem commovere Romanorum et aliarum gentium cum Arestarco principem militiae, direxeruntque aeiem contra Francos. Fuit autem ibi strages magna de uterque populo. Videntes enim Franci, quod tantum exercitum sustinere non possint, interfecti ac caesi, fugierunt;

ceciditque ibi Priamus eorum fortissimus. Illi quoque egressi a Sicambria, venerunt in extremis partibus Reni fluminis . . .

1 Cosmographia Aeilùci lstrici ab H ieronym o e graeco in lat. bre-

vinrium redneta, ed. Henr. Wuttke, Lipsiae 18Ő3.

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miére grande dynastie avaient fondé u n nouvel É tat. Ceux- ci alors s’allièrent aux Albanais (Albani) et su b irent dans les montagnes d ’Istrie (Balkans) une seconde défaite. Les Albanais ren trère n t dans leu r pays, m ais F ra n cu s et Vas- sus, rois des Troyens, qu ittèren t le u r pays dévasté p a r les Romains et p én étrèrent en Rhétie et de là en G erm anie où ils construisirent la ville de Sicambria. (Chap. 102— 103).

Parm i les critiques de ce texte, il n ’y a guère, en dehors de son crédule éditeur, que Théodore B :rt qui le considère comme antérieur au récit des Gesta Regum Francorum.

Krusch, éditeur de la Gesta, a dém ontré au m oyen de pas- sagas parallèles q u ’Ethicus a connu et utilisé les Gesta}

Du reste, po u r n o tre problèm e la q uestion de p rio rité n ’a qu’une im portance secondaire, car le moyen âge, quoi­

qu’il connût fort bien la Cosmographie d’Ethicus, ne l’uti­

lisa jam ais lo rsq u’il s’agissait de l ’h isto ire des F ran cs.

Nous ne connaissons qu’un seul texte médiéval dont l’au­

teur se soit efforcé d’accorder les deux récits, mais cette tentative ne fit point école.2

P ou r la genèse de la trad itio n m édiévale nous devons plutôt rappeler la Chronique du Piseudo-Frédégaire dont deux parties, le Hieronijmi Scarpsum et le Gregorii Scarp- sum racontèrent d ’abord l’histoire d e l’exode troyen et dont les récits furent mêlés pendant le moyen âge à celui des Gesta F ra n co ru m3 Le H ieronym i Scarpsum qui est certainement le plus ancien, rapporte que les Troyens exilés se divisent en deux groupes dont l’un form e le peuple fo r­

midable des Macédons, l’autre, venant de Phrvgie, élit un roi nommé Francio qui donne son nom à son peuple nommé à partir de là: Francs. Ce F rancion parcou rt toute l’Europe, défait tous ses ennemis, établit finalem ent entre v;

1 Éd. citée, p. 220.

! C’est un manuscrit de Bonn intitulé Origo Francorum publié par Heffter dans Rhein. Mus. f. Jurispruil. t. I, p. 162.

3 Edition de Krasch, Mon Germ. Hist. SS. Rer. M erov. II, 45 ss. et Monod, La com pilation dite de Frédégaire, Bibl. de l’Ec. des Hautes- Études, 1885, t. LXIII, p. 84 ss.

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SIC A M BR IA

„le Rhin ou le Danube et la m er“ son peuple qui y pros­

père ju sq u ’au temps du consul Pompée. Celui-ci enfin le soumet au pouvoir romain.

Un troisièm e groupe des Troyens devint les a n cêtres des Turcs1 Ce groupe s’était détaché de celui de F r a n ­ cion à l’époque où les Francs troyens vagabondaient sur les rives du D anube en tre l’Océan et la T hrace. Ce groupe élut aussi u n roi appelé T orquotus qui donna son nom au peuple turc.

L ’autre chronique faisant p artie de la Chronique du Pseudo-Frédégaire, le Gregorii Scarpsum , attribué fausse­

ment à Grégoire de Tours, renvoie elle-même au Hie- romjmi Scarpsum et n ’est en effet q u ’un extrait de celui-ci.

Elle raconte l’exode des Troyens de la même façon et appelle le roi des Turcs Torcoth au lieu de Torquotus.

Voilà les textes qui furent compilés par tous les ch ro ­ niqueurs et annalistes du moyen âge relatant les origines troyennes du peuple français. L a légende sicam brienne des Gesta fu t combinée avec l’histoire de Francion racon­

tée par le Pseudo-Frédégaire et ainsi le séjour de P a n n o ­ nie figure chez presque tous les auteurs comme une étape importante de l’histoire des Français depuis l’exil de Troie.

Comment ces récits légendaires sont-ils nés? Les c riti­

ques qui se sont occupés de la légende de l’origine troy- enne des Francs ont élucidé suffisamment ces problè­

mes. Seul celui du séjour de Pannonie appelle une -mise au point. Nous croyons en effet pouvoir expliquer la ge­

nèse de tous les détails de ce récit si im p ortan t p o u r la conscience historique des Français et po u r l’histoire légen­

daire de la Hongrie, qui s’y est rattachée avec le tem ps.2

1 „Tercia ex eadem origine gentem Torcorum fuisse fama con­

firmât". C. VI. Cf. m on étude dans Körösi Csoma-Archivum 1932, pp. 422— 4Í33, La légende de Vorigine troyenne des Turcs.

2 Wilmans ( B eitr. z. Gesch. d. ait. d. Lit. Heft 2. Bonn 1886) con­

sidère ce récit comme un conte bleu inventé à plaisir par l’auteur des Gesta Francorum . Krusch ne reconnaît dans les Gesta que l’influence d’une seule source, la chronique de Grégoire de Tours. Il conteste

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SIC A M B R IA

T out d ’abord il sera utile de p ren d re en m ain une carte de l ’Europe, telle que le m oyen âge en fab riq u ait en dé­

form ant l’excellente carte de Ptolémée. Que l’on consulte p a r exemple la m appem onde du Ve siècle d ’Orose recons­

truite p ar Miller ou la m appem onde réellement existante du Père Béat, à peine plus jeune que les Gesta Regum F rancom m 1 et Ton verra que la géographie fantastique des Gesta s’explique par les idées géographiques du m oyen âge.

