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Les Hunyadi, vus par les historiens français du quinzième siècle

« Les hommes du quatorzième et du quinzième siècles ont beaucoup écrit » - fait remarquer le spécialiste de l’histoire de France du Haut- moyen Age.1 On assiste, en effet, à une multiplication de sources écrites dans tous les domaines ; et la littérature historiographique enregistre un essor encore plus spectaculaire, surtout au cours du quinzième siècle.2 Cela signifie, sans aucun doute, une augmentation de quantité évidente, accompagnée d’un enrichissement et d’une variété remarquables de l’historiographie.

Multiples sont les raisons de cette mutation dont nous allons examiner maintenant les retombées concernant « les affaires de Hongrie » et plus particulièrement celles qui nous aideront à suivre la formation de l’image des Hunyadi, telle qu’elle apparaît dans les différents récits des chroni­

queurs français de l’époque. De toute évidence, ce processus est inséparable des circonstances historiques françaises et européennes, de la prise de position politique et/ou sentimentale des auteurs de même que des traditions de l’historiographie française.3 Cette littérature historio­

graphique, qui avait suivi de près l’essor de la monarchie Capétienne

1 J. Fa v ier, La gu erre d e Cent ans, P a r i s , 1980, p p . 615-627.

2 S u r l e d é v e l o p p e m e n t d e l ’h i s t o r i o g r a p h i e d u M o y e n â g e : B . Gu e n e e, Histoire et culture historique dans l ’Occident médiéval, P a r is , 1980 ; G . B o u r d e , H. M a r t i n ,

Les écoles historiques, P a r is , 1983, p p . 33-55 (* P o i n t s - H i s t o i r e » H67) ; J. E h r a r d , G . Pa l m a d e, L’Histoire, P a r is , 1965, p p . 9-22 ( » C o l l e c t i o n U ») ; R . La n d f e n s t e r,

Historia Magistra Vitœ. Untersuchungen z u r humanistischen Geschichtstheorie des 14 bis 1 6 Jahrhunderts, G e n è v e , 1972 ; D. Ke l l e y, Foundation o f M odem Scholarship, Language, Law and History in the French Renaissance, N e w Y o r k ,

1970 ; La storiografia Altomedievale, 1 0 -1 6 aprile 1969 ( S e t t i m a n e d i S t u d i o d e l C e n t r o I t a l i a n o d i S t u d i s u l l ’A lto M e d i œ v o , XVII), I—II, S p o l e t o , 1970 ; La littérature historiographique des origines à 1500, d ir. H. U. G u m b r e c h t , U. L in k - H e e r , P -M . S p a n b e r g , in Grundriss d er Romanischen Literaturen des Mittelalters, X I/1-3, H e i d e l b e r g , 1986-1988.

3 E h r a r d , P a l m a d e , op. cit., p p . 9 -1 3 ; B o u r d e , M a r t i n , op. cit., p p . 11-31 ; Grundriss... XI/3, p p . 819-833, 835-868, 951-1023, 1025-1063.

d’une part, et les entreprises qui menaient les Croisés français •< en Voyage d’Outre-mer » de l’autre (c’est-à-dire vers Jérusalem), élabore un thème complémentaire au seuil du quatorzième siècle ; il est dicté par les circonstances historiques et renforcé par le développement de la guerre de Cent-ans. La guerre et les moeurs chevaleresques rattachées à la guerre dominent la littérature, et surtout la littérature historiographique de cette période.4

Mais, au fur et à mesure de la multiplication des signes souvent inquiétants de la mutation profonde de la société occidentale du quatorzième et du quinzième siècles, la littérature historiographique devient, en quelque sorte, le miroir de l’angoisse collective de la Chrétienté occidentale.5 Multiples sont les causes de cette angoisse, parmi lesquelles figurent la destruction et la désolation provoquées par les guerres en général (et par la guerre de Cent-ans en particulier), « la division de la Chrestienneté » et surtout le « grand Schisme d’Occident », l’apparition et le développement des hérésies, le déchaînement des Jacqueries et des révoltes urbaines et, pour terminer, le danger extérieur le plus évident : l’avance inquiétante des Turcs.6 Qu’il suffise de le rappeler ici : certains composants de cette angoisse - d’une manière ou

