• Nem Talált Eredményt

Parau , hīmene et fenua dans Matamimi de Stéphanie Ari’irau Richard

3. Aamu iti māamāa

3.1. À la croisée des langues et des cultures

La langue principale du livre est le français, base et réceptacle, fondement mais aussi un mémento, un signe anamnestique constant de la colonisation, de l’histoire dominée. Cette langue française, travaillée selon la modalité flexible d’une présence linguistique multiple, accueille des mots et phrases en tahitien, en anglais et en allemand. Comme l’auteur passe en revue des morceaux musicaux

436 TARO : tubercule alimentaire des régions tropicales, espèce comestible de Caladium (Collocasia esculenta). Ibid.

UFI : tubercule alimentaire des régions tropicales, igname (Dioscorea alata). Ibid.

TARUĀ : plante comestible, variété de Caladium (Xanthosoma sagittifolium). Ibid.

HORA : plante toxique utilisé pour empoisonner le poisson (Tephrosia piscatoria).

Ibid.

437 Hauer 1998 : 253-264.

438 Duperray 2001 : 1-12.

dans le Prologue, la narration de l’identité et la musicalité créent un tissu plurilingue et multiculturel, un syncrétisme et une continuité personnels qui complètent et approfondissent l’introduction auto-fictionnelle. Les morceaux musicaux fonctionnent comme des

« référents culturels qui relèvent de processus identitaires différents »439 : à l’arrière-plan de cette affirmation identitaire se trouve l’occidentalisation musicale, l’appropriation des éléments culturels étrangers ainsi qu’une imprégnation profonde de la culture polynésienne ; c’est une appartenance culturelle et linguistique plurielle. Il ne s’agit pas d’une altérité radicale, mais d’une diversité et multiplicité plus ou moins apprivoisées et incorporées.

L’auteur mentionne plusieurs genres polynésiens. Le hīmene440 est un genre musical polyphonique qui a subit l’influence des missionnaires mais qui a, néanmoins, gardé sa valeur traditionnelle également : le hīmene est une synthèse de cultures.441 Hīmene nota est un chant de style européen ayant une partition musicale.442 Le hīmene tarava est chanté a capella par une chorale et relève de la culture traditionnelle orale.443 Le hīmene rū’au est caractérisé par un rythme lent « aux architectures polyphoniques importées par les missionnaires »444. L’auteur cite quelques lignes du hīmene « I haere mai nei oe e letu » et le caractérise comme « l’expression de culpabilité inculquée par les missionnaires »445. Dix pages plus tard, nous trouvons une citation du texte du requiem allemand de Brahms qui nous ramène dans l’univers biblique.

Fusionné avec ces formes traditionnelles, le narrateur mentionne d’autres styles également qui ont influé sur sa jeunesse et sa vision du monde ; on peut ainsi retracer l’histoire musicale (reggae, disco, heavy metal). Parmi les pièces musicales qui ont marqué la « période douloureuse de mélancolie pubère »446, on retrouve Mozart447 et

439 Mallet 1997 : 45.

440 HĪMENE (anglais : HYMN) : chant, cantique. DictFV

441 Durban 2005 : 156.

447 Le narrateur admire notamment la beauté de l’opéra de Mozart, la Flûte enchantée et de l’opus Ein Deutsches Requiem de Brahms « Parce qu’ils sont sacrés et beaux

Brahms aussi bien que des chanteurs pop-rock448 du XXe siècle et des musiciens polynésiens449. Il s’agit non seulement d’un voyage diachronique translinguistique450, mais d’un parcours interinsulaire, intra-archipélique aussi.

Les langues et différents types de musique servent d’intermédiaires affectifs pour symboliser la dialogicité 451 , la polyphonie culturelles (souvent conflictuelle) et les manifestations des mouvements et hybridations psychiques : le texte, à la croisée des langues et des musiques, devient champ transférentiel assurant

« l’augmentation de la néguentropie » 452 , la densification et l’harmonisation de la diversité dans la perspective de l’unité.

Dans Aamu iti māamāa, Philippe Neuffer nous offre un laboratoire, un terrain d’expérimentation de l’entrelacement, de l’interpénétration du réel, du vécu avec le mythique et le mystique pour porter un regard neuf sur l’identité et la société polynésiennes, pour déstabiliser les « schémas comportementaux largement répandus »453. Dans les nouvelles analysées, on peut trouver un vaste échantillon de comportements inhabituels : le clochard sans nom454, ce « fantôme de la rue »455 vit en « retrait des convenances et des contingences matérielles »456. Il est une ombre errante qui passe son temps à regarder les gens passer, à mendier, à sillonner la ville et à

comme les hīmene de mon enfance, ces chants m’ont ramené vers ces rivages désertés par l’adolescent, que je regardais désormais avec curiosité ». Idem.

448 Iron Maiden, Malmsteen, Metallica, Golden Gate Quartet, Big Bill Brounzy, John Travolta, Bee Gee’s, Boney M., Allan Parson, Paul Young, Pink Floyd, Black, Foreigners, Seal

449 Bimbo (Moreterauri Tetua), les Tahiti Cool (Michel Poroi, Yves Roche), Angelo (Angelo Aritaii Neuffer), Barthélémy (Barthélémy Tugarue), Coco Hotahota

450 Le narrateur cite les paroles des chansons en anglais et il localise également ses réminiscences et remémorations qui créent un véritable réseau géographique et temporel : place Vaiate (Papeete), Tarahoi (place Tarahoi, cœur politique de la ville qui, pendant longtemps, servait de lieu pour des concours de chant et de danse), l’île de Raiatea, la baie d’Apooiti (Raiatea), les Touamotu. Voir Kahn 2011 : 30-31.

451 Taylor 1994 : 24-41.

452 Hierse 2007 : 139.

453 Durban 2005 : 111-113.

454 Malgré les affirmations de ne pas avoir de nom, il affirme à la fin de la nouvelle que son vrai nom est Maui.

MAUI : adj. gauche (par opposition à droit) ; vieux cocotier qui a cessé de produire.

455 Neuffer 2011 : 30.

456 Brenot 2007 : 70.

faire le tour du parc Bougainville457, du bassin de la Reine458, de la plage de Taunoa459, du marché de Papeete, la plage Sigogne460. La mise en scène des phobies, l’expression des pathologies du comportement relèvent de la volonté déconstructrice des rituels sociaux codifiés, d’une mise à jour de l’étude méticuleuse des obsessions, des dépassements et transgressions normatifs, de l’identification de l’ailleurs nécessaire du point de vue critique dans le monde intérieur, dans la déréalisation461 du monde intérieur. La force transfiguratrice de l’irruption de l’anormalité souligne les rapports de force parfois psychotisants qui régissent la naissance et l’auto-définition du sujet, de la personnalité. De cette façon, Neuffer attire l’attention sur l’émergence problématique du sujet psycho-philosophique, culturel dans l’histoire et l’aire polynésiennes.