Les pays que le récit des Gesta fait traverser aux Francs- Troyens sont tous voisins. Les Paludes M eotidis qui se trouvent à la porte de l’Europe, sont situés en ligne droite opposée au Bosphore. On y trouve le Tanaïs, seul fleuve de la Scythie m arqué su r les cartes et se jetant dans les Paludes Meotidis. A l’Est de ce fleuve h abitent les Albanais d ’Albanie jusqu’au Caucase, à l’Ouest les. Alains d ’Alanie.

Ces deux peuples sont d ’ailleurs souvent confondus p a r les auteurs du moyen âge. L ’Alanie est voisine de la Pannonie su r la ligne du D anube et ainsi les Fnancs-Troyens établis dans Sicam bria que le n arrateu r place aux confins de la P a n ­ nonie et où ils arrivent à travers les Paludes Meot’dis, peu­

vent facilement venir au secours des Rom ains poursuivant les Alains qui fuient p a r le Danube vers le Méotis.

Q uant aux sources littéraires, le récit des Gesta semble la combinaison hardie d ’un auteur qui a lu plusieurs ouvra­

ges historiques et qui a voulu en accorder les données diverses pour obtenir une histoire continue des Francs depuis l’exil de Troie.

Les noms de P riam et d'A nténor ainsi que le récit des événements de Troie ont été tirés d’un ex trait quelconque

même que la chronique du Pseudo-Frédégaire ait été connue de l’auteur. H préfère rapporter ces récits fabuleux à des cantiques popu­

laires Il n’y a guère que Dippe qui se soit donné la peine (P rogram m des Gymn. Mathias Claudius zu W andsbek XXIII, 1895-96) d’expliquer la formation de ce récit. Mais comme sa thèse nous semble insuffi­

sante, nous allons essayer de refaire son travail d’analyse.

1 Toutes deux ont été publiées par Miller, M appaem undi, VI. 1. :î Stuttgart, 1898 et I. Die W ehkarte des Beatus, Stuttgart, 1895.

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Détail de la mappemonde de S‘ Béat, (après 777) (Miller, M appemundi, I)

On y voit la Pannonie voisinant l’Alanie sur l'embouchure du Danube

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SIC A M BR IA

de l'Enéide. L ’histoire d'Enée est le modèle auquel se r a p ­ portent toutes ces légendes sur l’origine troyenne des Francs.1

Le nom de Sicumbria se ram ène incontestablement au nom d une tribu franque, les Sugambri2 que les auteurs romains appellent aussi Sycambri et Sicambri. Cette peu­

plade fut anéantie en 8 av. J.-Chr. p ar les légions de Drusus et les restes de la tribu furent établis en Gaule. A partir du IVe siècle les Sicambres disparaissent de la scène de l’histoire universelle, mais leur nom survit dans le nom d ’une légion: cohors sicambrorum d ’une part, d ’autre p art il devient le synonym e poétique et archaïque du nom des Francs.3 Parm i les nom breux exemples nous ne citerons que le fam eux passage de Grégoire de Tours4 qui rapporte que saint Rémi; baptista en 496 Clov’s avec ces paroles: „Mitis depone colla Sicamber; adora quod incenditsti, incende quod adorasti.115

Or étant donnée la priorité chronologique des Sycam- bres, l’auteur des Gesta imagina que le peuple franc dont l’origine troyenne était une croyance fermement établie, avait dû passer p a r une période pour ainsi dire sicambri- enne. L’auteur supposa que les Francs portèrent jadis ce nom et il im agina la construction d’une capitale appelée Sicambria: ob memoriale eorum. C’est là une simple lé­

gende étymologique telle que les aim ait l ’érudition de cette époque. Qu’on se rappelle seulem ent les étymologies d’Isidore de Séville, cette source inépuisable du moyen âgel Ainsi que Rome fut fondée par Romulus et les Romains, de même une Sicam bria dut exister à l’époque où les

1 Cf. Zarncke, Ueber die sog. Trojanersage dér Frankén, Berichle iib. die Verh. d. Kön. sâohs. Ges. d. W issensch. zu Leipzig 1866, XVIII, p. 257.

2 Cf. Much, Deutsche Stam meskunde, 1900 et Bremer, E thno­

graphie der germ . Stâm me, 1900, p. 150.

3 Cf. Müllenhof. Zsch. f. d. Altertum, t. XXIII, p. 35 (1879) et Théod.

Birt, Rhein, Mus. f. Phil., n. F., t. LI, p. 506 (1896).

4 Hist. Franc, t. II, p. 31.

5 Cf. K; L. Roth, Th. Birt et Müllenhof, op. cit.

19 2*

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SICA M BRJA

Francs portaient encore le nom de Sicam briens, se disait l’auteur des Gesta.

