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En traitant des questions de l’héritage et du patrimoine173, l’auteure dépeint les Polynésiens comme sujets acteurs engagés dans une dynamique opératoire et analyse les modalités de la conscience collective polynésienne en soulignant l’importance d’une épistémologie critique et d’une réinstauration174 des rapports avec les ancêtres. Chantal Spitz présente le métissage culturel175 dans la perspective des rapports de force et de l’autochtonie. À part les écrits auto-fictionnels, psycho-philosophiques, analytiques (sujets micrologiques), l’auteure s’interroge sur la macrologie176 du sujet également. Pour approcher la problématique de l’intégration sociale du sujet et pour opposer les schémas conceptuels européens à la notion d’autochtonie 177 dans une confrontation enrichissante,

170 Libera 2007 : 20.

171 Terme de Krzysztof Pomian pour caractériser la périodisation chronologique.

Voir Dosse 2000 : 5.

172 Greisch 2001 : 182.

173 Spitz 2007b : 105-113.

174 Libera 2007 : 22.

175 Rigo op. cit., 158.

176 Se focalisant sur les structures sociales, les rapports interpersonnels, le niveau supraindividuel. Voir Libera 2008 : 31.

177 Chantal Spitz définit les peuples indigènes autochtones en citant la Déclaration interaméricaine relative aux droits des peuples autochtones : « Les populations indigènes sont celles qui possèdent une continuité historique dans le cadre de sociétés qui existaient avant la conquête et la colonisation européenne de leurs territoires ».

Spitz 2007b : 105. et Tóth 2016 : 176.

l’auteure mène une réflexion sur les éléments de l’exclusion du sujet polynésien de l’histoire de la subjectivité178, sur les violences historiographiques, constitutionnelles.

« principe anticonstitutionnel lorsque la réflexion se déroule du côté de la / république française une et indivisible / cette république qui dans son impudique désir d’égalisation prétend / appliquer aux peuples indigènes autochtones de la Polynésie française / les régimes de propriété intellectuelle en vigueur en France […] Les textes aussi officiels soient-ils n’ont pu ne / peuvent ne pourront nier notre état de peuples indigènes autochtones […] (le principe fondamental fondateur) que les peuples de la Polynésie française sont des peuples indigènes / autochtones »179

L’identité présentée comme une réflexion sur soi-même apparaît parfois comme une histoire de réflexivité permanente, mais très souvent elle est présentée comme construite en intermittences.180 La réflexion formulée à propos des droits des peuples indigènes (droits de propriété culturelle et intellectuelle) esquisse un faisceau d’éléments d’auto-détermination, un espace continu d’expériences culturelles.181 Ces jalons identitaires sont destinés à créer de la stabilité, de la continuité au niveau traditionnel, à formuler une contre-narration mise en action à l’opposition d’une dissociation progressive qui caractérise l’irréglementation. Il en résulte l’émergence de « nouveaux régimes d’historicité »182, l’impératif de reconfigurations culturelles, de réarticulations traditionnelles qui remettent au centre les « témoins immémoriaux d’un savoir collectif omniprésent »183. L’enjeu principal est d’assurer la permanence de la tradition, de recueillir et rediffuser les mots de la « mémoire vivante de l’histoire »184, de préparer le cumul et l’emploi conjugués des

178 Libera 2008 : 32.

179 Spitz 2007b : 105.

180 La continuité historique, traditionnelle, conceptuelle devait être repensée et retravaillée plusieurs fois dirigée par (ou réagissant, reflétant sur) une herméneutique extérieure, une psychologie philosophique d’imputations, d’attributions externes.

181 C’est-à-dire des savoirs traditionnels, de l’identification et protection de la culture autochtone.

182 Dosse op. cit., 1.

183 Pambrun 2008 : 17.

184 Idem.

éléments de l’héritage, de gérer des préoccupations internes relatives.

Chantal Spitz se joint à Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun185 dans l’étude, la découverte et l’explicitation des oscillations adaptatives liées à la structure institutionnelle et la réglementation juridique de la protection des savoirs traditionnels.186 L’auteure exprime une critique profonde des acteurs, responsables culturels tout en soulignant l’importance de la médiation entre le soi et l’autre, entre dimension politique et juridique pour affirmer l’identité synchronique avec

« l’intentionnalité longitudinale » 187 , la présentification de la remémoration et le flux des vécus pour souligner les composantes diachroniques de l’identité. La protection des sites matériels appartient très étroitement à l’archéologie du sujet, comme l’indique le titre d’un article de Pambrun aussi, « Parce que la terre conserve notre mémoire… »188.