' Voir surtout la Chronique de Jea n le B e l, éd. J. Via r d, E. De p r e z, I—II, Paris, 1904-1905 (Société de l’Histoire de France) ; Le livre du chevalier d e la T o u r L a n d ry , éd. A. de Mo n t a i g l o n, Paris, 1854 ; Le Prince Noir. Poème du héraut C h a n d o s,éd. F. Mic h e l, London-Paris, 1883 ; Le livre des fa is et bonnes mœurs du sage roi Charles V., éd. S. So l e n t e, I—II, Paris, 1936-1941 (Société de l’Histoire de France), et surtout les Chroniques de F r o is s a r t ,éd. S. L u c e , G . Ra y m o n d, L. Mi r o t,

A. Mi r o t, I - X V , Paris, 1869-1975 (Société de l’Histoire de France).

5 S u r c e p r o c e s s u s v o i r E . Pe r r o y, Le Moyen Age. L’Expansion de l’Orient et la naissance de la civilisation occidentale, a v e c la c o l l a b o r a t i o n d e J. Au b o y e r, C . Ca h e n, G . Du b y, M . Mo lla t, Histoire Générale des Civilisations, d ir. p a r M . Cr o u z e t, III, P U F , P a r i s , 1 9 5 7 , p p . 4 0 3 - 5 8 0 ; J. He e r s, L’Occident a u x XIVe et X V siècles. Aspects économiques et sociaux, i n « N o u v e l l e C l i o » 2 3 , P U F , 1 9 7 0 ; B . Gu e n e e, L ’Occident a u x XIVe et XVe siècles. Les Etats, in - N o u v e l l e C l i o » N ° 2 2 ,

P U F , 1 9 8 1 ; P h . Wo l f f, Automne du Moyen âge ou printemps des temps nouveaux ?

L ’E c o n o m i e e u r o p é e n n e a u XIVe e t XVe s i è c l e s , P a r is , 1 9 8 6 ; F. Ra pp, L ’E g l i s e e t la v i e r e l i g i e u s e à la fin d u M o y e n â g e , in « N o u v e l l e C l i o » N ° 2 5 , P U F , 1 9 8 1 ; J.

Le Go f f, L a c i v i l i s a t i o n d e l ’O c c i d e n t m é d i é v a l , in Les Grandes Civilisations, P a r is , 1 9 8 4 , p p . 1 2 7 - 1 3 0 ; J. De l u m e a u, La civilisation de la Renaissance, in Les Grandes Civilisation, P a r is , 1 9 8 4 , p p . 7 - 8 0 , 1 4 9 - 3 0 3 ; J. Fa v ier, Le temps des principautés,

in Histoire de la France, d ir. p a r J. Fa vier, II, P a r i s , 1 9 8 4 , p p . 2 5 9 4 0 3

-6 P e rro y , op. cit., pp. 418-426, 433-444, 458-533 ; J. D elum eau, La Peur en Occident médiéval (XIV-XVIIl siècles), Paris, 1978, pp. 259-260. Sur le développement inégal des régions principales du continent, J. Szücs, Les Trois Europes, Paris, 19&6.

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d’une autre - semblent être de plus en plus liés à la région Centre-Est européenne en général, et à la Hongrie en particulier. D’une part, l’Europe Centrale apparaît donc comme une région de la Chrétienté particulièrement menacée7 mais, de l’autre part - surtout depuis le rétablissement de l’unité de l’église à Constance par l’intermédiaire de Sigismond8. - elle représente également un appui indispensable de la contre-offensive chrétienne tant espérée.9 Les phénomènes que nous venons de mentionner ne tardèrent pas à attirer l’attention des

historio-7 T. K la n icz a y , A kereszteshad eszméje és a Mátyás-mítosz (L’Idée de la Croisade et le mythe de Mathias), Budapest, 1975 (Irodalomtörténeti Füzetek).

