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LES ORIGINES DANUBIENNES DE RONSARD

In document DE SICAMBRIA A SANS-SOUCI (Pldal 168-176)

'E jttà jtôXctç |iâpvavxo ooq)T)v nEpt liÇav ‘OjJMrjpov .. . Certes, Pierre de Ronsard, dont la plus haute ambition était de devenir l’Homère-Virgile de sa nation, n ’aurait pas été peu fier d’apprendre la discussion qu’il a soulevée lui-même sur ses origines entre les publicistes et savants de cinq pays. La France, la Hongrie, la Moravie, la Roumanie e t la Bulgarie s’attribuèrent to u r à tour la gloire d’avoir donné naissance à l’ancêtre du grand poète.

La plup art de ces croyances relatives aux origines étran­

gères de la fam ille de Ronsard ont pour point de départ les vers fort connus placés p a r le poète au début de son épître autobiographique où il raconte que son ancêtre sortit d ’un pays lointain situé quelque p art sur le Ras-Danube pour com battre les Anglais au x côtés de Philippe de Valois (1328— 1350) peut-être à Crécy m êm e (1346) et s’établir définitivem ent en France, sur le Loir. Voici d ’ailleurs ce m orceau célèbre:

Or, quant à mon ancestre, il a tiré sa race D’où le glacé Danube est voisin de ta Thrace:

Plus bas que la Hongrie, en une froide part, Est un Seigneur nommé le Marquis de Ronsart, Riche d’or et de gens, de villes et de terre.

Un de ses fils puisnez ardant de voir la guerre.

Un camp d’autres puisnez assembla hasardeux, Et quittant son pays, fait Capitaine d’eux,

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Traversa la Hongrie et la basse Allemaigne, Traversa la Bourgongne et la grasse Champaigne, Et hardy vint servir Philippe de Valois,

Qui pour lors avoit guerre encontre les Anglois.

Il s’employa si bien au service de France, Que le Roy lui donna des biens à suffisance Sur les rives du Loir: puis du tout oubliant Frere, pere et pays, François se mariant Engendra les ayeux dont est sorly le pere Par qui premier je vy ceste belle lumiere.

Un poète roumain, Alecsandri et un publiciste roumain, A. Ubicini, furent les premiers qui, dans Les Chants po pu ­ laires de la Roumanie, recueillis p ar Alecsandri (Paris, Dentu 1855), crurent reconnaître la Roumaine dans le pays d a n u ­ bien d’où l’ancêtre de Ronsard aurait tiré son origine. Ils allèrent jusqu’à identifier le nom de Ronsard avec le nom du village roum ain M aradni qui signifie ronce. Le ban de Mârâcini serait donc le marquis de Ronce ( -f- art), ancêtre de Pierre. Cette hypothèse n ’est appuyée d ’aucune espèce de preuve historique ou linguistique. En effet on ne sait rien d’un Mârâcini établi en France. Il y a peut-être un nom de famille Mârâcini qui signifie ronce en roumain, voilà toute la base de ces conjectures. Ces combinaisons furent adoptées p a r Blanchemain, éditeur de Ronsard, et tout naturellem ent par les Roumains qui brodèrent sur sur ce thèm e romanesque d ’un de leurs compatriotes of­

frant son service au roi de France. Cette légende étymologi­

que fut reprise, par exemple, dans les colonnes des Nouvelles Littéraires (Ronsard était-il Roum ain? 14 juin 1924) p ar Léo Claretie, qui adm et cependant sur la foi d’u n Roum ain le fait généralement connu dans l ’historiographie hongroise qu’en 1340 il n ’y avait encore d ’autre ban en Valachie que celui de Severin (le m ot vient de l’ancien hongr. Seurin hongr. mód. Szörény). Nous devons ajouter que le banat de Szörény fut fondé par les rois de Hongrie qui ne le donnèrent qu’à des nobles hongrois ou à des chevaliers é- trangers au service de leur royaum e. Aussi, au lieu des