Chantal Spitz parle « d’insupportable légèreté politique »189 et attire l’attention sur les insuffisances et erreurs judiciaires, car l’interrogation sur le contexte réglementaire de l’autochtonie, à portée explicative et critique, relève des actes configurants de la protection des traditions, donc de l’essence même de l’identité, de l’historicité et la de narrativité190 du peuple polynésien, des peuples autochtones. Un moment crucial de cette prise de conscience critique aux niveaux des droits de propriété culturelle et intellectuelle était la première conférence internationale sur ce sujet en Whakatane, dans l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande, en 1993.191 L’auteure dénonce les

185 Voir à ce sujet Les voies de la tradition (Pambrun 2008) (« Notre santé est entre nos mains », pp. 67-82. ; « Contribution à une politique de la santé traditionnelle », pp.

183-188.).

186 « La société civile malgré une revendication culturelle trentenaire bruyante manque d’organisations structurées de protection des savoirs traditionnels alors qu’elle est saturée d’associations culturelles de tous genres ». Spitz 2007b : 107.

187 Dosse op. cit., 3.

188 Pambrun op. cit., 199-213.

189 Spitz 2007b : 108.

190 Darwish op. cit., 184.

191 Plus de 150 délégués se sont réunis de quatorze pays. La réunion portait sur des valeurs et sur l’importance des connaissances indigènes, la biodiversité et la biotechnologie, les arts, la musique, les langues, les éléments culturels physiques et spirituels. Il faut noter une prise de position accentuée du côté de l’autodétermination, partie intégrante de toute logique ontologique aussi : « … Declare that Indigenous Peoples of the world have the right to self determination and in exercising that right must be recognised as the exclusive owners of their

infirmités de la chronologie et de l’interprétation européennes de l’existence192, les tenants et les aboutissants des aspirations à un contrôle monopolistique d’un ton cassant, d’un langage direct et cru dans une critique tranchante. Dans un discours enveloppé, elle fait allusion à l’institutionnalisation des connaissances qui cherchent à priver les peuples indigènes de leurs mythes d’origine et de migration, les réduisant à un état décoloré de leurs gloires anciennes, à une situation fragile de dépendance.193

« Ainsi la notion de peuple français unique empêche les peuples indigènes autochtones de la Polynésie française de mettre en œuvre les principes énoncés […] à Whakatane – Aotearoa. »194

La définition de l’autre polynésien faisait longtemps partie des actes d’appropriation intellectuelle195 et d’une colonisation mentale : le sujet en tant que sujet de la conscience et de l’héritage assiste impuissant « aux pillages répétés de notre patrimoine par des citoyens du peuple de France et des peuples d’Ailleurs »196. Pour soutenir ses propos, Spitz énumère longuement des exemples d’abus, d’exploitation et d’appropriation étrangers des produits, légendes, recettes traditionnelles, les anomalies juridiques défavorisant les autochtones.197 La structure symétrique, constamment reprise et répétée est celle d’une confrontation, des reproches, d’une revendication tourmentée, des agitations d’une rigueur implacable.

« C’est ainsi que Tahiti est désormais le nom d’une gamme française de produits pour le bain. C’est ainsi que nombre de nos légendes sont réinterprétées et éditées sans qu’aucun crédit

cultural and intellectual property. » Cf. Guignier 2004 : 146-148. L’auteure fait référence à la conférence internationale des pays de l’Asie organisée à Sabah, Malaisie en février 1995. Le régime des droits de propriété intellectuelle était jugée comme « une nouvelle forme de colonisation », étrangère aux concepts des populations indigènes. Les participants déclaraient dans une prise de position collective que « la protection des traditions et des connaissances des peuples indigènes est aussi importante que l’auto-détermination ». Voir Spitz 2007b : 109.

et Lucas-Schloetter 2008 : 273-276.

ne soit porté aux sources écrites ou orales. […] C’est ainsi que le salon made in fenua présente des tïfaifai ou autres articles décorés de motifs traditionnels fabriqués et vendus par de non indigènes autochtones citoyens français. »198