8 Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie (31. 03- 1387-09. 12. 1437), roi des Romains (21. 07. 1411), roi de Bohême (23. 08. 1436), roi d’Italie (28. 11. 1431), couronné Empereur à Rome (21. 05. 1433) y joua un rôle particulièrement important. Sur son activité liée au concile de Constance E. Mâ l y u s z, A konstanzi zsinat és a magyar főkegyúri jog, Budapest, 1958 (Értekezések a Történeti Tudományok Köréből), paru en allemand sous le titre Das Konstanzer Konzil u nd das Königliche Patronatsrecht in Ungarn, Budapest, 1959 (Studia Historica Academiæ Sdenciarum Hungaricæ 18). La meilleure monographie sur Sigismond : E. Má l y u s z, Zsigmond király uralma Magyarországon, Budapest, 1984 ; paru en allemand, Kaiser Sigismund in Ungarn (138 7 -1 4 3 7 ), Budapest, 1990. Sur l’activité diplomatique de Sigismond, S. Cs e r n u s, A nemzetközi kapcsolatok, rendszerének átalakulása Nyugat-Európában a XV. sz. elején (Quelques aspects de la transformation des relations internationales en Occident au début du XVe siècle), Szeged, 1983, pp. 11-23 (Acta Univ. Szegediensis de A. József Nominatæ, Acta Historica LXXVI), et S. Cs e r n u s, Quelques aspects européens du conflit arm agnac-bourguignon : Sigismond et la France des partis, Edition du CTHS, Paris, 1990 (« Actes du 114e Congrès National des Sociétés Savantes, Paris, 1989 •)•

9 Histoire dé la Hongrie des origines à nos jours, dir. par E. Pam lényi, Roanne, 1974, pp. 95-1 3 6 ; Histoire de Pologne, dir. par S. Kieniewicz, Warszawa, 1971, pp.

137-181 ; M. Malowist, Problems o f the Growth o f the National Economy o f Central-Eastern Europe in the Late Middle Ages, Roma, 1974, pp. 319-357 (The Journal of European Economic History, 3. 2) ; S. Csernus, Perspectives politiques et tentatives de regroupement territorial au début du X Y siècle : quelques aspects internationaux, « Le Pays de l’Entre-Deux au Moyen âge, Actes du 113e Congrès National des Sociétés Savantes, Strasbourg, 1988 », Edition du CTHS, Paris, 1990, pp. 1 5 5 -1 6 8 ; sur les tentatives de contre-offensive voir Y. Lacaze, Politique

’m éditerranéenne’ et projets de croisade chez Philippe le Bon : de la chute de Byzance à la victoire chrétienne de Belgrade (mai 1453-juillet 1456), I—II, pp.

5-42, 81-132 (Annales de Bourgogne XLI, N° 161-162), et Philipe le Bon et le problème Hussite : un projet de croisade bourguignon en 1428-1429, in « Revue Historique*, CCXLI0969), pp. 6 9 -9 9 ; K. M. S e t t o n , The Papacy a n d the Levant (1 2 0 4 -1 5 7 1 ), II, The Fifleenth Century, Philadelphia, 1978, pp. 1-39, 82-196 (American Phil. Society).

graphes français sur les événements survenus à la frontière Est de la Chrétienté Occidentale. Le problème turc ne fut point le seul à toucher la sensibilité de l’historien, mais du point de vue de notre analyse, il reste le facteur principal.10 La nouvelle des affrontements hungaro-turcs parvint en France dès le milieu des années soixante du quatorzième siècle, tandis que la défaite de Nicopolis choquait toute la Chrétienté.11

Ainsi •< préparé », le personnage de Jean de Hunyad (János Hunyadi) apparaît dans les chroniques françaises dès le milieu des années quarante du quinzième siècle. Désormais ses « faits d’armes », ses succès militaires apparaissent régulièrement dans la littérature historiographique.12 Les auteurs dont nous allons étudier les chroniques pour réaliser notre

10 A . Al d â s y, A X V sz.-i nyugati elbeszélő források (Les sources narratives

occidentales au XVe siècle), Budapest, 1928 ; A . Gá b r ie l, Les rapports dynastiques franco-hongrois au Moyen âge, Pécs, 1944, et D. Ko s á r y, Bevezetés a magyar történelem forrásaiba és irodalmába (Sources et littérature historiographique de l’histoire de Hongrie), I, Budapest, 1951, pp. 109-112, attirent l’attention aux - sources occidentales, surtout françaises, de l’histoire de Hongrie. Pour notre

période, résumé, complémentaire S. Cs e r n u s, Mutation de l’historiographie f r a n ­ çaise et élargissement de son horizon : les * affaires de Hongrie *, Szeged, 1988, pp. 3 -1 6 (Acta Univ. Szegediensis de A. József Nominatæ, Acta Historica LXXXVII).