Mais pourquoi l’auteur a-t-il placé les Francs-Troyens en Pannonie? Les critiq ues de la légende ont déjà reconnu là l’influence de Grégoire de T ours qui dit en parlant des F rancs: „T rad u n t m ulti eosdem de P an n ó n ia fuisse digres- sos et prim um quidem litto ra R heni am nis incoluisse“

(II, 9). Grégoire pense peut-être ici à Ju stin qui raconte que les Gaulois (XXIV, 4) que le m oyen âge identifiait volontiers avec les F ran cs, ay ant tra v e rsé les golfes illyri­

ques (l’Adriatique) pénétrèrent en Pannonie, battirent les habitants de cette province et s’y é ta b lire n t en faisant des randonnées chez to u s leurs voisins qui trem blaient à leur approche.1

Cependant la source prin cip ale de toute cette histoire a dû être Sidoine Apollinaire, cet au teu r gaulois si bien connu au m oyen âge. Déjà Dippe a cité un passage de ses lettres (Epist. 4, I) qui peut être le point de départ de la légende savante:

„ . . . quae si quis deportaret philosophaturus aut ad paludicolas Sygam bros aut ad Cancasiqenas Halanos aut ad equim ulgas Gelonos, bestialium rigidarum que nationum corda cornea fibraeque glaciales .. . em ollirentur . . .“

Cette p h rase est en effet im portante, c a r elle qualifie les Sycam bres d ’h a b ita n ts de m arais. Il est assez facile de croire que l'au te u r des Gesta cherchait ces paludes non pas aux bouches du Rhin, auxquelles pensait Sidoine Apol­

linaire en écrivant ce passage, mais dans le Meot's qui pour le moyen âge était le m arais p a r excellence, considéré comme la porte orientale de l’Europe.

Mais un a u tre passage de Sidoine Apollinaire encore plus significat’f a échappé ju sq u ’ici aux chercheurs. Il se trouve dans le poèm e Ad Consentium (C. XXIII, 244) où 1 a u te u r exprim e son regret que son am i n ’ait pas em brassé

Cf. Dippe, op. cit. p. XIII; Th. Birt considère Justin comme la source des Gesta (o p . cit.).

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SICA M BRIA

la carrière m ilitaire; c ar alors, dit-il, le m onde en tier con­

naîtrait sa rép utation et son caractère intègre:

.... T u T u n cru m et V achalin, V isurgin, Albin, V ra n c o ru m et p e n itis sim a s p a lu d e s

in tra re s v e n e ra n tib u s S yg a m b ris solis m orib u s in ter arm a tutus tu M a eo tid a C aspiasque portas, tu flu x is eq u itata Ractra P arthis c o n sta n s in trep id u sq u e sic ad irés....

L’im portance de ces vers saute aux yeux. On y trouve la m ention des F ran cs et des Sygam bres comme synony­

mes, le caractère paludicole des Francs-Sycam bres et le nom des M éotides cité dans la p h rase suivante, ce qui a fait croire au naïf a u te u r que les „penitissim ae paludes11 des Francs-Sycam bres ne sont au tre chose que les Paludes Meotidis elles-mêmes. Dès lors il est naturel qu ’il ait cher­

ché les F ra n cs dans le voisinage des Alains, peuple riverain du Meotis.

Mais com m ent Valentinien est-il transform é en vain­

queur des F ra n cs et des Alains? E t d’où vient le nom à ’Arestarcus, chef d ’année romain? Je crois q u ’au lieu de renvoyer à la tradition populaire comme on l’a fait, nous devons plutôt chercher une source où l’a u te u r ait trouvé l’idée de son histoire. Dans toute l ’histoire rom aine on ne rencontre q u ’un hom m e portant ce nom. Il est m entionné par Jordanès qui, comme l’on sait, est l’autorité du moyen âge pour to u t ce qui concerne les barbares. Nous lisons dans le Romana: ,,mam Bosforianis Colchisque Aristharcum regem Pom peius praeposuit Albanosque insequens Orodem regem eorum tertio superávit ad pastrem u m rogatus pacem concessit".1

Jordanès, le grand com pilateur, a puisé ces données dans le Bréviaire û'Eutrope où l’on trouve presque textuellement

1 Mon. Germ. H ist. SS. auct. antiquiss. t. V, p. 30, 28.

2/

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le même passage: „Pom peius mox e tia m Albanis belium intulit et eorum regem Oroden ter vicit, p ostrem o p e r epis- tulas ac m unera rogatus veniam ei a c pacem dédit. Aris- tarchum Colchis regem im posuit11.1 Chez E utrope nous ne trouvons aucun ra p p o rt entre A ristarch u s et les luttes de Pompée contre les Albani. Mais dans la transcription de Jord&nès l’auteur des Gestu a pu fo rt bien interpréter la phrase en ce sens q u ’A ristarque é ta it le chef d’arm ée qui triom pha avec P om pée s u r les Albanais. D ’a u tre p a rt nous savons que le m oyen âge confondit fo rt so u v en t les A lba­

nais avec les Alains, to u t comm e Sidoine A pollinaire le fait dans les passages que nous venons de citer. Ainsi A ristarchus devint le chef d ’arm ée des R om ains qui dirige les troupes destinées à battre les F rancs rebelles.

Nous comprenons aussi le rôle des Alains si nous nous reportons à une étymologie d’Isidore de Séville (IX, 2, 94) :

„Lanus fluvius fertu r ultra D anubium , quo Alani dicti sunt sicut et populi in h ab itan tes iuxta L em an n u m fluvium Ale- m ani vocantur". Ce texte perm et de com prendre le fait singulier que l’a u te u r des Gesta identifie dans son im agi­

nation les Alains et les Saxons et tra n s p o rte dans son récit des anecdotes q u ’il a trouvées dans Grégoire de Tours à propos des guerres entre les Saxons, les F ran cs et les Ro­

mains. Les Saxons h a b ita ie n t en effet à cette époque la région du L ah n en W estp h alie et ain si la définition d’Isi­

dore im posait cette identification. O r voici ce qu’on lit chez Grégoire de Tours su r les F ra n c s et les Saxons (II, 19): „His ita gesti.s, in te r Saxones a tq u e Romanos bellum gestum est; sed Saxonis terg a v ertentes, m ultos de suis.