L’accélération et l’intensification narratives aboutissent à la formule condensée, abrupte, simple mais brutale, rudimentaire et amputée : « C’est ainsi que c’est ainsi que c’est ainsi que »199. La reprise, l’accumulation sans ponctuation tentent d’exprimer une prise de position ardente, une question morale, éthico-juridique brûlante qui résulte en l’extension du domaine de la lutte, la textualisation révoltée de l’axe actionnel et vice versa. Les évaluations éthiques, les jugements de valeur 200 ancrent la poétique spitzienne dans l’éthique201 ; le morcellement continu, la bousculade et la privation syntaxiques symbolisent la relation déséquilibrée colonisateur-colonisé. L’assujettissement, la dépendance historique, psycho-philosophique, ontologique rendent nécessaire et pressante la révision et la reconstitution immanentes du « réseau conceptuel constitutif de la sémantique »202 du sujet.

« C’est ainsi que les dépositaires exclusifs de ces biens qui devraient en être les premiers bénéficiaires exclusifs se voient volés avec la complice bénédiction de l’état français. »203

Dans les profondeurs de la voix cuivrée de l’auteure, élevée contre l’abus et l’exploitation « touristico-commerciale des biens culturels et intellectuels »204 du peuple polynésien, résonnent des connotations éthiques et politiques qui réclament la reconquête du rôle sujet-agent en passant par une étude archéologique des sédimentations historiques de la personne et de la collectivité. C’est également un appel à une enquête, une interrogation inexorables, à l’écrasement des formes de pensée, des expressions, des points de vue imposés pour accéder à une liberté qui peut servir de cadre à

198 Idem.

199 Ibid., 111.

200 Darwish op. cit., 180.

201 L’auteure prend position sur les questions de la responsabilité, sur les difficultés et changements liés à l’arrivée de la modernité, les tourments de la réalité vécue, les violences et conflits de l’urbanisation également.

202 Idem.

203 Spitz 2007b : 111.

204 Idem.

l’interrogation sur soi tout en évitant « d’épouser les exigences, suivre les contraintes, respecter les frayages et les lisières »205 des formes canoniques externes. Le cadre situationnel dans lequel l’auteure s’inscrit est participatif : le « nous » est toujours inclusif206, l’écrivaine s’écrit dans une communauté de sort polynésienne et dans une lecture plus étendue, autochtone. Il s’agit d’un pluriel partagé : l’auteure fait partie intégrante des acteurs mis en jeu (au niveau discursif et spirituel également), des patients qui subissent l’assujettissement, la passivité.

Il s’agit donc d’une critique de l’asservissement visant les rapports de force et les constellations étrangères aussi bien que l’impuissance et la paralysie internes.

« C’est ainsi que les dépositaires exclusifs de ces biens qui devraient en être les premiers bénéficiaires se voient volés avec la complice bénédiction des gouvernements indigènes autochtones de la Polynésie française. »207

Chantal Spitz explore et représente la problématique de la formulation de l’identité, l’appréhension et la protection de l’héritage dans un processus créateur de « désymbolisation »208, dans un transfert et une reprise dynamiques de l’hétérogénéité, des divergences épistémologiques qui déstructurent les dénominations et déterminations externes.

« […] poser avec calme les origines d’un patrimoine témoin d’un génie créatif unique afin que puisse se transmettre en toute conscience en toute confiance cet héritage venu de si loin dans la reconnaissance des dépositaires exclusifs. »209

Elle remet en cause d’une voix implacable la déstabilisation, l’élision du sujet210 qui relèvent d’un dédoublement du moi, d’une dépendance culturelle, psycho-philosophique, définitionnelle de l’autre réduisant la substance et l’indépendance onto-culturelle du moi à une relationnalité référentielle211 constante.

205 Libera 2008 : 24.

206 Berruecos 2009 : 146.

207 Spitz 2007b : 111.

208 Remise en question des dimensions articulatoires, du champ symbolique européens. Voir Mesnil 1995 : 126.

209 Spitz 2007b : 112.

210 Libera 2008 : 24.

211 « […] une société qui continue de se voir au travers du regard de l’Autre ». Spitz 2007b : 112.

15. Vue de Fare (Huahine)