11 L a b a t a i l l e a e u l i e u l e 28 s e p t e m b r e , 1396. (20 m i l l e m o r t s c h r é t i e n s , 10 m i ll e p r i s o n n i e r s d o n t 3000 t u é s i m m é d i a t e m e n t . . . ) . S u r l a p a r t i c i p a t i o n f r a n c o - b o u r ­ g u i g n o n n e e t s u r l ’i n f l u e n c e d e l a d é f a i t e e t d e l a c a p t i v it é d e s s e i g n e u r s f r a n ç a i s , J . Ca l m e t t e, Les Grands Ducs de Bourgogne, P a r i s , 1975, p p . 103-105 ; Po c k e t

D u Ha u t, P. Ju s s e, Jea n Sans Peur, son but et sa méthode, 1942 ( A n n a l e s d e B o u r g o g n e ) , e t Le retour de Nicopolis et la rançon de Jea n Sans Peur, 1937

( A n n a l e s d e B o u r g o g n e IX) ; v o i r é g a l e m e n t l e t é m o i g n a g e d e J . l e M . Bo u c ic a u t,

Le livre des faicts, é d . p a r Mic h a u d, Po u jo u l a t, Nouvelle Collection des Mémoires p o u r servir à l’Histoire de France, P r e m i è r e s é r i e , II, P a r i s , 1836, p p . 235-246, e t l e s d o c u m e n t s c o n c e r n a n t l a d é f a i t e , Mélanges historiques. Choix de documents inédits su r l’histoire de France, P a r is , 1890, p p . 158-170 ( C o l l e c t i o n d e D o c u m e n t s I n é d i t s s u r l 'H i s t o i r e d e F r a n c e III).

12 Ch-L. Ch a s s in, La Hongrie. Son génie et sa mission. Etude historique suivie de Jea n de Hunyad, récit d u XVe siècle, Paris, 1856, pp. 222-473, pièces justificatives : pp.

475-490. C’est l’étude la plus détaillée sur la vie politique de Hunyadi en français ; - elle est basée principalement sur l’œuvre de J. Te l e k i, A Hunyadiak kora Magyarországon (L’ère des Hunyadi en Hongrie), I —V I , Pest, 1852, Chassin ignore totalement les sources françaises concernant les Hunyadi, à consulter S . Cs e r n u s,

A « Fehér Lovag ». A Hunyadi-mítosz kérdéséhez a XV. századi fra n cia történeti irodalomban (Le » Chevalier Blanc ». Contribution au mythe de Hunyadi, basée sur la littérature historiographique française du XVe siècle), Szeged, 1989, pp.

81-97, et Cs e r n u s,Mutation..., pp. 8-10.

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objectif sont les suivants : Jean (Jehan) de Wavrin,13 Mathieu d’Escouchy (De Coucy),14 Jean Chartier,15 Jacques du Clercq,16 Gilles le Bouvier, dit le Héraut de Berry,17 Georges Chastellain,18 Olivier de la Marche,19 Jean Molinet,20 Thomas Basin,21 et Philippe de Commynes.22 Dans les

chroni-13 Recueil des Chroniques et anciennes istoires de la Grant Bretaigne a present nom mee Engleterre p a r Jeha n de W avrin , seigneur de Forestel, publ. par W. Ha r d y,

I—VII, London, 1864-1891 (Rerum Britannicarum Medii Ævi Scriptores, Rolls Sériés) ; Melle D u p o n t, A nciennes chroniques d ’Engleterre p a r Jea n d e W avrin . Choix de chapitres inédite, I —III, Paris, 1858-1863 ; et N. Io r g a, La cam pagne des croisés sur le Danube, 1445 (Extrait des A nciennes Chroniques d ’Angleterre), Paris, 1927,

14 Les chroniques du roi Charles VIL p a r Gilles L e B o u v ie r dit le Héraut de Berry, éd.

par H . Co u r t e a u l t, I. Ce l i e r, Paris, 1979. Héraut, voyageur et diplomate, G. Le Bouvier nous laisse d’autres ouvrages précieux, comme le Recouvrement de Normandie, ed. by L. St e v e n s o n, du Narratives o f the expulsion o f the English fro m Normandy, London, 1863, pp. 239-376 (Rerum Britannicarum Medii Ævi Scriptores), ou L e livre de là description des pays de Gilles L e B o u v ie r , dit Berry, par E-T. Ha m y, Paris, 1908 (Recueil de Voyage et de Documents pour servir à l’Histoire de la Géographie).