Romanis insequentibus, gladio reliq u eru n t: ijîsolae eorum ctim multo populo interem pto a Francis captae atque sub- versi sunt.“ Si nous m ettons ici p arto u t les Alains à la place des Saxons, nous obtenons le récit des Gesta. Une guerre éclate entre les Rom ains et les Saxons, les Saxons sont défaits, m ais leurs îles sont occupées par les Francs

1 Mon. Germ. Hist. SS. auct. antiquiss. t. II, c. VI, XIHI.

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qui tuent un grand nombre de Saxons.1 Ailleurs (IV, 14) nous lisons que les Saxons qui étaient tributaires des Francs refusent de s’acquitter de leur impôt; de là une guerre atroce qui se termine, il est vrai, par la défaite des Francs qui sont obligés de dem ander la paix.

Cependant >il y a aussi d’autres raisons qui expliquent que les Alains paludicoles aient été confondus avec les Saxons. Isidore de Séville est, comme on le sait, la source de l’explication étym ologique du nom des F rancs que l’on trouve dans les Gestn (IX, 2, 101) : „Alii eos a feritate mo- rum nuncupatos existim ant. Sunt enim illi m ores inconditi, naturalLs ferocitas anim orum “. Ju ste avant ce passage fo rt im portant p o u r l’histoire de la légende on lit la description de la population saxonne (cap. 100) : „Saxonum gens in Oceani litoribus et paludibus inviis sita, virtute atque agili- tate habilis. Unde est appellata, quod sit durum et validis- simum gens homimum, et praestans «eteris piraticis“ .

Ces Saxons habitant près de l’Océan des marécages inac­

cessibles ont été identifiés par l’auteur des Gesta avec les Alains-Albanais dont il savait q u ’ils habitent entre l’Océan et les Paludes Meotidis, dans des m arécages inaccessibles.

Il prétendait sans doute corriger sa source en transportant certaines parties de l’histoire des Saxons aux confins de l’Europe.1

Ajoutons enfin que Jordanès m entionne à propos de Valentinien Ier qu’il préparait u n e guerre de vengeance contra les Saxons (Romana, 309). Mais dans la chronique de saint Jérôme, continuateur d ’Eusèbe, si renommée au moyen âge, il a pu lire à propos du règne de V alentinien Ier: „Saxones caesi Deusone in F ran co ru m regione".2 Ainsi l’auteur des Gesta a rapporté à Valentinien les faits q u ’il a trouvés chez Jordanès. E t fo rt naturellem ent V alentinien

1 Ainsi nous n’avons pas besoin de considérer avec Dippe (op.

cit.) le récit des Gesta comme un écho de l’invasion alaine en Gaule racontée par Grégoire de Tours (II, 9).

2 Migne, Patr. lat. t. XXVII, p. 505.

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II, le piteux em p ereu r ento u ré de ses satellites francs, a été identifié p a r lui avec la puissante figu re de V alentinien Ier.1 Si singulière que paraisse cette explication, les faits m on­

trent que l ’auteur des Gesta, soit déform ation consciente de l’histoire, soit ignorance, a ap p liq u é une p artie de l’his­

toire des Saxons au x Alains dont il savait si peu de chose en dehors de leur nom , à moins q u ’il n ’ait lu, comme Dippe le prétend, la d escrip tio n de ce peuple et de leu r région chez Ammien M arcellin (XXXI, 2). Si en effet l’a u te u r a lu Ammien M arcellin, il s'est souvenu de cet au teu r dans cette partie de son récit où il parle du. prim arius et des exacteurs rom ains tués à l’im proviste p a r les Francs. Il y a chez Ammien M arcellin quelque chose de semblable, car on y lit que V alentinien est pris d 'une colère imm ense co n tre les Quades qui ont su rp ris et m assacré les m agis­

trats rom ains de Pannonie, et décide de p o rter la guerre dans leur pays (XXIX, 6).

Il est in téressant de constater que bien plus tard, au XIVe siècle, un auteur, Raoul de Presles, le célèbre conseil­

ler de Charles V, dit expressément que les Alains du Méotis sont venus de Saxe: „O r aduint que ou tem ps de Valen- tiniens em p ereu r unes gens que on appelloit les allains qui estoient venus de saxonne se reb ellerent contre les Romains lesquelz estoient diz allain s dun fleuue qui se appelle la- nus. Aussi com m e les allem ans sont diz d u n aultre fleuue qui est apellee lem annus“ .2

Raoul de Presles a donc refait la pensée de l’auteur des Gesta Regum Francorum: mais il dit en term es exprès ce que celui-ci a sous-entendu. Les A lains sont venus de

1 II est à remarquer que la Chronique du Pseudo-Frédógaire que l’auteur des Gesta n’a pas connue, — c’est du m oins ce que prétend la critique philologique, — attribue à Pom pée la défaite des Francs et de tous les Germains. Iírusch (N . Arch. VII, 474) a démontré com ­ ment les lauriers de Jules César ont été transférés à son rival dans les sources du m oyen âge.

2 Excerpta de scriptis a R odolpho de Praelles super civitate D ei.

Paris, Bibi. Nat., f. lat. 14663. Lem annus désigne, comme l ’on sait, le Rhin.

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Saxe: de la région du Lahn. Ou Raoul de Presles aurait-i!

connu une variante plus complète des Gesta?