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Mârâcini, M. Pessiakow, l’auteur d ’une Histoire de Craiova (1902), propose-t-il plutôt Macechurite, le château des Bassarab, comme le lieu de provenance de la fam ille de Ronsard, car, dit Léo Claretie, M ucesianu (?) et MârScini sont synonymes (?) et les deux noms signifient l ’u n et l’autre ronce.1

En réalité il faut beaucoup d ’imagination romantico-poli- tique pour adm ettre avec tous ces étymologistes improvisés que parm i les Valaques du prince Bassarab l’esprit de che­

valerie francophile ait été aussi fort que l’histoire de l’a n ­ cêtre de Ronsard le fait supposer. En raison de leur culture orientale les peuples balkaniques étaient, à cette époque encore, assez peu accessibles aux idées occidentales: or le geste du m arquis de Ronsard est celui d ’un chevalier qui obéit aux lois de la féodalité.

Les mêmes considérations nous font rejeter l'hypothèse d’un linguiste hongrois qui a cru trouver dans la ville bul­

gare de Tirnovo ( = ronce), le lieu d’origine de Ronsard.2 D’après lui, la famille de Ronsard aurait été bulgare et aurait porté le nom de Tirnovo. Cette conjecture vaut bien celle des Roumains; elle n ’a d ’autre fondement que le ra p ­ prochem ent entre un nom de ville signifiant ronce et le nom .de famille des Ronsard.

Tout au plus peut-on dire que l’indication géographique de Ronsard, le voisinage de la Thrace, semble p arler en faveur de la Bulgarie et qu’ainsi la localisation de Szamota est un peu plus vraisemblable que celle des Roumains.

Cependant, ces combinaisons ont la faiblesse de contre­

dire le témoignage de la linguistique.

E t à ce propos il convient de citer l’opinion d ’un ro m a­

niste distingué, Lucien Beszard, auteur de travaux savants

1 Je ne connais l’ouvrage de M. Pessiakow que d’après ce que Léo . Claretie en a cité.

2 I. Szamota, Oláh, magyar, bolgár eredetű volt-e Ronsard P é te r?

(P. Ronsard était-il d’origine valaque, hongroise ou bulgare?) Egye­

tem es Phil. Közi. XV. 1891, 177.

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et précieux de toponymie et d ’onom astique française. Dans un article, échappé sans doute aux ronsardisants français à cause de la langue dans laquelle il est écrit,1 il en finit avec tous les M aradni et Tirnovo: „Arrêtons-nous d ’abord à la forme Ronssart, — écrit-il. — Admettons que les a n ­ cêtres du poète s’appelaient M ârâcini ou Tirnovoi; p o u r­

quoi auraient-ils adopté cette form e française pour la tr a ­ duction française de leur nom ? Il y a des noms de famille français: de l’Épinay ou de la Roncière, Ronceray, celui-là formé directement de lat. spinetum , ceux-ci de lat. rumicem

> f r . ronce, auquel fu t joint le suffixe -aria et -aretum.

Par contre, les nom s de plante n ’affectent jam ais le suffixe -ard2 (ce suffixe d ’origine germ anique prend souvent le sens péjoratif). Dès lors il est évident que le radical R o m s dans Ronssart ne provient pas de lat. rum icem fr. ronce;

ainsi s’écroulent les hypothèses d ’Ubicini et de Szamota, car il n ’est pas permis de rapporter un nom qui signifie ronce en slave ou en roum ain à u n nom qui en français signifie probablem ent tout autre chose."

Nous n ’avons rien à ajouter aux réflexions de ce linguiste compétent. En effet, même si l’on adm et l’origine d a­

nubienne de Ronsard, il faut éliminer au préalable toutes ces légendes étymologiques qui ne sont bonnes qu’à em brouil­

ler le problème.

Quant aux origines hongroises de Ronsard, cette théorie, formulée d ’abord par Sainte-Beuve qui n ’y regardait pas de si près (OEuvres choisies de Ronsard, 1828), et passée, grâce à l’autorité de l’illustre hom m e de lettres, dans l’opi­

nion publique qui l’a conservée ju sq u ’aux temps modernes, n ’a d’autre base que la négligence du grand écrivain qui

1 Ronsard P éter családjának és nevének eredetéhez (Sur l’origine de la famille et du nom de P. Ronsard). Egy et. P h il. Közi. XXXI.