15 Chronique de Mathieu d ’Escoucm, éd. par G. D u Fr e s n e D e Be a u c o u r t, I—III, Paris, 1863-1864.

16 Chronique de Charles VLL, Roi de France, é d . p a r Va ll ët De Vir iv ill e, I—I I I, P a r is ,

1858 ( B i b l i o t h è q u e E l z é v i r i e n n e ) , il e x i s t e u n e c h r o n i q u e l a t i n e a t t r i b u é e à J e a n Ch a r t ie r, q u i c o n c e r n e la m ê m e p é r i o d e : Chronique latine (d e Charles VLL) 1422-1450, é d . p a r C h . Sam a ra n, P a r is , 1928, p p . 5-111 ( B i b l i o t h è q u e d u X V e s i è c l e ) . J e a n e s t u n d e s tr o is f r è r e s C h a r t ie r , q u i o n t jo u é d e s r ô l e s i m p o r t a n t s d a n s l e R o y a u m e d e F r a n c e à l ’é p o q u e : G u i l l a u m e C h a r t ie r fu t é v ê q u e d e P a r is , A la in C h a r t ie r , p o è t e , d i p l o m a t e , « o r a t e u r - o f f i c i e l d e C h a r l e s V I I , f u t e n m i s s i o n - e n t r e a u t r e s - à la c o u r d e S i g i s m o n d , à B u d a . P. Ch a m p io n, Histoire poétique

du quinzièm e siècle, P a r is , 1923, I, p p . 1-166.

17 Mémoires de Jacques Du C le r c q (1 4 4 8 -1 4 6 7 ), éd. par B. de Re i f f e n b e r g, I-IV, Bruxelles, 1923.

18 Œuvres, éd. par Ke r v y n De Le t t e n h o v e, I—VIII, Bruxelles, 1863-1866 (Chronique;

I - V ) .

19 Les Mémoires de Messire Olivier de L a M a r c h e , augmentes d'un estât particulier de la maison du d uc Charles le Hardy, compose du mesme auteur, l’an 1474, in

Mi c h a u o, Po u j o u l a t, op. cit. ; et dans Mémoires, éd. par Be a u n e- D ’Ar b a u m o n t, I-IV, Paris, 1883-1888.

20 Chronique de Jean Mo l i n e t, publ. par G. Do u t r e p o n t, O. Jo d o g n e, I—III, Bruxelles, 1935-1937 (Collection des Anciens Auteurs Belges).

21 Histoire de Charles VLL, éd. et trad. par Ch. Sa m a r a n, Paris, 1933 (Les Classiques de l’Histoire de France au Moyen âge N° 15) ; et Histoire de Louis XL, éd. et trad. par Ch.

Sa m a r a n, Paris, 1963 (Les Classiques de l’Histoire de France au Moyen âge N° 26).

ques des seigneurs, même si les Hunyadi étaient proches de la problématique de la menace turque, nous n’avons trouvé de trace d’aucun d’entre eux.23

Au sujet de nos sources, il nous reste encore un phénomène important à signaler : c’est une période particulière de l’historiographie française, où les historiens vivaient « dans la dépendance des princes », et ce statut ne tardait pas d’influencer leurs vues.24 C’est surtout la division du royaume de France et l’épanouissement de la puissance bourguignonne qui se fait sentir clairement dans l’histoire écrite. Nous assistons souvent à une perception et à une adaptation différentes des mêmes réalités, à une différence de style et souvent à la présentation très partisane des faits. C’est une littérature historique politisée et politisante, et ce phénomène exerce une certaine influence également sur notre sujet.25