Dès lors nous connaissons les sources de tous les détails de l'histoire sicambrienne. Il ne sera pas sans intérêt de mettre en regard le texte des Gesta avec ses répondants; on ne m anquera pas d'être frappé de certaines ressem blances de style:

Gesta F ran coru m c. 2 E o itidem tem p ore gens alanoTum p r a v a ac p essim a rebellaverunt con tra Valenti- n ia n u m im p eratorem R om a- norum ac g en tiu m . T u n e ille ex ercitu m m o v it h o ste m m ag- nam de R om a, co n tra eo s per- rexit, p u gn am iv it su p e r a v it- qu e eos atqua d evicit. Illi at- que caesi su p er D a n u b iu m fu- gieru n t et in tra v eru n t in Maeo- tidas p alu d es... T u n e... T roian i feceru n t in sid ia s . . . eiecerunt- que in d e A lán os percusserunt- que eos ore glad ii. T une ap- p ellavit eos V alen tin ian u s im - perator F ra n co s Attica lingua, h o c e st fe r o s a d u ritia v e l au dacia c o rd is eo ru m .

(c. 4) : A udiens h aec im pe- rator... p raecep it h o stem coin - m overe R o m a n o ru m et alia- rum gen tiu m cu m A resta rco p rin c ip e m m ilitia e, deirexe- runtque aciem contra F rancos.

Isid. Etym. IX, 2.100 Saxonum... durum et validis- simum gens hominum et praestans caeteris piraticis.

Jordanes, Romana 309 Valentinianus... contra Saxones Burgutionesque... movit procinc-

tum" ibid. 234

Pompeius... Albanosque insequens Orodem regem tertio superavit...

Hier.- Eusebii Chr. ad 377 Valentinianus regnavit ...Saxones caesi Deusone in Francorum regione.

Greg. Túr. II. 19:

...Inter Saxones atque Romanos bellum gestum est; sed Saxonis terga vertentes, multos de suis...

gladio reliquerunt; insolae eorum cum multo populo interempto a Francis captae atque subversi sunt.

Isid. Etym. IX, 2, 100 Saxonum gens in Oceani litoribus et Paludis inviis sita...

ibid. 2, 101 Alli eos a feritate morum nun- cupatos existimant...

Jordanes, Romana 234 ...nam Bosforianis ColcMsque Aristarchum regem Pompeius prae- posuit Albanosque etc...

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Ainsi se fondent réalité et fiction dans le récit des G esta.

Ce ne sont pas là des légendes p o p u laires com m e plusieurs critiques allem ands l’ont supposé, c ’est une œ uvre née dans l’im agination féconde d’un m o in e français. Comme il lui fallait rem plir l’histoiire des F rancs à p artir de l’exil de T roie ju sq u ’à l’établissem ent en Germanie, il prenait son bien où il le trouvait et il échafauda, avec une hardiesse qui n ’a rien d é to n n a n t chez u n auteur de Gesta, son histoire qui ne m an q u e d’ailleurs pas d ’u n e certaine allure et mêm e d’un agréable rythm e poétique.1

C’est même, je crois, l’envie que déjà les F ran cs m éro­

vingiens p o rta ie n t aux habitants de l’Italie, aux Rom ains avant tout, qui suggéra au moine n eu strien de fab riq u er une généalogie troyenne pour sa nation, puisque les Ro­

m ains po uvaient se vanter de leur descendance antique et divine, en se ré fé ra n t à la plus grande au to rité historique:

VÉnéide de Virgile. Au fond de la naissance de cette lé­

gende pédantesque nous découvrons le bouillonnem ent du jeune n ationalism e fran c qui in sp ira aussi le fier prologue des lois saliques: „Vivat Christus qui diligit F r a n c o s ..."

2

Le récit légendaire des Gesta Regum Francorum, le plus souvent com biné avec les chapitres correspondants des récits du Pseudo-Frédégaire, devient au cours du moyen âge un de ces lieux com m uns qui ont une autorité incon­

testée.

Ce serait un travail assez stérile que d ’énum érer tous les textes où l’on rencontre l’histoire de l’origine troyenne des Francs; nous nous bornerons à nom m er les auteurs qui racontent aussi l’histo ire du sé jo u r de P annonie et de

1 Cf. Dippe, op. cit., qui y a reconnu une préoccupation de style cadencé tout à fait intéressante.

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Sicambria: ce sont au IXe siècle le Chronicon Universale, la Chronique de Moissac, la Vie de S1 Genoulfe; aux Xe et XIe siècles: le célèbre Aimoin, le m oine Roricon, et dans les siècles suivants: Sigebert de Gembloux, V História W el fo ­ rum Weingartensis, les extraits attribués à Hugues de Saint- Victor, l’Anglais Gervais de Tilbury etc. Au XIIe siècle Godefroy de Viterbe en parle en plusieurs endroits de ses ouvrages et de plus il place déjà Sicam bria tantôt en Pam- nonie-Hongrie1 tantôt dans la Hungaria vêtus, l’ancienne patrie des Hongrois, ce qui correspond en effet à la situation géographique des Méotides. Parm i les écrivains du moyen âge Godefroy fut le seul qui essaya d’accorder la légende avec l’histoire dans cette dernière variante, mais il dut renoncer à la Pannonie pour sauver les Méotides.

L ’on doit une attention toute particulière aux divers ré ­ cits que nous présentent les chroniques écrites à Saint- Denis. Un des plus anciens, celui qui est connu sous la dénom ination de História regum Francorum Monasterii S.

Dionysii ou d'Abreviatio gestarum regum Francorum3 r a ­ conte notre histoire avec les détails conventionnels:

„Anthenor et alii profugi ab excidio Troie, Asia pervagata, Frigieque rege facto et cum suis inter Macedones remanente, trans- actis Meothidis Paludibus, in finibus Pannoniae aedificare civi- tatem nomine Sicambriam, et constituerunt post mortem Anthe- noris duos, Torgotum et Francionem, a quo Franci, ut quibusdam ptacet, sunt appellati.“

C’est le m élange connu des Gesta et du Pseudo-Frédé- gaire, avec cette différence que l’épisode de V alentinien y m anque totalem ent.4

1 T. XXIil, p. 61.

2 Ibid. p. 104.

3 Mon. Germ. Hist. SS. t. IX, p. 395.

* Voilà pourquoi je ne comprends pas qu’on cherche dans ce récit (Reiffenberg, Introd. à Philippe M ousket et J. Laïr, Bibl. Ec. Chartes XXXV, 571) la source de Philippe Mousket pour l'histoire des Francs TroyenS; Philippe Mousket s’étend longuem ent sur cet épisode.