(1907), 572.

3 Le Dictionnaire topographique de la France cite nombre de La Ronce, Ronceray, Ronciers, La Roncerie, L a Roncière, et pas une seule fois Ronsard (Note de L. Beszard).

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n ’a pas analysé avec précision les vers de Ronsard su r les­

quels il a fondé cette hypothèse. Naguère un écrivain h on ­ grois, Jules Pékár a renouvelé cette hypothèse sur une base quoique peu fantaisiste.1

Enfin u n publiciste français établi à Prague, Chopin- Pichon a énoncé la thèse de l’origine allemande de R on­

sard.2

Il rejette les données précises de l’autobiogaphie de R on­

sard pour recourir à deux vagues allusions trouvées p a r M.

Roger Sorg dans les Sonnets à Hélène et au texte de l’éloge funèbre de Du Perron qui en délayant les vers de Ronsard fait sortir de la „Moravie, province située entre la Pologne et la Hongrie" les aïeux du poète. Chopin-Pichon cherche l’ancêtre de Ronsard parm i les chevaliers allem ands de Jean, roi de Rohême, qui réellem ent accourut au secours de Philippe de Valois et se battit à Crécy contre les Anglais.

M alheureusement D u Perron est u n tém oin tardif (1586) et semble suivre dans son récit uniquem ent les vers de

1 Cf. le journal Uj N em zedék 1924; à la séance du 9 décembre de la Société littéraire Petőfi, Pékár aurait lu une communication de Jean de Bonnefon qui avait appelé, son attention sur les M émoires du Marquis de Rochambeau (1837) où il est dit que les armoiries de la famille de Ronsard portent une tête de cheval avec pour devise le mot hongrois puszta. (?) Il est évident que l’imagination de Jules Peikár a joué ici sur le texte de Binet, l’autobiographie de Ronsard: „Et l’ety- mologie de ce nom en montre quelque chose, Rossard signifiant en la langue du pais comme qui diroit coeur chevalereux: aussi les armes de ceste m aison semblent l’exprimer, ayant pour timbre un cheval, et dans l’escusson trois poissons, qu’on dit en la mesme langue se nommer Ross, c ’est-à-dire chevaux, et se trouver dans le Danube. De là pour­

voit avoir esté nommée la seigneurie de la Poissonnière, m aison pater­

nelle de Ronsard." (La Vie de Ronsard de Claude Binet, éd. Laumonier p. 2, n. 3)- Laumonier rappelle que la Possonnière n’a rien à voir avec les poissons. Ajoutons que la „langue du pays“ n’étant pas l’allem and en Hongrie, tout ce que Binet a échafaudé sur les gardons du Danube qui n’ont jam ais porté le nom de roce ailleurs qu’en France (cf. le Dictionnaire de Godeiroy) appartient au monde des fables pédantes- ques.

2Les origines de Ronsard, Gazette de Prague, 24 sept. 1924.

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Ronsard;1 sa géographie fantastique ne peut avoir de va­

leur documentaire en face d u tém oignage de Ronsard lui- même qui laissa sans retouche sa fam euse histoire généalo­

gique dans toutes les éditions publiées de son vivant. Or Ronsard parle expressément d ’u n pays situé plus bas que la Hongrie et voisin de la Thrace.

En présence de cet em brouillam ini faut-il s’étonner que la critique française soit devenue sceptique au sujet des origines étrangères de la fam ille de Ronsard et qu’elle ait relégué la tradition de famille rapportée dans l’épître de Ronsard au pays des légendes généalogiques si nom breuses à cette époque et même plus ta rd ? En effet le nom de Ron­

sard est employé en France dès le XIe siècle2 et par consé­

quent toutes les hypothèses fondées sur des étymologies exotiques (Rosshart [Chopin], Maracini, Mucesianu, Tir- novo) s ’écroulent d’elles-mêmes.

