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III. L’EXTRÊME SOLITUDE MÈNE VERS LA DÉSINTÉGRATION DE

III.1. Réactivation de l’individu par l’écriture

III.1.2. L‟identité fragmentée

La désintégration du protagoniste par son détachement du monde de la réalité laisse paraître une identité brisée. Les débris de cette identité, ces éléments fragmentaires conçoivent une image partagée entre son Moi dont la perception est portée sur son entourage et son Moi qui se détache de sa perception portée sur la réalité. L‟entre-deux identitaire fait référence au clivage du Moi dans ces termes de cette femme dont l‟identité se conçoit à l‟échelle de la Méditerranée. Dans le rouf, elle trouve un faux passeport au nom de Myriam Dors : Myriam, prénom d‟origine hébraïque, pourrait, comme elle le remarque, appartenir à l‟une ou l‟autre rive et la relier à tant de pays. « Le prénom ne lui évoque rien. Il est comme un passe. Il pourrait lui ouvrir n‟importe laquelle des identités des deux rives287. »

III.1.2.1 Crime et (en)quête d’identité

Ici le voyage initiatique entre les identités des deux rives prendra un rôle primordial dans la quête. Il représente la redécouverte de Soi et l‟identification. Le premier point mort de la vie de l‟héroïne est repérable dans la période de recherches désespérées. Puis, étrangement, un second point d‟impuissance arrive lorsqu‟elle comprend ce qui lui arrive.

Elle cherche désespérément des repères pour retrouver son identité alors qu‟une enquête criminelle se dévoile pour s‟unir à l‟(en)quête identitaire de la protagoniste de Malika Mokeddem.

Elle se parle toute seule comme si sa personne était détachée d‟elle-même. Tandis que l‟usage de la première personne du singulier permet à l‟individu de s‟approprier une image singulière et unifiée à lui, l‟usage de la troisième personne du singulier nous renvoie plutôt à une volonté d‟effacement des signes de toute marque de personne. C‟est dans l‟optique de ce brouillard identitaire que nous entendons partager la citation du poète oriental Adonis, placée en épigraphe du roman :

« Poète ‒ tu n‟écris ni le monde ni le moi / tu écris l‟isthme / entre les deux288. »

Les deux volets de la narration soulignent le détachement de la personnalité du protagoniste. C‟est ainsi que l‟effacement de la personne est perceptible au sens identitaire.

L‟entre-deux apparu dans la citation renvoie également à cette dualité, cette hybridité

287MOKEDDEM Malika, N’zid, p. 16.

288Ibid., p.7.

112 résidant dans la quête identitaire tendant à la personnalité aboutie. L‟aboutissement est aussi représenté par l‟image ancestrale du voyage initiatique.

III.1.2.2 Interface mythique

Ce roman est l‟inscription dans une longue histoire en tant que visible écho à Ulysse qui fut condamné à errer sur son esquif au milieu de tous les périls, avant de regagner enfin Ithaque, rejoindre Pénélope et prêter sens à son Odyssée. Comme si trouver sa place et se trouver relevaient autour de la mer de cette ancestrale tradition initiatique. Si cette femme abandonnée est Ulysse, qui est Pénélope dans son histoire ? Ou plutôt dans cette apparition d‟Ulysse qui est la personne « J » ? Elle, la femme sans nom et sans origines, trouve un petit mot sur la table de la cabine :

« Pas le choix ! Pardonne-moi. J‟ai pu les convaincre que tu ne savais rien, obtenir qu‟ils te laissent en vie. Quitte ces eaux ! Dans le coffre avant : des faux papiers, un fusil ! A bientôt289 ! »

La protagoniste, comme ses prédécesseurs littéraires290, est dotée d‟une rare intelligence, accompagnée d‟un sens de l‟analyse qui lui permet d‟éviter les faits de la réalité hostile. Elle représente, dans un ouvrage moderne de la littérature, un héros positif qui est guidé par son sang-froid, conjugué à une maîtrise de soi remarquable. Cet Ulysse des temps modernes présente de multiples similitudes avec le héros de l‟Antiquité. Les trois principaux qualificatifs de l‟Ulysse d‟Homère étant le polymétis, le polytropos et le polyméchanos.

« La métis (qui, sous forme divine, est la mère d‟Athéna, par Zeus) est la faculté de saisir rapidement une situation comme l‟adaptation qu‟elle requiert. […] Les "tropoï", les "méchanaï"

sont les "engins", au sens ancien du mot, que la métis d‟Ulysse, prompte à saisir le réel, utilisera pour vaincre la difficulté soit en la dénouant, soit en la contournant. Détour, la métis est recul, temps de réflexion291. »

289MOKEDDEM Malika, N’zid, p. 13.

290La figure d‟Ulysse est richement reproduite dans la littérature depuis l‟Antiquité.

291BRUNEL Pierre, Dictionnaire des mythes littéraires, Lonrai, Éditions du Rocher, 1988, p. 1402.

113 Zana, la grand-mère d‟adoption de la protagoniste, la gratifie durant son enfance du surnom de Ghoula, qui signifie « ogresse » en arabe. Elle se sert de ce nom pour se présenter à un homme mystérieux se procurant ainsi une identité élue dans le chaos identitaire. La présence de l‟ogresse, dans la symbolique musulmane, est porteuse d‟effroi, de peur et d‟anthropophagie. « L‟idée de l‟ogre dans la perspective de Cronos et du monstre, rejoint le mythe traditionnel du temps et de la mort : tout ce qui est né de la matière sert de support momentané à l’Esprit immortel, mais est voué à l’anéantissement292. » L‟image de ce monstre renvoie ainsi à l‟hybridité, à cette image mythique et angoissante de l‟être mi-animal, mi-homme.

« Le monstre existe […] bel et bien, au regard d‟une logique irrationnelle, et dispose d‟une fonction particulière dans l‟articulation des prémonitions, des souvenirs, des traditions du Mal sous toutes leurs formes et de l‟Inconnu en général293. »

C‟est ainsi que la protagoniste est guidée par ses souvenirs et intuitions à aller au plus profond de son être pour recouvrer son identité. L‟innovation thématique de l‟auteur réside cette fois dans la manière d‟aborder les sujets comme amnésie et effacement en se projetant dans des identités multiples. Malika Mokeddem semble être à la recherche de formes originales d‟expression dans ce roman, c‟est de la sorte que son travail auctorial focalisera sur la langue, la verbalité pour faire appel à l‟« écriture amnésique294. »

292Dictionnaire des symboles, p. 693, « Ogre »

293CHEBEL Malek, L’imaginaire arabo-musulman, p. 242.

294BAICHA Faïza, La re-naissance par l'écriture dans N'zid de Malika Mokeddem, Constantine, Zoubida Belaghoueg, 2007, Mémoire universitaire Ŕ Magister, p. 40.

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