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Les chroniques de langue française qui p araissent au com m encem ent du X IIIe siècle d é b u te n t p o u r la p lu p art par l ’histoire troyenne des F ran cs, avec l’épisode de Si­

cam bria.

Le n° 14663 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale est surtout riche en ces récits, extraits de chroniques de langue française du X IIIe siècle, dont chacun connaît l'his­

toire isioambrienne. Le m orceau qui porte le titre Comment Valentinien em pereur fist regner auecques lu y gracien nous révèle les détails suivants:

E t en c e lu i te m p s regn oit sur les fr a n c o y s prian q u i fu le p re­

m ier R oy q u i r é g n a su r eu lx puis que ilz eu ren t la issié sicam b re et sen fu ren t v en u s e n fran cé. V alen tin ian p o u r ce q u e ilz seu rm o n - teren t u n e m a n iéré d e gen t que o n a p p ello it a la in s qui fa iso y e n t m o u lt g ra n t e n n u y a lem p ire, il les a p p ella fra n co y s qui v au it a u tan t en g rec c o m m e gen t d e grand cou rage. Et les au tres dien t q u e ilz so n t a p p eliez fra n co y s d ’un p rin ce que ilz o ren t q u i fu a p p e lle fran cio.

La cronique de francé et division du monde in exordio rerum attribuée à Hugues de Saint-Victor parle longuement de Turcus:

I urcus v in t en sa x e (au lieu de: S cyth ie) et d em o ra et h abita et p o u r ce so n t ilz en c o r e diz turz d e tu r c u s et fra n cio sen v in t en h o n g rie ou il é d ifia la cite d e sica m b re d e c o s t e le s p alu s o u m ares

m eotid es... et fu o u tem p s d e d a v id .1

La Chronique de Bétliune qui est du début du XIIIe siècle, commence également p ar cette histoire:2

II (Antenor) se n v in t a p a n n o n é o d g e n t q u e d e so n lign age que d e lign age p riam u s q u i a v o it e ste R ois d es tro ien s a in co is que la

Ce morceau inc paraît la traduction de Guitlermus Armoricus (Dom Bouquet t. XVII, p. 63).

n w ° UV' ac(!' ^r' *^295. Ce récit m e paraît identique à celui dont P. Meyer -a parlé dans les N otices et E xtraits XXXII, 2, 57, mais des divergences m anifestes m empêchent de croire avec lui que ce soit une paraphrase de l’Abbreoiatio.

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cite fu d e s tn iite et la fist vn e cite que il ap ela Sicam bria. T o u te s.t v ie m ain tin t c e le cite et après son tan s le m ain tin d ren t c il q u i d el troiens issiren t. Grant piece p u is la m ort a n ten o r que R om e a u o it ia dure grant p ie c e que valen tin ien s em p ereres des rom ain s p or- siw i les g a lo is vers qui il av o it guerre, tan t q u e il les em bati en u ne terre fo rte de p alu s et de m ares. L a ne sosa m etre li em p ereres por les p a lu s et por les destrois. E t v in t p a r c o n se il de sa g en t as troiens a sicam b re et req u ist lor aie en co n tre les g alois et lo r prom ist quil les q u iteroit X an s del treu que il d ev o ien t as R om ains...

Les Gallois sont venus rem placer ici les Alains.

La Chronique Saintongeaise du X IIIe siècle qui rapporte tant d’histoires légendaires, connaît aussi notre fable:1

D onc p riam u s et an ten or furent p r in c e e firen t citez delez le s m eau tin es p alu z e ap eleren t e n m em o ir e d iu s sicam briam . E q u i fu ren t m ainz anz e cru ren t en granz genz. E n ceu ten s estet enpe- reire de R o m a v a len tin ien s. Q uant la genz deus a la in rebella co n tre lem p ereor il a iosta granz genz dauz rom anz e com b atif sei en con tre eu s e u en q u it lei. Il sen fu iren t de denz les m eau tin es paluz. Li em p ereires dist qui p oirent giter celes cruaus genz de laen z, a li o ctreiet son treu X. anz.

E t la naïve Chronique Saintongeaise p araît co nn aître directement le récit des Gesta, car elle rapporte fidèlem ent même des détails qui m anquent généralem ent chez les autres chroniqueurs.

Guillaume de Nangis, moine de Saint-Denis, qui a com ­ posé sa chronique vers la deuxième moitié du XIIIe siècle, raconte l’histoire traditionnelle en la plaçant comme les extraits de H. de Saint-Victor en Hongrie:

U n e autre p artie d es genz d e lad ite cité d e tro y en s c e sta ssa v o ir XIIm se p artiren t de E n ea s avecq u es a n ten o r u n autre grant b a ro n

1 Elle a été éditée par F. W. Bourdillon, Tote l’histoire de France, Londres 1897. Le n u . : f. fr. <5714. Je corrige un peu le texte de Bour­

dillon qui ne me semble pas très soigné.

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e l m enerent en leu r co m p a ig n ie a u cu n s d e s n e p u e iiz le R oy priant c/ui estoit R oy d e tro y es q u a n t e lle fu d e str u ic te . C este gen t alerent ta n t par m er q uilz arrivèren t vers le s d e r r a in e s p a rties de h o n g rie assez près des p a rties de m eed e. Ille c q u e s se arresteren t et fo n d è­

ren t u n e cite q u ilz a p p e lle r e n t S ica m b re e t p o u r c e lle cite furent ap p eliez S icam b rien s d a u cu n es gens.