E t cependant le récit de Ronsard contient des détails trop précis pour une légende: ainsi, p a r exemple, l’itinéraire tracé par le poète s’accorde exactement avec une des gran­

des routes de l’Europe médiévale.

A la vérité, n ’y a-t-il pas m oyen d ’accorder la tradition de famille de Ronsard avec le caractère français de son nom et avec le fait connu depuis les recherches de Martel - lière que les Ronsard sont bien établis dans le Vendômois depuis le moyen âge? Le nom de Ronsard est bien français.

Le suffixe -art, quoique d ’origine germanique, est fort vivant dès le français médiéval. Rossart, Roussart (le père de Ronsard est appelé ainsi p a r Claude Binet, p. 61) est simplement un dérivé de roux, m uni du suffixe péjoratif, et signifie homme aux cheveux roux, rouquin. Ainsi ce nom de famille se range parm i les Leblond, Leblanc, Lenoir Leroux, Rosset, et les) — Rousseau.3

1 Cf. Laumonier, La vie rie Ronsard par Cl. Binet, p. 53.

2 Cf. Laumonier. Vie de Ronsard, p. 56.

3 Dans l’ancienne langue on alterne avec ou et o dans presque tous les mots, cf bobance ~ bombance, convent ~ couvent, m onstrer ~ moustrer, co u ti ~ com pter, jom barde ~ joubarde etc. Voir Théodore

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M aintenant: les origines bas-danubiennes de Ronsard sont-elles incompatibles avec le caractère nettem ent fra n ­ çais de son nom? A la vérité Ronsard ne dit nulle part dans son Ëpître à Remy Belleau que sa famille soit d ’ex­

traction étrangère. Cela nous oblige à poser cette question:

n ’y avait-il pas dans les Balkans, au XIVe siècle, des Français dont une petite troupe aurait pu se rendre en France pour venir au secours du roi?

Le problème ainsi posé prend un nouvel aspect. E n ef­

fet la présence de chevaliers français dans la péninsule balkanique est attestée dès les prem ières croisades. Depuis le commencement du XIIIe siècle jusqu’à la prise de Cons- tantinople l’Em pire latin entretenait dans l’Orient français les m œ urs de la féodalité française et les suzerains de la Morée n ’avaient jam ais perdu contact avec le roi de France.

Je relève, p ar exemple, p arm i les personnages histori­

ques jo u an t un certain rôle dans l’histoire de la Morée un certain R oux de Sully, appelé aussi Rousseau, qui fut en­

voyé comme bailli en Èpire par Charles d’Anjou vers 1285.1

Je ne prétends pas, bien entendu, que ce Roux de Sully soit l’ancêtre de notre poète. Mais le fait est là: dès le XIIIe siècle on rencontre dans lô Péloponèse des Français portant des nom s analogues au sien.

E t si nous admettons que l’ancêtre de Ronsard doive être cherché parm i ces Roux, Rousseau ou autres Français hommes liges d ’un petit suzerain de Byzance, toutes les difficultés se trouvent résolues d ’un coup. L’ancêtre de Pierre de Ronsard n ’était ni Roum ain, ni Hongrois, ni Bul­

gare, n i Tchéco-Allemand, m ais bel et bien le descendant d’un Français de l’Em pire latin, peut-être même d’origine roturière. E t alors l’esprit aventurier de ce fils puîné du

Rosset, Les origines de la prononciation m oderne, Colin 1911, p. 178.

Le R osshart supposé par Chopin est une absurdité linguistique.

1 Cf. Chronique de Morée, p. 213; éd. Soc. Hist. Fr,

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„m arquis" de Ronsard et de ses compagnons se comprend aussi: c ’est le même esprit idéaliste et héroïque qui avait jeté leurs ancêtres dans ce coin reculé de l’Europe. A en croire Pierre de Ronsard, ces croisés retournèrent en France en prenant la route que Louis VII, roi de France, avait choisie pour aller en Terre-Sainte: la ligne du Danube.

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L'HÉROÏSME HONGROIS DANS UNE GAZETTE

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