En même temps, il faut le dire, il y a un relatif déséquilibre dans nos sources. Elles parlent toutes des membres de la famille Hunyadi ; - néanmoins, c ’est le personnage de Jânos Hunyadi, le « Chevalier Blanc », qui les domine. Ses luttes sont évoquées par tous nos chroniqueurs, et certains d’entre eux vont jusqu’à la « mythisation » du personnage de leur héros. Mathias Corvin, par contre, n’apparaît que chez Olivier de la Marche, Jean Molinet et Philippe de Commynes. Les passages que nous avons de Georges Chastellain mentionnent le cas du fils aîné de Hunyadi, mais il n’y a pas de trace du cadet. Commynes est le seul à donner l’histoire résumée de toute la famille ; - mais chez lui, l’accent est mis sur le personnage de Mathias Corvin.

Il semble que la première mention des luttes anti-ottomanes de

« Johannes de Hoingnacq », nous la devons à Jean de Wavrin, chroniqueur bourguignon.26 Il s’agit de la description d’une campagne navale que les

22 Mémoires, éd. par J. Ca l m e t t e, I—III, Paris, 1925 ; Mémoires sur Louis XI, éd. par J. Du f o u r n e t, Paris, 1979, et A. Pa u p h il e t, Historiens et Chroniqueurs du Moyen

âge, Paris, 1952, pp. 949-1448.

23 Bo u c ic a u t, op. cit., dans l’édition Mic h a u d, Po u jo u l a t, op. cit., II et Histoire de Gaston IV, comte de Foix, p a r Guillaume Le s e u r, éd. par H. Co u r t e a u l t, I—II, Paris, 1893-1896.

2/| Eh r a r d, Pa lm a d e, op. cit., pp. 13-15 ; Bo u r d e, Ma r t in, op. cit., pp. 40 -4 8 ; Gu ë n e e,

Histoire..., pp. 3 3 2 -3 5 4 ; Favier, La gu erre... ', Cse r n u s, Mutation..., pp. 6 - 8 ;

G . Do u t r e p o n t, La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne, Paris, 1904, pp. 413-455.

2^ Grundriss..., XI/3, pp. 819-833 ; Histoire générale de la Presse Française, dir. par.

C. Be ll a n g er, J. Go d e c h o t, P. Gu ira l, F. Te r r o u, I, pp. 27-32 ; Bo u r d e, Ma r t in,

op. cit., pp. 40-46.

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Bourguignons avaient entreprise dans la région du Bas-Danube, en 1444-1445.27 Le capitaine de la flotte, nommé par Philippe le Bon, était Waleran de Wavrin, le cousin de notre chroniqueur. Jean de Wavrin rédigea l’histoire de la campagne des croisés le lendemain du retour de son cousin, au printemps 1446 : c ’est un chapitre passionnant, mais quelque peu étranger dans une » istoire de la Grant Bretaigne ».

Cependant, il reste un des récits les plus originaux du chroniqueur.28 Dans ce récit, nous avons d’abord une « initiation » à l’histoire de la région, une description assez détaillée de l’itinéraire, des négociations et des autres événements concernant la croisade en question.29 Wavrin parle de Hunyadi dès le début de son récit ; pour lui, « Johannes de Hoingnacq » est un « grand seigneur Hongrois », « capittaine des Vallaques » et - précise-t-il - « sestendoit sa seigneurie entre Hongrie et la Valaquie, à scavoir en Transilvane ».30

Ensuite, le chroniqueur prête une attention particulière au personnage de Hunyadi jusqu’à >< son éléction de vayevode du pays de Hongrie, quy estoit autant à dire, en nostre language à exposer, comme capittaine souverain ou general ».31

Par contre, dès l’apparition du roi » Lancelot de Poullane » (Wladislas Ier) et du légat du pape, « le cardinal Saint Angele » (G. Cesarini)

26 Sur Wavrin voir Ha r d y, op. cit., Introduction, I, pp. X-CCXVII ; Du p o n t, op. cit., pp. XIII-XLVIII ; Do u t r e p o n t, op. cit., pp. 450-455 ; L. Kr o p e, Jo ha n de Wawrin krónikájából. Néhány adat Hunyadi János török hadjáratainak történetéhez (De la chronique de Johan de Wavrin. Contribution à l’histoire des campagnes de János Hunyadi, menées contre les Turcs), in »Századok», XXVIII(1894), pp.