C’est une de ces chroniques de Saint-D enis qui fut la source du récit de Philippe de Mousket dans sa Chronique Rimée:1

P a r c e st a fa ire d i-jo u b ien Q u’en cet is le so m m es T roiien , Car u n e p a rs d e c e le gent, X II m ilie r tan t seu lem en t, P a r m er al v en t, san s esson n e, S ’en a lèren t d r o it en P an n on é.

P a n n o n é si e st o r H ungrie:

L à ariva c e le m aisn ie.

A n tlien o r q u i m o u lt fu t c o r to is F u lo r m estre, si co m m e rois.

U n e c ité là si fon d èren t, S ik a m b re p a r n o n l ’a p ielèren t;

T u it s ’en tr a m o ie n t c o m m e frère.

A c e l tem p s é to it em p erère V a len tin iien s p rem erain s;

Si a v o it g u erre as A lains;

M ais il o ren t si fo rte tière

C 'on n é s p o o it v a in c r e p ar guerre D o n t m a n d a V a len tin iien s

As K am b re le s T ro ïen s Se par fo r c e fa ir e p e u ïsse n t, Q ue ça u s d ’A len ie v e n q u isse n t, Q uites le s fe r o it à so n ta n s D el tréu de R o u m e X. ans.

La suite du récit se passe comm e dans les Gesta Fran- corum: les Sicam briens rem portent une victoire sur les

1 Éd. Reiffenbcrg, à partir du vers 162.

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Alains, puis refusant de payer l’im pôt, sont b attu s et chas­

sés par l’em pereur.

Les Grandes Chroniques de France de la fin du X III6 siècle racontent d’ap rès la com pilation d’Aimoin l’origine légen­

daire des F rancs en ces termes:* „Francio dem ora sur le devant dit flueve [Dinoe] après ce que ses cousins se fu de lui partiz [Turcus, qui devint l’ancêtre des T urcs]; là fon­

dèrent une cité que il apelerent Sicam bre, longuem ent furent apelé Sicam brien pour le non de cele cité; trib u taire estoient aus Rom ains . . Pui s vient l’épisode connu de Valentinien et des Alains.

Cette légende savante se m aintient même à l’époque de la Renaissarce. Jean Lemaire de Belges s ’en occupe longuement dans ses Illustrations de Gaules et Singularitez de Troye (1512). On sait que cette vaste com pilation raconte l’histoire des Français à partir de la guerre de Troie; l’histoire des Francs de Pannonie y figure donc avec les plus amples détails. Il utilise les variantes du m oyen âge, Godefroy de Viterbe, mais surtout Sigebert de Gembloux. A ces chroni­

queurs il ajoute ce q u ’il a trouvé dans un rom an intitulé Chronique de Tournai ou histoire dë Bustalus.2

Selon Jean Lem aire de Belges Sicam bria fu t dénommée d ’après la tan te de Francus qui p o rtait ce nom, et qui était la sœ ur de Priam .3

1 Éd. Soc. de l’Histoire de France, 1920, t. 1er cf. Intr. p. XXV.

2 Cf. Philippe de Mousket, éd. Reiffenberg, p. CCXLV. et Sackur, introd. à l’édition des Annales Hanoniae de Jacques de Guy se, p. 52, n. M. 8081. M. Ph.-A. Becker parle de cette source que personne n’a vue encore, lui pas plus que les autres (Jean Lemaire, Strasb. 1893, p. 232). Est-ce un remaniement du manuscrit dont nous parlerons plus loin? Tout ce que nous savons de ce roman, se réduit à des données bibliographiques. Cf. Marquis de Chastelar, Mémoires de l’Académie Im périale et Royale des sciences et belles-lettres de Bruxel­

les 1788, t. V. (Histoire, 2e partie, t. 1er), p. 213, no 22, et Barrois, Bibliographie protypographique, no 1240 et no 2234. Voir Sackur, dans Pertz, Mon. Germ. Hist. SS. t. XXX, p. 52 et Reiffenberg, intr. à Philippe Mousket, p. CCXLV.

J Éd. Steoher, t. II, p. 300.

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Après la m ort de F ra n cu s régna m êm e un roi nom m é Sicamber, dont le nom fut adopté p a r son peuple. Plus tard une partie de la popu lation q u itte sa p a trie de Pannonie et fonde en H ollande une au tre Sicam bria. Ainsi on eut deux Sicambria, une supérieure et u n e inférieu re: „Les h auts Sicambriens estaient coim re dessus est dit, en Pannonie, quon dit m a in te n a n t H on g rie'1 (II, 304).

Puis ayant donné la description géographique de la P a n ­ nonie il passe à l’h isto ire d’Attila. Il est obligé de s’occuper du g rand b arb are, c a r le nom de la ville de Sicam bria l’y renvoie, Jean Lem aire étant le prem ier au teur français qui ait utilisé pou r son histoire la chronique hongroise où l’his­

toire d ’Attila est; attachée au nom de la ville de Sicam bria.1 Un gentilhom m e hongrois, Jean Turoczi avait, en effet, u ti­

lisé l’invention de l'im prim erie pour répandre dans l’E urope hum aniste la version nationale de l’histoire de H ongrie (Chronica Hungarorum , 1488).

