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II. L’EVOLUTION DE LA MEMOIRE COLLECTIVE VERS L’INDIVIDU

II.3. Au seuil de la dérision

II.3.3. Un dérangement confortable

Le champ du jeu de l‟altérité, exprimée dans le récit, est représenté par l‟interface linguistique et culturelle, qui se situe au niveau de la séparation et au niveau de la différence (alter et alius). C‟est ainsi que l‟identité fragmentaire de Machin est perçue à travers la cohabitation inhabituelle et non-confortable avec l‟altérité. Le conflit interne du protagoniste découle ainsi de l‟incompatibilité de son identité et de l‟altérité qu‟il doit expérimenter au jour le jour en la personne de Bouazza.

II.3.3.1 Interface en perturbation

Le champ des interactions au fil de la narration se trouve dérangé. Machin voit s‟effondrer tout effort mené à reprendre sa vie en main. Il est impuissant face à Bouazza et face à cette société que ce dernier se réclame de représenter.

« Ton crime, Bouazza ? Tu es là. Tu ne te poses pas la question d‟un monde sans toi. Tout homme qui n‟arrive pas à concevoir qu‟il est peut-être de trop est une brute, Bouazza. Mais une telle pensée ne t‟a jamais effleuré. Je doute même que tu puisses la comprendre. Comment pourrais-tu être de trop ? Avec une si belle moustache[…]275. »

Le dérangement devient ainsi permanent dans le quotidien des deux hommes et oblige le protagoniste à faire entendre sa parole. Mais encore une fois, la compréhension fait volte-face devant les frontières délimitant l‟altérité opposée de ces deux hommes. La représentation de cette altérité dérangeante apporte un souffle nouveau par l‟évolution de l‟image du protagoniste et de sa représentation sociale. Ainsi voyons-nous encore sous une nouvelle optique le dialogue des sourds menés par Machin et Bouazza, comme une apparition de la surdité des traditions et des mœurs figées. Seraient-elles aussi sourdes que le personnage de Laroui ?

« Voilà ce que j‟aurais voulu dire au parachutiste.

Mais en quelle langue ? […] Je cherche mes mots et je n‟arrive qu‟à baragouiner quelque chose comme :

275LAROUI Fouad, op. cit., p. 75.

102 ‒ Moi pas très content. Toi t‟en aller.

Ce qu‟il pare d‟un grand éclat de rire et d‟un bisou goulu.

‒ Mon frère est tellement drôle. Je vais te faire un tagine poulet aux amandes276. »

L‟ironie reflétée par la nigauderie du caractère de Bouazza fait naître un soupçon d‟humour. Mais le comique étant présent dans la narration, nous doutons si le protagoniste est conscient de ses conditions. Derrière un dialogue manifeste, nous discernons l‟incompréhension entre ces deux identités divergentes, Machin et Bouazza. Les formes monologiques latentes sont disposées sous forme de dialogues ainsi adhérant au style narratif humoristique de Laroui. La forme d‟un dialogue plaqué sur des monologues offre une interprétation extérieure que seul le lecteur est en mesure de repérer.

II.3.3.2 La conquête des rêves

Les formes de monologues latents représentent ainsi l‟incapacité de la communication, l‟impossibilité de l‟interaction entre les deux figures romanesques. Les référents stables se diluent victimes de cette incapacité, de cette soumission de l‟homme aux conditions pour ainsi contribuer à la décomposition du personnage jusqu‟à faire céder sa place à une simple figure. C‟est de cette manière que l‟acceptation d‟un dérangement peut être concevable en matière de l‟intégrité identitaire.

Dans cette optique, la cage d’or retrace les limites de Machin au bord d‟un espace qui correspond à celui rencontré dans la personne de Bouazza. L‟ensemble des éléments déterminant l‟identité, l‟espace de Machin forme une intersection avec l‟ensemble décrivant Bouazza. C‟est une interface qui reflète l‟écran construit autour des limites personnelles du protagoniste Machin. L‟application de la cage d’or régit donc le constat des rapports entre ces deux ensembles et surtout de leurs transformations.

« Mes yeux ne sont pas encore fatigués de voir, même lorsqu‟ils sont clos, et c‟est pourquoi

(je crois que je rêve)

je m‟approche du convoi mortuaire (un nouveau-né pleure, est-ce dans l‟évocation ou dans le

276LAROUI Fouad, op. cit., p. 77.

103 cauchemar, je ne sais pas), je me penche sur le

cercueil obscurci par un triple rang de presque cadavres Ŕ leurs visages, leurs yeux éteints Ŕ et c‟est mon nom que je lis, inscrit sur une petite plaque. Indubitable. Machin, ingénieur. C‟est moi.

Puisque c‟est ainsi qu‟on me désigne277. »

Lorsque la cohabitation devient tellement insupportable que Bouazza s‟installe dans les rêves de l‟ingénieur Machin, lorsqu‟il perce les états de sommeil pour apparaître sous diverses formes, Machin le revoit toujours sans scrupules dans des situations invraisemblables pour ainsi poursuivre la description du rêve de l‟ingénieur. Le côté absurde du rêve vu par Machin le mène à une conclusion surprenante pour mettre terme à cette relation impossible.

« Je me réveille en sursaut, mon cœur bat la chamade, je suis en nage.

Et soudain je sais ce qu‟il me reste à faire.

Comment n‟y ai-je pas pensé plus tôt ? C‟est la seule solution. Elle crève les yeux.

Il faut aimer Bouazza278. »

Le changement d‟optique de l‟ingénieur reflèterait-il l‟abandon de la lutte ou simplement une retransfiguration (adaptation) des limites personnelles ? Machin cède finalement et il se laisse glisser dans le confort du dérangement. La nouvelle optique intervient en catalyseur pour redéclencher le pendule de sa vie. Il est ainsi capable de quitter enfin le point mort qui le retient captif. C‟est alors que la réalisation d‟une nouvelle optique laisse apparaître le déplacement des limites régissant l‟interface identitaire de son appartenance ou des-appartenance si l‟on veut.

Au cours du présent chapitre nous avons vu comment les héros maghrébins ont progressé vers un statut neuf à travers l‟évolution de la mémoire collective maghrébine vers l‟apparition des héros solitaires. Nous avons parcouru comment dans le partage entre modernité et tradition les héros rompent avec les attentes sociales pour se démarquer de la société en tant qu‟individus uniques. Afin de mener à bien la représentation de cette rupture, le point de vue microcosmique des récits est indispensable au lecteur. C‟est ainsi que nous

277LAROUI Fouad, op. cit., p. 188.

278Ibid., p. 190.

104 voyons ces protagonistes isolés dans des récits dont le lecteur pourra seul apporter la délivrance.

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III. L’EXTRÊME SOLITUDE MÈNE VERS