675-696.

27 N, Io r g a, Les aventures ’sarrazines’ des Français de Bourgogne, Cluj, 1927, pp.

7 -5 6 (Mélanges d’Histoire Générale de l’Université de Cluj I) ; Se ï t o n, op. cit., II, pp. 8 2 -1 0 8 ; C. Ma r in e s c o, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et la croisade, l ère partie, Paris, 1951 (Actes du VIe Congrès International des Etudes Byzantines, tenu à Paris en 1948).

28 Ha r d y, op. cit., VIe partie, Ier livre. A l’origine, il s’agissait vraisemblablement d’un projet de chronique de la croisade de Waleran de Wawrin, que le chroniqueur a finalement abandonné au profit des » Chroniques d’Anglettene ». Ha r d y, op. cit., pp. 116-119 ; Cs e r n u s, A « Fehér Lovag » ..., pp. 81-84.

29 Wavrin (éd. Ha r d y, op. cit., pp. 7 -1 1 ) ; Se ï t o n, op. cit., pp. 69-81 ; E. Bo u r a s s in,

Philippe le Bon, le Grand Lion de Flandres, Paris, 1983, pp. 267-296 ; Zs. Te k e,

Hunyadi János és kora (Jean de Hunyad et son temps), Budapest, 1980, pp.

110-148 (Magyar História) ; Ch a s s in, op. cit., pp. 277-396.

3(1 Wavrin, op. cit., pp. 7-8.

31 Wavrin, op. cit., p.

13-l’importance du » voyevode de Hongrie » semble être éclipsée par eux dans le récit du chroniqueur.32 Nous le retrouvons plus tard, à la veille de la bataille varnéenne, où il appelle les chefs de l’armée chrétienne à la prudence, et ensuite dans la mélée : « le vaivode de Hongrye, qui depuis eut a nom le Blancq Chevallier, eut l’avant garde » sortit victorieux des premiers affrontements, et Wavrin rajoute que ce « fut a mon semblant ung beau benefice de Dieu donner tele victoire a si petit nombre de Chrestiens contre tel multitude de Turcqz... »33

Après la bataille de Varna, les bourguignons décident d’entrer -< en la mer Major », de naviguer sur le Danube, et d’envoyer leur ambassadeur à la cour royale de Hongrie pour avoir des nouvelles.34

Après les accrochages qui eurent lieu entre les Turcs et les troupes bourgondo-vallaques, apparaît une nouvelle fois Hunyadi, à la tête de son « ost », et c ’est avec ce récit - qu’on pourrait qualifier d’anecdotique - que Wavrin termine le livre premier du sixième volume de son

« istoire » : Hunyadi - dit-il - <• vint veoir le seigneur de Wavrin (qui souffrait d’une maladie pénible dans sa cabine) tout armé de plain harnas à la mode de Hongrye ( ...) et pour ce que son harnois estoit large par dessoubz, il ne polt entrer en la chambrette dudit Seigneur de Wavrin ; si se party tantost de la ( ...) disant qu’il revenroit veoir le capittaine quant il seroit désarmé. » Le passage présente Hunyadi ensuite comme « guéris­

seur », mais ce récit nous paraît tout aussi révélateur concernant la personnalité dominatrice de ce grand seigneur qui, après avoir examiné le malade, « lui fist dire par son tniceman, quy parloit bon françois, qu’il se voulsist resconforter, car autresfois il avoit veu gens semblablement mallade qui tantost aprez revenoit en bonne santé ». Hunyadi va jusqu’à administrer des médicaments au malade, qui « non obstant qu’il se doubtast assez que ce luy deust plus faire de mal que de bien, anchois lui accorda ; et lors le vaivode voiant que ledit capittaine ne pouvoit lever les mains, lui boutta dedans sa bouche... »35

Les citations et le résumé du récit de Wavrin nous permettent de tracer une image nuancée de Hunyadi : dans une présentation réaliste le

•< vaievode de Hongrye » apparaît donc comme un grand seigneur de la région, un chevalier vaillant mais aussi un chef de guerre prudent, qui,

32 Wa v r in, op. cit., p p . 1 3 - 5 4 . 33 W av rin , op. cit., p . 5 5 .

34 « Messire Pietre Vasq » fut l’ambassadeur des Bourguignons, Wa v r in, op. cit., p p . 6 1 - 7 2 ; Kr o p f, op. cit., p p . 6 7 9 - 6 8 1 .