D 'après cette version hongroise, Attila, ayant occupé Sicambria, ville de Pannonie, v tu a son frère Buda, parce que celui-ci avait fait nom m er cette ville d’après son nom Budavára, faisant fi de son puissant frère qui avail ordonné que la ville de Sicam bria porterait désormais son nom : civitas Attiláé. E t la geste hongroise ajoute que les H ongrois ne se souciaient point de l'interdiction d Attila m êm e après l’assassinat de son frère, m ais que les Allemands, c raig n an t la défense, l'ap p ellent encore a u jo u r­

d’hui Echulburg, c’est-à-dire ville d ’Attila. ,.Et vela la raison pourquov on nom m e la cité de Sicam bre, Bude en Hongrie,

— dit Jean Lem aire,2 — en laquelle est le siege Royal, et

1 Ph.-A. Beaker prétend (Jean Lem aire, p. 233) que la source de J. Lemaire fut l’énigmatique Juvencius Caelius Calanus qui fit un Attila. Cependant les détails du récit d e J. Lemaire ne se trouvent nulle part dans cette œuvre, par contre ils correspondent très précisé­

ment à ceux de la chronique hongroise. Sur les sources de Jean Lemaire cf. Doutrepont, J. L. de B. et ta Renaissance; Mém. Acad. R.

de Belgique t. XXXII; 1934.

2 Ed. cit. t. II. p. 316.

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un tresfort avantm ur p o u r la Chrestienté contre les T urcz.“

D’ailleurs, selon lui, Attila est de la m êm e race tu rqu e dont les origines rem on tent aux Troyens de Turcus, fils de Troïlus qui, selon le Pseudo-Frédégaire, se sépara de la troupe de F ra n cu s p endant les m igrations su r le D anube.

Et Jean L em aire se plonge à ce propos dams des réflexions curieuses: „E t encore voit-on, — dit-il — que les H ongres ayment et frequentent les arcz Turquois, et sont forts et hardiz comme Turcz, mais ils sont leurs trop fiers ennemis à cause de la foy Chrestdenne. E t bien en ont monstré les exemples de la fresche memoire de moz peres“ . Ainsi donc, les Huns et les Hongrois que le moyen âge considère comme identiques,1 et même les Turcs sont les frères de race des Français et les H ongrois ont encore ceci de com m un avec leurs illustres parents d ’Occident q u ’ils ont embrassé le christianism e et se sont faits les cham pions de la foi contre leurs frères de race plus rapprochés, les Turcs.

E t en cette occasion Jean L em aire ne peut m anquer de faire l’éloge de la H ongrie qui a ta n t perdu de sang pour la cause chrétienne. Il m entionne le roi Albert qui fut frappé p a r la m ort pendant qu'il m archait à la tête de ses troupes contre les Turcs; Uladislas Ier qui perdit sa vie à la bataille de V arna: „trop piteuse jo urn ée pour la Chres­

tienté". E nsuite il fait l’éloge enthousiaste du roi M athias Corvin.2

„Et de no stre temps, le Roy M athias, Prince de m erueil- leuse prouesse et affection à la deffen.se de notstre foy, tout le temps de son regne ha esté h eureux et bien fortuné, par plusieurs victoires m ém orables contre les Turcs. A laquelle besongne tressalutaire, il s’est m onstré plus affec-

1 La critique historique hongroise toute récente (MM. Hóman, Németh, Gombocz) a réhabilité, sous une forme différente, il est vrai, cette vieille théorie si décriée pendant l’époque de l’hypercriticisme.

Il n’est pas absolument impossible, en effet, que les Hongrois, au cours de leurs migrations dans la steppe ouralienne, aient fait partie pendant quelque temps de l’empire des Huns.

2 Éd. cit. t. II, p. 313.

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lionne p a r effect, que nul a u tre P rin c e de so n tem ps, ne desplaise aux autres. P a r quoy il ha m érité quil soit de luy m em oire eternelle en toute h isto ire et chronique". Ainsi Jean Lemaire c ru t éterniser la m ém oire de Matthias Corvin dans son livre si vite oublié. Mais p o u r nous c’est un aven précieux, car il m ontre que les petites gens, attachés à leur civilisation chrétienne et européenne, voyaient dès cette époque, comme plus ta rd L oret sous L ouis XIV, les défen­

seurs de la chrétienté dans la n atio n hongroise.

H istoriographe rh éto riq u e u r attach é à Anne de Bre­

tagne, il soutenait dans tous ses ouvrages historico-politi- ques la politique de la cour de H ongrie qui venait de con­

tracter une alliance avec la cour de F ra n c e p a r le m ariage d’Anne de Foix, nièce de la reine, avec U ladislas II de Hongrie. Son voeu le plus chaleureux serait que la bonne entente se rétablît entre les princes chrétiens en vue de s’unir pour la lutte contre le Croissant:1

„Or p leu st à D ieu , que to u s noz tresh a u ts P r in c e s d e C hrestienté fu ssen t en sem b le si b o n s am ys, que ia m a is il n y eu st q u e redire n e que radouber en leu rs q u ereles m u tu e lle s et c o n tro ilerses ains a la ssen t v n a n im em en t ayd er au x H o n g res, a u x B o h e m e s et aux P olaq u es, qui so n t su r les fro n tieres d es T artres et des T urcs.

A lors c e seroit vn beau p a ssetem p s, à la tr e s n o b le et tresillu stre n ation F ra n ço ise et B ritan iq u e, p rocreez d u v ra y sa n g lég itim é d e T roye, daller v o ir en p a ssa n t par le p a ïs d e H o n g rie, E sc la u o n ie et A lbanie, les sieges d e leu rs p rem iers P rin ces et p a ren s . . .“

Les notions sont encore du m oyen âge, m ais l’esp rit est nouveau; le plaisir de revoir son an cien n e p a trie est un sentim ent tout à fait m oderne. Aussi la légende ne s’était- elle jam ais présentée jusque là avec une si forte conscience nationale que chez ce p récu rseu r de la R enaissance, dont 1 érudition confuse est anim ée d’un bel élan pathétique et individuel.

1 T. II, p. 314

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