35 W av rin , op. cit., p p . 1 0 9 - 1 1 0 .

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par ses qualités, excelle dans les batailles livrées aux Turcs ; en somme, c ’est un défenseur engagé de son pays et de la Chrétienté, un homme de guerre qui est - en quelque sorte - « le héros de la lutte quotidienne ».

Pas de trace d’idéalisation ou de » mythisation » du personnage.36 En effet, ce processus sera lancé par d’autres chroniqueurs contemporains, comme Mathieu d’Escouchy, Jean Chartier et Jacques du Clercq.

Mathieu d’Escouchy (1420-1482), chroniqueur bourguignon, fut le continuateur des « Chroniques » d’Enguerrand de Monstrelet.37 Il commen­

ça à rédiger sa chronique à partir de 1465, en s ’appuyant sur les documents et sur ses propres notes prises préalablement.38 D’Escouchy parle pour la première fois de Hunyadi à l’occasion de ses opérations militaires de 1448, en précisant la source de son récit.39 Il nomme Hunyadi « Blanc de Hongrie », « le B l a n c d e H o n g rie , o u tout sim p lem en t,

"Le Blanc»; - plus tard, apparaissent les variantes «Jannus, Blanc de Honguerie » et « Blanc de LIongrie, nommé Janus ».40 D’Escouchy prête une attention particulière aux « faits d’armes » de Hunyadi et à l’avance­

ment de l’armée turque entre 1448 et 1456. Il parle de la chute de Byzance et commente la victoire chrétienne de Belgrade où il souligne le rôle « d’un homme saint », « Capitianus », précisant que le succès militaire avait été obtenu par un certain « Onidianus ».41 L’éventualité des rapports entre « Onidianus » et le « Blanc de Hongrie » n’est pas posée.

Pourtant, l’interprétation des faits offerte par Mathieu d’Escouchy, renferme déjà les germes indispensables à la « mythisation » d’un personnage historique : « et pour vray - dit-il - le Blanc dessusdit estoit pour ce temps le plus puissant et plus renommé en armes que nulx

36 C s e r n u s , A * Fehér Lovag»..., p p . 8 3 - 8 4 .

37 Mo n s t r e l e t, l u i - m ê m e c o n t i n u a t e u r d e Fr o is s a r t, C h r o n i q u e d e 1 4 0 0 à 1 4 4 4 , a v e c n d t i c e s u r E . De Mo n s t r e l e t, é d . p a r J . A . C . Bu c h o n, I—IV , P a r i s , 1 8 4 8 , ( C h o i x d e C h r o n i q u e s e t M é m o i r e s s u r l ’H i s t o i r e d e F r a n c e ) .

38 S u r M a t h i e u d ’E s c o u c H Y v o i r Fr e s n e De Be a u c o u r t, I n t r o d u c t i o n p p . I - X L I I ; Do u t r e p o n t, o p . c i t ., p . 4 3 8 .

39 D ’Es c o u c h y, op. cit., I, p p . 1 3 9 - 1 4 3 ; I I I , Pièces justificatives N ° X , p p . 3 4 1 - 3 4 6 ; H . Ma r c z a l i, Közlemények a párizsi nemzeti könyvtárból ( R a p p o r t s s u r l e s d o c u m e n t s d e la B i b l i o t h è q u e N a t i o n a l e d e P a r i s ) , in M a g y a r T ö r t é n e l m i T á r

39 D ’Es c o u c h y, op. cit., I, p p . 1 3 9 - 1 4 3 ; I I I , Pièces justificatives N ° X , p p . 3 4 1 - 3 4 6 ; H . Ma r c z a l i, Közlemények a párizsi nemzeti könyvtárból ( R a p p o r t s s u r l e s d o c u m e n t s d e la B i b l i o t h è q u e N a t i o n a l e d e P a r i s ) , in M a g y a r T ö r t é n e l m i T á r